Cet article est paru dans le n°67 de la revue Aide-Mémoire de janvier-mars 2014, p.11
Si l’importance du
rôle tenu par les Communistes dans la Résistance leur permit de s’appeler le
« parti des fusilliers » au lendemain de la guerre et qu’il est
évident que c’est principalement la classe ouvrière qui s’est opposé au
Fascisme, la réalité de la Résistance est bien plus complexe. C’est ainsi
qu’une résistance de droite a existé. Focus sur celle-ci à travers le parcours
étonnant d’un avocat liégeois qui, à l’origine d’un parti fasciste en Belgique,
terminera dans les camps de concentration Nazi et a une plaque à sa mémoire au
cœur de Liège[1]
Paul Hoornaert :
Un fasciste mort en camp de concentration
Paul Hoornaert est né
en 1888 à Liège dans une famille catholique de la classe moyenne. Docteur en
droit de l’Ulg en 1910. Il a un comportement exemplaire durant la première
guerre mondiale. Au lendemain de celle-ci il intègre « La Légion Nationale »,
un mouvement d’ancien combattant né en 1922 et dont il prend la tête en 1927. À
partir de cette date Hoornaert, qui admire Mussolini, transforme le mouvement
en un parti de type fasciste avec une structure paramilitaire marquée par le
port d’un uniforme avec une chemise bleue. La montée du Rexisme sera fatale au
mouvement d’Hoornaert. Ce dernier rejoint d’ailleurs à la fin des années 30 le
Parti catholique. Lors de l’invasion allemande, Hoornaert réagi en patriote et
en nationaliste comme il l’a fait en 1914. Il rejoint donc la Résistance via le
mouvement très à droite de l’Armée Secrète. Il est arrêté rue Fabry à Liège en
1942 et déporté. Il meurt dans un camp de concentration en 1944.
Le livre que nous allons
aborder est publié en 1929[2] et se
veut « Notre résumé doctrinal, qui propose des
formules fécondes de redressement national, (…). Cette synthèse ne vise qu’à la
clarté, à la précision. Le style des pages qu’on va lire est volontairement
dépouillé de toute recherche littéraire »[3].
Cette formulation ne surprendra pas les lecteurs habitués de notre chronique.
Il est en effet très courant pour les leaders de l’extrême droite de ne pas
détailler leur projet de société mais d’en tracer uniquement les contours,
laissant à l’action et à la pratique le soin de remplir l’espace ainsi délimité[4].
Si la « conspiration du silence » médiatique envers son mouvement est
importante, elle ne l’empêche pas de se développer. « La « Légion Nationale » a été fondée à Liège, le 1er Mai 1922. Elle compte
aujourd’hui des sections dans toute la Belgique » Aujourd’hui, la « Légion Nationale » réalise
en son sein l’union des flamands et des
wallons, des bourgeois et des ouvriers. Profondément respectueuse des
convictions philosophiques, elle ne connaît pas les querelles d’ordre
religieux ; elle ne connaît que des légionnaires ».[5]
Unité de toute la nation se fondant dans le nom donné au membre. On est ici
dans une phraséologie typique. Ces « légionnaires » sont d’ailleurs
l’embryon de groupe paramilitaire d’un parti qui veut, à l’image du
fascisme italien[6],
être d’abord un mouvement d’action et de propagande : « L’action exige aussi la préparation ;
préparation théorique des adhérents, qui doivent s’imprégner de la doctrine
nationale, de façon à ne pas rester bouche bée devant les plus stupides
objections ; préparation par les
services de renseignements ; préparation par le développement des gardes
et services de protection »[7].
