Vous trouverez rassemblés sur ce blog tous les textes que j'ai publié ainsi que quelques inédits et les annonces de mes conférences. Pour me contacter : julien.dohet@skynet.be
mardi 29 janvier 2008
Nouveau FN, vieille idéologie
vendredi 25 janvier 2008
Pour un renouveau du service public
Jadis, la gauche mais également la droite, considéraient avec sagesse certains secteurs économiques et sociaux comme trop importants pour en confier la gestion aux intérêts privés, estimant qu'il était pour le moins hasardeux de les soumettre aux aléas du marché. Tirant le bilan au lendemain de grandes crises (crise économique de 29, Seconde Guerre mondiale,...), gauche et droite reconnaissaient à un acteur public fort un rôle de garant de l'intérêt collectif et de tampon économique et social permettant d'éviter les crises financières et de tirer à la hausse la norme salariale. Qui se rappelle que la France nationalisa ses mines en 1945 ? Et, par la suite, jusqu'en 1983, les transports aériens, la banque de France et les grandes banques et compagnies d'assurance du pays, le gaz et l'électricité, de grandes industries (Renault, Thomson, Usinor, Rhône-Poulenc,...), etc.
Aujourd'hui, le moins que l'on puisse dire est que la tendance s'est inversée : à part dans des pays comme la Bolivie, le Venezuela ou l'Equateur, qui ont récemment relancé des processus de (re) nationalisations pour reprendre le contrôle de leurs ressources naturelles et de leur économie, on assiste en effet à l'accélération et à l'extension d'un processus de marchandisation généralisée de la société, qui s'accompagne d'offensives de plus en plus violentes sur les services publics.
Ce phénomène date des années 80. Alors que les puissances occidentales voyaient se ralentir l'expansion économique acquise au détriment des pays dits en voie de développement - notamment via l'engrenage de la dette, qui aujourd'hui encore maintient ces pays sous le joug d'une pauvreté extrême et des diktats néocoloniaux du FMI et de la Banque mondiale - elles se lancèrent à la conquête de marchés nouveaux et juteux au sein de leurs propres économies, et privatisèrent à tour de bras. La motivation de ce changement de cap économique fut purement idéologique. Elle fut théorisée par des think-tank ultralibéraux et mise en oeuvre par des dirigeants qui leur prêtaient une oreille plus qu'attentive, tels Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Grande-Bretagne et Etats-Unis furent ainsi les fers de lance de cette dynamique, mise en oeuvre avec le renfort de grands organismes transnationaux.
Aujourd'hui, on ne compte plus le nombre de catastrophes sanitaires et sociales nées de cette logique mortifère. On se souvient de la désastreuse déliquescence des secteurs du rail en Angleterre ou de l'électricité aux Etats-Unis... Toutefois, rien ne semble freiner la tendance frénétique à libéraliser et privatiser tous les pans encore publics de la société (énergies, télécommunications, postes,...).
En Europe, la façon la plus classique d'imposer la privatisation de certains services publics consiste à ouvrir à la concurrence - on dit "libéraliser", même si cela a peu à voir avec une quelconque libération - le secteur dans lequel ils opèrent. Mis en concurrence avec des opérateurs aux pratiques sociales moins regardantes, il ne leur reste alors qu'à s'aligner ou disparaître.
Une autre façon de procéder consiste à les sous-financer de manière chronique, afin de quasi automatiquement "organiser" leur dysfonctionnement avant d'inciter la vox populi à réclamer leur privatisation. On peut également procéder à un "saucissonnage" de certains secteurs publics - cas de la SNCB ou encore récemment du secteur du gaz et de l'électricité [1] afin de les privatiser pour partie. Le plus souvent, les parties privatisées sont évidemment les plus rentables.
On constate également une privatisation larvée de nombre d'organismes publics ou partiellement publics. Par exemple, si La Poste belge est encore publique pour 50 pc + 1 action, sa gestion, confiée à un ancien dirigeant du trust financier acquéreur, et auquel un salaire de près d'un million d'euros annuels est alloué, a pour sa part clairement quitté la sphère du service rendu à la population. La Poste a aujourd'hui opté pour une stratégie de business marketing . Les fermetures de bureaux se succèdent, on les remplace - au mieux - par des franchisés, le nombre de boîtes aux lettres publiques diminue , les agents statutaires sont remplacés par des intérimaires, les conditions de travail se dégradent, le prix des timbres augmente,...
