vendredi 20 août 2021

Un condensé de la pensée d’extrême droite

 Cet article a été publié dans le n°97 de juillet-septembre 2021 de La revue Aide-mémoire, p.11

Les présidentielles en France sont déjà dans toutes les têtes. Et un duel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen au second tour est hautement probable, à défaut d’être souhaitable. Occasion de nous intéresser à une figure de l’extrême droite française qui a dès à présent réédité son soutien à Marine Le Pen qu’il affirmait avec force dans un livre publié en 2016[1]

Un parcours bref à gauche, mais bien à droite depuis 20 ans

Robert Ménard est né le 6 juillet 1953 à Oran quand l’Algérie était encore française. L’exil vers la France début des années 60 sera douloureux. Issu d’une famille très catholique dont le père et un oncle s’impliqueront dans les mouvements contre l’indépendances algériennes[2]. Après une scolarité dans un collège religieux il a un bref passage à gauche (trotskiste puis socialiste) avant de se lancer dans le journalisme, notamment avec la fondation de l'association "Reporters sans frontière" dont il sera le secrétaire général. Chroniqueur dans des grands médias (RTL, I-Télé…) ses positions deviennent ouvertement de plus en plus à droite à partir de la fin de la première décennie des années 2000, alors qu’il s’est remarié avec une catholique traditionnaliste proche de civitas et de la Manif pour tous, élue députée en 2017 avec l’appui du FN. Ménard est élu maire de Béziers en 2014 sur une liste soutenue par Debout la France, Rassemblement pour la France et surtout le Front National[3]. Il fera campagne de nouveau avec le FN pour les départementales de mars 2015. Et est réélu dès le premier tour en 2020. Preuve d’une certaine réussite dans le phagocytage de la droite local, il arrive dans la foulée à être élu président de l’intercommunalité « Béziers Méditerranée » ce qui représente une première. Depuis 20 ans, Robert Ménard incarne donc cette droite extrême qui travaille à l’alliance entre les différents partis de droite et le Rassemblement National[4].

Le contenu de son abécédaire ne réserve d’ailleurs aucune surprise sur les thèmes développés et condense le corpus de base de l’idéologie d’extrême droite, à commencer par le caractère d’urgence face à une menace civilisationnelle : « Nous sommes des millions à le penser : la France est en train de crever. Nous sommes en train de crever (…) Cette mort que nous sentons venir, c’est la mort de quinze siècles d’histoire de France, de plusieurs millénaires de civilisation européenne »[5]. L’auto positionnement de Robert Ménard est tout aussi clair : de droite réactionnaire populiste, positivant les trois termes, ayant mis sa fille dans l’enseignement privé catholique[6]. Et d’expliciter les mots pouvant être utilisés pour ne pas dire d’extrême droite : « Souverainiste : mot employé par les gens bien élevés pour ne pas dire nationaliste. Le terme de « patriote » est également employé comme synonyme. Dans tous les cas, désigne une personne qui a le toupet de vouloir rester maîtresse chez soi et de ne pas être « remplacée » »[7]

L’obsession de l’immigration musulmane

Le thème du « grand remplacement » par l’immigration musulmane est omniprésent dans le livre :  « Or le temps presse. A raison d’un million à un million et demi par an de réfugiés supplémentaires en Europe, nous laissons se renforcer des ghettos, nous en créons de nouveaux, nous transformons peu à peu toute la France en autant de Seine-Saint-Denis, de Vénissieux ou de quartiers nord de Marseille. Bref, chaque jour qui passe, nous laissons des renforts arriver pour une armée qui, un jour, peut-être, se lèvera »[8]. Si les immigrations précédentes sont complètement idéalisées, le discours ici ne porte en plus que sur une immigration totalement assimilée à l’Islam[9] : « Comment acclimater l’islam à la France ? Bien évidemment aucune réponse valable n’a encore été apportée. Faire entrer un rond dans un carré est impossible. On peut faire semblant d’essayer, on peut faire semblant d’y parvenir. Pas davantage. Pourquoi ? Car l’Islam n’est pas une religion. Elle est une loi, elle est une civilisation, elle est un objet politique. »[10]. Cette obsession lui fait voir la question de la démographie comme le nerf de la guerre, écrire que la guerre sexuelle est en cours via les viols par les migrants, que le halal est évidemment dangereux… au point de consacrer une page et demi, ce qui est énorme par rapport à la moyenne des définitions de son ouvrage, à la question des kebabs à Béziers ! Dans un tel contexte, inutile de préciser qu’une place est réservée au « racisme anti-blanc » et à l’impossibilité du vivre ensemble qui est un leurre, tout comme l’hypocrisie de l’intégration républicaine qui est même une menace car permet l’infiltration des musulmans dans les forces de police et au sein de l’armée, particulièrement en cas de service militaire obligatoire auquel il préfère donc l’instauration d’une milice qui ne dit pas son nom : « de même qu’il existe aujourd’hui en France des quartiers et des écoles presque entièrement musulmans, nous aurions par le simple jeu de la démographie, des unités entières quasi exclusivement constituées de musulmans. Avec quelle proportion de radicaux ? Ce serait un pas de plus vers la libanisation. C’est la raison pour laquelle, avec Oz ta droite, nous voulons une garde nationale composée de volontaires, n’ayant pas la double nationalité et constituée sur une base départementale. On défend mieux sa maison que celle de son voisin. »[11] 

