mardi 15 décembre 2020

Le 15 décembre j'étais l'invité d'un jour dans l'histoire pour évoquer le parcours de Gisèle Dantinne/Paffen au sein des coopératives.

A revoir sur Auvio

dimanche 13 décembre 2020

La bête a-t-elle muée dans les médias

 Le samedi 12 décembre, j'étais en radio sur la RTBF avec Olivier Starquit dans l'émission "libres, ensemble"

Le dimanche 13 décembre, c'était avec Benjamin Biard du CRISP que je participais à l'émission en TV sur la RTBF "Libres, ensemble"

samedi 12 décembre 2020

ItinéraIre d’une cItoyenne dans les instances de la coopération socialiste. Parcours militant de Gisèle Dantinne-Paffen, de 1946 à 1981

 Ma nouvelle publication est une étude de 52 pages parue à l'IHOES et qui retrace le parcours militant d'une femme au sein de la coopération socialiste et de ses instances. Le texte est téléchargeable gratuitement : http://www.ihoes.be/publications/etudes/?edp_id=32

Un prolongement de mon étude sur les coopératives parue en 2018 au CRISP.



mercredi 25 novembre 2020

L’antifascisme, le nouveau fascisme ?

 Cet article est paru dans le n°94 de La revue Aide-mémoire

d'octobre-décembre 2020, p.11

Depuis quelque temps l’extrême droite aime à dire que les antifascistes seraient les fascistes d’aujourd’hui. Un discours qui n’a que l’apparence de la cohérence et qui est loin d’être nouveau pour cette mouvance.

L’incorrect. Un magazine d’extrême droite dans nos librairies

Si l’extrême droite adore se victimiser et dénoncer la censure qu’elle subirait propageant ad nauseam le « on ne peut plus rien dire », il faut redire combien la réalité est tout autre. Et pas que sur les réseaux sociaux ou via la présence d’éditorialistes polémistes dans les médias audio-visuels, mais aussi dans les librairies. Ainsi, outre le bien connu mais mal nommé Valeurs actuelles qui a encore fait parlé de lui fin août, une librairie à Liège vendait cet été L’incorrect dont le dernier numéro, le 33, avait comme couverture la déclaration « tout le monde déteste les antifas ». Avant d’en analyser le dossier, petite présentation.

L’incorrect[1] a été lancé il y a trois ans. Mensuel de 98 pages en papier glacé et à la présentation soignée, il ressemble à de nombreux autres magazines que l’on peut retrouver en librairie. Une impression de banalité renforcée par des interviews de Jacques Attali et Frédéric Taddeï. Dès la page 2 contenant la publicité pour s’abonner la couleur apparait un peu plus avec la couverture d’un numéro « remigration. Sauvez des vies rentrez chez vous » reprenant, sous une phraséologie agressive et menaçante, une des revendications racistes classiques de l’extrême droite. Il en est de même du contenu de l’éditorial qui commence par une dénonciation de la Révolution Française[2] parlant de « deux cents ans de révolution comme processus, comme idéologie, ont semé le meurtre, le sang, l’horreur, le saccage, la sédition, le massacre, l’extermination (…) »[3] et se termine par l’apologie d’un christianisme civilisateur. Les rubriques du magazine sont aussi hautement révélatrices de la ligne politique. Dans les portraits qui ouvrent ce numéro on retrouve celui d’un catholique traditionnaliste ayant milité au FN[4] et posant en habit de chasseur, fusil en mains,[5] ainsi que celui de Thaïs d’Escufon (pseudo expliqué par les menaces dont elle ferait l’objet). Celle-ci est une jeune fille blonde aux yeux bleus issue « d’une famille catholique tout à fait classiques »[6], qui milite à Génération Identitaire et a participé au déploiement d’une banderole dénonçant le « racisme anti-blanc » lors de la manifestation parisienne pour Georges Floyd ! Les brèves, les conseils littéraires (avec évidemment deux pages sur le dernier ouvrage de Philippe De Villiers[7]), jusque dans les psycho-tests (avec un « quel phobe êtes-vous ? »[8]), toutes les rubriques sont l’occasion de diffuser une idéologie classique de l’extrême droite même si on peut retrouver des contenus plus neutre, notamment dans les pages cultures. Si on retrouve certains traits de la ligne de la « troisième voie »[9] avec des critiques de la Banque Centrale Européenne et du libre échange comme outil de domination, le fait que les USA domine l’Amérique Latine, ou encore une rubrique #antipop dénonçant la futilité et la mondialisation, L’Incorrect se caractérise par une idéologie particulièrement réactionnaire comme le laissait déjà paraître son éditorial. Ainsi dans le texte sur le « néo-progressisme chrétien » qui attaque Vatican II et surtout la féminisation en marche de l’Eglise tout en  vantant le renouveau charismatique[10]. Idem avec les articles consacrés à l’Amérique latine où l’on retrouve pêle-même une critique de la théologie de la libération[11] : « Ce courant eut pour résultats de dresser des groupes de fidèles les uns contre les autres, et de transformer les ministres du Seigneur en des syndicalistes et des assistantes sociales. L’arbre que fut Vatican II avait en quelques années porté ses fruits en Amérique latine : une Eglise dénaturée et gangrénée de l’intérieur par le communisme et le progressisme »[12], une réhabilitation du bilan de Bolsanero vu surtout comme « anti-système »[13], ou encore l’interview d’Augustin Laje, jeune figure de la réaction argentine et proche de Vox, dont un des faits d’armes a été de faire reculer l’avortement dans ce pays[14]. Dans le même esprit les pages de la rubrique l’incomadame sont un modèle du genre d’un féminisme glorifiant la place traditionnelle de la femme, avec notamment un article « femmes modernes à la cuisine »[15] vantant le mouvement #tradwife. Extrait : « Et d’assumer se soumettre à son mari, convaincue qu’elle y trouve la clef du bonheur conjugal. Un retour à une époque révolue ? Plutôt une remise au goût du jour d’un intemporel »[16]

