samedi 17 décembre 2022

De Maurras à Zemmour en passant par Figueras. Une idéologie constante

Dans notre précédente chronique, nous avions décodé le dernier ouvrage d’Éric Zemmour1, en soulignant combien l’argumentation qu’il développe pour défendre son idéologie d’extrême droite était, au-delà des apparences, loin d’être originale, et constituait au mieux une actualisation du discours classique de ce courant politique. Quarante ans plus tôt, un autre polémiste développait déjà les thèses de Zemmour. La grande différence étant qu’il était alors médiatiquement réduit à une relative confidentialité.

Le Zemmour des années 80

André Figueras « (8 janvier 1924 – 15 mars 2002) est un journaliste, écrivain et éditeur, défenseur du maréchal Pétain, adversaire résolu du gaullisme, antidreyfusard, proche du catholicisme traditionaliste de Monseigneur Marcel Lefebvre et des mouvements anti-avortement. Il soutient, à partir des années 1980, Jean-Marie Le Pen ». C’est ainsi que l’encyclopédie en ligne d’extrême droite présente Figueras. Comme d’autres figures déjà croisées dans cette chronique, il fait partie de cette minorité de résistants de droite qui avaient, idéologiquement, de nombreuses accointances avec une extrême droite qu’ils rejoindront au moment de la guerre d’Algérie2. En 1977, il signe un appel demandant l’arrêt de poursuites en cours contre le Groupe union défense (GUD), ancêtre des milices violentes s’illustrant ces dernières années, comme Génération identitaire, les Zouaves… et dont le Bastion social est le continuateur. Pamphlétaire, il publiera près d’une centaine d’ouvrages tournant autour de la dénonciation des « crimes de la Résistance », contre De Gaulle, mais aussi plusieurs écrits antisémites et négationnistes3, à l’image de La Fable d’Auschwitz et d’Abraham, au titre particulièrement explicite. Même si son nom est peu connu, il jouera un rôle d’idéologue important.

Assis de gauche à droite : André Figueras, Olivier Figueras, Pinatel. Debout : Raphaël Figueras. (Photo : © Louis-Michel Jugie)

Son ouvrage, publié début des années 80, La France « aux Français », outre le fait d’être un slogan du Front National4, synthétise assez bien son positionnement. À commencer par le fait que le « déclin français » est arrivé à un point de bascule, ce qu’il énonce tant au début : « nos parents nous ont légué une France déjà bien diminuée, bien altérée, bien rétrécie. Cependant n’est-ce rien, hélas ! à côté de celle que, si nous ne faisons soudain quelque chose d’immense pour elle, nous allons transmettre à nos enfants5 », qu’à la fin de son livre : « la génération qui fait actuellement ses études secondaires est la dernière qui puisse redresser la barre. Après, nous autres ayant disparu, tout le monde serait plongé indistinctement dans la mélasse moderniste et progressiste » (p. 144). Comme Zemmour également, Figueras prône une réhabilitation de Pétain6 et du régime de Vichy, De Gaulle étant vu comme le coupable de la « guerre civile »7 survenue à la Libération8, alors qu’une transition douce aurait été possible : « (…) il s’agit aussi de clore un peu le bec à ces zigomars bien de chez nous qui passent leur temps à débiner leur pays. On en a assez, par exemple, et plus qu’assez, d’entendre cracher sur le maréchal Pétain (…) Si nous-mêmes ne respectons pas nos forces, nos grandeurs, nos honneurs, comment veut-on que les autres s’en chargent ? » (p. 139). Cette lecture de l’Histoire s’étend bien entendu à la colonisation, vue comme une œuvre civilisatrice, tandis que la décolonisation est « un véritable crime contre l’humanité » (p. 47), en regard de ce que sont devenus les pays concernés. S’il ne parle évidemment pas encore de « culture woke », ou de « repentance », le discours est bien déjà présent : « La première phase est de ne plus reculer. De ne pas accepter de parler, si peu que ce soit, sabir. De ne pas consentir que la colonisation fût un crime. De donner à nos enfants (…) une éducation foncièrement (…) française (…) de laisser sombrer les niaiseries gastronomiques, comme les merguez ou le couscous, alors du reste que nous avons tellement meilleur, ne serait-ce, pour pas plus cher, que le pot-au-feu » (p. 59). Sans oublier, bien entendu, la critique de « l’idéologie droit de l’hommiste » : « Et c’est alors qu’a démarré la grande perfide campagne “humanitaire”. Sachons-le en effet, toutes les fois que l’on entend évoquer les “Droits de l’homme”, on peut être sûr qu’un mauvais coup se prépare » (p. 82), et de dénoncer les « bobards » sur les crimes de l’armée française.

