mardi 3 février 2015

La Chine nationaliste n’est pas que celle de Tchang Kaï-Chek



Cet article a été publié dans Aide-Mémoire n°71 de janvier-mars 2015, p.11

Après avoir abordé la question de la littérature enfantine[1], c’est à un nouveau domaine un peu particulier que nous consacrons cette chronique afin d’être en lien avec la thématique globale de ce numéro et l’exposition l’art dégénéré selon Hitler, puisque nous allons parler de la brocante, de la chine : « Cette chine nationaliste, c’est-à-dire tout à fait politiquement incorrecte, c’est l’incursion dans le royaume de l’objet ancien, et spécialement du papier sous toutes ses formes, à thèmes politiquement incorrects, droitistes, patriotiques, coloniaux, voire simplement nostalgiques d’un ordre ancien (celui que nous baptisons d’ailleurs curieusement « ordre nouveau ») »[2].
Un auteur au parcours engagé
Francis Bergeron est un auteur clairement marqué à l’extrême droite et qui s’en revendique. Né en 1952, ce militant « solidariste »[3] se définit lui-même comme « un pétinolâtre. (…) Attention : ne confondez pas avec les pétainistes. Ceux-là se contentent de défendre la mémoire du vainqueur de Verdun. Le pétinolâtre, lui, se passionne en plus pour tout ce qui touche au Maréchal »[4] et raconte comment il a financé son voyage au Liban[5] : « (…) j’avais vendu, cinq ans auparavant, ma propre collection de vieux Jules Verne cartonnés, pour financer mon voyage au Liban chrétien avec Jacques Arnould, Philippe de Vergnette, et quelques autres jeunes croisés, tous bien décidés à apporter à nos frères libanais le soutien actif – et armé – des chrétiens de France ? »[6]. Chroniqueur dans Rivarol et dans Présent, c’est dans ce dernier qu’il a publié une première version des textes qui sont compilés dans une version retravaillé dans « Ce dictionnaire du chineur politiquement incorrect, ce guide du collectionneur droitisé à l’extrême, je le dédie moins à mes pairs en passion chineuse qu’au militant. À celui qui colle les affiches et les autocollants, qui vend les journaux à la criée, qui distribue les tracts, qui porte l’insigne à la boutonnière. »[7]. Publié chez Dualpha, soit la maison d’édition de Philippe Randa (celui-là même qui avait ouvert une libraire d’extrême droite en Hors-Château que la vigilance et la mobilisation antifasciste avait permis de fermer rapidement), ce recueil est la somme de plus de trente ans de militance : « Trente-cinq ans à accumuler (…) autour d’un thème principal, presque unique : le nationalisme français (ou étranger : suivez mon regard… non pas là ! Ni là ! (d’ailleurs c’est interdit !) mais du côté du Liban Chrétien, de la Sainte Russie, de l’Argentine de Peron, du Portugal de Salazar[8], de la Belgique de Léon[9] ou de l’Espagne du Caudillo[10] »[11]
Un livre aux références connues…
On le voit avec cet extrait de l’introduction, les références de l’auteur sont limpides. Au-delà d’un livre reprenant les adresses où trouver les objets, les prix de ceux-ci… il s’agit donc aussi d’un livre profondément politique qui brasse toutes les références classiques de l’extrême-droite. Une sorte de compilation des auteurs et ouvrages déjà abordé dans cette chronique :  « Mais pas seulement Drieu[12] et Céline[13]. Brasillach, Rebatet, Cousteau, Béraud, Fontenoy, Bardèche[14], voient leur cote monter régulièrement. Il semblerait que les menaces de la « police juive de la pensée » (…) poussent de nouvelles générations à la passion collectionneuse. »[15]. On notera au passage la petite piqure antisémite de rappel[16]. Saint-Loup[17] est évidemment mis à l’honneur lui qui dirigea une collection au Fleuve noir, tout comme le livre Tintin mon copain[18] lorsqu’il s’agit de parler de BD[19]. Si Brasillach se voit accorder beaucoup de place, notamment par rapport à son livre sur l’Alcazar on reprend aussi des auteurs centraux pour la pensée d’extrême droite même s’ils sont moins connus aujourd’hui comme Barrès : « Même à droite, on préfère Céline le maudit, Drieu l’esthète, Brasillach le martyr, Maurras[20] le doctrinaire, Bainville le visionnaire ou Daudet le truculent. Barrès a trop bien réussi sa double carrière politique et littéraire pour susciter des passions comparables à celles dont bénéficient les auteurs susnommés »[21]. L’occasion aussi pour l’auteur de parfois tenté de nuancer les positions de certains : « On peut penser ce que l’on veut de l’attitude de La Rocque et des Croix de Feu, en particulier lors du 6 février 1934 (…) mais ce qui est certain (…) c’est que les Croix de Feu, chefs et militants, n’étaient ni racistes, ni antisémites, ni fascistes, ni même « d’extrême droite ». C’était un mouvement patriote, de droite, dont l’encadrement était fourni pour l’essentiel par les anciens combattants. Et ce n’était « que cela » »[22].
Bergeron ne s’intéresse pas qu’aux livres, il parle également des insignes comme la Francisque ce qui nous vaut cette anecdote intéressante qui rappelle une décrite par Goebbels dans Combat pour Berlin[23] : « Lors de la dissolution des ligues, les Camelots du roi portaient à la boutonnière une pièce de dix sous (« dissous » !)[24] ou des timbres qui lui permettent de faire d’une pierre deux coups en terme de référence idéologique, l’une positive et l’autre négative : « Si la poste française n’a pas jugé nécessaire de consacrer le moindre timbre à l’effigie du roi martyr lors du bicentenaire de sa mort, les Maldives nous proposent un Louis XVI en costume d’apparat (…) La France, elle, à la date du bicentenaire du martyre du roi, a préféré publier un timbre maçonnique. Hasard… »[25]. Sans oublier le cinéma[26] « évidemment le cinéma non conformiste traversa un passage à vide dans la France d’après-guerre, passage à vide qui n’est d’ailleurs pas terminé tant la prégnance marxiste, puis post-marxiste, et en tout état de cause cosmopolite, fut et reste forte dans ce secteur. »[27] Cette dernière remarque nous rappelle le discours analysé dans notre précédente chronique.