 

L’antifascisme, l’ennemi à abattre

Ce magazine au contenu très idéologique consacre donc un dossier de 16 pages à l’antifascisme. Analyse.

L’article introductif du dossier commence significativement avec le tweet de Donald Trump du 31 mai 2020 voulant que les antifascistes soient assimilés à une organisation terroriste. Il présente ensuite les antifascistes comme des ennemis de la liberté et des anti-tout qui aiment ficher leurs adversaires. Et de se terminer par ces mots « et si les antifas n’étaient finalement que le bras armé de ce politiquement correct qui mine notre société ? »[17]. Après un historique viennent plusieurs articles essentiellement consacrés à dénoncer les violences commises qui seraient impunies car les antifascistes ne subiraient ni censures, ni répression à l’inverse des « nationalistes », dont par ailleurs on lisse le profil. Ainsi de La Cocarde qui ne serait pas un mouvement d’extrême droite mais un « mouvement d’union des droites, souverainistes, gaullistes » [18]. Ou d’une mise sur le même pied de Clément Méric et de ses assassins tout en relativisant les faits parlant « d’un terrible procès médiatique, dévastateur pour les accusés. On pourrait même aller jusqu’à parler d’un délit de sale gueule, d’un déni de justice pour raisons politiques (…) »[19].

Au fil des articles, se dessinent l’image d’antifas qui sont des petits bourgeois (alors que les prolos seraient du côté des « identitaires » ou des « nationalistes ») manipulés par l’extrême gauche, idiots utiles du système qu’ils renforcent en s’attaquant à des cibles faciles[20]. Un portrait qui se complète par le côté étudiant gréviculteur. Bref « Comme la plupart des antifas, la haine d’Antonin est abstraite, avant tout portée contre lui-même, contre son pays, contre sa couleur de peau »[21]. Sans oublier le lien avec le féminisme : « en attendant la destruction intégrale de toutes les institutions, à la khmer rouge, les antifas et les féministes se sont coalisés pour miner les bases de l’autorité, à savoir la tradition, la religion ayant déjà été discréditée depuis longtemps »[22] et de faire le lien avec l’écriture inclusive mais aussi avec l’opposition menée par collectif Némésis, des « féministes anticonformistes »[23].

 

Un discours « original » répétant les classiques de l’extrême droite

L’analyse de ce que serait l’antifascisme par L’incorrect ne fait au final que reprendre les grandes lignes du dossier publié par la figure de l’extrême droite Emmanuel Ratier à la fin des années 90 sur le mouvement Ras l’front : « Le réseau Ras l’front est donc la concrétisation de l’Appel des 250, lancé en mai 1990 par une série de personnalités de gauche et d’extrême gauche (cet appel est paru à l’origine dans la revue d’extrême gauche Politis, puis dans Libération), estimant que face au Front National, « le temps de la contre-offensive (était) venu ». Parmi les personnalités signataires majeures, figuraient de nombreux pétitionnaires quasi-professionnels, qu’on retrouvait comme signataires en faveur du Nicaragua, de l’avortement, du pacifisme (…) » [24].  Et de signaler qu’on les retrouve aussi pour les sans-papiers, pour Cuba, pour la légalisation de la drogue… Et déjà Ratier de souligner combien, alors que « la droite nationale » qu’il appelle aussi la « renaissance nationale » est censurée et réprimée, « Ras l’front Sud dispose d’appuis, y compris dans la magistrature. La réunion de sa section des Hauts-de-Seine a lieu… dans la salle du tribunal de Clamart. De quoi s’interroger sur l’indépendance de la justice »[25]. Car « En dépit d’un positionnement politique très marqué et d’une approche culturelle affligeante, Ras l’front dispose de relais dans les milieux de la culture moyenne institutionnelle, caractéristique des intellectuels déclassés, en particulier dans la mouvance des bibliothécaires »[26]. Un appui, malgré les appels à la violence et la haine, qui s’explique évidemment par les réseaux occultes, dont la Franc-Maçonnerie : « Comme bon nombre de mouvements trotskystes, Ras l’front entretient des liens avec le Grand Orient de France, qui a récupéré nombre d’ « intellectuels déclassés » après mai 68. Ici, Gérard Delahaye, secrétaire national de Ras l’front, figure parmi les orateurs appelés à plancher « contre l’extrême droite ». Entre spécialistes de menées souterraines, on n’est pas certain de savoir qui manipule qui »[27].

L’ouvrage de Ratier compile des informations, publiant des organigrammes, des noms (l’ouvrage se termine d’ailleurs par un index de 19 pages), des documents… et vise surtout à dénoncer l’emprise de la Ligue Communiste Révolutionnaire tout en se délectant des divergences qui secoueront Ras l’front. Mais comme avec L’incorrect on retrouve au détour de son analyse du mouvement antifasciste d’autres obsessions de l’extrême droite. Avec notamment la défense de la religion catholique et l’opposition au mouvement féministe : « La nébuleuse féministe. On les retrouve dans les manifestations pour l’avortement (…), contre les associations pro-vie, contre la venue du Pape Jean-Paul II en France (…), contre le Front national : ce sont les nouvelles féministes. Principalement regroupées autour de la Coordination Nationale des Associations pour le Droit à l’Avortement et à la Contraception (Cadac), elles agissent en étroite liaison avec l’ensemble des groupuscules déstabilisateurs ou défenseurs des marginalités, comme le réseau Voltaire ou Ras l’front »[28]. Ou le fait de présenter l’extrême droite comme représentant du petit peuple face à un antifascisme bourgeois. Avec au passage une attaque contre le syndicalisme : « Cette relative réussite dans la création d’un front commun syndical antifasciste (dont on retrouve la trace dans de nombreuses brochures de la CFDT en particulier) a en réalité une explication simplissime : les syndicats, qui se séparent le fromage syndical (reconnaissance syndicale, permanents, formation, subventions, etc.) n’ont aucune envie de voir celui-ci entamé par les embryons de syndicat nationaliste (CFNT, Force nationale transports, Force nationale pénitentiaire, Front nationale de la Police, etc.), alors même que la base ouvrière ou salariée apparaît comme particulièrement réceptive aux thèses identitaires.»[29].

Comme on peut ainsi le voir, le discours d’extrême droite est bien un discours extrêmement construit qui se transmet de génération militante en génération militante dans son ossature idéologique et ses principaux arguments. Plus qu’à un changement ou à un lissage de ce discours, c’est à la porosité et l’absence de vigilance envers sa diffusion que nous assistons ses dernières années. Ce à quoi l’antifascisme continue à rester vigilant et intransigeant constituant une digue dont l’importance est bien mesurée par l’extrême droite qui cherche donc à la faire sauter par le discrédit. Aux démocrates à ne pas tomber dans le piège et à ne pas se tromper d’adversaires.