L’Occupation similaire à celle de 40–44, ancêtre du « grand remplacement »

Le discours raciste9 sur le fait que la France ne sera plus française n’a pas attendu Renaud Camus pour être énoncé. L’immigré est la source de tous les maux : appauvrissement de la langue, baisse du niveau de l’enseignement, augmentation de la criminalité… le tout avec la précaution de Figueras de dire qu’il n’est pas raciste, vu qu’il était… pour l’Algérie française qui permettait aux Algériens de rester en Algérie tout en bénéficiant de la civilisation française et d’avoir du travail ! « Qu’est-ce, en effet, qu’une occupation étrangère, telle que nous en avons vécu le type il y a quarante ans ? Cependant que subsiste un gouvernement français de peu de puissance, et de peu d’indépendance (…) c’est la présence sur notre sol de nombreux étrangers, en uniforme ou pas, en armes ou pas, vivant sur le pays, lui imposant dans un certain nombre de circonstances leur loi, faisant régner dans certains cas la terreur, et recevant naturellement leurs consignes d’une puissance étrangère – par définition, et pour ne pas dire davantage, non amie. Je dis que ces traits caractérisent très précisément, et sans qu’il n’en manque aucun à l’appel, l’occupation immigrée » (p. 34). Et d’enfoncer le clou : « Sur le plan individuel, en effet, je considère qu’un nègre ou un arabe, ou un n’importe qui, étant un homme, est mon égal très exactement, et je le traite comme tel. Ce qui ne m’empêche pas de souhaiter hautement que, dans son intérêt d’ailleurs comme dans le mien, et surtout dans celui de ma Patrie, cet homme regagne dans les plus brefs délais son douar d’origine ou son gourbi natal (expression dont ni l’une ni l’autre n’est péjorative), parce que je tiens sa présence ici comme aussi dommageable que le fut, entre 1940 et 1944, celle du soldat allemand. Lequel pouvait être au besoin, à titre personnel, un brave garçon (…) » (p. 16).

Ce qui lui permet par ailleurs de se présenter comme un « résistant » : « C’est ainsi que l’affaire des immigrés peut se résumer par la formule suivante : nous sommes en train de passer de la Cinquième Colonne à l’Occupation. Depuis belle lurette, dans cette histoire, il y a des “collabos”. Y aura-t-il, et en assez grand nombre, et suffisamment efficaces, des “résistants” ? » (p. 28). Et donc de plaider pour le chacun chez soi : « Je trouve l’animisme excellent sans doute pour les nègres, et l’islamisme parfait probablement pour les musulmans. À la condition qu’ils professent tout cela chez eux, et qu’ils me laissent, chez moi, être catholique à ma guise » (p. 18).

Comme chez Zemmour, le racisme de Figueras s’accompagne de sexisme : « Quant aux mariages mixtes, c’est encore autre chose (…) Est-ce que les filles de France, à part quelques-unes bien moches heureuses de pouvoir se faire peloter quand même, n’ont pas outre mesure de goût pour ce qui ne vient pas du terroir ? » (p. 71–72). Et d’une naturalisation qui nous ramène au darwinisme social, cœur de l’idéologie d’extrême droite, dans un long extrait : « Si l’on ajoute la langue et les chefs‑d’œuvre, qu’ils soient d’architecture, ou littéraires, ou tous autres – les témoignages se multiplient que la France et les Français ont vécu en symbiose, et que, si quelque chose ne se passe point sans retard, ils mourront ensemble. Certes, demeureront alors une contrée et des gens, mais il ne s’agirait plus de la France ni des Français. Quand bien même l’une et les autres en conserveraient, ou plutôt en usurperaient, l’appellation. Ce qui est commencé déjà, puisqu’une loi, déplorable en son automatisme, confère la citoyenneté française à quiconque est né sur le territoire français. Alors, la carte d’identité triche. La véritable identité française est quelque chose de complexe, de plus lent à obtenir, certes, et de tout autre manière, que par le hasard d’une parturition. Considérez du reste qu’un poulain né dans une écurie française peut fort bien être dit anglo-arabe, si ses géniteurs l’établissent tel. On ne comprend pas pourquoi ce qui est vrai d’un cheval, qui n’a point d’héritage intellectuel, moral, religieux, ne serait pas vrai d’un homme. L’évidence est au contraire – et aucune loi n’y peut rien – que l’enfant né de parents pakistanais est pakistanais. Tout du reste le démontre, puisque la nature est plus logique que l’administration : la couleur de sa peau, la forme de ses yeux (…) » (p. 10)10.