Des « classiques » sont évidemment abordés, comme l’âge de Caïn[28], pour illustrer ce que nous nommons la Libération mais que l’extrême droite voit autrement : « Bientôt vont paraître les premiers témoignages sur la terreur communiste. Écrits par définition par des hommes en liberté, et donc non compromis dans la collaboration, ces récits, ces recueils de faits scandaleux, de répressions ignobles, frappant aveuglément hommes, femmes et enfants, anciens militants politiques et notables apolitiques, paraissent clandestinement ou sous pseudonymes, tout simplement par crainte d’une vengeance communiste »[29]  
… et moins connues
Toutes les références que nous venons de voir nous sont maintenant bien connues, comme celle à l’Algérie française[30] ou au Sud-Vietnam. Mais d’autres sont moins habituelles, comme cette distinction entre Bonaparte et Napoléon : « Mais après Bonaparte, il y a Napoléon. Et Napoléon, c’est l’Empire, c’est l’Europe française, c’est la gloire des victoires, l’épopée fantastique, les uniformes les plus beaux que l’on ait jamais imaginés. »[31]. Ou celle à l’éditeur corse de Gringoire et des Editions de France Carbuccia : « La spoliation de 1944, le vandalisme révolutionnaire, le communisme rampant, sont passé par là, pour faire taire un grand éditeur corse et français ».[32] Ou encore celle-ci très significative: « Président de l’Association des écrivains combattants, Chack est anticommuniste et aussi anglophobe, comme nombre d’officiers de la Royale, une anglophobie qui sera exacerbée par le massacre de Mers-El-Kébir. En 1941, il fonde à Paris le Comité d’action antibolchévique (…) jugé le 18 décembre 1944, il sera fusillé le 9 janvier 1945 ».[33]
« Dans la série des Oncle Paul, on trouve par exemple le récit du siège de l’Alcazar de Tolède, cet héroïque fait d’armes des patriotes espagnols, en juillet 1936. « Vive l’Espagne, vive le Christ-Roi ! » crie le fils du général Moscardo, avant d’être assassiné par les miliciens socialo-communistes ».[34] Au-delà de l’anecdote sur la célèbre série de Spirou, cet extrait est illustratif de la volonté de Bergeron de profiter de son travail de référencement pour souligner les zones troubles d’une série de personnes, tel l’auteur de La Bête est morte : « D’autant qu’en creusant encore la question, on s’aperçoit que Calvo a laissé toute une œuvre militariste, patriotique, et certainement fasciste aux yeux des habituels censeurs de l’Etablissement »[35] ou de l’auteur des Nestor Burma : « Léo Malet nous est d’autant plus sympathique que cet ancien anarcho-trotskiste n’a jamais pardonné aux communistes le coup du piolet ; et au moment de sa mort (en mars 1996), il avait atteint les rives d’un anarchisme de droite de bon aloi, à la Louis-Ferdinand Céline, et revendiquait haut et fort son lepenisme »[36]
Mais ce sont surtout des écrivains et des peintres régionalistes que Bergeron sort de l’oubli : « Quelles étaient les idées de Louis Suire ? Assez éloignées de celles des « bobos » qui envahissent l’île de ré en août.  (…) il se plaçait résolument du côté des vendéens contre les colonnes infernales, du côté de la foi et de la fidélité, contre un certain « monde moderne ». Comme le peintre Fernand Maillaud, en Berry, Louis Suire a illustré le bonheur de vivre dans une France rurale préservée longtemps des miasmes de la corruption des villes »[37]. Toujours pour au passage faire passer le message de l’extrême droite sur les valeurs traditionnelles : « Tous ceux qui prônent l’enracinement et l’identité contre le cosmopolitisme, la patrie et les patries d’Europe face au mondialisme, devraient s’intéresser à des auteurs comme cet Hugues Lapaire (…) »[38]
Mais dont le propos n’est guère surprenant
Outre des références plus ou moins connues et le fait de recueillir ainsi un corpus cohérent du monde d’extrême droite, le livre de Bergeron est aussi l’occasion pour l’auteur de faire passer son message au détour d’une digression comme ici sur l’insécurité : « Il n’y a plus guère d’enfants dans nos rues, plus de cris d’enfants dans les cours. C’est qu’à l’abstinence démographique vient s’ajouter l’insécurité : l’insécurité des voitures et l’insécurité des détraqués, et aussi des « jeunes » qui ne sont pas exactement les mêmes que ceux que dessinait Germaine Bouret »[39]. Ou de manière encore plus significative quant au discours sur la préférence nationale lorsqu’il parle des décorations de guerre : « Faites excuse, messieurs les naturalisés de fraîche date. Mais il me semble que ceux qui ont eu un grand-père trois fois blessés et deux fois gazés à verdun, et deux ou trois oncles portés disparus aux éparges et sur la Marne, sont encore plus Français que d’autres »»[40].
Une fois de plus, à travers un ouvrage qui peut sembler anodin, nous avons pu démontrer que la pensée d’extrême droite est une pensée cohérente qui s’appuie sur un imaginaire et un référentiel loin d’être anodin, comme l’attestent les 24 références à des chroniques précédentes, et qu’il s’agit de connaître pour pouvoir réagir à certains propos comme ceux tenus par un participant membre de Nation lors de la dernière foire du livre politique.

