Depuis la publication de cet article, Yvan Blot, l'auteur ici analysé, a fait à nouveau parlé de lui comme vice président des Volontaires Pour la France (VPF), un groupuscule d'ultra-droite recrutant des militaires et des membres des forces de l'ordre dans une logique de potentielle lutte armée (voir article de médiapart)
Cet article a été publié dans la revue Aide-Mémoire n°84 d'avril-juin 2018, p.11
Au-delà du danger représenté par les partis d’extrême
droite, il apparait que la lutte contre les idées d’extrême droite est encore
plus importante. C’est l’objet depuis 2001 de cette chronique. Dans ce numéro
nous allons analyser un livre qui illustre combien les idées d’extrême droite
s’infiltrent dans celui d’une partie de la droite. Et qu’il s’agit d’une
stratégie réfléchie et délibérée pensée il y a une quarantaine d’années et dont
les résultats se font très nettement sentir aujourd’hui.
Le club de l’Horloge
au cœur d’un parcours très à droite
Le livre qui sera au centre de cette chronique est le
premier ouvrage que signe seul Yvan Blot, né en 1948. Le quatrième de
couverture nous apprend qu’il est alors depuis 1980 au comité central du RPR et
président du club de l’Horloge. Ce club, il l’a cofondé en 1974 quand il quitte
le GRECE[1]
dont le paganisme[2] et
la personnalité d’Alain de Benoist[3]
lui déplaise mais dont il avait été une importante cheville ouvrière depuis le
début des années 70, notamment sous le pseudonyme de Michel Norey. Pendant
trente ans, le club de l’horloge va jouer un rôle important de liaison entre la
droite du RPR et le FN[4]
et la galaxie identitaires. Le parcours personnel de son fondateur est ici très
illustratif. Sorti de l’ENA, Blot fait une carrière de cadre politique au sein
du RPR avant d’être élu à Calais au niveau local puis national. Au milieu des
années 80, il participe à la rédaction de texte sur l’immigration dans une
vision dure incarnée par Charles Pasqua. Échouant dans sa ligne d’alliance
politique entre la droite et le FN, il rejoint ce dernier en 1989 et en devient
la même année député européen. Début des années 90, il s’installe politiquement
en Alsace. Il participe brièvement à la dissidence mégretiste du MNR avant au
début des années 2000 de faire un retour à droite au sein de l’UMP où il reste
une dizaine d’années. Depuis 2011, Yvan Blot est revenu ouvertement dans le
champs de l’extrême droite en rejoignant le parti souverainiste Rassemblement
pour l'Indépendance et la souveraineté de la France (RIF) tout en participant à
des structures pro-russe et à des médias d’extrême droite.
Un combat idéologique
passant par l’importance des mots
Comme nous venons de le voir, Yvan Blot est passé par des
structures qui ont fait du combat d’idées leur principal objectif. De manière
significative son livre commence d’ailleurs par un chapitre sur « langage
et politique » où il insiste sur le fait d’utiliser son vocabulaire, ses
termes… « C’est d’ailleurs le mérite du fondateur de ce qu’on appelle la «
nouvelle droite » en France, M. Alain de Benoist, que d’avoir mis l’accent sur
l’importance du pouvoir culturel à côté du pouvoir politique »[5]
Rejetant la stratégie du compromis ou celle de l’affrontement frontal, Blot
plaide pour : « le troisième type de stratégie, dite « stratégie haute »
consiste à mettre l’adversaire en position défensive, en se battant pour des
valeurs qui sont admises par tous les Français, et en montrant que l’adversaire
trahit ces valeurs. C’est une stratégie de contournement, qui ne concerne que
secondairement l’adversaire mais qui s’adresse à l’ensemble du peuple. Elle
demande du caractère pour ne pas trop se faire influencer par les préjugés de «
l’élite » et de l’intelligence car il faut concevoir un discours innovateur
au-delà de celui de l’adversaire »[6].
Cette tactique passe par un gros travail sémantique qu’il est intéressant de
lire aujourd’hui car il utilise des tournures et un vocabulaire que l’on
retrouve notamment sur les réseaux sociaux : « Le paradoxe de notre époque
est que l’on critique la nécessité des élites au nom de l’égalitarisme tout en
prétendant conforter les pouvoirs élitistes des féodalités contre le peuple
lui-même. C’est en cela que l’idéologie égalitariste est anti-démocratique, car
elle suppose un dirigisme social implacable pour organiser le nivellement »[7].