Un racisme qui, chez Figueras, prend une connotation particulièrement antisémite dans un tiers de son livre : « Nous avons à l’heure actuelle les reins accablés par deux handicaps absurdes. Un handicap matériel avec quatre à cinq millions d’immigrés (on ne sait même pas leur nombre à un million près, c’est ahurissant) qui démolissent notre économie et vident nos caisses ; et un handicap moral, avec cette lamentable question juive, qui n’est pas autre chose qu’une méprise, savamment entretenue par quelques-uns qui en profitent » (p. 133–134). Et, nous sommes en 1983, par le retour à l’attaque contre Dreyfus : « On ne les croit “juifs” en effet que parce qu’ils l’affirment, et parce que cette illusion dans laquelle ils barbotent les amène à éclabousser les autres de manière déplaisante, voire à se faire, croyant bêtement se défendre comme lors de l’Affaire Dreyfus, les instruments plus ou moins inconscients de la trahison » (p. 124). Et d’aller très loin en évoquant la disparition des Juifs de France : « Bref, ôtez de notre Histoire, le catholicisme et les catholiques, il n’y a pratiquement plus rien. Otez-en le judaïsme et les “juifs”, cela s’aperçoit à peine, et nous aurions l’immense bénéfice de ne pas avoir subi l’Affaire Dreyfus. Conclusion préalable donc : sans “juifs”, la France ne s’en porterait que mieux » (p. 121).

Un tenant de la tendance maurrassienne de l’extrême droite

Figueras apparaît en fait comme la liaison entre Maurras11 et Zemmour. Tout comme eux, son identité catholique affirmée n’est pas liée à la croyance mais à l’aspect civilisationnel : « Or la civilisation occidentale, la seule qui soit en vérité, est, que cela plaise ou non, catholique. C’est-à-dire catholique traditionnaliste » (p. 45–46)12. Cette civilisation est menacée y compris par les progressistes au sein de l’Église : « (…) ils sont bien mieux dans leur condition d’immigrés, qui, grâce au “racisme”, les rend nos supérieurs, et les met à l’abri de pratiquement tout, à quoi qu’ils s’exercent, y compris au vol à la tire et au viol. À propos desquels des “consciences chrétiennes” (…) leur trouveront toujours des alibis, des excuses, et même des justifications. Car on ne saurait trop, en passant, dénoncer le rôle que jouent, dans cette grande mascarade antifrançaise, et par conséquent anticatholique, ceux que je déclare les plus dégénérés des Français, et qui se nomment eux-mêmes “chrétiens progressistes” » (p. 25).

