Cet article a été publié dans Aide-Mémoire n°76 d'avril-mai-juin 2016
La radicalité et l’extrémisme sont donc mis en questionnement et perspective par Aide Mémoire.
Cette chronique, si elle est intemporelle, se veut malgré tout
logiquement en concordance avec la ligne éditoriale générale. C’est
pourquoi cette fois-ci nous aborderons un auteur français se situant
chez les radicaux de l’extrême droite. Car celle-ci, comme tout courant politique, est traversée par des tendances. Ce que nous avions déjà souligné en abordant notamment la question du paganisme[1] versus ultra-catholicisme[2].
Un trajet fulgurant
François Duprat
(1940-1978) est une figure clef de l’extrême droite française de
l’après Seconde Guerre mondiale. Il fait partie de cette génération qui
assurera la liaison entre ceux qui ont vécu les années 30 et celle qui
connaîtra les premières victoires électorales et la sortie de l’état
groupusculaire et de l’ostracisme. Une liaison dans les parcours, les
références mais aussi l’idéologie.
Duprat est issu d’une famille communiste et passe durant
l’adolescence un bref moment au sein du courant lambertiste. Mais dès
1958, soit à 18 ans, on le retrouve membre de Jeune Nation.
Il est en Algérie en 1962 et fait partie des fondateurs de la
Fédération des Étudiants Nationalistes, période à laquelle il est arrêté
pour activité au sein de l’OAS[3]. Duprat rejoint ensuite Moïse Tshombé au Congo de 1964-65. Rentré en France il milite auprès de Maurice Bardèche[4], dirigeant son organe Défense de l’Occident,
et développe et diffuse les idées négationnistes de cette figure de
l’extrême droite française. C’est également avec lui, et dans ce cadre,
que Duprat va initier une ligne politique nouvelle s’opposant à Israël
et soutenant la cause palestinienne, allant ainsi à contre-courant du
positionnement du reste de l’extrême droite à l’époque. En 1970,
François Duprat crée Ordre Nouveau,
formation politique se distinguant par une propagande et un style dur
dont le symbole sera la croix celtique, et qui participe activement à la
création du Front National en juin 1972[5].
Cette évolution va cependant provoquer l’implosion du parti dont Duprat
est exclu en 1973 et dont une branche créera en 1974 le Parti des Forces Nouvelles.
François Duprat rebondit rapidement et en décembre 73 crée Les cahiers européens
et soutien la campagne présidentielle de Jean Marie Le Pen de 74,
réintégrant dans la foulée le FN en septembre où il crée l’organe du
parti Le National et intègre rapidement le bureau politique pour prendre de facto
une place de numéro 2 du parti. Peu après, il structure sa tendance en
créant les Groupes Nationalistes Révolutionnaires. L’explosion de sa
voiture le 18 mars 1978 sera suivie d’une élimination progressive de
cette tendance au sein du FN. Les auteurs de son assassinat ne seront
jamais identifiés. Trois pistes sont toujours évoquées : le Mossad, des
antifascistes radicaux, des adversaires politiques au sein de l’extrême droite.
Construire une structure efficace
La petite
brochure que nous avons choisi d’analyser est un texte rédigé sur la fin
de sa vie par Duprat et dans lequel il expose la doctrine et la
structure Nationaliste révolutionnaire[6]. Un texte court mais dense et riche en enseignements.
