Cet article est paru dans le n°65 de juillet-septembre 2013 d'Aide-Mémoire, p.11
Pour notre 50e chronique sur le
décryptage de l’idéologie d’extrême droite[1]
nous avons choisi de lier nos deux thèmes de recherche depuis une quinzaine
d’années. Nous avons donc sélectionné un ouvrage abordant le Fascisme italien
mais également la question du syndicalisme. Ce choix s’est d’autant plus imposé
à moi qu’une publication récente marquée bien à droite révélait en creux une
vision du rôle du syndicat dans la société au final guère éloignée de la vision
décrite ci-dessous.
Une
contextualisation nécessaire
La question d’une extrême droite proche des
travailleurs et qui serait là pour les défendre est un thème que nous avions
déjà abordés dans un texte basé sur plusieurs brochures[2].
Nous y avions déjà relevé que, en Italie, le Fascisme a servi à ses débuts à
casser les grèves et à fournir des troupes pour combattre les Rouges. Cette
dimension antisyndicale des origines est à garder à l’esprit lorsque l’on prend
connaissance de l’ouvrage de propagande de Louis De Pace vantant Les conquêtes syndicales de l’ouvrier
italien[3].
Un autre point important, est le fait que l’Italie de Mussolini est un régime
politique particulier. L’auteur le reconnaît d’ailleurs et le défend au nom du
droit de chaque peuple de pouvoir choisir son mode de gouvernement : « Quand
les chefs des régimes autoritaires sont accueillis par les manifestations
imposantes et enthousiastes du peuple, on ne saurait dire sérieusement qu’ils
sont des tyrans (…) La nécessité d’une autorité au sommet, de l’ordre et de
l’obéissance en bas, se fait sentir dans tous les pays. L’absence de
l’autorité, là où elle se manifeste, entraîne des conséquences très graves dans
l’intérêt de la chose publique, aussi bien du point de vue économique et social
que du point de vue moral et politique »[4].
C’est ainsi que le livre a, significativement, un premier chapitre intitulé
« Démocratie autoritaire » où le pouvoir du peuple a été librement
délégué au parti et à son chef. Le rôle central du parti est plusieurs fois
affirmé : « Le Parti, selon, du reste, son statut en droit public,
est l’animateur, le cœur, le guide des syndicats, comme de toute autre
institution nationale.»[5].
Une
réalité sociale…
C’est donc à une description assez fouillée
du fonctionnement du syndicalisme italien que nous invite l’auteur qui consacre
la fin de son livre à la publication des principaux textes qu’il cite. C’est
par une loi, prise le 3 avril 1926, que la question a été réglée. Le rôle du
syndicat est clairement défini. Il ne fait pas de politique, mais « Le
Syndicat est appelé, par sa structure même, à réaliser un programme
d’assistance, pour mériter la reconnaissance juridique qui le consacre organe
de droit public. L’assistance devient un devoir de la part du Syndicat et un
droit pour le travailleur. Ainsi l’on dépasse tout concept de charité et de
philanthropie pour rentrer dans celui de rapports de devoirs réciproques, et,
plus haut encore, de solidarité nationale »[6].
Ce qui passe également par la question du nouveau contrat de travail mis en
place par le régime : « L’activité des syndicats est tout entière employée
dans la généralisation totalitaire du contrat collectif. Le contenu du contrat
est essentiellement de tutelle : protection des salaires, des conditions
morales, sanitaires, juridiques, etc… C’est tout le monde du travail qui trouve
là sa loi ! »[7].
De Pace insiste sur les résultats obtenus par un gros travail législatif :
progrès au niveau des accidents de travail et des maladies professionnelles
(principalement la tuberculose), instauration de la journée de 8 heures,
instruction obligatoire jusque 14 ans complétée par un effort accru au niveau
de l’enseignement professionnel… Et de terminer sur la question du
salaire : « Celui-ci (le salaire corporatif), selon la Déclaration
XII de la Charte du Travail, doit correspondre « aux exigences normales de
la vie, aux possibilités de la production, au rendement du travail ». En
cette brève formule, le Statut du Travail renferme peut-être la partie la plus
révolutionnaire du système fasciste. Sa reconnaissance dans un statut national
est le geste le plus révolutionnaire (au sens concret du mot) des différents
mouvements mondiaux des temps modernes »[8].