Devant l’état de déliquescence des institutions et le rejet croissant par la
population, « Elle (la doctrine nationaliste) fait des progrès considérables dans les esprits. Car les hommes d’ordre,
encore inscrits dans les partis politiques, marchent de désillusions en
désillusions, et le parlementarisme des politiciens professionnels se
discréditent de façon croissante, à la lumière des événements. Si l’on tourne
ses regards vers l’extérieur, on reconnaît que là où il perdure, l’immoralité
et le gâchis s’installent ; que là où il s’écroule, l’atmosphère
s’assainit, l’ordre et la prospérité s’organisent. C’est pourquoi le nationalisme doit être prêt pour le jour où la
succession du parlement sera ouverte, afin d’assurer l’accession au pouvoir des
véritables hommes d’ordre. Il doit donc former, au milieu de la veulerie et
de l’indifférence des masses, la minorité-force, agissante, organisée et permanente ».[8]
Au-delà de ces aspects structurels, le
discours d’Hoornaert reprend de nombreux thèmes classiques de l’Extrême Droite
comme le corporatisme « Ce sont les associations professionnelles et les
associations d’intérêts moraux et intellectuels, qui forment la base de la
représentation nationale, et les chambres législatives sont l’émanation de ces
groupements »[9]
ou la volonté d’embrigader la jeunesse et de la préparer à la vie militaire
: « Les enfants et les jeunes doivent être préparés, dès l’école, à
l’accomplissement du devoir militaire. Aucune influence ne doit dispenser le
Belge de l’accomplissement de se devoir ». Mais aussi une volonté de
défendre une fiscalité sur les dépenses et non un impôt sur les revenus ou
encore de plaider pour un avancement basé sur le mérite et pour la diminution
du nombre de fonctionnaire : « Les
fonctionnaires sont indispensables. Mais ils doivent être peu nombreux,
convenablement rétribués, honorés, effectivement responsables ; leur
avancement doit être réglé au mérite »[10]
Un nationalisme antiparlementaire et
monarchiste
Mais c’est surtout le rejet du parlementarisme[11]
qui est une des grandes caractéristiques longuement développée dans
l’ouvrage : « En attendant la
victoire complète, l’action nationaliste doit se porter sur les réformes
immédiates qui affaibliront l’adversaire : le parlementarisme
politique. Ces réformes ne seront pas un aboutissement, mais un pas fait vers
la réalisation intégrale de la doctrine. »[12].
Ce parlementarisme qui, pour Hoornaert, a permis aux partis de prendre dans les
faits le pouvoir et de créer une particratie : « Il (le nationalisme)
entend baser la représentation nationale sur les associations, alors que, sous
le régime parlementaire, la représentation nationale est basée sur les
partis. » Or ces derniers ne défendent pas l’intérêt général :
« Donc, inévitablement, en régime de parlementarisme politique, les
partis, - au lieu d’adopter l’attitude nationale catégorique qui leur
enlèverait des suffrages, parce qu’une telle attitude blesse nécessairement
certains intérêts particuliers – les partis, disons-nous, chercheront toujours
la plateforme qui donne satisfaction au plus grand nombre possible
d’électeurs »[13].
Pour remédier à cette situation, la solution
passe par le nationalisme qu’Hoornaert définit assez clairement :
« Evidemment, tout nationaliste est patriote. Mais le nationalisme, c’est
la mise en œuvre du patriotisme dans le domaine politique et social ;
c’est le patriotisme agissant, c’est une doctrine positive, une, se suffisant à
elle-même, indépendante des groupements politiques ; qui vise à remplacer
par un système entièrement nouveau, leurs néfastes classifications des citoyens
en partis ; qui vise à des réformes profondes dans la société, dans l’Etat
et dans la représentation nationale »[14].
Ces réformes profondes dans la société passent par éduquer les jeunes au patriotisme
dès le plus jeune âge, à reconnaître que la Belgique existe avant 1830 mais
aussi qu’il faut contrer les forces centrifuges que sont le séparatisme flamand
et le fédéralisme wallon. Ce patriotisme chez Hoornaert se teinte d’une
germanophobie qui le fait dénoncer le mouvement pacifiste qui permet à
l’Allemagne de se réarmer. Mais surtout, il faut mettre la Famille et la
Monarchie au cœur de la doctrine et de la stabilité futur : « Dans le
système nationaliste, le pouvoir central unifié a pour soutien réel, la
monarchie héréditaire (…) L’intérêt public de l’Etat doit coïncider avec
l’intérêt de son chef, et ce but ne peut être atteint par un chef électif et
passager, dont l’intérêt personnel est de satisfaire ses électeurs qui, demain,
seront ses juges. Le Souverain héréditaire n’est pas l’élu d’une classe ; son intérêt se confond avec celui du pays,
qui englobe toutes les classes. »[15]
Ce rôle du Roi est encore plus vital en Belgique : « La monarchie
héréditaire consacre le principe de l’unité et de la stabilité nationale. La monarchie est une garantie de continuité
et de grandeur. En Belgique surtout, elle constitue, entre les deux races,
le véritable ciment national. Le roi est le chef du pouvoir exécutif. Il doit
nommer et révoquer, effectivement, ses ministres (…) Il peut, en cas de
nécessité, légiférer seul. »[16].
Comme on peut le voir Hoornaert parle de deux races et donne un pouvoir quasi
illimité au Roi.