Les classiques de l’extrême droite

Nous l’avons déjà dit, le livre de Robert Ménard ne développe pas une seule pensée originale mais aligne les classiques poncifs de l’extrême droite. Outre l’extrême droite, on retrouve une opposition à la décroissance, à la parité, à une Ligue des droits humains instrumentalisés, à un enseignement et au journalisme tout deux monopolisé par la gauche dès les écoles de formation. Sur les médias, il reconnait avoir fait du journal municipal Journal de Béziers un organe de combat notamment contre la presse locale. Et d’évoquer les réseaux sociaux sans, de manière significative, en questionner les propriétaires ce qui est toujours étonnant chez des gens se disant antimondialiste : « Il me semble que le principal intérêt des réseaux sociaux n’est pas l’information qui y circule, mais la parole qui libère »[12]. Cette parole libérée, c’est celle qui réhabilite la colonisation face à la repentance : « Derrière la vieille idéologie tiers-mondiste, anticolonialiste, ce sont les intérêts de la globalisation qui avancent. Dans le chaos mondial qui s’étend maintenant sur notre sol, l’instinct de conservation vaut plus que toute idéologie »[13]. C’est celle qui réaffirme l’intérêt de la peine de mort : « En refusant à l’Etat le droit de tuer un tueur, la gauche n’a pas mis fin à la loi du Talion, comme elle le prétend volontairs. Car la loi du talion était une vengeance privée. En supprimant la peine de mort, la gauche a ébranlé le sommet de la pyramide de la justice. Depuis, de Badinter à Taubira, tout le reste ne cesse d’y passer »[14]. Ce reste, c’est notamment les lois contre la famille « traditionnelle » : « En disant que je préférerais que ma fille soit hétérosexuelle, normale comme on disait il y a encore vingt ans, je pense être en accord avec le plus grand nombre de parents »[15] et pour l’avortement : « L’avortement est un sujet interdit. Les féministes militantes disent : mon ventre m’appartient. C’est sans doute pour cela que, généralement, elles ne font pas d’enfants ou presque pas. Il y aurait une réflexion à mener de ce côté (…) il y a une chose qui, de mon point de vue, est évident : Ce sont des vies que l’on tue dans le ventre de leurs mères. (…) Proclamer que l’embryon n’est pas une vie est une absurdité »[16].

L’espoir d’une percée de l’extrême droite

Face à ce délitement Béziers est présentée comme un laboratoire devant montrer que le Rassemblement National et ses alliés de droites peuvent gérer correctement une ville et donc exercer le pouvoir. Avec des idées claires : « L’argument du social est un leurre. La population française n’a pas besoin de davantage de logements sociaux. Elle a juste besoin de pouvoir accéder à ceux qui existent déjà en y vivant paisiblement »[17]. Et d’évidemment ne pas oublier le passage obligé par la case anti-fiscalité de défenses des petits patrons indépendants : « Les petits patrons sont plus traqués par l’Etat que les dealers. (…) Ce que doivent subir les entrepreneurs de la part du RSI est au-delà du réel. C’est un racket d’état »[18]. Tout comme celui favorable à une société inégalitaire hiérarchisée : « C’est en faisant le choix de créer des élites, d’admettre des hiérarchies, que l’on élève les êtres et les sociétés. L’égalité est criminelle »[19]

C’est clairement à une alliance des droites que Ménard travaille car : « Je suis persuadé que l’élection présidentielle se gagnera à droite, c’est-à-dire en étant de droite, en incarnant des valeurs de droite : protection et donc autorité, entreprise et donc liberté, confiance en soi et donc identité »[20]. En cela, le fait de terminer son livre par l’entrée « Zemmour » est tout sauf anecdotique : « Il a choisi la liberté. Grâce à lui, des millions de français ont été décomplexés. L’histoire retiendra sans aucun doute son influence sur l’opinion publique. Libérant les esprits, il a ouvert la voie à tous les possibles politiques »[21], surtout liée à cette injonction devant servir d’avertissement à tou·tes les démocrates : « Si un mouvement patriote prend le pouvoir, il devra aussitôt travailler sur un mode de salut public. Décider vite, agir vite, changer vite, protéger vite, frapper vite »[22]



[1] Ménard, Robert, Abécédaire de la France qui ne veut pas mourir, Paris, Pierre Guillaume de Roux, 2016

[2] Voir Quand la résistance et le droit d’insurrection sont-ils justifiés ? in AM n°55 de janvier-mars 2011 et Un rebelle d’extrême droite in AM n°90 d’octobre-décembre 2019

[3] Voir Retour sur le discours du fondateur de la dynastie Le Pen in AM n°56 d’avril-juin 2011

[4] Voir De la porosité de la droite envers l’extrême droite in AM n°84 d’avri-juin 2018

[5] p.7

[6] Voir La Loi du décalogue in AM n°64 d’avril-mai-juin 2013

[7] P.146

[8] Pp.13-14

[9] Voir Danger : Invasion ! in Am n°22 de juillet-septembre 2002

[10] P.77

[11] P.143

[12] P.134

[13] P.74

[14] P.111

[15] P.67

[16] P.15 Voir La réaction réactionnaire à balance ton porc in AM n°92 d’avril-juin 2020

[17] P.131

[18] P.108 Voir Le Poujadisme : un populisme d’extrême droite in AM n°52 d’avril-juin 2010

[19] P.16 Voir L’inégalité comme étoile polaire de l’extrême droite in AM n°66 d’octobre-décembre 2013

[20] P.50 Voir De la nuance entre droite radicale et extrême droite in AM n°77 de juillet-septembre 2016

[21] P.163

[22] P.141

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