[1] Sur le pseudo anticonformisme de l’extrême droite voir Le non-conformisme, euphémisme de l’extrême droite in AM n°93 de juillet-septembre 2020

[2] Voir De l’inégalité à la monarchie in AM n°33 de juillet-septembre 2005

[3] De Guillebon, Jacques, Laissez les morts déterrer les morts, p.3

[4] Voir Retour sur le discours du fondateur de la dynastie Le Pen in AM n°56 d’avril-juin 2011

[5] Lecomte, Louis, Paul-Etienne Kauffmann le chasseur français, pp.4-5

[6] Lecomte, Louis, Thaïs D’Escufon blonde bloc, pp.8-9. On notera l’humour du titre visant à illustrer l’alternative au « black bloc »

[7] Duprat, Guillaume, « Cours, camarade le nouveau monde est derrière toi », soit l’inversion du slogan de 68 parlant de « l’ancien monde », pp.62-63

[8] De Watrigant, Arthur « Quel phobe êtes-vous ? », p.26

[9] Voir Un vrai fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite in AM n°31 de janvier -mars 2005,

[10] Voir La Loi du décalogue in Am n°64 d’avril-juin 2013

[11] Barbey, Pierre, L’église sud-américaine toujours en crise, pp.54-55

[12] Id. P.55

[13] Dolo, Nicolas, Bolsanero, malhabile Machiavel, pp.56-57

[14] Agustin Laje, El gaucho de droite, pp.52-53

[15] Faure, Domitille #TradWives femmes modernes à la cuisine Pp. 88-89

[16] Id.P.89

[17] Jacquelin, Yvon, Bagatelles pour une insurrection, pp.34-35, un titre « fine » allusion au classique antisémite de Louis-Ferdinand Céline Bagatelles pour un massacre. Voir L’antisémitisme est-il une futilité ? in AM n°26 d’octobre-décembre 2003

[18] Obregon, Marc, Antifa = SA ?, pp.38-39

[19] Robin, Gabriel, Méric et Morillo : deux vies brisées p.45

[20] Présent dans tous les articles, cet image est synthétisée dans un « portrait » signé Marc Obregon, Sociologie des pantins, pp.48-49

[21] Id. p.49

[22] Stoenescu, Radu, Antifascisme en jupon, p.44

[23] Sur cet aspect de l’extrême droite voir La réaction réactionnaire à balance ton porc in AM n°92 d’avril-juin 2020

[24] Ratier Emmanuel, Ras l’front. Anatomie d’un mouvement antifasciste. La nébuleuse Trotskyste, Paris, Facta, 1998, p.19

[25] Id.p.111

[26] Id. p.33 Voir Le livre : une arme idéologique in AM n°70 d’octobre-décembre 2014

[27] Id p.96. Voir Le temps de la délation in AM n°72 d’avril-juin 2015 et La vision complotiste de l’extrême droite in AM n°85 de juillet-septembre 2018

[28] Id p.78

[29] Id p.57. Contre cette affirmation voir notamment Collovald, Annie, le « populisme du FN » un dangereux contresens, Broissiaux, éditions du croquant, 2004. Voir aussi L’extrême droite défend-elle les travailleurs ? in AM n°60 d’avril-juin 2012 et La « démocratie autoritaire » pour le bien des travailleurs in Am n°65 de juillet-septembre 2013

 

samedi 21 novembre 2020

La bête a-t-elle muée

 Avec Olivier Starquit, je publie un nouveau livre consacrée aux évolutions de l'extrême droite. Avec une première partie qui synthétise quelque peu les quasi 20 ans de chronique dans Aide-Mémoire.

"En Europe et en Amérique latine, l’extrême droite est en augmentation significative. De manière concomitante et avec l’aide des réseaux sociaux, son discours a gagné du terrain. L’extrême droite, rebaptisée ou non, peut prétendre à l’exercice du pouvoir.

Partant d’un panorama historique, cet ouvrage montre, à travers les décennies, la cohérence de son développement, de son corpus idéologique et de sa vision de la société.  Il  évoque  ensuite  les  changements – réels ou non – survenus au tournant des années 2000. Et s’interroge enfin sur les réactions à adopter, en portant une attention particulière à l’usage des mots et à l’importance des solidarités effectives.

L’extrême droite n’est forte que parce que nous sommes faibles. Plus que jamais, au nom des Lumières, il faut aller au combat pour préserver nos démocraties."

