Coopératives : une formule du
passé pleine d’avenir
Un historien peut aussi
tracer la voie pour une réflexion d’avenir ! C’est en tout cas le cas de
Julien Dohet, administrateur de l’Institut d’histoire ouvrière, économique et
sociale, auteur du livre « Vive la sociale ! » aux éditions
Espace de liberté. Invité par Les Amis du Monde Diplomatique le 3 juin 2013, il
évoqua l’histoire des coopératives ouvrières, précurseurs d’un modèle nouveau illustré
aujourd’hui par, notamment, la nouvelle banque coopérative NewB.
Retour au début du XXe siècle lorsque quelques travailleurs
se mettent ensemble pour faire baisser le prix du pain, effectuent des achats
groupés puis instaurent des magasins avec diversification des produits. « Ce
sont, explique Julien Dohet (1), les premières coopératives socialistes
« horizontales », d’autres étant « verticales »
puisqu’elles sont des coopératives de production et donc maîtres des prix, du
contrôle économique et de la qualité des produits. Il s’agit, par exemple, des
boulangeries coopératives. »
Apparaissent donc des notions d’une grande actualité comme la
qualité nutritionnelle, ce que l’on retrouve dans les filières bio de
maintenant et la création de coopératives de semences par exemple, la meilleure
manière de contrer des monstres économiques comme Monsanto !
« Puis vient la phase de diversification :
boulangeries, boucheries, épiceries, magasins généraux et centrales d’achat,
cafés, imprimeries au risque de perdre son âme coopérative à cause des
impératifs de la diversification. Les Maisons du Peuple deviennent les bastions
de la sociabilité du mouvement ouvrier, s’y organise la conscience populaire. »
Comment le capitalisme devint-il victorieux ?
« Cela commence en 1934, raconte Julien Dohet, avec la
faillite de la Banque belge du Travail à cause de placements douteux
(déjà !). Les coopératives paient les dégâts pour renflouer la banque et
disparaissent, exsangues. De ce moment date la loi de 1934 visant à séparer
banque de dépôts et banque d’affaire, que l’on aurait bien fait de conserver et
l’on aurait évité la catastrophe financière toutes récente !
Après la guerre de 40-45 beaucoup de coopératives
disparaissent, affaiblies car elles ont aidé les populations pendant la guerre
et parce que les lois commerciales changent et qu’apparaissent les
supermarchés. Les coopératives étaient des précurseurs mais elles n’avaient
plus d’argent pour investir dans des modernisations comme par exemple des
comptoirs frigorifiques, très coûteux. Et l’on assista à des fusions de
coopératives avec des grandes surfaces. »
Que nous ont apporté les coopératives d’antan ? « C’étaient
des citadelles ouvrières qui assuraient la défense des consommateurs (le
test-Achats de l’époque), procuraient des avantages sociaux, de bonnes conditions
de travail. Elles étaient des lieux de solidarité lors des grèves come celles
des femmes de la FN, pour l’accueil d’enfants réfugiés d’Espagne. C’étaient des
écoles de démocratie puisqu’on y appliquait la règle d’un homme une voix alors
que le suffrage universel n’existait pas encore. »
Actuellement, les coopératives pourraient-elles changer la
société ? Bousculer le système capitaliste ? La question reste posée.
(2)
Julien Dohet constate que se créent des coopératives de
consommateurs : « des groupes d’achats notamment, et des coopératives
de production surtout lorsque des usines font faillites mais celles-ci sont
fragiles car il leur manque les moyens financiers importants dont elles ont
besoin. Elles sont confrontées aux refus de crédit par les banques, elles
permettent cependant de repenser autrement l’économie, d’inciter les gens à
devenir « consommacteurs ». »
Peut-on changer le
monde sans prendre le pouvoir ? La réaction du système capitaliste est
forte. L’émancipation des travailleurs est-elle possible par l’économie
coopérative et l’éducation des clients et du personnel ? Comment gérer
cela ? Les coopératives sont en tout cas un terrain d’expérimentation
sociale, comme l’interdiction du travail de nuit, la réduction du temps de
travail, par exemple…
La New B
103 ONG, plus de 40.000 citoyens ont marqué leur accord et
leur participation à la création d’une nouvelle banque, réellement coopérative.