 Notes

[1] Le livre : une arme idéologique in A-M n°70 d’octobre-novembre-décembre 2014,
[2] p.12
[3] Tendance incarnée par Jean-Pierre Stirbois qui rejoindra le FN en 1977 et qui a aujourd’hui pour leader Serge Ayoub, un habitué des rassemblements avec Nation
[4] Pp.207-208
[5] Voir La Loi du décalogue in A-M n°64 d’avril-mai-juin 2013,
[6] P.278
[7] P.13
[8] Voir Un nationalisme religieux : le Portugal de Salazar in AM n°24 d’avril-mai-juin 2003 et 1945 ne marque pas la fin des dictatures d’extrême droite en Europe in A-M n°69 de juillet-août-septembre 2014, mais aussi La préparation de la reconquête idéologique in A-M n°42 d’octobre-novembre-décembre 2007,
[9] Voir Léon Degrelle et le Rexisme  in A-M n°23 de janvier-février-mars 2003,
[10] Voir L’idéologie derrière la carte postale in A-M n°62 d’octobre-novembre-décembre 2012,
[11] P.11
[12] Voir Un vrai fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite in A-M n°31 de janvier-février-mars 2005,
[13] Voir L’antisémitisme est-il une futilité ? in A-M n°26 d’octobre-novembre-décembre 2003
[14] Voir Quand le relativisme sert à masquer le négationnisme in A-M n°34 d’octobre-novembre-décembre 2005 et Le fascisme n’a pas confiance dans le peuple in A-M n°53 de juillet-août-septembre 2010
[15] P.163
[16] Voir Antisémitisme et anticommunisme. Les deux mamelles de l’extrême droite in A-M n°63 de janvier-février-mars 2013,
[17] Voir Le Militaria, porte d'entrée de l'idéologie d'extrême droite in A-M n°46 d'octobre-novembre-décembre 2008
[18] « Tintin-Degrelle » une idéologie au-delà de la polémique in A-M n°50 d’octobre-novembre-décembre 2009 et n°51 de janvier-février-mars 2010
[19] Voir Quand la neutralité est riche d'idéologie in A-M n°54 d'octobre-novembre-décembre 2010
[20] Voir De l’inégalité à la monarchie in A-M n°33 de juillet-août-septembre 2005
[21] P.39
[22] P.147 Voir Travail – Famille – Patrie in A-M n°49 de juillet-août-septembre 2009
[23] Voir Joseph Goebbels. Combat pour Berlin in AM n°17 d’avril-mai-juin 2001
[24] P.155
[25] P.242
[26] Voir Un cinéaste sous le nazisme : Veit Harlan in A-M n°19 d’octobre-novembre-décembre 2001
[27] P.100
[28] Voir Le « résistantialisme », un équivalent au négationnisme in A-M n°44 d’avril-mai-juin 2008
[29] Pp.168-169
[30] Voir La pensée « contrerévolutionnaire » in A-M n°36 d’avril-mai-juin 2006 et Quand la résistance et le droit d’insurrection sont-ils justifiés ? in A-M n°55 de janvier-février-mars 2011
[31] P.58
[32] P.129
[33] P.91
[34] Pp.34-35
[35] P.75
[36] P.216 Voir Retour sur le discours du fondateur de la dynastie Le Pen in A-M n°56 d’avril-mai-juin 2011 et La cohérence d’un engagement in A-M n°40 d’avril-mai-juin 2007,
[37] P.238
[38] P.157
[39] P.62
[40] P.108

1 commentaire:

mathis gallois a dit…

Bravo, écrivez plus