Cet article a été publié dans Aide-mémoire n°86 d'octobre-décembre 2018, p.11
Nous avons à maintes occasions montré combien la figure du
héros était présente au sein de l’extrême droite, dans le sens où tous les
dirigeants de cette tendance démontrent et entretiennent une virilité qui
assoit et garantit leur pouvoir. Cette fois-ci nous analyserons le discours
d’une des figures emblématiques de l’extrême droite française, souvent évoquée[1]
mais jamais encore analysée dans notre chronique.
Le héros de Verdun
Philippe Pétain (1856-1951) est un fils de cultivateur qui
entre à l’école militaire en 1876. Il commence alors une carrière militaire
assez modeste qui le trouve seulement colonel à 58 ans lorsque la guerre de
14-18 commence. Celle-ci lui permet de se faire enfin un nom, notamment lors de
la bataille de Verdun qui lui vaudra le titre de « héros de Verdun »,
titre qui sera abondamment utilisé par la propagande de Vichy. A la fin de la
guerre, il obtiendra le titre de Maréchal et continue sa carrière militaire
comme chef des armées. Il se distinguera notamment dans la guerre du Rif, ou
des armes chimiques seront utilisées contre les forces d’Abd-el krim. Avec la
répression des mutins de 1917, ce sont deux épisodes controversés de la période
militaire de Pétain. Nommé à l’académie française fin des années 20, il débute
une carrière politique en février 1934 comme ministre de la guerre, poste qu’il
ne gardera pas longtemps. Plus significatif sera son poste d’ambassadeur en
Espagne franquiste à partir de mars 1939. Juste après le début de l’offensive
allemande, il est nommé vice-président du conseil. Le 16 juin, il obtient la
présidence du conseil et dès le lendemain il fait un discours, auquel De Gaulle
répondra dès le 18, appelant à cesser les hostilités. Le 22 l’armistice est
signé et début juillet c’est l’installation du gouvernement à Vichy,
gouvernement qui mettra en place un « Ordre Nouveau » clairement
d’extrême droite. Après l’épisode de Sigmaringen et un passage par la Suisse,
il rentre de son plein gré en France où il est arrêté. Son procès se tiendra du
23 juillet au 15 août 1945. Il y sera principalement défendu par Jacques Isorni[2].
Frappé d’indignité nationale, il n’est pas condamné à mort mais enfermé sur
l’île d’Yeu. Il en sortira pour mourir dans une maison privée le 23 juillet
1951. En 1973, un commando enlèvera son corps à l’instigation de Jean-Louis
Tixier de Vignancourt[3]
pour respecter les volontés de Pétain d’être inhumé à Verdun. La tentative
rocambolesque échouera et le corps retournera sur l’île d’Yeu.
Un homme de 84 ans
qui fait don de sa personne
Le livre que nous analysons ici reprend des textes couvrant
la première année du régime de Vichy. L’importance que le nouveau régime y
donne est illustrée par le fait que toutes les pages sont tricolores, le texte
étant imprimé en bleu et chaque page ayant des marques rouges. Il est doté
également d’un portrait de Pétain en civil. Dès le départ celui-ci se présente
comme sauveur de la France : « (…) sûr de la confiance du peuple tout
entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur »[4].
Atténuer ce malheur passe par une négociation avec les forces d’occupation qui
dès le départ vont alterner ouverture et fermeté : « dès l’entrée en vigueur de
l’armistice, mon gouvernement s’est efforcé d’obtenir du gouvernement allemand
la possibilité de rentrer à Paris et à Versailles. Or, le 7 août, le
gouvernement allemand m’a fait connaître que tout en maintenant son acceptation
de principe déjà inscrite dans la convention d’armistice, il ne pouvait, pour
des raisons d’ordre technique et tant que certaines conditions matérielles ne
seraient pas réalisées, autoriser ce transfert »[5].