Le salaire ainsi conçu est un tout intégrant les œuvres sociales, l’école… La
réalité est cependant que le travailleur n’a, dans les faits, rien à dire sur
la fixation de ce salaire puisqu’il est totalement lié aux besoins de
compétitivité de l’état. Inutile, après les mesures d’austérité prise aujourd’hui
partout sous couvert de l’Europe, d’expliquer le résultat d’une telle mesure.
…
derrière laquelle une vision de la société est présente
Mais très vite, derrière cette description
idyllique, la vision fasciste de la société et la perte des libertés apparaît. Une
vision qui nie évidemment le concept d’opposition entre les classes sociales
pour les placer dans une collaboration totale vu la communauté d’intérêt :
« Dans la Révolution fasciste, l’origine et la formation du Syndicat
offrent un aspect caractéristique, qu’il convient d’avoir constamment présent à
l’esprit. Au lieu de se transformer, comme les autres mouvements ouvriers, en
un syndicalisme de classe, il s’intègre dans l’Etat, dont il constitue, au
moins pour les trois quarts, la structure et les finalités sociales. (…) Mais
l’exacte compréhension de la fonction du syndicat fasciste et de ses résultats
ne peut être obtenue qu’en considérant cette union profonde de l’Etat et du
Syndicat, qui réalise indubitablement une conquête politique nouvelle dans
l’histoire moderne »[9]
Afin de s’assurer que le syndicat aura toujours une action qui est subordonnée
aux intérêts supérieurs de la Nation, deux mesures sont prises. D’une
part : « La reconnaissance juridique signifie qu’un seul syndicat
peut être légalement reconnu, même s’il en existe plusieurs pour la même
catégorie»[10].
D’autre part les dirigeants des différentes fédérations professionnelles
nationales sont désignés par l’Etat : « On a voulu ainsi soustraire
les chefs des Confédérations à l’influence des secrétaires fédéraux, sur
lesquels ils sont appelés à exercer une autorité de direction et de
contrôle ; et on a voulu donner au gouvernement, au nom du principe
hiérarchique qui préside à tout ce qui touche au régime, la possibilité d’une
union étroite avec les grandes organisations du travail »[11].
Mais au-delà, sans même entrer dans la réalité cachée par la propagande, mais
en restant uniquement sur ce que le livre de De Pace nous dit, on constate que
les progrès obtenus le sont sous contrôle. Ainsi « Le livret de travail a
été institué obligatoirement par la loi du 10 janvier 1935, n°112, afin
qu’aucune catégorie n’en soit privée »[12].
Soit la réapparition d’un des principaux moyens de contrôle que la lutte du
mouvement ouvrier avait réussi à abolir dès fin du 19e en Belgique.
Comme déjà évoqué cette réalité est due à un système corporatif qui, discours
toujours très à la mode à Droite aujourd’hui, veut étouffer les légitimes
revendications des travailleurs sous prétexte d’une nécessaire unité nationale
qui n’a jamais servi qu’à assoir le pouvoir des possédants. : « L’ouvrier
italien est national : il a
répudié, et pour toujours, l’évangile marxiste, qui voulait en faire le
« frère » de l’ouvrier étranger et l’ennemi mortel de l’employeur de
son propre pays (…) Salariés et employeurs vivent dans la nation et des
ressources de la nation et ont, par suite, un intérêt solidaire à accroître,
par le potentiel du travail, les richesse de la nation. Donc, pas de luttes
entre eux, mais une collaboration constante »[13]
Une
vision d’extrême droite bien présente
Plus largement, le livre permet également
d’aborder des aspects plus transversaux de l’idéologie d’extrême droite. La
fonction autoritaire a déjà été évoquée. On retrouve donc logiquement le refus
du parlementarisme : « Il est à peine nécessaire de relever que le
« Parlement » n’existe désormais que sous la forme du
« parlementarisme » : nous voulons dire que les partis, les
factions, les intérêts particuliers (souvent illicites) en ont fait
l’instrument de leurs spéculations. Partis et affaires, sur lesquels les masses
sont peu consultées, se partagent le pouvoir. Le parlementarisme est dominé,
comme cela est établi chaque jour davantage, par une ploutocratie, qui tend à
réfréner l’ascension des classes travailleuses »[14].
À l’inverse, la société fasciste propose un modèle complet basé sur les
améliorations matérielles : « Les chômeurs des pays pauvres pensent
qu’une nouvelle redistribution des terres et des matières premières serait le
premier et le plus efficace facteur de travail, de pain, de bien-être pour
tous. Voilà pourquoi l’Italie a donné (guerre d’Ethiopie et Sanctions, années
1935-1936) l’exemple du déplacement de la lutte des classes (nation pauvre
contre nations riches) sur le plan international. (…) les ouvriers italiens ont
mis ce problème à l’ordre du jour et ils ont identifié leurs intérêts
particuliers avec les intérêts collectifs d’une Nation qui a besoin d’expansion
pour donner du travail à ses propres enfants »[15].
Mais qui travaille également (voire surtout) sur la conquête idéologique. Ainsi
avec les organisations de jeunesse : « L’œuvre Balilla ouvre aussi la
voie aux formations prémilitaires et à la Milice Volontaire Fasciste. Nous
avons déjà signalé comment elle sert à l’instruction professionnelle ; en
général, on peut dire qu’elle est une excellente école préparant à la vie, et
qui, dans son travail, participe intimement à l’âme de la nation. »[16].
L’idéologie passe aussi par le vocabulaire, comme dans cet exemple abordant le
contrôle effectué sur les Italiens vivants à l’étranger particulièrement
éclairant sur l’importance des mots : « Les travailleurs ont ainsi
encore réalisé une conquête de signification nationale : s’ils sont
toujours contraints à sortir hors des frontières, ils ne seront plus des
« émigrants », mais des « Italiens à l’étranger », parce
que l’Italie entend demeurer toujours en eux et avec eux. Naturellement, les
organisations suivent avec soin ces travailleurs à l’étranger, qui trouvent
dans les Faisceaux leurs centres de réunion et défense »[17]
Au final, la fonction du syndicalisme dans
l’Italie fasciste n’est clairement plus la défense des travailleurs : « On
pourra juger plus ou moins complètement atteints les buts que l’Etat fasciste
se propose dans le domaine des activités syndicales et sociales ; mais nul
ne pourra sérieusement nier que les travailleurs soient devenus des membres de
la société nationale, dans laquelle ils voient le lien idéal et concret de
leurs réalisations ; qu’ils aient changé le vieil instinct égoïste de
classe contre une foi, qui en fait
les meilleurs artisans de la puissance italienne. Le syndicat fasciste tourne
toute son activité vers le rapprochement des distances entre les classes, ou
mieux, entre les rangs sociaux. Mais il est un domaine, quoi qu’il soit peut-être
le plus difficile, où les distances sont déjà effacées. C’est celui de la
différence des mœurs, des habitudes, des usages et (pour dire en un seul mot),
de mentalité »[18].
Et cela dans une vision nostalgique de la Rome antique, présente partout dans
les écrits fascistes et qui constituait un ciment idéologique en ce qu’il était
l’horizon de projection : « C’est dans les terres de l’Empire d’Ethiopie
que se manifeste le plus pleinement la communion de l’esprit militaire, de la
mission du travail et de la morale familiale. L’Italie est peut-être la seule
nation capable de créer une milice armée du travail, c’est-à-dire d’organiser
les colons et les travailleurs du nouvel empire en des formations de Milice
Volontaire Fasciste. On dit qu’elle reprend ainsi la tradition des légionnaires
romains (…) »[19]
[1] Le premier texte est paru dans le n°16 d’Aide Mémoire de janvier-février-mars 2001 et était intitulé Ref.
L'espoir wallon. Histoire du mouvement (1995-1998).
[3] Louis De Pace, Les conquêtes
syndicales de l’ouvrier italien, Collection d’études syndicales et
coopératives, Paris, Nouvelles éditions latines – Fernand Sorlot, 1937, 199 p.
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