lundi 25 février 2013

Tout cela n’empêche pas, Nicolas, que la Commune n’est pas morte !

 Cet édito de 6com a été publié le 25.02.2013


Ce vendredi 22 février le Théâtre Le Moderne jouait la première de sa nouvelle création intitulée "Le Temps des Cerises". Ce spectacle retrace, en une heure de chansons entrecoupées d’interventions de contextualisation, l’histoire de la Commune de Paris. Cet événement de l’histoire mondiale du mouvement ouvrier est un tournant très important. C’est en effet la première fois que le peuple s’empare du pouvoir pour appliquer les différentes théories sociales qui étaient développées à l’époque. Commencée le 18 mars 1871, elle se termine dans le bain de sang de la "semaine sanglante" du 21 au 28 mai 1871.
Pour comprendre le soulèvement du peuple parisien, il faut avoir en tête le contexte global. En juillet 1870, Napoléon III déclenche une guerre mal préparée contre l’Allemagne. Le neveu de Napoléon Ier avait réussi à être le premier président élu au Suffrage Universel de la République française à la suite de la Révolution de 1848 (Révolution constituant la trame de fond des Misérables de Hugo). Jouant sur le sentiment nationaliste, le souvenir des grandes heures de l’épopée de son oncle, et enrobant le tout d’un discours populiste, Napoléon III fait un coup d’Etat le 2 décembre 1851 où il écrase militairement ses opposants et qui lui permet de restaurer l’Empire lors d’un référendum avec un large soutien populaire, surtout issu des campagnes. Comme pour d’autres dictatures, c’est donc par le suffrage et un discours populiste que celle-ci débute. Elle s’assied ensuite sur plusieurs mesures progressistes comme la reconnaissance du Droit de Grève en 1864.
La guerre de 1870, pour reprendre le titre du livre qu’Émile Zola lui consacrera, prend vite la tournure d’une débâcle qui atteint son paroxysme lors de la défaite de Sedan le 2 septembre 1870. Très vite la République est proclamée et la bourgeoisie, avec à sa tête Adolphe Thiers, tente de sortir la tête haute de la guerre en créant un gouvernement de défense nationale qui poursuit les combats. Le siège de Paris dure tout l’hiver, créant une famine très importante. Humiliation suprême, l’Empire allemand est proclamé dans le palais des glaces de Versailles et les troupes allemandes défilent dans Paris. Le Peuple parisien se refuse à la défaite, et surtout à la composition réactionnaire du nouveau gouvernement républicain qui a signé l’armistice avec les Allemands et s’est installé à Versailles. La tension ne cesse de monter et le 18 mars, une tentative de récupérer une batterie de canons entreposés sur la butte de Montmartre déclenche l’insurrection.
Pendant deux mois, avec des débats épiques et des échanges tendus entre les différentes composantes de la Gauche de l’époque, le Peuple parisien résiste à l’armée républicaine (qualifiée de Versaillais) composée de paysans et réarmée par les Allemands qui veulent empêcher un précédent révolutionnaire qui pourrait s’étendre à d’autres pays.
La Commune de Paris est importante, car jusqu’aujourd’hui, même si son souvenir tente à s’estomper, elle reste un moment charnière de l’histoire du prolétariat mondial qu’elle a influencé. Pour comprendre cet engouement, il faut certes prendre en compte une forme de mythologie révolutionnaire. Mais il faut surtout se pencher sur les réalisations concrètes faites dans un contexte très difficile et qui gardent aujourd’hui toutes leur pertinence et leur potentiel de débat :

