Article publié dans Aide-Mémoire n°66, p.11
Le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation
européenne, le GRECE, est un acteur clef dans le renouvellement du discours
d’extrême droite et dans sa (re)conquête idéologique de ce mouvement. Retour
sur cette structure qui existe toujours avec un livre, agrémenté d’un cahier
photos, bilan des dix premières années[1].
Un mouvement
structuré
Né dans la foulée de mai 68, le GRECE a dès le départ une
stratégie d’infiltration de zones d’influence et de la droite classique pour y
diffuser son discours. Il se définit lui-même comme « centrale
d’influence ». Un des aboutissements de cette stratégie sera la prise de
contrôle du Figaro Magazine donnant
une audience inhabituelle à des thématiques jusque-là cantonnées à des
publications militantes. Souvent qualifié de « nouvelle droite », la
stratégie et les idées du GRECE seront dévoilés début des années 80 marquant un
coup d’arrêt dans son influence d’autant que des divergences en son sein, liées
en partie au soubresaut interne à l’extrême droite française et plus
particulièrement au Front National, affaibliront sa position.
C’est dans un bastion d’extrême droite, la région PACA, que
le GRECE est fondé en 1968, à Nice plus précisément. Il se déplace à
Aix-en-Provence avant de s’installer à Paris en 1974. « Les fondateurs du
GRECE étaient pour la plupart des hommes jeunes. Certains étaient encore à
l’Université, d’autres étaient engagés depuis peu dans la vie professionnelle.
Quelques-uns avaient eu antérieurement des engagements personnels, politiques
ou syndicaux, et ils en avaient fait la critique positive. Tous étaient
convaincus que la solution à la crise passait, d’une part par une nouvelle
prise de conscience de notre héritage de civilisation, d’autre part, par la
volonté d’aborder les problèmes au fond,
en prenant des distances avec les contingences de l’actualité »[2].
Cette volonté de ne pas être tenu par l’actualité n’empêche pas le GRECE d’être
très actif : « Depuis sa fondation, le GRECE a organisé plusieurs
centaines de manifestations culturelles, publiques ou privées :
conférences, débats, forums, réunions contradictoires, expositions, Université
d’été, fêtes populaires, voyages collectifs, journées d’études, séminaires et
colloques. »[3].
La première partie de l’ouvrage détaille d’ailleurs ces diverses activités ce
qui n’est pas sans intérêt pour bien situer politiquement ce mouvement. Nous y
reviendrons. Outre cet activisme important, la stratégie d’être présent partout
est affirmée sans ambage. C’est ainsi que différentes commissions ou structures
parallèles sont créées : « C’est en avril 1975 (…) que le GRECE a
pris l’initiative de consacrer un dossier d’éléments
aux questions militaires (N°10) et de créer un comité de liaison des officiers et
sous-officiers de réserve. Dans une société en mutation, soumise à la
contestation systématique des groupes de pression de l’ultra-gauche (…) l’armée
n’est plus une institution préservée. Le principe même de la Défense nationale
est mis en cause par la subversion »[4].
De même le GENE, groupe d’études pour une nouvelle éducation, créé en janvier
76 a pour but de « travailler à l’élaboration d’un projet éducatif global,
partie intégrante d’une conception du monde et de la vie. Il veut se situer
au-delà du passéisme stérilisant des pédagogies rétrogrades et de l’utopisme
déréalisant des pédagogies pseudo-modernistes. Il s’oppose à tous les
dogmatismes et à tous les conformismes, comme aux formes de pensée unilatérales
et réductrices »[5].
Cet extrait révèle deux caractéristiques du discours que nous
développerons : la posture de troisième voie sur les sujets abordés et
l’objectif de proposer une vision du monde cohérente et globale.
Mais avant cela, il nous semble important de souligner une
caractéristique organisationnelle du GRECE. Son but étant clairement élitiste,
il se montre stricte dans ses méthodes de recrutement : « Tout
candidat à l’adhésion au GRECE doit remplir, de façon détaillée, un formulaire
spécial qui lui est fourni, à sa demande, par le secrétariat de l’association.
Il doit également être présenté par un parrain,
déjà membre du GRECE, qui devra répondre, par écrit, à un certain nombre de
question concernant le postulant (…) Lorsque le dossier d’adhésion est
complet, il est examiné par le conseil d’administration du GRECE. Celui-ci se
réserve le droit de refuser toute demande d’admission, sans être tenu de
justifier sa décision auprès de l’intéressé (…) par son ancienneté et son
dévouement, l’adhérent peut gravir les différents échelons de la hiérarchie
interne, jusqu’au grade d’assistant. »[6]
De plus, outre une participation active aux activités, la cotisation est
également une marque de dévouement puisque les plus hauts membres versent 10%
de leur salaire. Détail piquant, ce dévouement exigé des membres est explicitement
repris des méthodes de l’extrême gauche, et plus précisément de la Ligue Communiste
Révolutionnaire.