L’adversaire : la gauche [17]
Si le parlementarisme est honni comme système,
le véritable ennemi contre lequel il faut réagir d’urgence, c’est la montée du
socialisme : « Le socialisme ne
veut pas la justice sociale, puisqu’il veut aboutir à la domination d’une
seule classe, à la dictature du prolétariat ; dictature permanente,
définitive, impossible à concevoir sans le corollaire de la sujétion
perpétuelle des autres classes, sans leur élimination progressive (…) Ces
théories, qui viennent du Juif prussien Karl Marx, sont donc profondément injuste. Elles sont aussi complètement fausses, et l’expérience leur a déjà
donné d’éclatants démentis »[18].
Mais au-delà, c’est le Communisme qu’il faut s’apprêter à devoir combattre. La
6e partie de l’ouvrage s’intitule d’ailleurs « le danger
communiste » : « La défense contre le bolchévisme et contre la
révolution est donc d’une importance capitale ». D’autant plus que ce
dernier s’infiltre partout et que le réformisme des socialistes est de pure
façade. Mais le plus grand problème est la situation économique : « Une
crise économique de quelque ampleur et de quelque durée, suffit pour jeter les
masses, préparées par le socialisme depuis de longues années, dans les bras des
pires révolutionnaires. De nombreux exemples ont prouvé déjà que des grèves
révolutionnaires ont été déclenchées, en Belgique même, par des agitateurs payés
par Moscou, malgré l’opposition des chefs socialistes qui perdaient, en ces
occasions, toute influence sur leurs troupes et qui s’empressaient ensuite de
suivre le mouvement dont ils avaient réprouvé, tout d’abord, le
déclenchement. »[19]
On le voit, le personnage
de Paul Hoornaert n’est guère original au niveau de la pensée politique et de
la doctrine d’extrême droite. Son originalité réside surtout dans son parcours
et dans le fait que son patriotisme et sa germanophobie née de la guerre de
14-18 furent chez lui prédominant sur son ralliement à l’idéologie fasciste.
Notes
[1] La plaque se trouve sur un immeuble rue Fabry
[2] Paul Hoornaert, Le redressement national. La « Légion
nationale belge ». Sa Doctrine – Ses buts. Liège, Légion Nationale
Belge, [1929 D’après une notice bibliographique du CEGESOMA car notre exemplaire
ne comporte aucune date. Il n’est en tous cas pas antérieur puisqu’un passage à
la fin de l’ouvrage parle des progrès effectués par la Légion Nationale sur le
plan électoral entre 1925 et 1929], 133 p.
[3] p.4.
[4] Le plus bel exemple
restant à ce niveau Mein Kampf. Voir « Mon Combat » d’Adolf Hitler, une
autobiographie… in AM n°20 de
Janvier-février-mars 2002 et « Mon Combat
» d’Adolf Hitler, un programme… in AM
n°21 d’avril-mai-juin 2002
[5] P.124
[6] Sur ce dernier, voir
L’ascension fulgurante d’un mouvement
in A-M n°28 d’avril-mai-juin 2004,
[7] P.123
[8] P.96
[9] P.48. Sur le
corporatisme, voir notamment Force, Joie et Travail! in AM n°45
de juillet-août-septembre 2008, L’extrême
droite défend-elle les travailleurs ? in AM n°60 d’avril-mai-juin 2012 et La « démocratie autoritaire » pour le bien des travailleurs
in AM n°65 de juillet-août-septembre
2013,
[10] P.67
[11] Voir Le refus de la démocratie parlementaire in AM n°37 de juillet-août-septembre 2006,
[12] P122
[13] P.80
[14] P.92
[15] P.53
[16] P.13. Sur Maurras, voir De l’inégalité à la
monarchie in AM n°33
de juillet-août-septembre 2005 et sur
De Corte pour la Belgique L’extrême droite n’a jamais
cessé d’exister in A-M
n°32 d’avril-mai-juin 2005
[17] Nous pourrions renvoyer
sur cette question à nos 51 précédentes chroniques. Mentionnons les plus
significatives : Joseph Goebbels. Combat pour
Berlin in AM n°17
d’avril-mai-juin 2001, La pensée « contrerévolutionnaire » in AM n°36 d’avril-mai-juin
2006, L’anticommunisme d’un transfuge
in AM n°59 de janvier-février-mars
2012 et Antisémitisme et anticommunisme.
Les deux mamelles de l’extrême droite in AM n°63 de janvier-février-mars 2013.
[18] P.73
[19] P.77
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