  • Instruction gratuite, laïque et obligatoire dont la pédagogie est intégralement revue
  • Contrôle permanent de tous les élus par la base
  • Organisation de la société sur une base communale plus proche du citoyen
  • Élection des chefs militaires
  • Suppression du ministère des Cultes
  • Gratuité de la justice et élection des jugesE
  • Egalité salariale entre les hommes et les femmes
  • Réquisition des logements inoccupés
  • Mise sous forme de coopérative de nombreux ateliers
Toutes ces réalisations, et bien d’autres encore, expliquent que le souvenir de la Commune de Paris n’est pas mort 142 plus tard, comme le montre la représentation théâtrale du Moderne ou la Bande Dessinée, Le Cri Du Peuple publié par Tardi chez Casterman en 2005 sur base du roman de Jean Vautrin. Cette transmission mémorielle a été aidée par le fait que plusieurs moments de l’histoire du mouvement ouvrier sont directement liés à la Commune de Paris. Ainsi c’est en 1886, la même année où l’auteur de l’Internationale Eugène Pottier compose la chanson Tout cela n’empêche pas, Nicolas, que la Commune n’est pas morte !, que l’histoire sociale de Wallonie, et plus largement de Belgique, débute via un soulèvement déclenché par un meeting anarchiste en Outremeuse qui débouchera sur une grève touchant le bassin liégeois puis le Hainaut. Cette révolte importante amorcera les premières réformes sociales dans une Belgique qui se distingue alors par son retard en ce domaine et sa politique de dumping social envers les mêmes pays voisins avec lesquels nous sommes actuellement comparés au niveau de la "productivité" et du "dérapage salarial".
Impossible ici de résumer toutes les leçons pouvant être tirées de ces événements. Contentons-nous de relever que c’est par un populisme nationaliste que Napoléon III est arrivé au pouvoir. Et qu’aujourd’hui en Flandre ce même nationalisme populiste semble inarrêtable si l’on se fie aux chiffres publiés ce week-end par La Libre dans son baromètre politique. Et que dire de l’Italie avec le retour d’un Berlusconi ou l’émergence d’un Beppe Grillo. Notons qu’il faudra 8 mois au Peuple parisien, pourtant habitué à dresser les barricades, pour se soulever sur une question nationaliste et de pénurie. Et relevons également que c’est la République qui écrasera les travailleurs dans le sang pour protéger les privilèges de la haute bourgeoisie. Toute comparaison avec ce qui se passe avec une multinationale indienne étant purement fortuite…

samedi 23 février 2013

Antisémitisme et Anticommunisme. Les deux mamelles de l’Extrême droite



 Cet article a été publié dans Aide-Mémoire n°63 de janvier-mars 2013, p.11

Le 10 décembre les territoires de la Mémoire, en association avec Mémoire de Dannes-Camiers a inauguré un mémorial commémorant la déportation des Juifs de Liège durant l’occupation Nazie. Ce monument, qui prendra place ensuite dans le site de Mnema, voit donc le jour au même moment que la nouvelle version de la caserne Dossin à Malines. Deux lieux de mémoire de l’extermination des Juifs par les Nazis ont donc été inaugurés en Belgique récemment.

Comme exprimé à de nombreuses reprises dans nos textes analysant l’idéologie de l’extrême droite, l’antisémitisme, et plus largement le racisme, n’est pas au cœur de la doctrine. Cela n’en fait pas moins une composante essentielle et relativement permanente. Au même titre que l’anticommunisme. C’est donc ces deux notions que nous aborderons cette fois-ci.

L’antisémitisme « scientifique »