Une collaboration, et c’est intéressant, pleinement assumée dès le
départ : « Cette collaboration doit être sincère. Elle doit être exclusive
de toute pensée d’agression. Elle doit comporter un effort patient et confiant
(…) Cette politique est la mienne. Les ministres ne sont responsables que
devant moi. C’est moi seul que l’Histoire jugera. Je vous ai tenu jusqu’ici le
langage d’un Père ; je vous tiens aujourd’hui le langage du Chef. Suivez-moi. »[6].
Position du chef inscrite dans les principes de l’ordre nouveau à
l’article 8 : « toute communauté requiert un chef. Tout chef, étant
responsable, doit être honoré et servi. Il n’est plus digne d’être un chef dès
qu’il devient oppresseur »[7].
La politique de collaboration vise à maintenir l’unité nationale, qui inclut
les colonies : « L’honneur nous commande de ne rien entreprendre contre
d’anciens alliés. Mais l’intégrité du pays exige que soient préservées les
sources de notre ravitaillement vital, que soient sauvegardés les postes
essentiels de notre empire. C’est contre ces nécessités que s’insurgent chaque
jour les propagandistes de la dissidence »[8]
La position du sauveur est d’autant plus importante que,
comme Hitler envers la guerre de 14-18, Pétain considère que la France a perdu
en mai 40 car elle s’est effondrée de l’intérieur et pas tellement par l’action
de l’Allemagne. Au-delà d’un redressement matériel lié aux questions
alimentaires et de la nécessité de limiter au maximum un rationnement devenu
inévitable, de l’accueil des réfugiés (évoque le chiffre de 4 millions), de la
réparation des infrastructures… C’est surtout d’un redressement moral dont la
France a besoin : « Notre défaite est venue de nos relâchements. L’esprit
de jouissance détruit ce que l’esprit de sacrifice a édifié. C’est à un
redressement intellectuel et moral que, d’abord, je vous convie. »[9].
C’est pourquoi la figure du chef est aussi l’occasion de rompre avec une
“fausse liberté” : « Nous leur dirons (aux jeunes) qu’il est beau d’être libre,
mais que la « Liberté » réelle ne peut s’exercer qu’à l’abri d’une autorité
tutélaire, qu’ils doivent respecter, à laquelle ils doivent obéir »[10].
C’est aussi dans cette logique que le paysan doit être remis plus en valeur par
rapport au citadin : « Le citadin peut vivre au jour le jour. Le
cultivateur doit prévoir, calculer, lutter. Les déceptions n’ont aucune prise
sur cet homme que dominent l’instinct du travail nécessaire et la passion du
sol. Quoi qu’il arrive, il fait face, il tient. C’est un chef »[11]
La conséquence logique est donc la conception d’un état
fort : « Cet état sera hiérarchique et autoritaire, fondé sur la
responsabilité et le commandement, s’exerçant de haut en bas, à tous les
échelons de la hiérarchie (…) »[12]
Une révolution
nationale d’extrême droite
Dès l’article premier des principes du régime que Pétain met
en place, le triptyque Travail-Famille-Patrie[13]
destiné à remplacer celui issu de la Révolution de 1789, est énoncé, marquant
bien là la nature d’un régime qui voit le triomphe des adversaires de l’esprit
des Lumières : « L’homme tient de la nature ses droits fondamentaux. Mais
ils ne lui sont garantis que par les communautés qui l’entourent : la Famille
qui l’élève, la Profession qui le nourrit, la Nation qui le protège »[14]. Si
l’on retrouve un positionnement « ni gauche, ni droite »[15] :
« Le travail des Français est la ressource suprême de la patrie. Il doit être
sacré. Le capitalisme international et le socialisme international qui l’ont
exploité et dégradé font également partie de l’avant-guerre. Ils ont été
d’autant plus funestes que, s’opposant l’un à l’autre en apparence, ils se
ménageaient l’un et l’autre en secret. Nous ne souffrirons plus leur ténébreuse
alliance. Nous supprimerons les dissensions dans la Cité. Nous ne les
admettrons pas à l’intérieur des usines et des fermes »[16],
la solution proposée passe par la suppression des contre-pouvoirs acceptant
très tôt de copier les solutions mises en place par le Nazisme : « L’idée nationale-socialiste de la primauté
du travail et de sa réalité essentielle par rapport à la fiction des signes
monétaires, nous avons d’autant moins de peine à l’accepter qu’elle fait partie
de notre héritage classique »[17]. En
conséquence : « Le centre du groupement n’est donc plus la classe sociale,
patronale ou ouvrière, mais l’intérêt commun de tous ceux qui participent à une
même entreprise »[18]
dans une parfaite logique corporatiste marqueur idéologique des mouvements
d’extrême droite : « les organisations professionnelles traiteront de tout
ce qui concerne le métier, mais se limiteront au seul domaine professionnel.
