samedi 27 septembre 2008

Il en va de la « crise » du logement comme de la « crise » économique

Une nouvelle fois, c'est La Libre Belgique qui a publié, en p.31 de ce mercredi 24 septembre, la carte blanche que je cosigne avec Didier Brissa, Isabelle Chevalier, Michel Recloux et Olivier Starquit dans le cadre du Mouvement Le Ressort. A noter que pour la première fois, notre texte est mentionné en première page.

L’actualité de la fin du mois d’août fut notamment marquée sur le plan socio-économique par l’annonce d’une crise du secteur immobilier. Il est intéressant de noter que derrière les titres alarmistes se cachaient finalement le constat que les prix ne flambaient plus mais semblaient se stabiliser. Comme pour le discours sur la croissance économique, on assiste donc à l’utilisation de terme faisant penser à une récession alors qu’il s’agit simplement d’un ralentissement.

Car si aujourd’hui il y a un problème au niveau du prix des logements, il s’agit – sauf pour les plus fortunés ayant les moyens de spéculer – surtout d’un problème d’accès devant des prix ayant doublé, voire triplé, en quelques années tandis que les salaires restaient bloqués. Cette situation a entraîné une explosion de l’écart entre les moyens financiers des gens et le prix de l’immobilier. Plus que de s’étonner de la baisse du rythme de la hausse, on peut s’étonner de l’absence d’effondrement du marché immobilier. Celui-ci ne tenant en fait que grâce aux possibilités de crédit et à l’incitation à l’endettement qui peut maintenant se faire sur des périodes de plus en plus longues, y compris sur la génération suivante ! Afin d’éviter un endettement croissant et face à une demande dépassant largement l’offre, il est légitime de revendiquer un rôle accru du secteur public en terme de relance de la construction et de la rénovation. Une telle approche se révèlerait peut-être plus probante que les nombreux plans d’emplois, dont il est permis de douter de l’efficacité.

Le constat peut être vaste et mériterait des détails. Mais force est de constater que se loger devient de plus en plus difficile. Que ce soit en louant comme en achetant, en faisant construire ou en rénovant [1] , tous les coûts ont explosé pour se couper totalement des réalités salariales et sociales dans un pays où, on ne le rappellera jamais assez, 17% de la population vit avec moins de 822 € pour un isolé et 1726 pour un ménage. Face à cette situation du logement privé, le logement social public ne peut répondre à la demande, sans parler ici de son état de délabrement parfois dramatique. Enfin, la situation étant tellement criante et visible, les médias ne peuvent passer sous silence le phénomène de plus en plus répandu de « taudification » de certains quartiers, d’habitats dans les campings, et même des marchands de sommeil qui profitent de la situation de détresse des sans-papiers ou des plus pauvres harcelés par des mesures étatiques s’attaquant aux conséquences et non aux causes.

Parler logement, nous en sommes conscients, c’est aussi parler de la notion plus large mais trop souvent négligée de l’habitat. Aujourd’hui, à un moment où le concept de décroissance doit être pris au sérieux, il faut casser le mythe de la maison quatre façades pour tous [2] . Il faut aussi avoir le courage de dénoncer et de stopper le phénomène de la rurbanisation (départ des citadins vers la campagne) et dire à ceux qui choisissent cette voie qu’ils ne peuvent avoir la même densité et la même offre de service public. La rénovation des friches industrielles, la mixité sociale, la réflexion globale sur la mobilité et l’accès aux services publics, le danger de la gentrification ("embourgeoisement" et donc augmentation du prix des logements) de certains quartiers populaires… tous thèmes qui mériteraient de longs développements et qui doivent être pris en compte.

