Cet article est paru dans le n°78 d'octobre-décembre 2016 d'Aide-Mémoire
La chronique de ce numéro va se pencher sur un penseur et
théoricien central de l’idéologie d’extrême droite contemporaine. Un auteur non
seulement prolifique, mais aussi original qui a renouvelé une partie du corpus doctrinaire
sur base d’une grande culture et dont nous avions déjà fait mention à plusieurs
reprises[1].
Le théoricien de la
Nouvelle Droite
Alain de Benoist est né en décembre 1943 à Saint-Symphorien.
Dès l’âge de 17 ans il s’engage dans les mouvances de l’extrême droite en
écrivant dans un mensuel dirigé par Henri Coston. En 1961 il adhère à la
Fédération des Étudiants Nationalistes (FEN) puis entre en contact avec Europe-Action de Dominique Venner. Il
défend alors l’Algérie française[2],
l’OAS[3]
et l’Apartheid en Afrique du Sud. Fin des années 60 il fonde le GRECE[4]
et multiplie les articles et ouvrages dont le premier reste le plus connu Vu de droite. Anthologie critique des idées
contemporaines. Toujours actif aujourd’hui, Alain De Benoist réfute
l’étiquette d’extrême droite. On le retrouve cependant à partir de 2014 comme
animateur d’une émission « les idées à l’endroit », soit le même
titre que le livre analysé dans la présente chronique, sur TV Libertés. Une
web-tv « de tendance nationale » née dans la mouvance des
manifestations contre le mariage pour tous et qui est en quelque sorte
l’aboutissement des idées de la Nouvelle Droite, notamment la reconquête du
champs culturel.
Le livre que nous analysons ici est publié en 1979 avec un
avertissement intéressant : « Les éditions Libres-Hallier ne
soutiennent évidemment pas les idées de la Nouvelle Droite, dont l’un des
hérauts, Alain de Benoist, s’exprime ici. Les éditions libres-Hallier sont
d’abord libres. Un débat est ouvert. Il serait suicidaire pour la gauche –
ancienne ou nouvelle – de ne pas l’affronter en connaissance de cause. C’est la
raison de la publication de ce livre »[5].
Comme l’auteur le rappelle dans son introduction, c’est en juin-juillet 1979
que les médias se sont intéressés au mouvement de la Nouvelle Droite.
La centralité du
combat des idées[6]
De Benoist dans son introduction à cette compilation de ses
articles écrits durant les années 70 souligne que la ND est composé de gens qui
avaient une vingtaine d’année en 1968 et qui ne se reconnaissaient ni dans la
droite traditionnaliste[7],
ni chez les réactionnaires xénophobes. « La Nouvelle Droite – ensemble
informel d’associations culturelles, de clubs de réflexion, de revues
théoriques et de journaux – a beau être « nouvelle », elle n’est
quand même pas née de la dernière pluie (….) Or, la Nouvelle Droite ne se situe
pas sur le terrain politique, mais sur le terrain
culturel. D’entrée de jeu, elle s’est fixée pour objectif de mettre fin au
monopole culturel dont bénéficiait jusque-là l’idéologie dominante. Il est
clair que cet objectif ne pouvait pas lui valoir la moindre sympathie de la
part de cette idéologie dominante – qui est l’intelligentsia égalitaire sous
ses multiples formes. »[8].
C’est donc le combat idéologique qui est au cœur de ce mouvement, où l’on
retrouve le GRECE, et non le combat électoral. C’est le champ culturel que de
Benoist veut reconquérir à l’extrême gauche qui y a réussi une véritable OPA
sur un terrain totalement abandonné par la Droite. Celle-ci ne joue plus que dans
le court terme soit dans une version parlementaire[9],
soit dans une version groupusculaire[10],
deux facettes d’une même médaille inefficace. Car « Sans théorie précise, pas
d’action efficace, on ne peut pas faire l’économie d’une Idée. Et surtout on ne
peut pas mettre la charrue avant les bœufs. Toutes les grandes révolutions de
l’histoire n’ont fait que transposer dans les faits une évolution déjà
réalisée, de façon sous-jacente, dans les esprits. (…) La droite française est
« léniniste » - sans avoir lu Lénine. Elle n’a pas saisi l’importance de
Gramsci. »[11].
Gramsci, qui avec Nietzsche sur d’autres aspects, est le penseur le plus
souvent cité par de Benoist.
L’inégalité au cœur
de la doctrine[12]
Gagner la bataille des idées nécessite de s’attaquer à la
racine du mal que l’on dénonce et de repréciser qui l’on est : « J’appelle
ici de droite, par pure convention, l’attitude consistant à considérer la
diversité du monde et, par suite, les inégalités relatives qui en sont
nécessairement le produit, comme un bien, et l’homogénéisation progressive du
monde, prônée et réalisée par le discours bimillénaire de l’idéologie
égalitaire, comme un mal. J’appelle de droite les doctrines qui considèrent que
les inégalités relatives de l’existence induisent des rapports de force, dont
le devenir historique est le produit (…). C’est dire qu’à mes yeux, l’ennemi
n’est pas « la gauche » ou « le communisme », mais bel et bien cette idéologie
égalitaire dont les formations religieuses ou laïques, métaphysiques ou
prétendument « scientifique » n’ont cessé de fleurir depuis deux mille ans,
dont les « idées de 1789 » n’ont été qu’une étape, et dont la subversion
actuelle et le communisme sont l’inévitable aboutissement. »[13].
Le projet de société porté par de Benoist est donc un projet fondamentalement
inégalitaire où il est justifié qu’il existe une élite, une
aristocratie : « L’aristocratie
est la classe qui se donne le plus de
droits parce qu’elle s’impose aussi le
plus de devoirs. La grande vertu de l’aristocrate, pourrait-on dire, c’est
qu’il prend « tout sur lui ». Il se sent concerné par tout, en même temps qu’il sait qu’il n’y a au-dessus
de lui personne d’autre, sur qui il puisse se décharger de ses
responsabilités »[14].
Cette inégalité s’exprime partout et tout le temps et est parfois appelée
également diversité : « Ces différentes cultures, nées au sein d’ensembles
humains variés, nourries d’expériences et de valeurs variées, expriment des
vues-du-monde elles-mêmes variées (…). La pluralité des cultures constitue la
richesse de l’humanité »
Un racisme repensé
On touche ici à l’apport majeur de de Benoist au discours de
l’extrême droite actuelle. Il réfute catégoriquement tout racisme et rejette la
xénophobie qui est négative, contre. À l’inverse, il prône une doctrine positive,
du pour. Mais d’un pour une diversité qui ne se mélange pas : « Les mêmes
qui nous expliquent, non sans raison, qu’en brisant les habitudes mentales, les
structures sociales et traditionnelles des pays du Tiers-Monde, la colonisation
les a souvent stérilisés, se font en Europe les adeptes de la pire néophilie,
sacrifient tous les jours au mythe du « progrès » et invitent nos contemporains
à rompre avec les « vieilleries » du passé.
D’un côté, on nous dit que les Indiens et les Esquimaux ne peuvent pas
résister à l’agression que représente le contact avec la civilisation
occidentale. De l’autre on affirme que le mélange des peuples et des cultures
est, pour les Européens, chose excellente et facteur de progrès. Il faudrait
donc savoir s’il y a deux poids et deux mesures (…) Réaffirmons donc le droit
des peuples à eux-mêmes, le droit qu’ont tous les peuples à tenter d’atteindre
leur plénitude, contre tout universalisme et contre tous les racismes »[15].
La critique du racisme et de la xénophobie se mue ainsi en une critique de
l’immigration et du métissage qui s’habille de progressisme et de
tolérance : « C’est ici que vient s’articuler une conception positive de
la tolérance, qui n’est pas une « permissivité » sans substance, mais
simplement la reconnaissance et le désir de voir se perpétuer la diversité du
monde. Cette diversité est une bonne
chose. Toute richesse véritable repose sur la diversité. La diversité du monde
tient dans le fait que chaque peuple, chaque culture a ses normes propres –
chaque culture constituant une structure autosuffisante, c’est-à-dire un
ensemble dont on ne peut modifier l’agencement en quelque point sans que cette
modification se répercute dans toutes les parties. »[16].
De même, il refuse une forme de hiérarchisation : « En ce sens,
globalement parlant, toute appartenance raciale est un avantage par rapport aux
valeurs propres à la race à laquelle on appartient : ici, le sociologue et
l’anthropologue se donnent la main. On peut donc dire que chaque race est
supérieure aux autres dans la mise en œuvre des réalisations qui lui sont
propres. Parler de « race supérieur » dans l’absolu (…) n’a strictement aucun
sens »[17].
Dans le même ordre d’idée, il plaide pour un régionalisme qui s’ancre dans les
traditions mais qui n’est pas pour autant un repli sur soi.
Ni de droite, ni de
gauche : d’extrême droite[18]
De cette volonté de diversité basée sur le socle de
l’inégalité, découle également une critique virulente et forte du discours de
l’école de Chicago et de l’économie qui domine le politique : « Concrètement,
le retour au capitalisme épanoui que proposent les « nouveaux
économistes » aboutirait à la transformation de la planète en un immense marché – un marché de plus en plus
homogène, d’où les différences collectives seraient progressivement bannies.
C’en serait fait alors des indépendances nationales et des autonomies de
décision, politiques en particulier, puisqu’il n’y a plus de décision possible
lorsque le décideur a perdu sa souveraineté. L’interdépendance économique
totale apparaît à cet égard comme le parfait corollaire de
l’internationalisme »[19].
De Benoist renvoie ainsi dos à dos capitalisme et communisme : «
Libéralisme et marxisme sont nés comme les deux pôles opposés d’un même système
de valeurs économiques. L’un défend l’ « exploiteur », l’autre défend l’ «
exploité » - mais dans les deux cas, on ne sort pas de l’aliénation économique.
»[20].
La troisième voie qu’il appelle de ses vœux, qu’il se
destine à construire est une voie conservatrice : « J’appelle
réactionnaire l’attitude qui consiste à chercher à restituer une époque ou un
état antérieur. J’appelle conservateur l’attitude qui consiste à s’appuyer,
dans la somme de tout ce qui est advenu, sur le meilleur de ce qui a précédé la
situation présente, pour aboutir à une situation nouvelle. C’est dire qu’à mes
yeux, tout vrai conservatisme est révolutionnaire. Entre le ghetto néo-fasciste
(ou intégriste) et le marais libéral, je crois à la possibilité d’une telle doctrine.
»[21].
Cette troisième voie se doit de toujours être renouvelée, est tournée vers
l’avenir « Une tradition qui n’est pas sans cesse (ré)actualisée est une
tradition morte et qui a mérité de mourir. Il ne s’agit donc pas de restaurer
ce qui est d’hier, mais de donner une forme nouvelle à ce qui est de toujours.
Il ne s’agit pas de retourner au passé, mais de se rattacher à lui. Imiter ceux
qui ont fondé et transmis une tradition, ce n’est pas seulement retransmettre,
c’est fonder à son tour. »[22].
Mais l’on retrouve des thèmes déjà rencontré, comme la critique du
christianisme vu comme oriental et uniformisateur face à un paganisme européen
qui permettait la diversité[23].
On retrouve donc ici aussi cette notion au cœur de la réflexion. Tout comme le
fait que rien n’est fixé à l’avance, qu’il y a un dynamisme de l’action : :
« Seules les situations nettes ont des effets tranchés. Les autres vivotent par
demi-teintes, en compromis. Le paganisme a souffert d’avoir été affronté, il
est mort d’avoir été assimilé. L’évangélisation l’aurait affaibli, le
syncrétisme l’a tué. (…) D’aucuns, à l’heure actuelle, misent sur une
apocalypse. Ils oublient que le déclin n’est pas un fléau qui s’abat, mais un
cancer qui ronge menu. Vieille histoire du lion dévoré par les poux. »[24]
Alain de Benoist est donc un auteur un peu à part dans la
galaxie de l’extrême droite à laquelle il appartient néanmoins bien comme le
prouve tant son parcours que l’essentiel de ses écrits. Un rappel qui nous
semble important à une époque où son projet politique de conquérir le champ des
idées a, si pas réussi totalement, du moins pollué largement le discours
politique, jusqu’à s’insinuer à gauche.
[1]
Notamment dans Nouveau FN, vieille
idéologie in AM n°43 de
janvier-mars 2008
[2]
Voir La pensée « contrerévolutionnaire »
in AM n°36 d’avril-juin 2006
[3]
Voir Quand la résistance et le droit
d’insurrection sont-ils justifiés ? in AM
n°55 de janvier-février-mars 2011
[4]
Voir L’inégalité comme étoile polaire de
l’extrême droite in AM n°66
d’octobre-décembre 2013
[5]
P.10
[6]
Voir aussi La préparation de la
reconquête idéologique in AM n°42
d’octobre-décembre 2007
[7]
Voir La Loi du décalogue in AM n°64 d’avril-juin 2013 et
[8]
P.14
[9]
Voir La cohérence d’un engagement in AM n°40 d’avril-juin 2007 et Retour sur le discours du fondateur de la
dynastie Le Pen in AM n°56
d’avril-juin 2011
[10]
Voir Plongée chez les radicaux de
l’extrême droite in AM n°76
d’avril-juin 2016
[11]
P.62
[12]
Voir également De l’inégalité à la
monarchie in AM n°33 de
juillet-septembre 2005 et L’inégalité
comme étoile polaire de l’extrême droite in AM n°66 d’octobre-décembre 2013
[13]
P.58
[14]
P.127
[15]
P.156
[16]
P.39
[17]
P.147
[18]
Pour reprendre un titre d’une de nos précédente chronique Un vrai fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite in
AM n°31 de janvier-mars 2005.
[19] P.210
[20] P.84
[21] P.75
[22] P.121
[23]
Voir La tendance païenne de l’extrême
droite in AM n°38 d’octobre-décembre
2006
[24] P.140
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