Elles assureront, sous l’autorité de l’Etat, la rédaction et l’exécution des
conventions de travail (…) elles éviteront enfin les conflits, par
l’interdiction absolue des « lock-out » et des grèves. »[19]
Corporatisme, glorification des campagnes devant les villes
et des manuels faces aux intellectuels : « Nous l’aiderons à en recueillir
les influences vivifiantes, notamment en donnant à l’enseignement de la
géographie et de l’histoire un tour concret, un caractère local et régional qui
ajoutera les clartés de la connaissance à l’amour du pays. L’école primaire
ainsi conçue, avec son complément artisanal, substituera à l’idéal
encyclopédique de l’homme abstrait, conçu par des citadins, l’idéal beaucoup
plus large, beaucoup plus humain de l’homme appuyé sur un sol et sur un métier
déterminés »[20] Éléments complété par un appel à la
renaissance de la nation, à la réduction du rôle de la femme à celui de mère et
évidemment la place du chef, tous thèmes déjà abondamment rencontrés dans notre
chronique. Mais certaines déclarations vont encore plus loin dans la
confirmation du caractère d’extrême droite du régime de Vichy, et ce dès son
origine car dans les toutes premières mesures annoncées on retrouve :
« (l’)épuration de nos administrations, parmi lesquelles se sont glissés trop
de Français de fraîche date »[21].
Mesure confirmée plus loin : « La révision des naturalisations, la loi sur
l’accès à certaines professions, la dissolution des sociétés secrètes, la
recherche des responsables de notre désastre, la répression de l’alcoolisme,
témoignent d’une ferme volonté d’appliquer dans tous les domaines, un même
effort d’assainissement et de reconstruction »[22].
Et pour bien confirmer la place de Pétain dans notre
chronique, un petit volet naturaliste : « La nature ne crée pas la société
à partir des individus, elle crée les individus à partir de la société (…) Dans
une société bien faite, l’individu doit accepter la loi de l’espèce »[23].
[1]
Principalement dans Horthy : le Pétain
Hongrois in AM n°80 d’avril-juin
2017
[2]
Voir sur Isorni : L’histoire est
incomplète sans le témoignage des perdants in AM n°73 de juillet-septembre 2015
[3]
Voir sur Tixier : La cohérence d’un
engagement in AM n°40
d’avril-juin 2007
[4] Maréchal
Pétain, La France nouvelle. Principes de
la communauté. Suivis des appels et messages 17 juin 1940-17 juin 1941,
Paris, Fasquelle, 1941, p.15
[5]
P.42
[6]
P.89
[7]
P.9
[8]
P.135
[12] P.160
[13]
Voir Travail – Famille – Patrie in AM n°49 de juillet-septembre 2009
[14] P.7
[15] Voir Un vrai fasciste : ni de droite, ni de
gauche mais… d’extrême droite in AM n°31
de janvier-mars 2005
[16] P30
[17] P.65 Voir Force, Joie et Travail! In AM
n°45 de juillet-septembre 2008
[19] P.81 Voir aussi L’extrême droite défend-elle les travailleurs ? in AM n°60 d’avril-juin 2012 et La « démocratie autoritaire » pour le bien
des travailleurs in AM juillet-septembre
2013
[21] P.33
[22] P.68
[23] P.113
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