Cet article est paru dans le n°72 d'avril-juin 2015 de la revue Aide Mémoire, p.11
Nous avons eu l’occasion dans cette chronique d’aborder
nombre des thèmes classiques de la littérature d’extrême droite. L’un de
ceux-ci n’avait été abordé que par la bande mais jamais à travers un ouvrage
qui lui était spécifiquement consacré. Nous comblons cette lacune avec un livre
très particulier aux conséquences non négligeables.
La Ligue
Antimaçonnique belge. Épuration[1]
Le Docteur Paul Ouwerx (1896-1946) est le fondateur de la
troisième Ligue antimaçonnique belge en septembre 1940. Sous l’occupation donc.
Cette ligue s’inscrit dans une tradition antimaçonnique qui remonte à
l’encyclique papale Humanum Genus de Léon XIII qui condamne en 1884 la
Franc-Maçonnerie. Après l’existence d’une première ligue antimaçonnique, une
deuxième est relancée en 1910 après la décision du congrès catholique tenu à
Malines l’année précédente. Cette deuxième ligue constitue non seulement une
bibliothèque, mais également des listes de Francs-Maçons, principalement des
fonctionnaires travaillant dans les colonies et qui sont vus comme une menace
pour les Missionnaires catholiques. Après une accalmie après la première guerre
mondiale, le climat délétère reprend en parallèle avec la montée du Fascisme.
La Belgique suit dans les années 30 la même courbe que la France. C’est le
journal La Libre Belgique qui va se
distinguer avec la publication du 8 janvier au 28 mai 1938 une première liste
de Francs-Maçons. Paul Ouwerx se fait à cette période une spécialité à travers
plusieurs livres, dont Les précurseurs du
communisme. La Franc-Maçonnerie peinte
par elle-même[2]
que nous analysons ci-dessous, de ce type de publication dénonciatrice. Aidé,
notamment financièrement, par les Nazis dès leur arrivée en Belgique, il édite Le Rempart et crée une exposition antimaçonnique
qui sera inaugurée le 30 janvier 1941 dans les locaux du Grand Orient de
Belgique rue de Laeken avant de tourner dans les grandes villes belges. Le 20
août 1941, l’occupant prend un décret interdisant officiellement les Loges.
L’étape suivante sera la persécution, la déportation et l’assassinat de
nombreux Maçons. Le procès d’Ouwerx et de ceux qui l’entouraient commencera le
5 mai 1947 et se fera sans le principal accusé mort l’année avant.
Un livre introduisant
la délation
Le livre d’Ouwerx se compose en fait de deux parties. Un
exposé d’une centaine de pages visant à démasquer le complot maçonnique, puis
un nombre similaire de pages reprenant des noms de Francs-Maçons que l’auteur
présente ainsi : « Le présent
répertoire est établi par ordre alphabétique. Il contient les noms de beaucoup
de militants, « officiers dignitaires », faisant partie des comités
de gérance des loges ; noms relevés soit dans des documents maçonniques,
soit dans « le Moniteur Belge » ou dans les listes déposées aux
greffes des tribunaux de première instance, lorsqu’il s’agit de loges
constituées en ASBL »[3] Cette première liste, prenant pas moins
de 77 pages, est suivie de 5 pages de noms de responsables « d’œuvres
satellites » parmi lesquelles la Libre Pensée, La Ligue de l’enseignement
mais aussi la Ligue des Droits de L’homme et le Rotary. L’ouvrage se termine
par la liste sur 15 pages des membres du corps enseignants de l’ULB. Quand nous
aurons précisé que de très nombreux noms sont suivis des adresses privées, et à
la lumière de notre brève contextualisation, on comprend mieux que l’ouvrage
est loin d’être anecdotique.
L’auteur est d’ailleurs conscient que sa démarche est
particulière et se justifie : « En
écrivant cet ouvrage, nous avons été guidé par le souci de la vérité
scientifique (…). Nous l’avons fait dans un but de SALUT PUBLIC et non en vue
d’une basse délation. D’ailleurs la dénonciation du crime est un devoir. (…) Si
nous ne voulons pas laisser périr dans une mer de sang notre civilisation
chrétienne et les bienfaits qui en dérivent, il faut écouter la voix du Grand
Pape ; il faut faire connaître les faux principes maçonniques, qui ne sont
qu’une façade trompeuse. Il faut dénoncer toutes les abominations qui se
passent au nom de ce que, par dérision, on appelle « le progrès » est
qui n’est qu’un complot pour le bouleversement général, dont le bolchévisme est
l’aboutissement. Souvenons-nous donc des terribles prophéties judaïques
contenues dans les « Protocoles des sages de Sion »[4].
Nous reviendrons dans notre conclusion sur l’affirmation contenue à la fin de
cette citation. Mais avant, nous allons examiner les différents reproches faits
à la Franc-Maçonnerie par Ouwerx.
Celui-ci, comme la précédente citation le montre déjà,
s’inscrit totalement dans le cadre réactionnaire de l’église catholique[5]
et considère d’abord la Franc-Maçonnerie comme un ennemi mortel : « C’est la première fois, (après le
piétinement de la croix par le Grand Ecossais de Saint-André d’Ecosse) que l’on
parle en clair de s’attaquer à la religion et au christianisme dénommés
fanatisme et superstition. Il fallait pour cela une longue initiation, une
longue discrétion, une longue terreur du châtiment, une longue domestication de
l’esprit »[6].
Le livre d’Ouwerx insiste beaucoup sur le fait qu’il révèle des secrets cachés
en publiant les serments des différents grades notamment. L’occasion pour lui
d’insister sur le côté secret des serments et sur la fidélité qui est promise par
le nouveau membre sans qu’il connaisse les buts réels. Car si les révélations de
l’ouvrage sont certes destinées au grand public, elles le sont aussi et surtout
à de nombreux maçons : « Car
cela prouve que la majorité des francs-maçons sont maintenus dans les bas
grades et, par conséquent, ignorent ce qui se passe dans les grades
supérieurs »[7]
et plus loin d’insister « Nous avons
établi que la majorité des francs-maçons ne sont que des moutons de Panurge,
que la secte maintient dans les bas grades, c’est-à-dire dans l’ignorance des
buts finaux poursuivis par elle »[8].
Ce serait donc les hauts grades qui dirigent réellement : « La franc-maçonnerie belge est dirigée
par deux grands corps régulateurs : le Grand Orient et le Suprême conseil
de Belgique. Le Suprême conseil s’est réservé la direction des 4e au
33e degrés, abandonnant les trois premiers au Grand Orient. Mais
plusieurs « Vénérables » de loges symboliques (c’est-à-dire dépendant
du Grand Orient) ont eu pour secrétaires des membres des hauts grades du
Suprême conseil (…) De sorte que le secrétaire de la loge était en réalité le
supérieur du vénérable ! »[9].
Et ce serait dans ces mêmes hauts-grades que seraient gardés les vrais buts de
la Maçonnerie par une petite minorité. D’autant que la présence en loge est
faible allant de 1 sur 7 à 1 sur 5 qui participerait réellement. Une présence
qui a de plus diminuée de 10.000 à 5000 membres depuis le début des années 30 « On voit donc qu’elles ont subi un
décadence. Nous attribuons celle-ci aux divulgations faites des actes de la
secte »[10]
Le complot
judéo-maçonnique contre la civilisation
Loin de l’émancipation et de la liberté, c’est à l’anarchie
que la Maçonnerie mène : «Quand les francs-maçons
parlent de « liberté », nous devons comprendre
« anarchie ». Car ils ne posent aucune limite à la liberté qu’ils
revendiquent… et qu’ils prétendent devoir encore conquérir »[11].
Et de prendre en exemple les mobilisations faites en faveur de Ferrer : « Ferrer ne fut pas un penseur tout
court : ce fut un révolutionnaire dans le sens le plus complet du
mot »[12].
Anarchie politique, mais aussi sociale : « En attendant « l’âge d’or », la Franc-Maçonnerie
s’efforce de dissoudre la cellule sociale de base qu’est la famille »[13]
Si la responsabilité de la guerre civile espagnole[14]
est clairement mise sur le dos des républicains téléguidés par la FM, il en est
de même de la Révolution française[15],
mais aussi des « déficiences militaires de 1914 sont imputables à des
francs-maçons »[16]
Et d’insister mettant la responsabilité sur les pacifistes comme
Lafontaine : « Quant aux conséquences
de l’invasion, rendue possible grâce à l’intransigeance des antimilitaristes,
opposés aux mesures de précautions militaires indispensables, il est bon de les
rappeler : plus de 40.000 morts, un nombre incalculables d’invalides, rien
que pour l’armée. Nos villes saccagées, incendiées, notre industrie détruite.
Notre dette publique passant de 5 à 55 milliards »[17].
Il ne fait d’ailleurs aucun doute pour l’auteur que « La guerre de 1914 éclata à la suite
de l’attentat de Sarajevo. Or le meurtrier Princip était juif ; une
conjuration judéo-maçonnique en avait fait son exécutant. »[18]
Conjuration judéo-maçonnique, le terme fondamental est lâché qui permet de tout
expliquer : « Nous établirons
que le sens maçonnique de la « liberté » est celui de les laisser
libres d’exécuter leurs complots pour établir la république mondiale, sous la
domination juive »[19].
En effet « Il y a identité
absolue de vues entre les juifs et les francs-maçons quant à l’idéal
poursuivi »[20].
Et de prendre un exemple qu’il veut éloquent et démonstratif : « La judéo-maçonnerie est bien
représentée à la tête des institutions de prévoyance sociale, puisque la
direction de l’Office du placement et du chômage belge fut confiée au juif
franc-maçon Max Gottschalk. Or, jamais le chômage n’a été plus lourd pour nos
finances, ni plus inquiétant pour la sécurité de l’état. Car, parallèlement, le
F Max Gottschalk est président du comité d’accueil des juifs réfugiés en
Belgique ! Et comme, d’après la loi maçonnique, il faut d’abord aidé les
TT CC FF, les goyim s’installent dans un chômage sans fin, formant ainsi une
armée de mécontents, terrain propice aux mouvements
révolutionnaires ! »[21].
Le Plan du travail est vu dans ce cadre comme une soviétisation de l’économie
belge avec « tentacules de l’étatisation
(qui) se resserrent »[22]
Toute la thèse centrale du livre est que « Toute l’histoire de la
franc-maçonnerie n’est qu’une immense piperie de mots et une duperie infâme, à
la faveur de laquelle se poursuit la désagrégation de l’ordre établi. En bref,
la franc-maçonnerie constitue un complot contre la sureté de l’état »[23].
Un complot qui n’a qu’un seul but, la domination du cosmopolitisme, la
domination des Juifs : « Ce qui
frappe le plus dans cet article, c’est qu’il cadre totalement avec les idées
développées dans les Protocoles des Sages de Sion : à savoir que
« liberté » veut dire, « ce que la loi (juive) permet ».
Or, quand les juifs, fondateurs des loges, seront les maîtres, la liberté ne
sera plus qu’un souvenir ! Voyez la Russie ! »[24].
Le sérieux des affirmations de ce livre, qui comme nous l’avons souligné en
commençant n’a pas été sans conséquences concrètes, doit se lire à
l’affirmation qui veut que le Protocole
des sages de Sion soit un livre de référence, ce que nous avions démonté
dans une de nos premières chroniques[25].
[1]
Voir Defosse, Pol (sous la direction de), Dictionnaire
historique de la laïcité en Belgique, Bruxelles, Luc Pire – Fondation
rationaliste, 2005, pp.190-192. Voir également Gotovitch, José, Franc-maçonnerie, guerre et paix in Les internationales et le problème de la
guerre au xxe siècle. Acte du colloque de Rome 22-24 novembre 1984, Rome,
école Française de Rome, 1987, p.103 et Lanneau, Catherine, L’idole brisée : la droite belge
francophone et la crise morale de la France (1934-1938) in RBHC, vol XXXIII, 2003, 1-2, p.195
[2] Docteur
Paul Ouwerx, Tirlement, Chez Les
précurseurs du communisme. La
Franc-Maçonnerie peinte par elle-même, l’auteur, 1940, 222 p
[3]
P.106.
[4] P.91
[5]
Sur cette tendance voir notamment La spiritualité au
cœur de la doctrine in AM n°61 de juillet-août-septembre 2012 et La
Loi du décalogue in AM n°64 d’avril-mai-juin 2013,
[6]
P.28
[7] P.30
[8] P.87
[9] P.19
[10]
P.60
[11] P.54
[12] P.37
[13] P.86
[14]
Sur celle-ci voir L’idéologie derrière la carte postale in AM
n°62 d’octobre-novembre-décembre 2012
[16]
P71
[17] P.72
[18]
P.65
[19]
P.35. Sur l’antisémitisme, voir principalement L’antisémitisme est-il une futilité ? in AM
n°26 d’octobre-novembre-décembre 2003, Un populisme du 19e
siècle in AM n°29 de
juillet-août-septembre 2004, et Antisémitisme
et anticommunisme. Les deux mamelles de l’extrême droite in AM n°63 de janvier-février-mars 2013
[20]
P.85
[21]
Pp.82-83
[22]
P.77. Sur l’anticommunisme, voir notamment L’anticommunisme d’un transfuge in AM
n°59 de janvier-février-mars 2012,
[23]
P.81
[24]
P.33
[25] Un échec voué au succès. Les protocoles
des sages de Sion in AM n°18 de juillet-août-septembre 2001.
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