Mais évidemment c’est bien à un complot13 que les vrais Français font face, un complot remontant à la Révolution française : « Cela fait des siècles que tous ceux-là cherchent à la démolir, parce qu’ils enragent qu’elle culmine, tandis qu’ils sont plats. Déjà, ils ont donné à notre patrie un formidable ébranlement, et dont elle ne s’est pas remise, en 1789. Solide toutefois, elle est encore à peu près debout. Mais affaiblie. Aussi les efforts contre elle redoublent-ils. Et pour la réussite de ce grand complot, les immigrés sont tenus (à juste titre du reste) pour un élément maître » (p. 27). Outre l’immigration et les Juifs, Figueras n’oublie bien entendu pas la composante maçonnique14 et le marxisme15 : « L’ordre français, c’est l’ordre des esprits, et l’harmonie sociale. En politique, c’est, il faut bien le dire, la monarchie. En architecture c’est (…) le classicisme (…). En matière sociale, quand a commencé le désordre chez nous ? Avec l’immigration des idées maçonniques du XVIIIe siècle, et des marxistes au XIXe. Comme il est du reste assez normal, c’est toujours le fonds non français qui a sapé la francerie » (p. 55)16. Sans oublier le rejet également du mondialisme, afin de se présenter comme une troisième voie17 : « La balance française qui, depuis plus de mille ans, est la plus juste, la seule juste peut-être, ne pesant plus les intentions et les actes, la grande coquinerie universelle pourrait se donner libre cours, et l’on assisterait enfin à l’affrontement des deux Internationales, précédemment de mèche pour annihiler la France, savoir la fortune anonyme et vagabonde et le marxisme » (p. 42).

Comme cet article le démontre une nouvelle fois, si le discours d’extrême droite peut évoluer sur certains aspects de forme, peut changer d’apparence, il reste constant sur le fonds et sa vision de la société.

Sommaire du numéro

Auteur·rice

Notes

 Article publié dans Aide-mémoire n°100, hiver 2022

Dans notre précédente chronique, nous avions décodé le dernier ouvrage d’Eric Zemmour[1] en soulignant combien l’argumentation qu’il développe pour défendre son idéologie d’extrême droite était, au-delà des apparences, loin d’être originale mais au mieux une actualisation du discours classique de ce courant politique. 40 ans avant, un autre polémiste développait déjà les thèses de Zemmour. La grande différence étant qu’il était alors médiatiquement tenu à une relative confidentialité.

 

Le Zemmour des années 80

André Figueras « (8 janvier 1924 – 15 mars 2002) est un journaliste, écrivain et éditeur, défenseur du maréchal Pétain, adversaire résolu du gaullisme, antidreyfusard, proche du catholicisme traditionaliste de Monseigneur Marcel Lefebvre et des mouvements anti-avortement. Il soutient, à partir des années 1980, Jean-Marie Le Pen. » C’est ainsi que l’encyclopédie en ligne d’extrême droite présente Figueras. Comme d’autres figures déjà croisées dans cette chronique, il fait partie de cette minorité de résistant de droite qui avait idéologiquement de nombreuses accointances avec une extrême droite qu’ils rejoindront au moment de la guerre d’Algérie[2]. En 1977, il signe un appel demandant l'arrêt de poursuites en cours contre le Groupe union défense (GUD), ancêtre des milices violentes s’illustrant ces dernières années comme Génération identitaire, les Zouaves… et dont le Bastion social est le continuateur. Pamphlétaire il publiera près d’une centaine d’ouvrages tournant autour de la dénonciation des « crimes de la résistance », contre De Gaulle, mais aussi plusieurs antisémites et négationnistes[3] à l’image de La Fable d'Auschwitz et d'Abraham au titre particulièrement explicite. Même si son nom est peu connu, il jouera un rôle d’idéologue important. Son ouvrage publié début des années 80 La France « aux Français », outre le fait d’être un slogan du Front National[4], synthétise assez bien son positionnement. A commencer par le fait que le « déclin français » est arrivé à un point de bascule, ce qu’il énonce tant au début « « nos parents nous ont légué une France déjà bien diminuée, bien altérée, bien rétrécie. Cependant n’est-ce rien, hélas ! à côté de celle que, si nous ne faisons soudain quelque chose d’immense pour elle, nous allons transmettre à nos enfants »[5] qu’à la fin de son livre : « la génération qui fait actuellement ses études secondaires est la dernière qui puisse redresser la barre. Après, nous autres ayant disparu, tout le monde serait plongé indistinctement dans la mélasse moderniste et progressiste »[6]. Comme Zemmour également, Figueras prône une réhabilitation de Pétain[7] et du régime de Vichy, De Gaulle étant vu comme le coupable de la « guerre civile »[8] survenue à la Libération[9] alors qu’une transition douce aurait été possible : « (…) il s’agit aussi de clore un peu le bec à ces zigomars bien de chez nous qui passent leur temps à débiner leur pays. On en a assez, par exemple, et plus qu’assez, d’entendre cracher sur le maréchal Pétain (…) Si nous-mêmes ne respectons pas nos forces, nos grandeurs, nos honneurs, comment veut-on que les autres s’en chargent ? »[10]. Cette lecture de l’histoire s’étend bien entendu à la colonisation vue comme une œuvre civilisatrice tandis que la décolonisation est « « un véritable crime contre l’humanité »[11] vu ce que sont devenus les pays concernés. S’il ne parle évidemment pas encore de « culture woke » ou de « repentance », le discours est bien déjà présent : « La première phase est de ne plus reculer. De ne pas accepter de parler, si peu que ce soit, sabir. De ne pas consentir que la colonisation fut un crime. De donner à nos enfants (…) une éducation foncièrement (…) française. (…) de laisser sombrer les niaiseries gastronomiques, comme les merguez ou le couscous, alors du reste que nous avons tellement meilleur, ne serait-ce, pour pas plus cher, que le pot-au-feu »[12]. Sans oublier bien entendu la critique de « l’idéologie droit de l’hommisme » : « Et c’est alors qu’a démarré la grande perfide campagne « humanitaire ». Sachons-le en effet, toutes les fois que l’on entend évoquer les « Droits de l’homme », on peut être sûr qu’un mauvais coup se prépare »[13] et de dénoncer les « bobards » sur les crimes de l’armée française.

L’Occupation similaire à celle de 40-44, ancêtre du « grand remplacement »

Le discours raciste[14] sur le fait que la France ne sera plus française n’a pas attendu Renaud Camus pour être énoncé. L’immigré est la source de tous les maux : appauvrissement de la langue, baisse du niveau de l’enseignement, augmentation de la criminalité… le tout avec la précaution de Figueras de dire qu’il n’est pas raciste vu qu’il était… pour l’Algérie française qui permettait aux Algériens de rester en Algérie tout en bénéficiant de la civilisation française et d’avoir du travail ! « Qu’est-ce, en effet, qu’une occupation étrangère, telle que nous en avons vécu le type il y a quarante ans ? Cependant que subsiste un gouvernement français de peu de puissance, et de peu d’indépendance (…) c’est la présence sur notre sol de nombreux étrangers, en uniforme ou pas, en armes ou pas, vivant sur le pays, lui imposant dans un certain nombre de circonstances leur loi, faisant régner dans certains cas la terreur, et recevant naturellement leurs consignes d’une puissance étrangère – par définition, et pour ne pas dire davantage, non amie. Je dis que ces traits caractérisent très précisément, et sans qu’il n’en manque aucun à l’appel, l’occupation immigrée »[15] Et d’enfoncer le clou : « Sur le plan individuel, en effet, je considère qu’un nègre ou un arabe, ou un n’importe qui, étant un homme, est mon égal très exactement, et je le traite comme tel. Ce qui ne m’empêche pas de souhaiter hautement que, dans son intérêt d’ailleurs comme dans le mien, et surtout dans celui de ma Patrie, cet homme regagne dans les plus brefs délais son douar d’origine ou son gourbi natal (expression dont ni l’une ni l’autre n’est péjorative), parce que je tiens sa présence ici comme aussi dommageable que le fut, entre 1940 et 1944, celle du soldat allemand. Lequel pouvait être au besoin, à titre personnel, un brave garçon (…) »[16] Ce qui permet par ailleurs de se présenter comme un « résistant : « C’est ainsi que l’affaire des immigrés peut se résumer par la formule suivante : nous sommes en train de passer de la Cinquième Colonne à l’Occupation. Depuis belle lurette, dans cette histoire, il y a des « collabos ». Y aura-t-il, et en assez grand nombre, et suffisamment efficaces, des « résistants » ? »[17]. Et de donc plaider pour le chacun chez soi : « Je trouve l’animisme excellent sans doute pour les nègres, et l’islamisme parfait probablement pour les musulmans. A la condition qu’ils professent tout cela chez eux, et qu’ils me laissent, chez moi, être catholique à ma guise »[18]

Comme chez Zemmour, le racisme de Figueras s’accompagne de sexisme : « Quant aux mariages mixtes, c’est encore autre chose (…) Est-ce que les filles de France, à part quelques-unes bien moches heureuses de pouvoir se faire peloter quand même, n’ont pas outre mesure de goût pour ce qui ne vient pas du terroir ? »[19] Et d’une naturalisation qui nous ramène au darwinisme social, cœur de l’idéologie d’extrême droite, dans un long extrait : « Si l’on ajoute la langue et les chefs-d’œuvre, qu’ils soient d’architecture, ou littéraires, ou tous autres – les témoignages se multiplient que la France et les Français ont vécu en symbiose, et que, si quelque chose ne se passe point sans retard, ils mourront ensemble. Certes, demeureront alors une contrée et des gens, mais il ne s’agirait plus de la France ni des Français. Quand bien même l’une et les autres en conserveraient, ou plutôt en usurperaient, l’appellation. Ce qui est commencé déjà, puisqu’une loi, déplorable en son automatisme, confère la citoyenneté française à quiconque est né sur le territoire français. Alors, la carte d’identité triche. La véritable identité française est quelque chose de complexe, de plus lent à obtenir, certes, et de tout autre manière, que par le hasard d’une parturition. Considérez du reste qu’un poulain né dans une écurie française peut fort bien être dit anglo-arabe, si ses géniteurs l’établissent tel. On ne comprend pas pourquoi ce qui est vrai d’un cheval, qui n’a point d’héritage intellectuel, moral, religieux, ne serait pas vrai d’un homme. L’évidence est au contraire – et aucune loi n’y peut rien – que l’enfant né de parents pakistanais est pakistanais. Tout du reste le démontre, puisque la nature est plus logique que l’administration : la couleur de sa peau, la forme de ses yeux (…) »[20] Un racisme qui, chez Figueras, prend une connotation particulièrement antisémite dans un tiers de son livre : « Nous avons à l’heure actuelle les reins accablés par deux handicaps absurdes. Un handicap matériel avec quatre à cinq millions d’immigrés (on ne sait même pas leur nombre à un million près, c’est ahurissant) qui démolissent notre économie et vident nos caisses ; et un handicap moral, avec cette lamentable question juive, qui n’est pas autre chose qu’une méprise, savamment entretenue par quelques-uns qui en profitent »[21]. Et, nous sommes en 1983, par le retour à l’attaque contre Dreyfus : « On ne les croit « juifs » en effet que parce qu’ils l’affirment, et parce que cette illusion dans laquelle ils barbotent les amène à éclabousser les autres de manière déplaisante, voire à se faire, croyant bêtement se défendre comme lors de l’Affaire Dreyfus, les instruments plus ou moins inconscients de la trahison »[22] Et d’aller très loin en évoquant la disparition des Juifs de France : « Bref, ôtez de notre Histoire, le catholicisme et les catholiques, il n’y a pratiquement plus rien. Otez-en le judaïsme et les « juifs », cela s’aperçoit à peine, et nous aurions l’immense bénéfice de ne pas avoir subi l’Affaire Dreyfus. Conclusion préalable donc : sans « juifs », la France ne s’en porterait que mieux »[23]

Un tenant de la tendance maurrassienne de l’extrême droite

Figueras apparaît en fait comme la liaison entre Maurras[24] et Zemmour. Tout comme eux, son identité catholique affirmée n’est pas liée à la croyance mais à l’aspect civilisationnel : « Or la civilisation occidentale, la seule qui soit en vérité, est, que cela plaise ou non, catholique. C’est-à-dire catholique traditionnaliste »[25]. Cette civilisation est menacée y compris par les progressistes au sein de l’église : (…) ils sont bien mieux dans leur condition d’immigrés, qui, grâce au « racisme », les rend nos supérieurs, et les met à l’abri de pratiquement tout, à quoi qu’ils s’exercent, y compris au vol à la tire et au viol. A propos desquels des « consciences chrétiennes » (…) leur trouveront toujours des alibis, des excuses, et même des justifications. Car on ne saurait trop, en passant, dénoncer le rôle que jouent, dans cette grande mascarade antifrançaise, et par conséquent anticatholique, ceux que je déclare les plus dégénérés des Français, et qui se nomment eux-mêmes « chrétiens progressistes ». »[26]. Mais évidemment c’est bien à un complot[27] que les vrais français font face, un complot remontant à la Révolution française : « Cela fait des siècles que tous ceux-là cherchent à la démolir, parce qu’ils enragent qu’elle culmine, tandis qu’ils sont plats. Déjà, ils ont donné à notre patrie un formidable ébranlement, et dont elle ne s’est pas remise, en 1789. Solide toutefois, elle est encore à peu près debout. Mais affaiblie. Aussi les efforts contre elle redoublent-ils. Et pour la réussite de ce grand complot, les immigrés sont tenus (à juste titre du reste) pour un élément maître »[28] Outre l’immigration et les Juifs, Figueras n’oublie bien entendu pas la composante maçonnique[29] et le marxisme[30] : « L’ordre français, c’est l’ordre des esprits, et l’harmonie sociale. En politique, c’est, il faut bien le dire, la monarchie. En architecture c’est (…) le classicisme (…) En matière sociale, quand a commencé le désordre chez nous ? Avec l’immigration des idées maçonniques du XVIIIe siècle, et des marxistes au XIXe. Comme il est du reste assez normal, c’est toujours le fonds non français qui a sapé la francerie ».[31] Sans oublier le rejet également du mondialisme afin de se présenter comme une troisième voie[32] : « La balance française qui, depuis plus de mille ans, est la plus juste, la seule juste peut-être, ne pesant plus les intentions et les actes, la grande coquinerie universelle pourrait se donner libre cours, et l’on assisterait enfin à l’affrontement des deux Internationales, précédemment de mèche pour annihiler la France, savoir la fortune anonyme et vagabonde et le marxisme »[33].

Comme cet article le démontre une nouvelle fois, si le discours d’extrême droite peut évoluer sur certains aspects de forme, peut changer d’apparence, il reste constant sur le fonds et sa vision de la société.



[1] Voir Le fascisme n’a pas dit son dernier mot in AM n°99 de 2022

[2] Voir La pensée « contrerévolutionnaire » in AM n°36 d’avril-juin 2006

[3] Voir Quand le relativisme sert à masquer le négationnisme in AM n°34 d’octobre-décembre 2005

[4] Voir Retour sur le discours du fondateur de la dynastie Le Pen in AM n°56 d’avril-juin 2011

[5] Figueras, André, La France « aux Français », Paris, éditions André Figueras, 1983, p.7

[6] Id, p.144

[7] Voir Faire don de sa personne in AM n°86 d’octobre-décembre 2018

[8] Voir Quand la résistance et le droit d’insurrection sont-ils justifiés ? in AM n°55 de janvier-mars 2011

[9] Voir Le « résistantialisme », un équivalent au négationnisme in AM n°44 d’avril-juin 2008

[10] Id, p.139

[11] Id, p.47

[12] Id, p.59

[13] Id, p.82

[14] Voir Danger : Invasion ! in AMn°22 de juillet-septembre 2002

[15] Id, p.34

[16] Id, p.16

[17] Id, p.28

[18] Id, p.18

[19] Id, pp.71-72

[20] Id, p.10. Notons que l’utilisation de parturition n’est pas anodine car ce mot désigne un accouchement naturel, mais aussi et surtout la « mise à bas » pour les animaux. Sur ce type de comparaison voir De l’étalon au noble SS in AM n°27 de janvier-mars 2004

[21] Id, pp.133-134

[22] Id, p.124

[23] Id, p.121

[24] Voir De l’inégalité à la monarchie in AM n°33 de juillet-septembre 2005

[25] Id, pp.45-46 Voir La Loi du décalogue in AM n°64 d’avril-juin 2013

[26] Id, p.25

[27] Voir La vision complotiste de l’extrême droite in AM n°85 de juillet-septembre 2018

[28] Id, p.27

[29] Voir Le temps de la délation in AM n°72 d’avril-juin 2015

[30] Voir Antimarxiste et antidémocratique, bref d’extrême droite in AM n°82 d’octobre-décembre 2017

[31] Id, p.55. Voir Antisémitisme et anticommunisme. Les deux mamelles de l’extrême droite in AM n°63 de janvier-mars 2013

[32] Voir Un vrai fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite in AM n°31 de janvier-mars 2005

[33] Id, p.42