Actuellement, les représentants de la "puissance publique" aiment vanter les mérites des partenariats public-privé. Pourtant, ceux-ci consistent souvent en un financement détourné d'acteurs privés. Un exemple marquant est celui des "titres services". L'usager paie 6,2 euros par titre, la Région 13 euros et le travailleur touche 10 euros. La différence finance une entreprise d'intérim privée à qui l'on confie la gestion de ces emplois de service. Pourquoi ne pas directement créer de l'emploi public ?
Les services publics devraient être considérés comme des biens publics, des biens appartenant à la collectivité, au patrimoine commun des peuples [2]. On constatera à regret que le nouveau Traité de Lisbonne, copie conforme du projet de Constitution européenne (pourtant majoritairement rejeté en 2005 par les populations en France et aux Pays-Bas), ne reconnaît même pas cette notion de service public.
Il nous semble donc vital et urgent de définir une série de secteurs et de services qui doivent être gérés par la puissance publique. Parmi ceux-ci (liste non-exhaustive) : le transport (et les infrastructures), l'énergie (gaz, électricité), l'enseignement, les soins de santé et les services aux personnes, le logement social, la poste, les télécommunications, ou encore un média public (télévision et radio) à financement public (et donc exempt de publicité). Les fonctions régaliennes de l'Etat doivent elles aussi être maintenues hors de toute logique de marché. On voit par exemple aux Etats-Unis les conséquences désastreuses de la privatisation des établissements pénitenciers.
Au-delà des services publics, il nous semble également indispensable de revendiquer la primauté de l'action publique dans d'autres secteurs que celui des services, comme par exemple celui de la culture, ou l'industrie du médicament, l'agriculture, les ressources naturelles (eau, matières premières, forêts,...), etc.
Le bâton capitaliste, l'épée de Damoclès sociale, la précarisation structurellement organisée que le monde privé fait en permanence peser sur les citoyens et les travailleurs ne nous semblent pas dignes d'une société solidaire, émancipatrice, véritablement démocratique. On ne bâtit pas dans l'exploitation. C'est pour cela que nous défendons également des services publics charpentés autour d'agents statutaires, qui peuvent compter sur une certaine indépendance par rapport à leur employeur.
Cela ne nous empêche pas de rester critiques sur la façon dont les services publics fonctionnent parfois. Il est important d'aller vers moins de bureaucratisme, moins de centralisation, moins de politisation dans leur fonctionnement. En particulier, nous prônons une refonte complète du mode actuel de recrutement, par trop tributaire du rapport de force politique.
Un autre enjeu important qui nous semble devoir être pris à bras-le-corps par les progressistes européens est celui du développement d'initiatives industrielles publiques et de services publics européens. Par exemple, le ferroutage qui, étant donné la raréfaction du pétrole et l'urgence de réduire drastiquement la pollution provoquée par le transport routier, sera amené à jouer un rôle important dans le transport dans les années à venir, devrait s'inscrire dans une relance de l'initiative publique au niveau de l'Europe.
La libéralisation n'est que la liberté du plus fort. Préférons-lui la liberté de pouvoir compter sur des services publics qui nous rendent tous plus forts.
[1] Le Ressort, "La grande gabegie de l'énergie" et "Une initiative publique indispensable", sur http://ressort.domainepublic.net.
[2] http://www.france.attac.org/spip.php?article3471.
lundi 7 janvier 2008
Une oubliée de l’histoire : Emma Goldman
Emma Goldman est née en Lituanie le 27 juin 1869. Cette fille rebelle dès son plus jeune âge refuse de se soumettre à son sort tout tracé identique à celui de ses semblables. Ce sont les événements de Chicago à la faveur des huit heures en 1886 qui détermineront à 17 ans le reste de sa vie alors qu’elle a émigré aux USA. C’est avec le procès truqués contre les anarchistes à la suite de « l’affaire du Haymarket » qu’Emma renforce sa prise de conscience de la réalité des conflits sociaux. Engagée dans une usine de Manhattan elle y organise les travailleuses presque toutes d’origines immigrées. A partir de ce moment là, Emma Goldman devient une des figures du mouvement ouvrier américain du tournant du siècle, payant à plusieurs reprises de sa personne, notamment lors de ses deux années de prisons. Mais la militance et le rôle de cette femme ne s’arrête pas à cette dimension. Elle ne cessera durant toute sa vie de revendiquer, dans la continuation de son engagement anarchiste, l’émancipation de la femme et le droit de choisir sa sexualité. Avec l’arrivée de la guerre de 14-18, Goldman prône en toute logique un pacifisme intransigeant qui lui vaut d’être expulsée vers la Russie où elle est une observatrice très critique de la révolution bolchévique dont elle se distancie des aspects autoritaires dans Mon désenchantement en Russie. Elle continue à prôner l’idéal anarchiste et participe à la guerre d’Espagne, avant de mourir à Toronto au Canada le 14 mai 1940 à l’âge de 71 ans.
« Très influent à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle en Europe et aux Etats-Unis, l’anarchisme comme philosophie politique avait été éclipsé, après 1917, par le mouvement communiste et sa sujétion à l’URSS. Mais les mouvements sociaux des années 1960 ont changé cela. Une approche anti-autoritaire et anti-étatique, de même que la culture de la liberté dans la musique, le sexe et la vie en communauté ont conduit à un regain d’intérêt pour l’anarchisme. Après des décennies d’oubli, Emma Goldman redevenait une figure importante, particulièrement pour le mouvement des femmes, mais aussi pour d’autres mouvements politiques »[1]. Et pourtant, « J’étais frappé de n’avoir jamais, du lycée à la licence, croisé son nom en étudiant l’histoire de ce pays. C’était une expérience que j’avais déjà vécue lorsque, à l’issue de mes études, j’avais commencé à m’informer sur des gens et des événements qui, d’une façon ou d’une autre, ne cadraient pas avec l’histoire officielle : Mother Jones, Big Bill Haywood, John Reed, le massacre de Ludlow, la grève du textile de Lawrence, l’affaire du Haymarket et bien d’autres. Les gens dignes d’êtres étudiés étaient présidents, industriels, héros militaires mais jamais leaders syndicaux, radicaux, socialistes, anarchistes. Emma Goldman ne cadrait pas »[2]. C’est ainsi que l’historien Howard Zinn[3] explique dans son introduction les raisons qui l’ont poussé à écrire une pièce de théâtre, jouée pour la première fois en 1975, sur les années américaines d’Emma Goldman. Les différents aspects de ses 48 premières années, y compris ses amours tumultueuses, sont retracés par de courts tableaux se suivant chronologiquement. Mais l’auteur ne se contente pas de raconter la vie de son héroïne, il replace les combats de celle-ci dans le contexte de l’époque mais aussi dans un cadre plus large qui interroge notre époque. Ainsi des discussions entre Emma et son compagnon Alexandre Berkman dit Sasha, marxiste de stricte observance, bien résumées par cet extrait : « EMMA (plus douce) : Tu ne comprends pas, Sasha ? Nous ne pouvons pas tous vivre comme vivent les plus opprimés. Nous devons avoir un peu de beauté dans nos vies, même au cœur des luttes. »[4]
La mise en pratique des idées, le recours systématique à l’action directe, le refus des concessions aux principes sont ainsi au centre de la pièce tout autant que les concepts théoriques et tactiques du mouvement ouvrier. La question de la violence est ainsi abordée à plusieurs reprises, lors de l’attentat manqué de Berkman contre un patron, tout comme dans un discours de Johann Most, un des compagnons d’Emma, : « Chaque année, trente-cinq mille ouvriers meurent dans leurs mines et leurs usines. A chaque génération, les fils des ouvriers sont massacrés dans leurs guerres. Et ils nous accusent d’être violents ! (il fait une pause, puis parle très posément). Que les choses soient claires. La violence contre les innocents ? Jamais. La violence contre l’oppresseur ? Toujours ! »[5].
En une centaine de pages comprenant les annotations scénographiques, Howard Zinn retrace ainsi la vie d’une militante oubliée dont il arrive a nous faire toucher la profonde humanité.