« La construction d’une organisation sérieuse et responsable sera
d’ailleurs la voie la plus efficace pour y parvenir. On fait confiance
aux gens sérieux et l’on est plus disposé à donner son argent pour
appuyer un travail réel que pour “aider” dans le vague un parti dont on
ne sait trop ce qu’il fait des sommes reçues[7]. »
Duprat insiste donc beaucoup sur le bilan des organisations qui ont
précédé et sur l’importance d’étudier les leçons des échecs d’Europe Action,
Ordre Nouveau, Jeune Nation et Occident. « Nous ne sommes qu’au début
du processus de mise en place des structures du parti révolutionnaire,
mais nous avons une idée claire de la marche à suivre et du but à
atteindre. En rassemblant sur des thèmes politiques réalistes et
efficaces de nombreux nationalistes révolutionnaires, nous pourrons
redonner à notre camp l’esprit offensif qui lui manque depuis trop
longtemps. L’heure est à l’action et non à la critique stérile, à la
réflexion théorique et non aux récriminations sans avenir[8]. »
Le fait d’avoir des idées claires permet de ne pas tergiverser sur la
réalité de la structure nécessaire : « Un parti révolutionnaire est une
organisation structurée et hiérarchisée, apte à vivre et à progresser
dans la clandestinité aussi bien que dans la légalité, formée de
militants éduqués politiquement et tactiquement, dirigée par des
spécialistes confirmés et dotée d’une idéologie unitaire
“opérationnelle”. Les nationalistes révolutionnaires, s’ils veulent
sauver leur pays et sa civilisation, doivent accepter de s’organiser
selon ces critères d’action[9]. »
Le travail ne sera pas simple et prendra du temps. Il nécessite une
formation ferme qui s’accompagne de passage à l’action et des militants
acceptant une discipline stricte et se dévouant totalement à la cause : «
Un nationaliste révolutionnaire doit accepter l’idéologie NR, en
militant au sein du mouvement nationaliste, noyau combattant du Parti de
la Révolution Nationaliste. Un nationaliste révolutionnaire doit
accepter la discipline interne de son organisation, refuser le
fractionnisme et prendre conscience de l’ampleur de la mission qui est
la sienne[10]. »
Le mot
révolutionnaire n’est donc pas seulement un effet de style mais définit
clairement le projet politique qui, s’il développe une vitrine
légale politique, contient également un second niveau qui est le
mouvement politique : « La lutte politique, surtout une lutte
révolutionnaire radicale, est une chose sérieuse : elle ne peut être
menée que dans le cadre d’une organisation disciplinée et structurée. Il
importe donc de séparer le mouvement nationaliste, organisation
révolutionnaire, du parti chargé de représenter notre idéal au niveau de
la population française[11]. »
Ce qu’exprime ainsi Duprat est ce qu’il a d’ailleurs fait lorsqu’à
partir d’Ordre Nouveau il participe à la fondation du Front National : «
L’édification du mouvement nationaliste, lorsque les moyens matériels
et humains seront réunis, se poursuivra par la mise en place d’un parti
plus large, dont les objectifs se limiteront à populariser certains
thèmes NR, sans chercher à en faire passer la totalité dans la masse
sympathisante. Cette deuxième étape de l’édification de l’organisation
nationaliste révolutionnaire devra assurer la participation des NR à la
vie politique, économique et sociale de la Nation[12]. »
Un projet assumé à la droite de l’extrême droite
Nous sommes
donc ici devant des partisans de l’action directe, convaincus que le jeu
légal de la démocratie n’est soit pas suffisant, soit une illusion
qu’il faut être prêt à dépasser pour sauver la France : « Comment
parvenir à la naissance de l’État populaire ? Il est certain qu’un
bouleversement aussi profond et aussi radical ne pourra s’effectuer sans
des luttes violentes et nombreuses. Les exploiteurs de la nation
n’accepteront pas d’être privés de leur butin sans se défendre avec une
détermination sauvage. Si la menace devient réelle, ils bafoueront sans
hésiter leurs soit-disantes conceptions humanitaristes et répondront par
la terreur[13]. »
Et de préciser sa pensée par un rappel historique clarifiant les
référents : « Notre conception révolutionnaire est, elle aussi, fort
simple : nous devons savoir faire cohabiter une organisation de combat
et une organisation de formation et d’encadrement. Sans les SA, jamais
le NSDAP n’aurait pu prendre le pouvoir, mais sans la “Politische
Organisation”, les SA n’auraient pas mieux réussi que les corps francs
de Kapp et Luttwitz, lors du putsch de mars 1920. Sans les “Squadri
d’Azione”, le fascisme serait resté rêverie, mais sans le PNF et sa
tactique parlementaire, sans les syndicats fascistes et leur encadrement
des masses agraires, les squadristi auraient fini comme simples
supplétifs au seul service de l’état bourgeois. La coexistence de ces
deux forces est donc indispensable à tout processus de type
révolutionnaire[14]. »
Ce recours à la violence pour gagner est donc totalement assumé et
revendiqué. Il fait d’ailleurs partie intégrante de la formation au sein
du mouvement : « Pour éduquer un jeune adhérent, il est indispensable
de lui faire affronter l’épreuve de la lutte physique contre l’ennemi.
Le fait d’être capable de mettre en jeu sa propre personne pour la
défense de ses idéaux est un excellent gage de la valeur de l’individu
et de son attachement profond et réel à la cause. Nous devons avoir en
permanence à l’esprit que nous nous préparons à des combats de plus en
plus violents et définitifs[15]. »
Ce thème de la
violence, de la force physique, est au cœur de l’idéologie NR et vue
comme formatrice. Et la cible est elle aussi très classique de
l’idéologie d’extrême droite : « Les militants nationalistes savant
qu’en combattant dans la rue les communistes et les gauchistes, ils ne
font que s’organiser pour mener l’assaut contre le régime et contre ses
séides[16]. »
Plus largement, on retrouve alors un des arguments toujours utilisé par
l’extrême droite à chaque événement tragique marquant la population : «
L’État populaire doit être un État où le peuple exerce pleinement ses
droits politiques.