Nous avons déjà abordé ici la question de la Race[1]. Avec le livre de George Montandon, nous entrons cependant dans une autre dimension. Né en Suisse en 1879 dans une famille française, Montandon se passionne dès la fin de ses études de médecine pour l’anthropologie. Il fera notamment une mission importante en Éthiopie. Après la première guerre mondiale, il se rend en Union Soviétique avec une Mission de la Croix Rouge et adhère à la révolution Bolchévique, devenant même membre du PC Suisse à son retour à Lausanne. Il s’installe à Paris en 1925 où il poursuit ses travaux. C’est au moment du Front Populaire, en 1936, qu’il évolue politiquement et se rapproche de penseurs antisémites dont il devient rapidement un des plus influents. Céline s’inspire d’ailleurs de ses écrits dans Bagatelles pour un massacre[2]. Sous l’occupation, Montandon adhère au PPF[3] et intègre différentes structures administratives dédiées à l’antisémitisme comme le Commissariat général aux questions juives et publie de nombreux textes. Il est abattu par la Résistance en 1944.
Son ouvrage le plus connu, Comment reconnaître et expliquer le Juif ?[4] est une bonne synthèse de la vision raciste antisémite. Il s’agit finalement d’un texte assez court qui est prolongé par une sorte d’anthologie de textes antisémites venant renforcer et illustrer le propos : « Depuis un siècle, il a été publié un grand nombre d’ouvrages où la question juive est exposée fort clairement. Nous aurons l’occasion d’en donner de copieuses citations au cours des pages qui vont suivre. Car, jusqu’à présent, la lecture de ces ouvrages a été réservée à une élite. Ils n’ont pas eu le retentissement que l’ampleur du sujet commandait. La presse juive les a étouffés, a établi autour d’eux la conspiration du silence. De telle sorte qu’aujourd’hui encore le grand public ignore la question juive. »[5]. Le livre distingue donc les différentes races avant de s’intéresser plus particulièrement aux Juifs. C’est au détour de cette classification que l’on peut lire que les Arabes sont de Race blanche, ce qui réjouira sans nul doute l’extrême droite contemporaine.
 Anthropologue et ethnographe, Montandon fait une description assez « classique » du Juif que l’on retrouve également dans les dessins de l’époque : « Un nez fortement convexe, d’ailleurs de façon différente selon les individus, fréquemment avec proéminence inférieure de la cloison nasale, et ailes très mobiles ; chez certains sujets de l’Europe sud-orientale, le profil en bec de vautour est si accusé que l’on pourrait croire à un produit sélectionné et qu’il ne s’explique que par le phénomène d’auto-domestication plus haut mentionné ; des lèvres charnues, dont l’inférieure proémine souvent, parfois très fortement (il n’est pas illégitime d’y voir un résidu de facteurs négroïdes) ; des yeux peu enfoncés dans les orbites, avec, habituellement, quelque chose de plus humide, de plus marécageux que ce n’est le cas pour d’autres types raciaux, et une fente des paupières moins ouverte. Les trois organes que sont les yeux, le nez et les lèvres sont donc fortement « chargés » et c’est la combinaison des caractères mentionnés de ces trois organes qui constitue principalement, avec une légère bouffissure de l’ensemble des parties molles, ce que nous avons appelé le masque juif. Des caractères moins fréquents et moins marquants sont : Le cheveu frisé, qu’il est également légitime de rattacher à une ascendance négroïde ; L’oreille grande et décollée. Des caractères de rapportant au corps, mais également moins importants que ceux du visage, sont : Les épaules légèrement voûtées ; Les hanches facilement larges ou graisseuses ; Les pieds plats. Certaines attitudes sont également plus ou moins typiques à savoir : Le geste griffu. L’allure dégingandée ou la démarche en battoirs »[6].
