Cet article est paru dans Aide-Mémoire n°68 d'avril-mai-juin 2014, p 11
Le résultat des élections municipales en France fin mars confirme que l’extrême droite
est loin d’être moribonde. Partout en Europe, elle reprend force et
vigueur s’appuyant sur le désarroi provoqué par des politiques
ultralibérales quelle que soit la couleur politique des gouvernements.
Retour en France, donc, avec cette chronique consacrée à une figure
importante de la Collaboration des années 40-45.
Abel Bonnard, un académicien homosexuel très à droite
La trajectoire d’Abel Bonnard est la fois classique d’un parcours au sein de la droite radicale et atypique. Atypique car
Bonnard était homosexuel et ne s’en cachait pas, y compris sous
l’Occupation. Ce qui, quand on connait le discours envers les
homosexuels tenus par l’extrême droite, et le sort que les nazis ont
réservé à ceux qui étaient marqués par le triangle rose
dans les camps de concentration, n’est pas sans poser de question. Nous
avons déjà rencontré cette contradiction avec l’étude des écrits du
rexiste Pierre Daye[1]. Elle n’en reste pas moins une question ouverte qui est d’autant plus d’actualité que Steeve Briois, le nouveau maire FN de l’emblématique commune d’Hénin-Beaumont, est également homosexuel[2].
Bonnard est un homme du XIXe
siècle. Né à Poitiers en 1883, il fait d’abord une brillante carrière
littéraire comme poète et romancier au point d’être élu à l’Académie
française en 1932. S’il en est radié à la Libération, cette sanction
peut paraître assez opportuniste et de circonstance. En effet, adepte de
Charles Maurras, Bonnard ne sera pas un collaborateur par opportunisme
mais par conviction idéologique, lui qui, séduit par les idées de
Georges Valois, évoluera vers le fascisme dès la fin des années 20, soit
avant de devenir académicien, pour finalement quitter l’Action
Française[3] en 1935 et rejoindre le Parti Populaire Français de Jacques Doriot[4].
Collaborationniste de la première heure, Abel Bonnard deviendra en 1942
ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, poste qu’il
occupera jusqu’à la Libération. Après avoir suivi les ultras de la
collaboration dans l’aventure de Sigmaringen, il parvient à gagner
l’Espagne où il décède en 1968.
Ses Pensées dans l’action sont un recueil de textes allant du 22 août au 28 novembre 1940[5].
Abel Bonnard s’inscrit donc dès le début à fonds dans la
collaboration : « Nous devons donc souhaiter une collaboration loyale
avec l’Allemagne, où nous lui prouverons notre importance par les forces de vie
que nous tirerons de nous-mêmes. M. Marcel Déat a écrit sur ce sujet
des articles aussi sensés que courageux, et moi-même j’écris celui-ci,
parce que je crois que c’est mon devoir. Il faut que les Français
connaissent dès maintenant ce bonheur que la République bourgeoise ne
leur a jamais procuré, de travailler dans un ensemble où le balayeur
diligent, qui rend sa rue propre et nette, se sentira associé aux
premiers serviteurs de l’Etat, pourvu que ces derniers soient ce qu’ils
doivent être[6]. »
Cet engagement dans la collaboration passe par un ralliement absolu à
la figure du Maréchal Pétain, considéré comme LE chef qui, déjà sauveur
de la France en 1917, lui apportera une seconde fois le salut : « Cela
au moins est changé et il est d’abord satisfaisant que celui qui nous
représente ne s’appelle pas Président, mais chef, c’est-à-dire qu’il ne
soit plus un homme assis parmi des intrigues qu’il ne domine point, mais
un homme debout devant une
nation qu’il dirige. Le maréchal Pétain est si bien fait pour la
fonction qu’il remplit qu’on ne conçoit pas qui pourrait y prétendre
quand il est là. Quelle gloire est, chez nous, en ce moment, plus pleine et plus pure, plus solide et plus loyale que la sienne[7] ? ». Un ralliement proche d’une dévotion irrationnelle : « Tandis que résonnait cette voix du seul homme
qui pût alors parler pour la France, j’ai vu des femmes pleurer, des
hommes pâlir et je me suis dit que ceux qu’elle n’avait pas émus
jusqu’au fond d’eux-mêmes ne vaudraient jamais rien pour notre pays[8]. »
Pétain va donc redresser la France qui, dans les
années 30, était entrée en déliquescence avancée. Dans le contexte de
la deuxième moitié de l’année 40, le ralliement au Maréchal et à la
Révolution Nationale, passe également par une critique sans concession
de celui qui se profile dès le 18 juin comme son principal opposant :
« Quand certains de nos compatriotes en sont à refuser leur âme à
Pétain, pour la prêter à de Gaulle, faut-il prendre de longs détours
pour leur remontrer que peut-être ils feraient mieux d’écouter le
meilleur des Français, au lieu d’écouter le pire de tous ? Lorsque des gens
nous expliquent qu’ils abominent Reynaud et Mandel, la Franc-maçonnerie
et la juiverie, et n’en font pas moins des vœux chétifs et crispés pour la victoire
de l’Angleterre, qui, si seulement elle était possible, aurait pour
effet de ramener et de rétablir tout ce qu’ils prétendent détester,
faut-il leur insinuer qu’il y a peut-être dans leurs sentiments une
légère contradiction[9] ? ». Les Juifs, les francs-maçons… l’ennemi est connu et sans surprise[10].
Mais dans le contexte particulier de la publication de l’ouvrage, les
attaques vont surtout se porter sur De Gaulle : « Au lieu d’obéir au
Chef auguste de l’Etat, acclamer le général “moi”, le traître horrible
et avantageux qui se présente à la France barbouillé de sang français,
il faut avouer qu’en fait d’insensibilité à la vraie grandeur, d’erreur
et d’égarement, l’esprit bourgeois n’avait jamais fait mieux[11]. »
Ce sang, c’est notamment celui des Français tués lors de l’épisode de
la destruction de la flotte française à Mers-el-Kébir : « Comme ils
doivent regretter la France, mais qu’un premier égarement a livré à un
destin impitoyable, soldats dont le chef insulte le plus grand soldat qu’ait aujourd’hui la France, marins réduits à combattre avec les
tueurs de Mers-el-Kébir. La propagande anglaise les appelle “la France
libre”. Il y a là une ironie d’une telle taille qu’on se demande si, par
son énormité même, elle n’échappe pas au public[12]. »
L’ennemi : De Gaulle, l’Angleterre mais surtout la démocratie
Mais De Gaulle
n’est qu’un instrument, celui de l’Anglais qui de tout temps a été
l’ennemi de la France : « L’Angleterre était un taureau auquel la France
devait servir de cornes. De là la faveur marquée au Front populaire,
qui nous mettait précisément dans l’état où l’on désirait nous voir (…)
De là les égards, les soins, les cajoleries dont ces Anglais entouraient
Léon Blum, qu’ils n’eussent pas souffert comme ministre chez eux, parce
qu’il était l’instrument par lequel on pouvait manier la France (…) La
France a suivi l’Angleterre dans la politique qui menait à la guerre et
jusque dans l’acte de la déclarer : elle n’est passée devant que pour la
faire[13]. »
L’Angleterre qui ne ménage pas sa peine pour tromper les Français :
« Chaque soir, la propagande anglaise nous répète, comme une formule
irrésistible, les mots par lesquels on nous a longtemps tenus : Liberté,
Egalité, Fraternité. Elle ne saurait croire à quel point nous sommes
dépris d’une liberté qui n’était que l’indiscipline fastidieuse de
l’individu, d’une égalité qui n’était partout que la préférence pour
l’inférieur et pour le moins digne. Quant à la fraternité, il n’y en
avait pas la moindre dans la République démagogique et bourgeoise. C’est
dans la société hiérarchique et ordonnée de demain qu’elle existera[14]. »
Cette société
hiérarchique et ordonnée est à l’inverse de ce que la démocratie a fait
de la France : « Les qualités qui ont fait de la France une nation
grande et charmante sont aux antipodes de tout ce que les Français sont
devenus dans ces derniers temps, par l’effet de cette démocratie qui,
sous l’oripeau d’une rhétorique menteuse, n’a pas d’autre fin que de
pousser chaque homme plus bas qu’il n’était[15]. »
C’est pourquoi, dans l’avenir, Bonnard espère que « Nous vivrons dans
une organisation de hiérarchie, animés par un esprit de fraternité. (…)
Dans la démagogie bourgeoise d’hier, ou bien les modérés vantaient au
peuple les bonheurs de l’âme pour se dispenser d’apporter à son sort
aucune amélioration matérielle, ou bien les révolutionnaires ne lui
apportaient quelque amélioration apparente, bientôt annulée par la
désorganisation générale, qu’en avilissant son âme[16] ».
Il faut donc remettre de l’ordre, se tourner vers les éléments
naturels : « Ce qui fait les sympathies et les parentés de toutes les
grandes sociétés qui se sont manifestées (…) successivement dans le
cours de l’histoire, c’est que, sous une différence d’organisation et de
style, elles ont toujours pour éléments fondamentaux les mêmes valeurs
humaines, la piété envers les ancêtres vérifiée par le respect envers
les parents, l’amour du travail, le goût d’une noble obéissance, la
modestie de la personne associé à l’orgueil de l’ensemble qui la
nourrit, famille, race, nation[17]. » On le voit, le « Travail, Famille, Patrie » de Vichy[18] n’est pas
loin et la notion raciale est bien présente : « Aimer la vie, pour de
vrais hommes, c’est se plaire à rejoindre les difficultés qu’elle leur
propose. Cette forte race, la seule qui fasse exister les nations, est
nombreuse encore chez nous, et tous ceux qui en sont apprennent peu à
peu à se reconnaître, pour travailler dans le même sens[19]. »
Abel Bonnard
n’est donc pas en décalage avec les auteurs déjà abordés dans cette
chronique. On retrouve ainsi également dans ses écrits, la nécessaire
symbiose entre les classes : « Un groupe de jeunes bourgeois
d’aujourd’hui qui ne contient pas aussi de jeunes paysans ou de jeunes
ouvriers est incomplet et infirme. Il ne faut jamais oublier que, si
gâté qu’ait été le peuple par la démocratie, les ressources suprêmes de
la Nation sont en lui[20]. »
On retrouve aussi l’importance de la religion et de Dieu comme
fondement naturel de la société. Nature vers laquelle il faut que la
jeunesse, sur laquelle repose l’avenir, retourne : « Par la pratique
intelligente et réglée des sports, elle deviendra plus saine, et même
plus belle, car il y a dans ce sens beaucoup gagner. En se rattachant à
la campagne, elle rentrera dans le rythme universel, pour s’y retrouver
plus calme et plus forte. Retourner à la nature est tout autre chose que
ce qu’imaginaient les démagogues du Front populaire. La nature n’est
pas un lieu où se vautrer et s’avachir. C’est la fête merveilleuse que
Dieu nous donne et où Dieu se donne[21]. »
Tous ces
changements nécessaires doivent donc permettre de se détacher des
fausses valeurs de la gauche et de la démocratie : « Mais cette aversion
pour la nouveauté, répandue chez nous dans tous les ordres, avait
trouvé son expression typique dans un personnage où elle se manifestait
au dernier point : c’était l’homme de gauche, ce démagogue bourgeois,
ignorant de l’étranger, séparé du monde, cantonné et emprisonné dans un
petit nombre de grands mots et qui, pour n’avoir jamais affaire à une
réalité nouvelle, parlait toujours de progrès. La France échappée à tous
ces mensonges aimera la nouveauté, non pas une nouveauté d’extravagance
et d’incohérence, mais une nouveauté de jaillissement, non pas celle où
l’on s’égare, mais celle où l’on se retrouve ; nous changerons notre
destin en revenant aux vérités qui ne changent pas[22]. »
Ce changement profond ne pourra être que de nature révolutionnaire :
« Quand il s’agit, pour une nation tout entière, de renaitre si elle
veut vivre, la création d’un état honnête, noble et énergique est la
condition nécessaire de tout renouvellement, et rien ne saurait se faire
sans une révolution politique ; mais cette révolution elle-même ne peut
prendre tout son sens que par la réforme de chacun de nous. Il faut que
les deux choses arrivent concurremment et l’une par l’autre[23]. »
Et comme
toujours dans le discours d’extrême droite, cette mission sera l’œuvre
de jeunes hommes résolus : « Un pays a besoin pour être grand d’un très
petit nombre d’hommes qui aient des mérites rares et d’un très grand
nombre qui aient des vertus simples. La France de ces derniers temps a
duré sur ces vertus en les détruisant ; une oligarchie de profiteurs et
de tripoteurs, qui ne prospéraient au haut de l’Etat que parce que
d’honnêtes gens restaient à sa base (…)[24] »
Notes
[1] Sur Pierre Daye, voir « Léon Degrelle et le Rexisme » in Aide-mémoire n°23 de janvier-février-mars 2003 et « Le refus de la démocratie parlementaire » in Aide-mémoire n°37 de juillet-août-septembre 2006
[2] Sur le FN français, voir « Retour sur le discours du fondateur de la dynastie Le Pen » in Aide-mémoire n°56 d’avril-mai-juin 2011
[3] Sur Maurras et l’Action Française, voir « De l’inégalité à la monarchie » in Aide-mémoire n°33 de juillet-août-septembre 2005
[4] Sur Doriot, voir « L’anticommunisme d’un transfuge » in Aide-mémoire n°59 de janvier-février-mars 2012
[5] Abel Bonnard, Pensées dans l’action, Paris, Grasset, 1941
[6] Pp. 22-23. Sur Marcel Déat, voir « Du socialisme au fascisme » in Aide-mémoire n°41 de juillet-août-septembre 2007
[7] P. 69
[8] P. 48
[9] P. 102
[10] Voir notamment « Antisémitisme et anticommunisme. Les deux mamelles de l’extrême droite » in Aide-mémoire n°63 de janvier-février-mars 2013
[11] P. 114
[12] P. 12
[13] P. 15
[14] P. 20
[15] P. 29
[16] P. 93
[17] Pp. 65-66
[18] Voir « Travail-Famille-Patrie » in Aide-mémoire n°49 de juillet-août-septembre 2009
[19] P. 85
[20] P. 121
[21] P. 124
[22] P. 65
[23] P. 40
[24] P. 57
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