Cet article est paru dans le n°85 de juillet-septembre 2018 de La revue Aide-mémoire, p.11
Le complot judéo-maçonnique, agrémenté d’une forte dose
d’anticommunisme, est un grand classique de l’extrême droite. Cette vision du
monde complotiste peut prendre plusieurs formes différentes selon les pays et
les époques tout en gardant la même trame générale
Un parcours une
nouvelle fois très « classique »
Henry Coston (20 décembre 1910-26 juillet 2001) est une
figure importante de l'extrême droite française dont le parcours montre la
continuité des années 30 à aujourd’hui[1].
Il commence très jeune à militer au sein de l’Action Française[2]
mais prend ses distances dès 1930 pour fonder "Jeunesses
anti-juives", dont le programme comportait l'exclusion des Juifs de la
communauté française et la spoliation de leurs biens. Reprenant les thèses et
l’héritage d’Edouard Drumont[3],
il relance La Libre parole en 1936 et
tentera, comme ce dernier l’avait fait, de se faire élire à Alger. A partir de
ce moment Coston est partie prenante d’une série de mouvement particulièrement
radicaux comme le Parti National Populaire, où l’on retrouve notamment Ploncard
D’Assac[4].
Après un bref passage au sein du parti franciste de Marcel Bucard, Coston
rejoint dès 1934 les mouvements pro-nazis, ce qui lui vaut les attaques de la
frange d’extrême droite germanophobe[5],
telle l’Action Française. Avant la guerre il rejoint le PPF de Doriot[6].
Collaborationniste de la première heure, il s’implique principalement dans les
officines de propagande antisémite et antimaçonnique où il publie notamment
avec Georges Montandon[7].
La fin de la guerre le voit suivre les Nazis dans leur retraite. Il est
finalement arrêté en Autriche en 1946 et condamné en 1947 aux travaux forcés à
perpétuité sur l’île de Ré avec de nombreux autres pétainistes. Il recouvre la
liberté dès le début des années 50. Dès sa libération il reprend ses activités
d’écrivains au sein de diverses publications d’extrême droite[8].
dont Jeune Nation, Défense de l’occident,
Présent… où il côtoie notamment Alain De Benoist[9].
Si lui-même se garde de franchir la ligne du négationnisme, il participe à la
diffusion de celui-ci via sa maison d’édition La Librairie Française (qui sera
reprise par Jean-Gilles Malliarakis, personnalité de la tendance solidariste de
l’extrême droite[10]).
Auteur prolifique, on doit à Coston des ouvrages comme : Les 200 familles au pouvoir, Le dictionnaire de la politique française
ou encore Les financiers qui mènent le
monde. A sa mort, le site internet d'extrême droite Unité radicale écrira
dans le style euphémisé de l’extrême droite contemporaine que ce "très
vieux combattant de la France française (…) luttait depuis 1928 contre les
lobbies ethniques ou philosophiques" et qu’il n'"avait jamais
abandonné le combat". »[11]
tandis que Bruno Gollnisch (délégué général du Front National[12])
dira : "Monsieur Coston nous a montré le chemin du travail patient et
essentiel de l'archiviste mais aussi de l'exceptionnel analyste qu'il était. Il
restera pour nous une référence indispensable pour notre famille de pensée,
gagnée, elle aussi, par l'oubli et le déracinement. Il a accumulé par son
oeuvre des munitions intellectuelles qui serviront à d'autres après lui"[13].
Des personnes comme Philippe Randa, connu des liégeois pour avoir tenté
d’implanter une librairie d’extrême droite en plein centre-ville, se revendique
clairement de son héritage[14].
Un complotisme qui
jette toujours le doute
Dès l’avertissement, le ton de l’ouvrage est donné : «
Ce reprint reproduit le texte de la brochure que j’ai publiée en avril 1963.
C’est à la demande de nombreux lecteurs que je fais cette réédition. L’ouvrage
était en effet épuisé. La documentation que ce livre contient n’a pas vieilli :
plus que jamais, les oligarchies financières ont partie liée avec la gauche et
l’extrême gauche.»[15]
Nous y reviendrons, mais la cible principale est comme toujours la gauche,
surtout communiste. Dans cette même cohérence avec les thèses habituelles de
l’extrême droite, on retrouve une critique de la révolution française et une
défense de la Monarchie comme le système politique naturel : « Pour bien
comprendre la situation dans laquelle se débattait ce souverain débonnaire,
bientôt dépassé par les événements, il convient de se souvenir que selon les
principes chrétiens sur lesquels reposait la civilisation européenne, la Terre
et ses fruits appartiennent à Dieu. Les Monarques de la Chrétienté n’étaient,
en quelque sorte, que les délégués du Très-Haut sur la planète, chargés de
veiller à ce que chacun de leurs sujets reçût une part équitable des biens de
ce monde »[16].
Pour Coston les causes de la Révolution sont claires. Il rappelle que Necker[17]
est un étranger et que : « Loin d’être spontanée, la Révolution fut
minutieusement organisée par ces sociétés de pensée qui répandaient, dans la
bourgeoisie et la noblesse, les idées et les mots d’ordre d’une maçonnerie
fortement organisée. (…) Les maçons n’étaient pas les seuls à comploter la fin
du Régime absolu et la mort de Louis XVI. Les financiers, entre autres, étaient
tout aussi acharnés à la déchéance d’un pouvoir dont la vigilance contrariait
leurs plans »[18].
Pour asseoir son propos, l’auteur se base sur des sources classiques pour le
champ de l’extrême droite : « Rivarol, dont les Mémoires demeurent un
document de premier ordre sur les événements qui marquèrent l’époque, affirme
que certains banquiers, en particulier Boscary, président de la caisse
d’Escompte, auraient largement facilité la rébellion qui se préparait »[19].
Ce que Coston décrit au niveau de la révolution française, il le reprend
concernant l’indépendance de l’Algérie : « La « Révolution » du 13 mai,
qui s’était faite contre les « bradeurs », avait tout bonnement livré la France
aux grands bénéficiaires de cette « braderie ». »[20],
renvoyant vers son ouvrage Le retour des 200
familles pour la démonstration du soutien de la haute finance à
« l’indépendance des peuples africains ».
Jeter la confusion
pour développer un discours antisémite, antimaçonnique et anticommuniste.
La technique de Coston, c’est de prendre un fait ou un
ouvrage qui peut jeter le doute sur « l’histoire officielle » et à
partir de cela d’amener tout un raisonnement appuyant sa thèse du complot. Le
côté particulièrement vicieux étant qu’après un long développement il prend la
précaution de dire que les choses sont peut-être plus complexe et de manière
très insidieuse de laisser soit disant le libre arbitre aux lecteurs. On peut
donc parler pour Coston de confusionnisme. Aujourd’hui, nombre de publication émanant
de l’extrême droite sur les réseaux sociaux jouent de cette technique. Un
exemple sur le Nazisme, où il décrit un opuscule qui explique comment des
banquiers américains ont financé par anticommunisme Hitler : « Après la
guerre, outre M. Jenneth Goff qui écrivit une brochure pour expliquer que
Hitler avait été l’instrument d’une conjuration juive, Mrs L. Fry, auteur de
nombreuses publications antisémites, en particulier sur les « protocoles des
sages de Sion », s’intéressa à cette ténébreuse affaire »[21].
On notera ici encore que Coston s’appuie sur des écrits de sa tendance, la
pensée d’extrême droite s’autonourrissant. Et continuant le propos : «
Faut-il voir, dans cette publication, une manœuvre politique ? Certains le
pensent, en tout cas, et ils accusent les amis de M. Otto Strasser, évincé du
Parti national-socialiste par Hitler, d’avoir monté l’opération de toutes
pièces. Ils font remarquer que cette mystification – si c’en est une – nuisait
aux capitalistes juifs et américains (p.37) autant qu’à Hitler. Or, M. Otto
Strasser, resté foncièrement national-socialiste, antisémite et
anticapitaliste, était violemment opposé à Hitler et au NSDAP. Son Front Noir
dirigé de l’étranger depuis 1933, trouvait son compte dans une affaire qui
discréditait à la fois ses ennemis de toujours et ses anciens amis. Mais, là
aussi, aucune preuve n’est apportée. Si nous nous sommes un peu étendus à
propos de ce livre hollandais, c’est parce qu’il nous a semblé impossible, dans
une étude sur les commanditaires capitalistes du Parti National-Socialiste
allemand, de ne pas publier toutes les pièces du dossier. Au lecteur,
maintenant, de se faire une opinion et de conclure »[22]
Notons que Coston tient en note de bas de page à s’étonner que les financiers
n’aient pas été inquiété lors du procès de Nuremberg orientant ainsi la
conclusion : « les « financiers » du mouvement bénéficièrent, eux, d’une
surprenante (pas pour nous) indulgence des vainqueurs »[23].
Les attaques de l’auteur se font tout azimut et il règle aussi des comptes en
interne de son courant politique, dénonçant le financement du PSF de De La
Rocque[24].
Coston, comme de nombreux auteurs d’extrême droite, aime à
dénoncer le capitalisme, mais un capitalisme « cosmopolite », dont
les principaux acteurs sont « israélites » : « La banque
israélite soutenait plus volontiers les partis, les journaux et les candidats
de la gauche. L’industrie lourde réservait ses subsides aux organisations
centristes et conservatrices »[25].
De même il profite de son ouvrage pour attaquer Léon Blum dont il souligne
évidemment qu’il était « issu d’une riche famille israélite »[26].
Il reconnait ensuite combien la lutte contre le communisme sera la lutte
prioritaire dans les années 30, évoquant le cas italien : « Le grand
capital, pour qui la démocratie était le meilleur des régimes, commence à
douter des avantages qu’il peut désormais lui procurer. Il en arrive à penser
qu’il vaudrait peut-être mieux perdre quelque chose avec les fascistes que tout
avec les communistes »[27].
Et de compléter : « Les grands industriels qui ont aidé le fascisme en
Italie ont naturellement pensé qu’ils pourraient le manœuvrer et l’utiliser à
leur gré. Il est évident que les trusts qui subventionnèrent Mussolini ne
songaient pas, au début, à le pousser au pouvoir. Ils comptaient surtout se
servir des milices fascistes pour contenir la poussée socialo-communiste »[28].
Coston conclut son livre en mentionnant la pensée de Maurice
Bardèche[29],
inscrivant ainsi parfaitement son étude dans une lignée politique claire :
celle d’une extrême droite dont les fondements restent les mêmes d’hier à
aujourd’hui.
[1] Le
nombre de références ci-dessous à de précédents articles de notre chronique
démontrent combien coston est au cœur de ce courant politique.
[2]
Voir De l’inégalité à la monarchie in
AM n°33 de juillet-septembre 2005
[3]
Voir Un populisme du 19e siècle in AM
n°29 de juillet-septembre 2004
[4]
Voir La préparation de la reconquête
idéologique in AM n°42 d’octobre-décembre 2007
[5]
Voir Un résistant d’extrême droite in
AM n°67 de janvier-mars 2014
[6]
Voir L’anticommunisme d’un transfuge in
AM n°59 de janvier-mars 2012
[7]
Voir Antisémitisme et anticommunisme. Les
deux mamelles de l’extrême droite in AM n°63 de janvier-mars 2013
[8]
Voir La cohérence d’un engagement in
AM n°40 d’avril-juin 2007
[9]
Voir Le Gramsci de l’extrême droite in
AM n°78 d’octobre-décembre 2016
[10]
Voir Plongée chez les radicaux de
l’extrême droite in AM n°76 d’avril-juin 2016
[11]
Cité par L’obs dans l’article
annonçant le décès de Coston (https://www.nouvelobs.com/societe/20010802.OBS7082/henry-coston-est-mort.html)
[12]
Voir Retour sur le discours du fondateur
de la dynastie Le Pen in AM n°56 d’avril-juin 2011
[14] http://eurolibertes.com/histoire/infatigable-henry-coston/
Voir La chine nationaliste n’est pas que
celle de Tchang Kaï-Chek in AM n°71 de janvier-mars 2015
[15] Coston
Henry, La Haute finance et les révolutions, Paris, Publications Henry coston,
1987, p.5
[16]
P.55
[17]
Jacques Necker (1732-1804), était suisse d’origine et le « ministre des
finances » qui convoquera les Etats généraux en 1789.
[18]
P.51
[19]
P.62. Rivarol, de son vrai nom Antoine de Rivaroli est un pamphlétaire
royaliste d’origine piémontaise (ce qui n’est pas sans ironie). Son nom sera
donné en 1951 à un « hebdomadaire de l'opposition nationale et européenne »
qui existe toujours et qui est un des périodiques (avec Minute, valeurs actuelles, Présent…) pivot de l’extrême droite
française.
[20]
P.87 Voir Quand la résistance et le droit
d’insurrection sont-ils justifiés ? in AM n°55 de janvier-mars 2011
[21] P.31.
Sur le Protocole : Un échec voué au succès. Les protocoles des
sages de Sion in AM n°18 de juillet-septembre 2001.
[22] Pp-36-37
[23] Note p.37
[24] Voir Travail – Famille – Patrie in AM °49 de juillet-septembre 2009
[25] P.18
[26] P.72. Léon Blum (1872-1950) est une
figure de socialiste française honnie par l’extrême droite surtout depuis qu’il
a dirigé le Front Populaire. Son procès à Riom intenté par Vichy tournera au fiasco
pour le régime pétainiste. Il survivra à sa déportation à Buchenwald et
reprendra brièvement ses activités politiques après la Libération.
[27] P.9
[28] P.10
[29]
Voir Quand le relativisme sert à masquer
le négationnisme in AM n°34 d’octobre-décembre 2005, et surtout Le fascisme n’a pas confiance dans le peuple
in AM n°53 de juillet-septembre 2010.
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