Disponible en librairies ou via le site de l'éditeur 


 

mardi 4 août 2020

Le non conformisme, euphémisme de l’extrême droite

Cet article a été publié dans Aide-Mémoire n°93 de juillet-septembre 2020, p.11

L’extrême droite aime à se présenter comme un mouvement d’opposition au système, comme une victime de la « bienpensance », évidemment de gauche, qui aurait pour conséquence que l’on ne pourrait plus rien dire. Ce positionnement stratégique vise principalement à faire sauter un à un les verrous démocratiques mis après la deuxième guerre mondiale. S’autoproclamer « non conformiste » est dans ce sens plus porteur que de s’afficher ouvertement d’extrême droite.

Une pensée « ni de droite, ni de gauche »… dont on connait la suite.

Arnaud Imatz ne semble pas impliqué directement dans une formation de l’extrême droite. Mais une rapide recherche montre que c’est bien dans les revues, cercles et maison d’éditions de cette mouvance qu’on le retrouve. Et ce via le livre ici analysé[1]  mais surtout via ses publications sur le fondateur de la phalange espagnole José Antonio Primo De Rivera[2]. Dans son ouvrage Imatz s’attache à démontrer que le clivage gauche-droite n’est plus pertinent et doit être remplacé par celui entre conformiste et non conformiste. Une pensée non conformiste qu’il va s’attacher à détailler « Bon nombre de gens « cultivés » s’étonnent aujourd’hui encore d’apprendre que, par le nombre et la qualité de leurs penseurs, les écoles traditionnalistes, nationaliste et néo-conservatrice rassemblées, rivalisent sans peine avec la foisonnante école libérale et n’ont rien à envier à l’école marxiste »[3]. Et où l’on retrouve essentiellement des références maintenant connues des lectrices et lecteurs de cette chronique : de Maistre, Rivarol, Bonald, Gobineau, Drumont[4], Barrès, Sorel, Valois, Maurras[5], Bernanos, Maulnier[6], De Corte[7], Jouvenel, Benois-Méchin, Brasillach, Rebatet, Drieu La Rochelle[8], Bardèche[9], Céline[10]… Un courant politique qu’il nomme également la « droite nationaliste et populaire » ou la « droite de conviction ». Un ni gauche, ni droite… clairement ancré à droite donc. Ce qui est renforcé par une critique systématique de la gauche et de sa domination : « Depuis 1945, seule la gauche marxiste ou, plus généralement, seul le camp progressiste a décidé, en France, qui est de gauche, comment il faut cerner les contours et définir le contenu de chacun des concepts ».[11] De plus « Les meilleurs gardiens de l’establishment sont maintenant les partis socialistes et les syndicats. Au lieu des vieilles valeurs de gauche de justice sociale, de solidarité et d’égalité, le socialisme moderne a contribué à introniser le culte du pouvoir et de l’argent, à renforcer le désir effréné de consommer et à banaliser la spéculation et la corruption »[12] Imatz enchaine les exemples de cas où la droite et la gauche ont pu prendre des positions similaires : régionalisme, écologie, colonialisme… Et d’évoquer le totalitarisme en insistant sur le fait que le Nazisme aurait fait moins de mort que le Communisme mais que la différence est qu’il n’a pas avec lui la morale et le discours progressiste. Une argumentation qui a fait son chemin depuis…

En réalité l’exercice auquel se livre l’auteur est de présenter les thèses des différents courants comme équidistantes afin de dédiaboliser le courant de la « contre révolution »[13]. L’opération passe  par des critiques, superficielles comparées à celles sur la gauche, sur le FN ou sur la droite traditionnaliste dont il souligne que l’influence dans les idées via les revues, cercles… est inversement proportionnel à sa faiblesse numérique. Un autre exemple particulièrement éclairant du confusionnisme pratiqué par Imatz ne se trouve significativement pas dans le texte même, mais dans une note : « Il n’est pas inutile de rappeler que les principaux auteurs révisionnistes français qui nient la planification hitlérienne du génocide juif et l’extermination dans les chambres à gaz (…) viennent de la gauche (…). Sur les deux thèses en présence, voir Pierre Vidal Naquet Les assassins de la mémoire, Paris, La Découverte, 1987 et Roger Garaudy, Les mythes fondateurs de la politique israélienne, Paris, La Vieille Taupe, 1996 »[14]. Pour l’auteur, les deux écrits se valent donc, les deux « thèses » doivent être mises sur un pied d’égalité ! Une mise au même niveau de textes qui ne sont pas comparables qui, avec le développement des réseaux sociaux, est devenu un classique de la rhétorique d’extrême droite.

Au final « En réalité la formule « ni droite, ni gauche » ne définit pas spécifiquement le fascisme. Elle vaut pour toute la famille des idéologies de rassemblement national qui refusent les conceptions de l’homme en société fondées sur l’égoïsme individualiste ou le ressentiment collectiviste. Le fascisme, en fait, n’est qu’un des membres de la vaste famille des idéologies de troisième voie. Il en est le rameau le plus radical, le plus révolutionnaire »[15]

Une « vaste famille » bien connue, comme son programme

Nous l’avons dit l’auteur est un spécialiste de la Phalange, vue comme l’idéal-type du mouvement fasciste. Outre cette référence, il consacre plusieurs pages à l’anglais Oswald Mosley dont il réhabilite le parcours, notamment sur sa vision européenne[16].

Au vu des éléments déjà évoqués, on ne sera pas étonné de la proximité d’Imatz avec le mouvement de la Nouvelle Droite : « En quelques années, notamment sous l’influence de ce dernier (de Benoist), la nouvelle droite s’affirmera comme l’un des mouvements de pensée les plus formateurs et les plus féconds de l’après-guerre »[17]. On retrouve donc chez l’auteur les conceptions et reformulations du GRECE[18], notamment sur la question de l’immigration et du racisme : « A l’opposé du « mondialisme », invention de la pensée bourgeoise abstraite qui ouvrira tôt ou tard la voie à la guerre des races, il est grand temps de reconnaître pour chaque individu, chaque peuple, chaque race, le droit d’être différent, seul critère valable de la liberté »[19] Cette nouvelle formulation de la nouvelle droite a été préparée par un autre courant : « Le néo-racisme se veut alors anti-impérialiste et anticolonialiste (…). En 1950, le Groupement Nation et Progrès, animé par le principal théoricien d’alors du néo-racisme, l’ancien trotskiste René Binet, demande également le retrait des Blancs de toutes leurs positions coloniales, y compris l’Afrique du Nord, au nom du principe de l’égalité des races et de leur droit à leur espace vital »[20] L’articulation est donc bien de maintenir une inégalité entre les races et une non assimilation possible :  « L’intégration n’est viable qu’à une double condition : d’une part que les minorités ne soient pas trop nombreuses par rapport à la population totale (…) d’autre part qu’elles ne manifestent pas un attachement agressif, visible et provocant à leurs us et coutumes, car dès lors c’est l’hospitalité des sociétés d’accueil qui est directement mise en cause. Or, aucune de ces conditions n’est désormais remplie »[21]. Ce n’est donc plus le caractère racial qui est mis en avant mais le critère culturel et religieux. Et c’est en raison de sa composition essentiellement musulmane et donc trop éloigné de la culture chrétienne européenne que l’immigration ne peut fonctionner. Et ce malgré le discours des « antiracistes ou mixophiles utopiques ».

Une formulation dont Imatz souligne lui-même l’efficacité et sa reprise sur le plan politique « Face aux arguments de type individualiste et universaliste, le FN définit une exigence identitaire et différencialiste qui n’exclut pas la référence à une commune humanité. (…) Le FN laisse la communauté nationale ouverte aux ressortissants de notre communauté européenne de destin, de religion, de culture et de civilisation ; mais il entend inverser le courant migratoire en provenance du Maghreb et d’Afrique Noire, en couplant le retour avec la formation professionnelle des migrants et l’aide au développement économique des pays d’origine »[22]

 

Une pensée qui s’inscrit contre l’héritage des Lumières

Le Ni droite, ni gauche débouche donc surtout sur une vision de droite et d’extrême droite. Le cas du club de l’Horloge[23] qui rompt par pragmatisme avec le GRECE pour influencer encore plus la droite est évidemment emblématique : « lutte contre l’étatisme, le dirigisme et la technocratie ; critique de l’utopie égalitaire à la lumière des sciences de la vie ; renforcement du pouvoir exécutif ; application de la démocratie directe ; liberté de l’enseignement face au monopole de l’Etat, défense de la propriété ; promotion de l’économie de marché, assainissement des finances publiques ; préférence pour l’impôt sur la consommation, au détriment de l’impôt sur le revenu ; réduction de la pression fiscale ; dénonciation des effets pervers de la protection sociale , des nouveaux privilèges camouflés au fil du temps derrière le paravent des « acquis sociaux » ; libéralisation du marché du travail ; suppression du monopole syndical dans les élections professionnelles ; libération des échanges ; octroi de la nationalité française aux seuls étrangers qui se sont assimilés, rapatriement progressif de la population étrangère non européenne ; rétablissement de la peine de mort pour les crimes de sang (…) »[24]. Des éléments que l’on retrouve aujourd’hui dans quasi tous les programmes d’extrême droite, voire de droite.

Terminons par montrer combien derrière des discordances se cache bien une pensée construite et cohérente[25] : « Il s’agit seulement de montrer l’existence d’un dénominateur commun de la pensée non conformiste, qui réside à la fois dans la critique radicale du rationalisme ; dans la condamnation de la vision matérialiste et bourgeoise du monde ; dans la révolte contre la société actuelle ; dans le rejet du progressisme ; dans la volonté de dépasser la sécularisation (…) »[26] C’est donc bien l’universalisme porté par les droits de l’homme dans la foulée des Lumières qu’il s’agit de combattre : « Les épigones des Lumières ne font en définitive que réactiver les mêmes projets éculés, mais sans cesse repris, qui prétendent mêler et confondre toutes les familles, tous les peuples, toutes les ethnies, toutes les cultures, pour les broyer dans le grand mortier du mondialisme »[27] Face à cela seule une vision du monde cohérente peut s’opposer : « A l’entreprise rationaliste et volontariste des hommes pour modifier les institutions, la pensée contre-révolutionnaire oppose l’ordre naturel, aux impératifs de la raison universelle, l’œuvre du temps. La doctrine contre-révolutionnaire s’en prend à l’abstraction révolutionnaire au nom de la diversité des pays et des peuples. Hommes et sociétés sont marqués par le milieu naturel, qu’ils transforment d’ailleurs. (…) La pensée contre-révolutionnaire est anti-égalitariste. Sous sa triple forme religieuse, politique et socio-économique, l’égalitarisme est pour elle une illusion »[28]

Et donc de retrouver ce concept central d’inégalité naturelle indépassable.



[1] Imatz, Arnaud, Par delà droite et gauche. Permanence et évolution des idéaux et des valeurs non conformistes, Paris, Godefroy de Bouillon, 1996. La visite du site des éditions Godefroy de Bouillon (référence habituelle de l’extrême droite pour son rôle dans les croisades) étant particulièrement illustrative

[2] Voir La troisième voie phalangiste in AM n°83 de janvier-mars 2018

[3] p.17

[4] Voir Un populisme du 19e siècle in AM n°29 de juillet-septembre 2004

[5] Voir De l’inégalité à la monarchie in AM n°33 de juillet-septembre 2005

[6] Voir Antimarxiste et antidémocratique, bref d’extrême droite in AM n°82 d’octobre-décembre 2017

[7] Voir L’extrême droite n’a jamais cessé d’exister in AM n°32 d’avril-juin 2005

[8] Voir Un vrai fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite in AM n°31 de janvier-mars 2005

[9] Voir Le fascisme n’a pas confiance dans le peuple in AM n°53 de juillet-septembre 2010

[10] Voir L’antisémitisme est-il une futilité ? in AM n°26 d’octobre-décembre 2003

[11] P.17

[12] P.25

[13] Voir La pensée « contrerévolutionnaire » in AM n°36 d’avril-juin 2006

[14] p.90, note 72. Voir Quand le relativisme sert à masquer le négationnisme in AM n°34 d’octobre-décembre 2005

[15] P.147

[16] Voir Le nationalisme européen de l’extrême droite in AM n°35 de janvier-mars 2006

[17] P.177 Voir Le Gramsci de l’extrême droite in AM n° 78 d’octobre-décembre 2016

[18] Voir L’inégalité comme étoile polaire de l’extrême droite in AM n°66 d’octobre-décembre 2013

[19] P.197

[20] P.64 Voir Une troisième voie : le socialisme racial n°57 de juillet-septembre 2011

[21] P.41

[22] P.217

[23] Voir De la porosité de la droite envers l’extrême droite in AM n°84 d’avril-juin 2018

[24] Pp.201-202

[25] Sur les divergences voir notamment La tendance païenne de l’extrême droite in AM n°38 d’octobre-décembre 2006 versus La Loi du décalogue in AM n°64 d’avril-juin 2013

[26] P.10

[27] P.221

[28] P.103