Le constat est donc multiple, souvent énoncé voire même dénoncé. Qu’en est-il alors des pistes de solutions ? Il y a tout d’abord celles qui existent mais qui sont souvent inutilisées ou mal ciblées. Les immobilières sociales, des agences qui agissent comme intermédiaires entre des propriétaires et des publics défavorisés locataires et se portent garantes du paiement des loyers et du maintien en l’état du logement, sont des solutions à moyen terme. Il existe aussi une « loi Onckelinx » sur la réquisition des biens inoccupés dont la réalité peine à lutter contre le caractère sacralisé de la propriété privée dans notre société capitaliste. Cette loi pose aussi problème aux villes et communes, ayant elles-mêmes des immeubles inoccupés et qu’elles ne mettent pas sur le marché immobilier. Il y a là un angle d’attaque qui pose question. Ainsi des taxes communales ou du revenu cadastral qui pourraient être fixés sur bases du montant du loyer. Le logement social reste au cœur des solutions mais nécessiterait une réflexion globale pouvant intégrer la formation par le travail, l’utilisation de nouvelles technologies respectueuses de l’environnement mais qui permettent également des réductions de coût profitables aux locataires ainsi doublement gagnants. Il s’agit dans ce cadre, notamment lors de rénovation, d’accompagner socialement les personnes. Et de poser la question de l’évolution du logement au fil de la vie des personnes via par exemple des logements modulables [3] . Qui ne pose pas que des questions pratiques mais aussi psychologiques, comment faire déménager, sans que ça ne soit un drame, une vieille personne qui a vécu toute sa vie dans une habitation pour cinq personnes à un logement pour elle-seule ? Une régulation stricte des prix est bien entendu nécessaire. On constate ainsi trop souvent que des projets de réhabilitation urbaine entraînent une spéculation immobilière. Pourquoi ne pas bloquer les prix au niveau du marché d’avant travaux ? Plus largement, le débat autour du pouvoir d’achat est l’occasion de rappeler que le logement et le loyer à payer pour celui-ci ne sont pas représentés à leur proportion réelle dans l’index. De même le contrôle des prix des loyers devrait se faire sur base de l’inflation et en lien direct avec les augmentations – ou le blocage – des salaires. Régulation, service public… la relance du procès lié au tunnel de Cointe illustre parfaitement des pratiques inacceptables des différents entrepreneurs de travaux publics qui s’arrangent pour, soit se distribuer les marchés, soit surfacturer. Seule une régie publique de travaux civils pourrait résoudre cette dérive.

En conclusion, il s’agit de réaffirmer qu’il ne peut y avoir de solution sans contrôle du public, que ce contrôle soit effectué directement ou via un système de régulation, mais aussi par la mise en place de politiques coordonnées qui ne peuvent s’appliquer dans la temporalité politique actuelle. Pour terminer par où nous commencions, il s’agit donc de faire une politique des besoins des citoyens et non des besoins du marché de l’immobilier.

Notes

[1] Signalons l’hypocrisie du discours autour des primes qui ne servent qu’à ceux qui ont déjà des moyens et sont des sommes ridicules au vu des dépenses qu’elles nécessitent.
[2] Même l’Europe demande une législation plus contraignante sur l’achat de terrains à bâtir pour freiner l’urbanisation des campagnes.
[3] L’idée est tout sauf farfelue, Jean-Baptiste Godin l’ayant appliqué dès la moitié du 19e siècle dans son « palais social » de Guise

mercredi 3 septembre 2008

Mister president

Cet article a été publié dans le n°367 de septembre 2008 du magazine Espace de Libertés, pp.31-32


Frédéric Seron, plus connu sous son pseudonyme de Clarke, est un dessinateur né en 1965. Il est l’auteur de nombreuses séries, dont certaines ne comportent qu’un seul tome, dont la plus connue est Mélusine qu’il anime avec Gilson depuis 1995. Les aventures de la petite sorcière publiée par Dupuis en sont à leur 22e album. En 2004, il se lance seul dans la publication au Lombard, dans la collection « Troisième degré », de la série Mister Predisent. Le quatrième album, La guerre du golfe, est sorti en janvier 2008[1]. Pour présenter cette série, rien de mieux que de citer le quatrième de couverture : « Il est le gardien du Monde Libre, le défenseur des valeurs occidentales, il possède le plus gros stock de missiles thermonucléaires de la planète, il est l’ami de Charlton Heston, le chantre du capitalisme, le général en chef des armées de la paix universelle, l’apôtre du libéralisme économique. Ses seuls ennemis sont les terroristes musulmans, les voitures japonaises et les immigrés clandestins. Il peut faire sauter la galaxie en pressant un simple petit bouton, son téléphone est rouge, sa maison est blanche, il est con comme un balai. C’est Mister President ».