En outre, il doit avoir les moyens de s’opposer à toute tentative
d’oppression. Le meilleur moyen réside dans un article bien simple de la
constitution américaine : le droit pour tout citoyen de détenir à son
domicile des armes pour sa défense. Cette conception du citoyen armé
correspond d’ailleurs parfaitement à notre volonté de réaliser une
véritable défense nationale, par la mise en œuvre d’une organisation
militaire de type populaire (dans le style d’une Garde Nationale,
ouverte à tous les citoyens français)[17]. »
L’ennemi, c’est
donc la gauche, mais pas seulement car il faut sauver la France d’une
menace où l’on retrouve le fonds habituel de darwinisme social : « Pour
nous, nationalistes révolutionnaires, l’histoire est fondée sur la
compétition des peuples, qui agissent d’une façon bénéfique en vue de
maintenir leur originalité dans tous les domaines, aussi bien sur le
plan ethnique, culturel, politique,
etc. Tout ce qui s’oppose à cette originalité vise, en fait, à détruire
le moteur même de l’histoire et constitue une attitude foncièrement
réactionnaire et anti-populaire[18]. »
Et encore : « L’histoire glorieuse de notre nation a toujours été
fondée sur une volonté acharnée de vivre libre ; en restaurant cette
tradition multi-séculaire, nous mettrons fin à un processus de “génocide
culturel et biologique”, qui vise à détruire notre peuple et son
organisation, en tant qu’entité cohérente et unie[19]. »
Terminons cette
plongée dans la pensée radicale de l’extrême droite par deux références
que prend Duprat et qui illustre plus qu’un long discours son projet
politique : « Les NR se lamentent depuis des années sur le peu de
résonance de leur propagande en milieu ouvrier, et ils n’étudient pas
les modalités d’action de mouvement comme le Justicialisme en Argentine
ou les Croix Fléchées en Hongrie, qui sont arrivés à se rallier une grande partie du prolétariat, tant urbain que rural[20]. »
Et d’enfoncer le clou pour montrer la voie qu’il veut suivre et la
nécessité de se structurer intelligemment et de préparer le jour où : «
La cause du succès de “Patria y Libertad” au Chili a résidé dans son
irruption sur la scène politique au moment même où Allende était élu
président. Or le mouvement de Pablo Rodriguez Grez comptait alors une
centaine de militants[21]. »
[1]Voir « La tendance païenne de l’extrême droite » in Aide-mémoire n°38, octobre-novembre-décembre 2006
[2] Voir « La Loi du décalogue » in Aide-mémoire n°64, avril-mai-juin 2013
[3] Voir « Quand la résistance et le droit d’insurrection sont-ils justifiés ? » in Aide-mémoire n°55, janvier-février-mars 2011 et « La pensée “contrerévolutionnaire” » in Aide-mémoire n°36, avril-mai-juin 2006
[4] Voir « Quand le relativisme sert à masquer le négationnisme » in Aide-mémoire n°34, octobre-novembre-décembre 2005 et « Le fascisme n’a pas confiance dans le peuple » in Aide-mémoire n°53, juillet-août-septembre 2010
[5] Voir « Retour sur le discours du fondateur de la dynastie Le Pen » in Aide-mémoire n°56, avril-mai-juin 2011
[6] François Duprat, Manifeste Nationaliste révolutionnaire, Nantes, ARS, 1976 ? (sur base d’une note en fin d’ouvrage), 18 p.
[7] P.18
[8] P.13
[9] P.11
[10] P.6
[11] P.6
[12] P.7
[13] P.5
[14] P.11. Sur le nazisme, voir notamment « Le Nazisme ne se résume pas à Mein Kampf » in Aide-mémoire n°75 de janvier-février-mars 2016. Sur le fascisme, voir « L’ascension fulgurante d’un mouvement » in Aide-mémoire n°28 d’avril-mai-juin 2004. Voir aussi « Force, Joie et Travail ! » in Aide-mémoire n°45 de juillet-août-septembre 2008.
[15] P.14 Sur cet aspect, voir aussi « Écrire peut avoir des conséquences » in Aide-mémoire n°58 d’octobre-novembre-décembre 2011.
[16] P.14
[17] P.5
[18] P.4
[19]P.3
[20]P.8
[21]P.17
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire