Cet article a été publié dans le n°74 d'octobre-décembre 2015 de la Revue Aide-Mémoire, p.11
La question des réfugiés et son
traitement sur les réseaux sociaux a permis à des non-spécialistes de découvrir
que l’extrême droite possédait des sites d’informations professionnels pour
diffuser sa vision de la société. Comme tous ce qui concerne ce courant
politique, il n’y a là rien de nouveau[1]
comme nous allons le voir avec cette chronique qui prolonge les articles
publiés sur l’Espagne républicaine dans le précédent numéro.
Un journaliste « national »
Se définir comme
« national » n’est pas non plus une nouveauté. C’est comme « journaliste
national » qui ne fait que relater les faits tel qu’il les a vu que Pierre
Héricourt se présente dans son ouvrage Pourquoi
Franco a vaincu[2],
préfacé par le dictateur Espagnol. Au-delà du contenu du livre, le parcours
personnel de l’auteur montre toute sa neutralité. Héricourt (1895-1965) a été
non seulement journaliste et écrivain, soldat de la première guerre mondiale,
mais surtout- pour le sujet qui nous occupe, membre actif de l’Action Française
et consul général de France à Barcelone sous le gouvernement de Vichy. À la fin
de la guerre il reste d’ailleurs en Espagne d’où il dirige le « Secours
national français », une organisation qu’il a fondée et qui est destinée à
aider les exilés vichystes, notamment les membres de la Milice, qui ont fui la
France pour échapper à la répression qui frappent les collaborateurs[3].
Héricourt y est protégé au vu de son ralliement précoce au franquisme[4] :
« J’étais certain du succès
des armées nationales commandées par cet homme prodigieux qu’est Franco –
alliant la jeunesse souriante à la science militaire, à la réflexion et à
l’audace – du jour où j’ai été amené à voir par moi-même le climat moral et
l’organisation matérielle d’un mouvement qui n’avait rien d’une aventure de
prétoriens, mais qui avait au contraire jailli, je le sentais bien, du plus
profond de l’âme espagnole, comme la révolte de tout un peuple qui ne veut pas
mourir »[5]
déclare dès les premières pages Herricourt qui n’hésitera pas à prendre la
parole à la radio franquiste notamment pour y déclarer : « Comme l’a très
bien dit l’autre semaine et très bien prouvé André tardieu, après Charles
Maurras, la majorité légale, issue chez nous des élections Front populaire, est
la minorité réelle. (…) Croyez-moi, Espagnols qui m’entendez, les Français ne
sont pas plus responsables de leur Front populaire que vous ne l’étiez du
vôtre. Vous pouvez être certains que la majorité d’entre eux est résolument
contre la barbarie, pour la civilisation. »[6].
Franco sera reconnaissant, lui qui signe la préface de l’ouvrage et encense son
auteur : « Grâce à Dieu ! Grâce aux vaillantes troupes de l’Espagne
nationale, Tercio, Regulares, Navarrais, Volontaires, Carlistes, Phalangistes…
qui ont rivalisé d’héroïsme, nous avons délivré la Patrie des hordes
moscoutaires qui prétendaient l’asservir. A l’heure de la libération
définitive, je n’oublie pas que vous avez été le premier journaliste français à
annoncer sans hésitation le triomphe de notre cause qui n’était pas seulement
celle de l’Espagne, vous l’aviez immédiatement compris, mais aussi celle de
l’Europe civilisée »[7]
Les bons et les mauvais
L’ouvrage de Pierre Héricourt est
un long reportage[8] du
côté des troupes franquistes commencé en Afrique du Nord et qui passe par la
ligne de front. L’auteur s’y attache à montrer la vaillance des troupes de
Franco comme dans cet extrait concernant la marine : « Autour de Franco,
l’élite de la marine espagnole a donné au monde un exemple vivant de ce que
peuvent faire des hommes disciplinés, courageux, volontaires, même avec peu de
moyens en face d’un adversaire supérieur en forces et en ressources »[9]
mais aussi le fait que les troupes républicaines seraient mieux équipées,
multipliant les exemples sur plusieurs pages du matériel récupéré et réutilisé,
dénonçant au passage la provenance de celui-ci qui prouve l’implication de pays
comme la France ou le fait que sans l’arrivée massive des « staliniens »
Madrid serait tombée. Par contre il nie une aide massive de l’Allemagne et de
l’Italie, la réduisant à quelques conseillers militaires ou à des volontaires
italiens des chemises noires, y compris au niveau de l’aviation. Et si
l’héroïsme des défenseurs de l’Alcazar[10]
est développé, aucune mention n’est faite de Guernica. Plus largement l’auteur
s’attache à montrer combien les zones « libérées » sont calmes et que
la vie s’y déroule normalement. A l’inverse il multiplie les témoignages sur
les exactions des « rouges » comme lorsqu’il rapporte le témoignage
d’une mère et de sa fille rencontrée au Maroc espagnol : « Ce qui a été
raconté dans les journaux, par vos confrères, est très au-dessous de la
réalité. Les anarchistes et les communistes de Malaga ont inventé des supplices
auprès desquels l’assassinat à coup de revolver, même sans motif, était un
bienfait des Dieux »[11].
Outre qu’à certains moments,
l’auteur n’est pas exempt de contradiction, comme dans cet extrait : « On
venait simplement d’apprendre que des indigènes se massaient en grand nombre,
alertés sans doute par les Allemands qui circulaient depuis longtemps à Tanger,
pour fêter l’arrivée du cuirassé « anti-juifs ». Ils n’attendaient plus que les
coups de canon pour s’élancer au pillage des échoppes israélites… en signe de
joie ! En Tunisie, en Algérie, au Maroc même on fera bien, encore maintenant,
de prendre garde à cet état d’esprit qui pourrait dépasser les proportions d’un
mouvement antisémite »[12],
il dit aussi très clairement que loin d’être un événement subi, le coup d’état
de Franco s’appuie sur un mouvement réactionnaire plus ancien, comme lorsqu’il
rencontre un général qu’il décrit comme : « (…un) de ceux qui ne font pas
la guerre seulement depuis le 18 juillet 1936, mais depuis la chute de la
monarchie, c’est-à-dire depuis le mois d’avril 1931. Avec quelques-uns de ses
amis de l’armée, il a été parmi les premiers adhérents de l’UME « l’Union
Militaire Espagnole », association des officiers de tous grades qui savaient
que leur pays allait sombrer peu à peu dans l’anarchie (…) »[13]
Héricourt en parle car ce groupe revendique sa filiation avec des idées
d’auteur français « (…) c’est chez vous, chez Maurras et chez Bainville, que
nous avons retrouvé une doctrine solide. Ce sont les ouvrages de vos maîtres qui
ont opéré le regroupement des esprits, grâce aux traductions faites par nos
amis de la Accion española, grâce au vaillant Calvo Sotelo en particulier »[14]
L’Espagne nouvelle
Aux détours de ces rencontres,
l’auteur vante évidemment les mérites d’une Espagne qui renaît, tout l’inverse
de la France qui s’enfonce. Dans cette Espagne, la place du Caudillo n’est pas
contestée : « Nous sommes tous convaincus que nous ne pourrons réparer le
mal, et les ruines, réconcilier nos compatriotes dans leurs villes, dans leurs
provinces, dans leurs métiers que grâce à un régime corporatif et décentralisé
(…) Inspiré très certainement de ce qui n’a pas si mal réussi à l’Italie pour
la délivrer, elle aussi, du communisme. Mais pour la période transitoire
indispensable nous faisons tous confiance à Franco et aux chefs de l’armée
nationale »[15]
Cette place incontestable du chef, se double d’une disparition des partis
politiques : « Notre état sera un instrument totalitaire au service
de l’intégrité de la patrie. Tous les Espagnols participeront à l’Etat, au
moyen de leurs fonctions familiales, municipales et syndicales. Nul n’y participera au moyen des partis
politiques. On abolira implacablement le système des partis politiques avec
toutes ses conséquences »[16] et de l’instauration du corporatisme, vu
comme la troisième voie entre le capitalisme et le communisme : « Nous
organiserons corporativement la société espagnole au moyen d’un système de syndicats verticaux établis par
branches de production au service de l’intégrité économique nationale. Nous
répudions le système capitaliste (…) qui déshumanise la propriété privée et
agglomère les travailleurs en masses informes promises à la misère et au
désespoir. Notre sens spirituel et national répudie aussi violemment le
marxisme. »[17].
C’est une Espagne unitaire, interdisant toute tentative de séparatisme
régional, et qui veut redevenir le
« chef spirituel du monde hispanique »[18].
Pour réaliser cela, « Tous les hommes recevront une éducation prémilitaire qui
les préparera à l’honneur d’être incorporé à l’armée nationale et populaire de
l’Espagne ».[19]
De plus l’organisation des femmes sera vigilante à la jeunesse : « Tout
notre travail tend à exalter la famille, à rendre le foyer plus confortable,
plus accueillant, plus gai. Les marxistes tentent d’arracher au cerveau des
enfants l’idée de Dieu, à leur cœur les sentiments d’amour et de respect envers
leurs parents. Nous nous efforçons de développer chez les petits que nous
pouvons toucher un sentiment de la religion et de la famille, qui garantisse
une vie faite pour contribuer à la paix de l’avenir »[20]
Une lutte pour la civilisation aux thèmes connus
Comme on le voit avec ces
derniers extraits, l’Espagne nouvelle telle qu’elle est décrite par Héricourt,
reprend les thèmes connus de la société fasciste. En ce compris la volonté de
lutter contre « les forces occultes de la Révolution » car « Franco savait fort bien que son pays avait
été empoisonné pendant de longues décades par l’esprit du stupide XIXe siècle.
C’est pourquoi les problèmes touchant la culture et spécialement ceux de
l’enseignement à ses divers degrés ont été, dès le début du mouvement
libérateur, une de ses grandes préoccupations »[21].
C’est donc clairement une lutte à mort qui est faite contre les marxistes, lutte
initiée par un petit nombre qui osera entrer en résistance et subir la
répression : « (…) José-Antonio Primo de Rivera est le digne fils de
son père. Il a su grouper en moins de trois ans toute cette jeunesse des
« phalanges » que vous avez vue à l’œuvre. Il a su déclencher, quand
il le fallait, la contre-attaque partout où les marxistes se prétendaient les
maîtres de la rue. (…) et cependant elles avaient été persécutées, si je puis
dire, comme vos ligues nationales en France »[22].
Un antimarxisme teinté d’antisémistisme qui expliquerait le ralliement des
forces marocaines comme le témoigne à l’auteur l’un de ses soldats : «
Nous savons parfaitement que le communisme est le contraire de la doctrine
islamique et qu’ils ne peuvent pas cohabiter. Le communisme tuerait l’Islam,
comme il tente de tuer toutes les autres religions. Quand les gens de Madrid ou
de Barcelone viennent nous parler de Mahomet, ils nous font rire ! Et puis il y
a, d’autre part, voyez-vous, quelque chose que le plus humble des fellahs a
depuis longtemps compris : c’est que tous les Juifs d’Europe et d’Espagne sont
du côté du gouvernement de Madrid et que Franco fait la guerre aux Juifs… donc
notre guerre »[23].
L’antimaçonnisme vient évidemment compléter le triptyque traditionnel de l’extrême
droite[24] :
« Il y a une « Fédération internationale des journalistes » qui aurait dû
mettre bon ordre rapidement à ces mensonges (…) mais cette fédération a son
siège administratif à Paris, elle est liée à toute la franc-maçonnerie
franco-britannique et à toute la juiverie allemande expulsée par Hitler »[25].
Le tout mâtiné de l’habituel catastrophisme autour de la situation de son
propre pays la France : « Sonnez, cloches d’Espagne, en l’honneur de ceux
qui dirigeront demain, dans le soleil et la gloire, la destinée d’un magnifique
empire rénové (…) Sonnez ! sonnez encore ! cependant que je ne puis me défendre
de regarder plus près de moi avec tristesse, et de songer qu’il est atroce pour
un peuple de sentir sa puissance se rétrécir, tandis que de jeunes forces se
développent si vigoureusement autour de lui ! »[26].
Une France dont la cause du déclin est connue : « La France, à laquelle la
loi du Nombre venait de donner un gouvernement juif de front populaire était la
première promise au bûcher »[27].
Nous n’avions pas encore abordé
dans cette chronique le journalisme « d’investigation », mais pouvons
constater que si la forme change[28],
même fonds reste le même, preuve une fois de plus que le monde d’extrême droite
est un tout structuré.
[1]
Voir aussi la projection du film Le
journal d’Augustin à la Cité Miroir le 8 septembre dans le cadre de la
soirée « Chili 1975, la désinformation en acte »
[2]
Hericourt, Pierre, Pourquoi Franco a
vaincu. Préface du Général Franco, Paris, édition Baudinière, 1939, 317 p.
[3]
Voir Le « résistantialisme », un
équivalent au négationnisme in AM n°44
d’avril-juin 2008
[4] Voir
Dulphy, Anne, Les exilés français en
Espagne depuis la seconde guerre mondiale : des vaincus de la Libération aux
combattants d’Algérie française 1944-1970 in Matériaux pour l’histoire de notre temps, n°67, 2002, pp.96-101.
Sur les exilés voir aussi La préparation
de la reconquête idéologique in AM n°42
d’octobre-décembre 2007
[5] P.20
[6] P.126.
Sur Maurras, voir De l’inégalité à la monarchie in AM n°33 de juillet-septembre 2005
[7] P.7
[8] Voir
aussi L’idéologie derrière la carte
postale in AM n°62 d’octobre-décembre
2012
[9] P215
[10] La
défense des cadets de l’Alcazar est un épisode élevé au rang de mythe par les
nationalistes et qui sera l’objet de nombreux récits, comme par exemple….
[11] P.39
[12] P.35
[13] P.166
[14] P.105
[15] P.80
[16] P.96
[17] P.97
[18] P.94
[19] P.101
[20] Pp.301-302
[21] P.306
[22] P.79.
Sur ces ligues voir La cohérence d’un
engagement in AM n°40
d’avril-mai-juin 2007 et Travail –
Famille – Patrie in AM n°49 de
juillet-août-septembre 2009
[23] P.55
[24] Sur ce triptyque voir Antisémitisme et anticommunisme. Les deux
mamelles de l’extrême droite in Am n°63
de janvier-mars 2013, Le temps de la
délation in Am n°72 d’avril-juin
2015,
[25] P.202
[26] P.317
[27] P.17
[28] Sur
les différentes formes déjà analysée voir Le livre : une arme idéologique n°70 d’octobre-novembre-décembre
2014,
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire