Ce texte est la version longue de la carte blanche que je co-signe au nom du Ressort avec
Yannick Bovy, Didier Brissa, Isabelle Chevalier, Vincent De Raeve, Eric Jadot, Laurent Petit, Michel Recloux, et Olivier Starquit.
« A voté ». L’électeur a parlé, merci, revenez la prochaine fois. Et puis ? Quelles conclusions tirer d’un point de vue de gauche ? Le MR rate son (mauvais) coup et recule. Tant mieux. Le CDh consolide sa position chèvre-choutiste de droite. Pffff. Le Parti « socialiste » se la joue « Boudu sauvé des eaux », échappant à une claque que beaucoup redoutaient et qu’il n’aurait pas volée au regard de ses propres errements et de ses renoncements idéologiques. Ecolo, quant à lui, confirme la victoire annoncée.
Cette lame de fond verte, qui s’étend ailleurs en Europe, est un fait politique majeur. L’écologie politique, fruit d’une histoire récente et d’une créativité de terrain, pose de bonnes questions, différemment, et a incontestablement permis une très large prise de conscience face à l’urgence et aux enjeux écologiques. Elle est en outre, potentiellement, force de rupture face aux logiques libérales qui saccagent la planète et menacent l’humanité. Mais la question est de savoir si Ecolo, triomphant, voudra se saisir de l’occasion et peser de manière décisive (rêvons un peu : avec le PS ?) en faveur d’une telle rupture.
Passer dans le vert ? Chiche ! Mais sans une claire remise en cause de l’économie libérale, le changement de modèle souhaité et plus nécessaire que jamais tournera vite au ravalement de façade pâlichon et au constat : « Vous rêviez d’alternatives ? Vous remâcherez de l’alternance ».[1]
Absence d’alternative politique crédible
La campagne électorale a une nouvelle fois démontré l’absence de rupture dans les programmes des partis représentés au parlement et susceptibles de former une coalition. La campagne fut monopolisée par les petites phrases assassines et les « révélations » montées en épingle. Et ce, alors que les conflits et les drames sociaux sont en augmentation et que les enjeux politiques réels autour de la crise du capitalisme méritent une analyse et une attention autrement plus importante[2].
L’agitation médiatique a souvent couvert un vide programmatique de fond. Interpellant. Mais cela ne doit pas masquer la responsabilité des acteurs politiques : aucun des quatre partis de pouvoir, au niveau francophone, n’a avancé de projet de rupture réelle avec le système responsable de la crise économique, sociale, écologique. Les affiches de campagne en ont été l’exemple emblématique. A l’exception notable d’Ecolo et d’un révolutionnaire « tout le monde aime papa », aucun contenu sur les affiches.
Si l’on élargit le spectre d’analyse aux « petites listes », on se doit de reconnaître qu’une attention médiatique supérieure à celle des précédentes campagnes leur fut accordée. Mais elles partaient de tellement bas… Concentrons-nous sur les listes alternatives de gauche. Et déjà se pose une question : une dissidence du PS qui ne se situe pas en rupture programmatique et qui, pour faire un « coup » médiatique, recycle le mari d’Anne-Marie Lizin, est-elle à considérer comme une alternative de gauche ? Nous ne le pensons évidemment pas. Tout comme nous ne croyons pas qu’une sortie des régionalistes du PS, un temps envisagée et qui aurait reçu (hélas ?) un réel écho au sein de certains secteurs, notamment syndicaux, apporterait beaucoup aux luttes pour la justice sociale.
Reste alors la « Gauche de gauche », partie à l’abordage en ordre dispersé[3]. Et là, rebelote : en dépit de longues discussions, aucune unité n’a pu se réaliser (à l’exception notable de la constitution d’une liste plurielle à Bruxelles). Nous ne parlons même pas ici d’une fusion des différents groupes existants, mais simplement d’un front ou d’un cartel électoral. Résultat : hormis le PTB, qui double son score un peu partout et réalise quelques percées significatives, ce fut une Bérézina de plus.
Quel échec, et quelle occasion manquée que cette désunion de petites chapelles incapables de s’entendre, qui restent invisibles, inaudibles, et ne récoltent que des miettes…
Mais au fait, faut-il un nouveau parti de gauche unitaire ?
Quelle dynamique unitaire proposer aux femmes et aux hommes de gauche en quête d’alternatives au capitalisme ? Le Parti communiste joua longtemps un rôle important en Belgique par sa force politique et ses structures militantes. C’est d’un tel aiguillon dont la gauche a besoin aujourd’hui. Une force politique qui ouvrirait des horizons à un électorat en déshérence[4] et pourrait appuyer les militants syndicaux et les militants de gauche au sein du PS, d’Ecolo ou même du CDh. Pour voir le jour, cette force ne doit pas forcément passer par la fusion des petits partis existants. Les freins sont en effet moins de l’ordre des programmes que de l’analyse divergente de faits historiques et de querelles d’égos rédhibitoires.
L’échec récent d’Une Autre Gauche doit servir de leçon, tout comme celui, plus ancien, de Gauches Unies. Ce dernier, jamais vraiment digéré, pèse toujours, notamment à cause de la répression qui a suivi au sein des syndicats et de la déception des nombreux militants associatifs qui s’étaient impliqués. L’apparente perte de vitesse de l’altermondialisme en Europe plombe également l’imaginaire des contre-attaques possibles.
La création d’un nouveau parti n’est donc pas forcément la priorité[5], d’autant qu’elle repose les questions des structures, du pouvoir… interrogeant leur pertinence dans une perspective de changement profond vers une société d’égalité, d’émancipation et de justice sociale.
Rappelons, à titre d’exemple, qu’Ecolo est né de la fusion de mouvements environnementalistes à la recherche d’un débouché politique. La première étape n’est-elle donc pas aujourd’hui de reconstruire la gauche à la base, plutôt que de vouloir le faire par le haut ? Cette option nécessite une reconquête des esprits lobotomisés par des dizaines d’années de propagande pour un capitalisme débridé. Elle exige ainsi, notamment, de soutenir partout les personnes, les actes, les luttes qui osent questionner sans cesse les orientations, les discours et les pratiques des structures sociales dans lesquelles ils évoluent.
Ces multiples foyers de résistance à l’injustice, à la résignation, à la disparition progressive de l’esprit critique sont de nature à favoriser l’émergence d’une nouvelle force de gauche, fruit de la mise en réseau de ces micro-luttes, de ces multiples voix qui contestent les décisions hiérarchiques ou d’appareil et qui demandent sans cesse l’adéquation entre les paroles, les principes et les actes[6]. Tous ces militants critiques, bénévoles sur le terrain, travailleurs et délégués syndicaux combatifs… En bref, toutes ces personnes qui entretiennent, parfois inconsciemment, l’esprit de la Résistance et l’espoir d’une gauche de gauche.
L’évidence de la gauche est cette capacité de contestation, d’exercice du libre-examen et de l’esprit critique dans un but d’émancipation. Elle est vivante, combative, chez ces utopistes qui se refusent à tout fatalisme, à toute compromission avec les forces et les logiques de la droite, du libéralisme, au nom d’un pragmatisme dévoyé. C’est elle qu’il faut semer, cultiver, fortifier, partout et tout le temps, en se gardant bien de vouloir préalablement l’étiqueter et la canaliser. Ce qui n’enlève rien à l’urgence de son auto-organisation, afin d’être un jour – vite ! – capable de peser sur un échiquier politique bien plus préoccupé par la cogestion du capitalisme que par son dépassement
Notes
[1] Voir Alternance sans alternative,
[2] Voir la carte blanche du front commun syndical, Plus de 300.000 manifestants à travers l’Europe. Et alors ? dans Le Soir du 27.05.09, p.17.
[3] Pour les lecteurs intéressés par ces différentes chapelles, voir Julien Dohet et Jean Faniel, La gauche radicale toujours en quête d’unité, in La Revue nouvelle n°5/6 de mai-juin 2009, pp.6-10.