Il précise, reprenant les lois de Mendel, que le problème est que les caractères Juifs sont dominants et non récessifs. Cela le rend d’autant plus dangereux pour les autres races et renforce le fait qu’il est inassimilable. Inassimilable génétiquement, mais surtout moralement. Car le Juif a pour ambition d’être toujours un état dans l’état, a pour vocation de dominer le monde car il se considère comme supérieur[7]. Pour réaliser son dessein : « On peut établir en principe que les Juifs se servent pour asservir le monde : 1° des ouvriers, dirigés par des créatures à leur solde ; 2° des gouvernements et des parlements soumis à l’obédience des loges ; 3° de la société des nations, création juive, qui dans l’ordre international devait assurer le triomphe d’Israël. »[8]. Il est donc toujours à l’origine des Révolutions : « Le Juif n’est enraciné nulle part. Il n’a pas d’attache avec le sol. Il ne comprend rien aux traditions des pays qu’il envahit. Il lui semble donc tout naturel de les mépriser, de les détruire ou de les bouleverser. Aussi trouve-t-on le Juif à l’origine de toutes les révolutions. »[9]. Et fidèle à la tradition d’extrême droite Montandon critique la Révolution Française[10] : « En 1791, la Révolution française, par l’octroi des droits politiques aux Juifs, accélérait l’envahissement, les Achkénazim dominant de plus en plus quantitativement. Mais, pour les uns et les autres, c’était la ruée vers les postes directeurs du pays et de l’Etat. Les 90.000 juifs de 1870 ne devaient pas être loin du demi-million peu avant la guerre. En 1939, ils tenaient déjà pratiquement les leviers, lorsque… »[11].
La Révolution bolchévique
Mais plus encore que la Révolution Française, Le Juif est derrière la Révolution bolchévique et plus largement  le Communisme.  L’occasion de terminer cette chronique par un autre livre que la réputation précède : Mea Culpa[12]. Le lien est d’autant plus évident que nous avons déjà signalé combien le lien entre Céline et Montandon étai t fort. Outre ces pamphlets antisémites, Céline a publié en 1936 un texte dénonçant le Communisme. Il est notable à ce niveau que ce texte, contrairement aux pamphlets antisémites, fut réédité sans problème. Ce texte à la réputation sulfureuse est très court et s’avère finalement assez pauvre. Il est une dénonciation au style célinien de l’égalitarisme prôné par le Communisme, avec bien entendu une petite touche d’antisémitisme : « Se faire voir aux côtés du peuple,  par les temps qui courent, c’est prendre une « assurance-nougat ». Pourvu qu’on se sente un peu juif çà devient une « assurance-vie »[13]. Céline y attaque la mentalité bourgeoise : « Jamais depuis le temps biblique ne s’était abattu sur nous fléau plus sournois, plus obscène, plus dégradant à tout prendre, que la gluante emprise bourgeoise. Classe plus sournoisement tyrannique, cupide, rapace, tartufière à bloc ! Moralisante et sauteuse ! Impassible et pleurnicharde ! De glace au malheur. Plus inassouvible»[14]. Mais surtout ceux qui donnent des illusions au plus pauvres : « La politique a pourri l’Homme encore plus profondément depuis ces trois derniers siècles que pendant toute la Préhistoire. Nous étions au Moyen Age plus près d’être unis qu’aujourd’hui… un esprit commun prenait forme. (…) Le Communisme matérialiste, c’est la Matière avant tout et quand il s’agit de matière c’est jamais le meilleur qui triomphe, c’est toujours le plus cynique, le plus rusé, le plus brutal. Regardez donc dans cette URSS comme le pèze s’est vite requinqué ! »[15]. En cela il trouve d’ailleurs la religion plus honnête qui dit clairement que le monde terrestre est un monde de souffrance qu’il faut accepter.
Le fonds de la pensée que Céline exprime finalement dans Mea Culpa nous ramène au cœur de la doctrine de l’extrême droite que nous analysons dans cette chronique : l’homme est par nature un individualiste forcené, vil et qui ne comprend que la loi du plus fort.

Notes

[1] De l’étalon au noble SS in n°27 de janvier-février-mars 2004.
[2] L’antisémitisme est-il une futilité ? in n°26 d’octobre-novembre-décembre 2003.
[3] Sur ce parti, voir L’anticommunisme d’un transfuge in n°59 de janvier-février-mars 2012.
[4] Georges Montandon, Comment reconnaître et expliquer le Juif ? Avec dix clichés hors texte. Suivi d’un portrait moral du Juif. Coll Les juifs en France n°1, Paris, Nouvelles éditions françaises, 1940, 90 p.
[5] P.40
[6] Pp.23-24
[7] Voir sur cette volonté de domination Un échec voué au succès. Les protocoles des sages de Sion in Aide-mémoire n°18 de juillet-août-septembre 2001.
[8] Pp.78-79
[9] P.72
[10] Voir notamment De l’inégalité à la monarchie in n°33 de juillet-août-septembre 2005 et  La pensée « contrerévolutionnaire » in n°36 d’avril-mai-juin 2006.
[11] P.15
[12] Louis-Ferdinand Céline, Mea Culpa. Suivi de la vie et l’œuvre de Semmelweis, Paris, Denoël, 1937, 124 p.
[13] P.10
[14] P.9
[15] P.16