Quelles sont les raisons qui vous ont poussées à faire les albums Mister President, série au contenu très politique ?

Une espèce d'auto-thérapie, je présume... J'ai eu envie de faire cette série quand Bush a commencé à me faire peur au JT. Et puis, le personnage est tellement caricatural dans sa bêtise et son ignorance de sa fonction qu'il ressemblait à du pain bénit pour quelqu'un comme moi. D'ailleurs, je ne suis pas le seul à avoir abordé le sujet : Michael Moore, l'ensemble de la presse européenne... Finalement, c'était assez consensuel à l'époque.

Ce n’est certainement pas pour l’argent car je suppose que les tirages n’ont rien à voir avec ceux de Mélusine ?

Haha. Le jour où je ferai une série pour de l'argent, c'est que j'aurai trouvé le truc pour faire des best-sellers... Et ce jour-là, j'arrête de dessiner et je deviens riche en revendant ce truc à tout le monde. Ceci dit, Mister President se vend bien, en fait.

On y retrouve l’humour absurde de la série Durant les travaux l’exposition continue[2] où il y avait déjà quelques planches à contenu politique, notamment sur les relations travailleurs-patrons.

C'est exact, mais l'optique de départ est très différente : Durant Les Travaux... restait une série à l'humour très théorique et exploitait plutôt la froideur et la déshumanisation de ce milieu. Pas de contenu politique, donc. Ici, il s'agit plutôt d'amener un message social, même s'il reste terriblement ténu : l'humour d'abord.

Vous considérez-vous comme un dessinateur s’inscrivant dans une longue série de caricaturistes (Daumier, Jam, Kroll…)

Absolument pas. Un caricaturiste est quelqu'un qui réagit à chaud et ne "crée" pas son personnage. Il utilise la matière première brute et se place dans un rôle de commentateur engagé. Ce qui m'intéresse, c'est justement la création (d'un univers, de personnages...) et l'opportunité de "laisser vivre" sa série. C'est pourquoi, d'emblée, je n'ai pas donné à Mister President les traits de Bush : je voulais qu'il puisse vivre indépendamment de son modèle. C'est également, en partie, le pourquoi de l'aspect didactique de la série : je voulais qu'elle puisse être lue dans quinze ans en dehors de son contexte politique actuel. Ça reste avant tout de la bande dessinée...

A ce propos, y-a-t-il des dessinateurs, ou plus largement des artistes, qui vous ont marqué et vous inspirent ?

Oui. Trop nombreux pour être tous cités mais, dans l'ordre chronologique de leur apparition dans ma vie : Peyo, Alexis, Andréas et Gary Larson... Je sais que ça peut sembler horriblement éclectique, mais ces découvertes courent de l'enfance à l'âge adulte...

Le « héros » de Mister President est clairement une caricature de Georges W. Bush. Qu’allez-vous faire après les élections aux USA ?

Héhé. Je vais continuer comme si de rien n'était en espérant que personne ne s'aperçoive de quoi que ce soit.

Au fait, avez-vous un pronostic concernant ces dernières ?

Je ne suis pas politologue. Mais je continue à penser que McCain reste le grand favori, même si, en Europe, on continue à faire comme s'il n'existait pas face à ses deux rivaux plus... conformes à nos envies.

Que vous a fait (feu) Charlton Heston pour qu’ils soient maltraités dans chacun des albums ?

Rien. En fait, je l'aime plutôt bien (je parle de l'acteur) et j'ai des sentiments mitigés sur le bonhomme. Je ne pense pas qu'un acteur qui ait fait autant de films engagés, écologiques, sociaux, dans les années 60, puisse être entièrement mauvais. Mais bon, je ne le connais pas, je n'ai pas envie d'approfondir notre relation et puis, de toute façon, c'est trop tard depuis une semaine...

La Bande dessinée peut-elle aborder tous les sujets ?

Oui.

Vous-mêmes avez-vous des limites dans votre humour très « monthy python » ?

Tout le monde a des limites. Le principal est de bien les connaître, que ce soit pour naviguer entre elles ou les dépasser...

Pourriez-vous expliciter les limites que vous vous donnez dans l’humour ?

Quand je parle de limites à dépasser, ou à canaliser, il s'agit de limites techniques, capacitaires... Je trouve qu'il est bon, en tant qu'auteur, de se connaître suffisamment et d'appréhender ses propres points forts et imperfections afin de mieux les utiliser. Quant aux limites "éthiques", c'est-à-dire la réponse à la fameuse question "peut-on rire ou parler de tout ?", je pense définitivement que oui. Mais il y a la manière. Aborder un sujet, quel qu'il soit, est une affaire délicate. Si c'est pour le faire sans intelligence, sans coup d'oeil original et pertinent, il vaut mieux faire une petite sieste...

Pour vous, peut-on faire de l’art pour l’art ou l’art doit-il refléter le monde ?

Celui qui prétend faire de l'art pour l'art est un menteur. L'art reflète toujours une vision du monde propre à l'artiste, quelle qu'elle soit...

Dans ce sens, vous considérez-vous comme un artiste engagé ?

Certainement pas. Si je voulais être engagé, j'affûterais autrement mon discours dans mes pages. Ce que je fais n'a d'autre prétention que de faire rire, même si je me permets une vision du monde -la mienne- qui peut faire office d'engagement...

Votre vision de la démocratie américaine est particulièrement acide. Enfin si on peut parler de démocratie ?

Justement, ce n'est pas la démocratie telle que je la connais (ou telle que je la rêve, sans doute). Mais ce n'est également pas un monopole américain : les mêmes travers existent partout dans le monde. Les Américains sont juste ceux qui font le plus de bruit...

Les leçons de décryptage politique, y compris dans les jeux, travaux pratiques et les « historical fact » qui rythment les albums, sont excellentes. Effectuez-vous un gros travail de documentations ?

Merci. Et oui, je me documente beaucoup. Mais, encore une fois, je ne suis pas politologue et mes appréciations ou commentaires doivent sembler très sommaires à quelqu'un de bien informé. Cependant, je pense qu'ils sont nécessaires : je veux que cette série ne se contente pas d'être une caricature sans fond réel. Je tiens à amener quelque chose de moi en affinant le discours.

Au terme de cet entretien, je vous trouve très (trop) modeste sur votre analyse politique. Je pense, contrairement à ce que vous semblez dire, que votre discours par la BD peut avoir plus de portée que celle de politologue.

Je suis entièrement d'accord, dans le sens où plus de personnes lisent de la BD de nos jours que des analyses politiques... Donc, je touche probablement plus de gens. Mais la portée est moindre car mon propos est évidemment moins affiné et certainement moins clairvoyant. En fait, je ne fais que dessiner ce que tout le monde pense, je ne crois pas proposer une vision très pertinente, pointue ou inattendue du sujet...

Finalement, quelles sont les réactions à ces albums, notamment aux histoires sur la France et la Belgique ?

Excellentes en général. D'abord, parce que le sujet est somme toute assez consensuel, mais également parce que les lecteurs ont l'impression que je partage leur incompréhension et leur peur face à tant de bêtise et d'immoralité. Et que je les fais rire avec... On en revient à l'auto-thérapie de la première question...


Notes

[1] Les trois premiers s’intitulaient respectivement Mister president, Mister president en voyage et Time machine.

[2] Trois albums parus dans la collection « Humour Libre » chez Dupuis entre 1998 et 2000 et dont le troisième, Crise de foi, dénonce avec énormément d’humour les sectes, le spiritisme et autres formes de croyance et dont nous recommanderons plus particulièrement la planche La question du crucifix.