Un discours cohérent
« La mise en cause de la conception égalitaire du monde
apparait donc aujourd’hui comme la condition fondamentale d’une lutte efficace contre le négativisme, le
réductionnisme et la « massification ». Il ne suffit pas de déplorer
les symptômes de la décadence. Il faut encore en identifier les causes. C’est
seulement en agissant sur les causes que l’on modifie durablement les
effets. »[7] Le
GRECE développe donc dans son ouvrage sur ces dix premières années d’activités
une série de thématique très cohérentes tournant autour de la notion d’une
décadence de la France, et plus largement de la civilisation occidentale, qu’il
s’agit d’arrêter pour permettre un redressement salutaire. 12 points forment
ainsi une assise doctrinale qui est redéveloppée ensuite dans une compilation
d’articles regroupés thématiquement. Un des points intéressants est la volonté
de réhabiliter la notion de race tout en tenant un discours sur l’immigration
qui fera son chemin au point d’être aujourd’hui le discours classique de
l’extrême droite, à savoir que l’on respecte chaque culture. Mais qu’au nom de
ce respect, chacun doit rester chez soi car « Tous les sociologues savent
que, lorsque deux populations différant nettement du point de vue
ethno-culturel vivent l’une avec l’autre, dès que l’on dépasse un certain seuil, il en résulte des difficultés de
toutes sortes »[8].
C’est pourquoi « Je suis pour la non-discrimination, pour la
décolonisation, pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais à une
condition : c’est que la règle ne souffre pas d’exceptions. Si l’on est
contre la colonisation, alors il faut être pour la décolonisation réciproque, c’est-à-dire contre toutes
les formes de colonisation (…) Or nous assistons à certains paradoxes. Nous
voyons des idéologues prendre position pour le respect de toutes les races.
Sauf une : la nôtre (qui, par parenthèse, est aussi la leur) »[9]
Et de préciser : « Il y a, sur notre planète, un certain nombre de
pays où l’élément métis forme la majorité. Ce ne sont pas ceux, il faut bien le
dire, dont la stabilité ou le niveau de développement peuvent servir d’exemples.
(…) Vaut-il mieux une planète où coexistent des types humains et des cultures
variés, ou bien une planète dotée d’une seule culture et, à terme, d’un seul
type humain ? On pourrait distinguer ici entre raciophobes et raciophiles.
Les premiers souhaitent la disparition des races, donc l’uniformisation des
modes de vie. Les seconds pensent que c’est la pluralité de l’humanité qui fait
sa richesse. »[10].
Le GRECE prône par ailleurs la défense des identités et traditions régionales
contre le centralisme parisien, un retour à la terre et au développement des
activités sportives.
Le rejet de l’égalitarisme est au cœur d’un discours qui ne
rejoint pas la tendance ultra-catholique de l’extrême droite, notamment sur les
notions d’avortement. Ainsi une distance est mise avec les intégristes
lefévristes qui sont néanmoins reconnus comme des alliés face à un adversaire
commun. En fait la distanciation vient du fait que le GRECE est idéologiquement
dans la mouvance d’extrême droite que nous avons déjà analysée avec le livre de
Pierre Vial[11].
Et ce n’est pas un hasard, Vial étant à l’époque du livre que nous analysons un
des principaux animateurs du GRECE dont il dirige la commission Tradition. Pour
le GRECE, le problème est le message égalitariste du christianisme : « ils
identifiaient le lien logique
existant entre les différentes formes de contestation, qu’ils décelaient
clairement le dénominateur commun qui leur était sous-jacent (…) C’est
l’égalitarisme. Introduit dans la pensée européenne par le biais du judéo-christianisme
– avec le thème de l’ « égalité devant Dieu » - l’idéologie
égalitaire s’est laïcisée au XVIIIe siècle. Depuis lors, l’emprise de cette
idéologie s’est faite de plus en plus lourde au sein des sociétés
occidentales »[12].
Nous prendrons ici le discours tenu sur le rôle de la femme pour illustrer ce
positionnement : « Si les adhérentes du MLF étaient logiques avec
elles-mêmes, elles se déclareraient d’abord pour l’Occident, car ce n’est que
dans la culture européenne que la femme a toujours été considérée comme une personne. Mais la diffusion de
l’idéologie chrétienne, avec sa tradition de rabaissement de la femme, a
brouillé les cartes »[13]
et le raisonnement de laisser transparaître une pointe d’antisémitisme, certes
discret : « Plus précisément, la dévalorisation sociale de la femme
fait partie intégrante d’une superstructure religieuse. L’idée d’une déesse,
protectrice de la cité ou chasseresse, comme la Diane ou la Minerve des
Romains, est impensable dans la perspective hébraïque. »[14]
Des références
connues et un marqueur idéologique clairement à la droite de la droite
Contrairement à son discours qui tient à se présenter,
certes plutôt de droite mais comme complètement novateur et ne s’inscrivant
dans aucun courant de pensée partisan, une série de références loin d’être
anodines inscrivent clairement le GRECE au sein de l’Extrême Droite. C’est
ainsi que le début du livre explique que le seul cercle en dehors de la France
se trouve à Johannesburg ![15].
Dans les références littéraires on retrouve Julius Evola[16],
Charles Maurras[17],
Oswald Spengler[18],
Maître Eckhart[19]…
Des personnalités citées comme caution ou modèle s’appellent Arno Breker[20],
Lucien Rebatet[21]…
Mais aussi la référence aux théories de Dumézil et à la civilisation
indo-européenne comme ciment identitaire : « Le motif qui sert
d’emblème au GRECE et qui figure sur la plupart de ses publications, est un
très vieux motif d’entrelacs, que l’on retrouve sur des gravures, des bijoux,
des monuments et des tableaux, dans plusieurs pays d’Europe »[22]
et a clairement la même référence que la croix gammée. Tout comme le concept de
« vue du monde » qui rappelle celui de la Weltanschauung chère aux
Nazis.
Nous terminerons par un retour aux grands classiques de
cette chronique, démontrant ainsi à nouveau toute la cohérence qui existe au
sein de la pensée d’extrême droite au-delà des nuances pouvant parfois la
diviser en courants concurrents. D’une part, le rejet du marxisme : « Nous
pensons que, dans le marxisme, ce ne sont pas seulement les méthodes qui sont
haïssables, mais aussi le fond même des aspirations et de la pensée. Et c’est
l’étude de ces aspirations ramenées à ce qu’elles ont d’essentiel, qui met en
lumière ce qu’il peut y avoir de commun dans le marxisme et le
christianisme »[23].
Nous revenons ici au marqueur idéologique qu’est l’égalité : « L’ennemi,
ce sont toutes les doctrines, toutes les praxis
qui représentent et incarnent une forme d’égalitarisme. Au premier rang d’entre
elles, bien sûr, le marxisme. (…) nous disons qu’il ne sert à rien de lutter
nommément contre le marxisme si, en même temps, l’on n’a pas le courage et la
lucidité de lutter contre la cause du marxisme, contre ce qui produit
inévitablement le marxisme : c’est-à-dire la pensée, la mentalité
« anthropologique » égalitaires, dont le marxisme ne constitue qu’un
aboutissement. Par ailleurs, ce que nous disons également, c’est qu’on ne peut
lutter efficacement contre le marxisme qu’en lui opposant, non pas seulement
une critique de ses erreurs et de ses faiblesses les plus flagrantes, mais une
véritable alternative : un
corpus idéologique et théorique complet, qui fournisse aux esprits actuellement
séduits par le marxisme une solution de rechange »[24].
Ce corpus idéologique s’incarne dans le concept forgé par Alain De Benoist de
métapolitique : « Nous appelons la métapolitique le domaine des valeurs qui ne relèvent pas du
politique, au sens traditionnel de ce terme, mais qui ont une incidence directe
sur la constance ou l’absence du consensus social régi par le politique. En
fait poser la question de la métapolitique, c’est poser celle de la place et du
rôle de l’idéologie »[25].
Enfin, l’évocation de l’aspect « Naturel », base
du darwinisme social est évidemment largement présent : « A l’idée de
« société », il faut donc à nouveau substituer celle de « communauté ».
Il faut faire réapparaître les liaisons naturelles, organiques, qui doivent
exister entre les organes du corps social. Il faut chercher à remettre
de l’harmonie et de la complémentarité là où règne l’antagonisme et la
division. Cette tâche de rétablissement est la condition sine qua non de toute entreprise nationale. Elle exige, en premier
lieu, une lutte rigoureuse contre l’égalitarisme sous toutes ses formes »[26].
Notes
[1] GRECE,
Dix ans de combat culturel pour une
renaissance, Paris, GRECE, 1977, 265 p.
[2]
P.60
[3]
P.23
[4]
P.30
[5]
P.36
[6]
P.49
[7] P.84
[8]
P.127
[9] P.129
[10] P.127
[11]
Voir La tendance païenne de l’extrême droite in AM n°38
d’octobre-novembre-décembre 2006,
[12] P.68
[13] P.241
[14] P.256
[15] P.20
[16] Voir
Le Fascisme est de droite in AM n°47
de janvier-février-mars 2009 et La
révolution conservatrice in AM n°48 d’avril-mai-juin 2009
[17]
Voir De l’inégalité à la monarchie in AM n°33 de juillet-août-septembre
2005
[18] Philosophe
allemand auteur d’un livre capital qui inspira les Nazis : Le déclin de l’occident.
[19] théologien
et philosophe dominicain allemand de la fin 13e- début 14e
siècle considéré comme le premier des mystiques rhénans mais surtout repris par
Alfred Rosenberg dans son Mythe du XXe
siècle comme un penseur charnière.
[20] Sculpteur
officiel sous le Nazisme.
[21] Ecrivain
français d’extrême droite, auteur en 1942 d’un bestseller Les Décombres que nous étudierons dans une prochaine chronique
[22] P.14
[23]
P.212
[24] P.69
[25] P.73
[26]
P.90
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