La New B, nous a été présentée par Bernard Bayot, président de son Conseil
d’administration et directeur du Réseau Financement Alternatif qui, depuis
1987, entend promouvoir l’éthique et la solidarité dans les rapports à
l’argent.
« C’est la crise financière de 2007-2008 qui fut le
déclencheur de la réflexion sur une indispensable régulation du système financier »,
dit-il. Les banques sont devenues polyvalentes et même des coopératives ont été
attirées par la philosophie de l’argent ce qui a mené à la catastrophe. Des
banques coopératives ont ainsi disparu mais, dans divers pays européens,
subsistent des banques publiques, des caisses d’épargne, des coopératives.
L’enjeu est donc de reconstruire un acteur financier qui aie du poids sur le
marché ; Triodos est en effet une trop petite banque pour cela. Voilà pourquoi nous avons créé New B qui
fera de l’épargne et du crédit mais s’interdit les opérations spéculatives, qui
aura une forme de coopérative véritable, qui sera une banque locale gérant
l’épargne et le crédit locaux dans une optique de développement durable. »
C’est ainsi que fut lancé le mouvement et que la décision de
créer cette banque coopérative a été prise lors de l’assemblée générale des
coopérateurs le 6 juillet 2013 (date de la journée internationale de la
coopération !). A présent, l’étude de faisabilité se poursuit et l’équipe
dirigeante élabore un plan d’affaire viable, rassemble le capital, contacte des
investisseurs publics et privés afin
d’arriver à une taille significative sur le marché belge et obtenir
l’agrément bancaire.
Et comment la banque va-t-elle appliquer ses principes sur la
gestion de son personnel ?
« Nous voilons changer le monde financier, répond Bernard Bayot, il n’y
aura pas de bonus, la tension salariale sera de 1 à 5 pas plus. Nous voulons
que la banque vienne dans les entreprises pour y rencontrer les problèmes des
gens. Nous fonctionnerons selon le principe « un homme une voix »,
les coopérateurs n’auront droit qu’à une seule procuration, il n’y aura pas
plus de 6% de dividendes ce qui n’est pas intéressant pour un investisseur
spéculatif mais assure la stabilité et nous financerons l’économie locale. De
plus, nous fonctionnerons en AG par 3 collèges : un collège sociétal (qui
vérifie si l’organisation reste porteuse de ses valeurs), un collège
d’investisseurs (les garants au point de vue économique) et un collège ordinaire
qui rassemble les autres coopérateurs. Pour chaque décision il faudra 4
majorités : par collège et par AG. Cela évitera les déviances. Quant à la participation
des coopérateurs, elle sera assurée par 134 ambassadeurs bénévoles New B, 120
New B Tours dans les quartiers, les communes, les villages, 16 forums locaux. Tous s’appuient sur une
plateforme sociale sur internet (3). C’est la démocratie économique jusqu’au
bas de l’échelle. Nous voulons éviter le pouvoir d’un conseil d’administration
sur une AG. Nous voulons une transparence totale sur les salaires et la
politique de crédits. De plus, le comité sociétal élu par l’AG vérifiera
l’application de notre charte des valeurs. Enfin, notre espoir est que 100 % du
capital de la banque soit détenu par les coopérateurs mais avant d’y arriver,
un apport du privé sera nécessaire. »
L’utopie historique prend forme, semble-t-il.
Gabrielle Lefèvre
(2)
A ce
sujet, voir sur le site de Solidarité des Alternatives Wallonnes et
bruxelloises l’analyse de Véronique Huens sur « Les SCOP françaises :
un modèle à suivre en Belgique ? » www.saw-b.be
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