Cette critique des élites, dans un style populiste, est devenue aujourd’hui
courante. Tout comme le fait de provenir d’une personne qui fait partie de
cette même élite, Blot étant un produit de l’ENA. Mais la pirouette consiste en
une redéfinition des différents acteurs, le peuple étant ici la classe moyenne
des salariés et des entrepreneurs, soit la classe sociale type de l’extrême
droite : « La situation nouvelle est que, pour la première fois depuis de
nombreuses années, une coalition des « élites » responsables et d’une majorité
du peuple se constitue dans la plupart des pays occidentaux développés pour
lutter contre l’étatisme et les excès des « ingénieurs sociaux ». C’est cette
coalition de ce que les anglos-saxons appellent les economic conservatives
(partisans de l’économie de marché) et les social conservatives (défenseurs des
valeurs traditionnelles d’ordre et d’enracinement) que dépend l’avenir de nos
nations occidentales. Ces deux groupes incarnent l’alliance de la tradition et
du progrès face à laquelle se regroupent les forces réactionnaires du dirigisme
socialiste »[8].
Et de compléter : « Comme en 1789, nous nous trouvons à un tournant de
l’histoire. Le peuple n’est pas vraiment maître de son destin dans la «
pseudo-démocratie » qui est la nôtre à bien des égards. C’est pourquoi le monde
politique apparaît relativement défavorisé aux yeux de beaucoup de citoyens. Le
pouvoir politique est très largement influencé par des forces distinctes de
celles du peuple et que nous appelons les « nouveaux féodaux », intelligentsia,
syndicats politisés, technocrates qui fondent leur légitimité non sur le
suffrage universel mais sur une profession de foi idéologique envers
l’égalitarisme. Comme le professeur Hayek le dit avec justesse, ce que certains
appellent leurs convictions démocratiques n’a rien à voir avec le sens originel
de la démocratie : ils entendent par là leurs convictions égalitaristes »[9].
Et de prendre un exemple, lui qui soutient la peine de mort : « Je me
bornerai pour l’instant à citer un cas flagrant d’élitisme d’inspiration
antidémocratique : c’est l’extraordinaire négligence des intellectuels
socialistes et du garde des Sceaux R. Badinter, envers la préoccupation,
profondément enracinée dans le peuple français, de nos concitoyens pour leur sécurité
»[10]
Un discours
antimarxiste ultra-libéral[11]
Hayek est clairement le penseur le plus cité positivement. À
l’inverse la vision de l’homme défendue par Rousseau est régulièrement
critiquée. Et l’adversaire clairement identifié : « Depuis 1945, la ligne
de rupture principale est entre les marxistes et ceux qui ne le sont pas »[12].
L’angle principal d’attaque est celui de l’égalité, qualifié
d’égalitarisme : « Parce que l’égalitarisme favorise le cancer
bureaucratique, il étouffe les libertés. Parce qu’il s’appuie sur le
ressentiment, il détruit la fraternité, parce qu’il paralyse l’initiative, il
affaiblit la nation »[13].
Cet égalitarisme est porté par le socialisme qui freine par ses politiques
le développement naturel des talents de la nation : « Dans les pays occidentaux
rongés par le cancer de la social-démocratie (…) le ralentissement de la
croissance (…) trouve une de ses sources dans l’excessive pression fiscale, la
bureaucratisation, la multiplication des règlements qui entravent la libre
entreprise, les libres initiatives, l’esprit d’innovation »[14].
Ces talents de la Nation ne peuvent émerger que via le mérite : « Mais le
socialisme croit en l’égalité niveleuse (…) la politique socialiste s’oppose
ainsi à la promotion sociale, à l’élévation de chacun par le mérite personnel »[15].
C’est pourquoi : « Les conclusions que je présente ici sont le résultat
d’années de travail au sein du Club de l’Horloge : elles nous ont conduits à
mettre en valeur l’opposition entre les marxistes et les républicains »[16].
C’est sur ces valeurs Républicaines que Blot intègre, à l’inverse d’une bonne
part de l’extrême droite, l’héritage de la Révolution française vue comme le
moment de l’émergence de la Nation. Une Nation qui est centrale mais qui n’est
pas l’Etat qui lui doit être réduit à son minimum afin de laisser le mérite jouer
à plein : « Le problème à l’ordre du jour est à notre avis celui du
recentrage des missions de l’Etat. Il faut moins d’Etat, dans tous les domaines
qui sont liés à la création et au maniement des richesses, matérielles et
spirituelles, c’est notamment le cas de l’économie, mais aussi de l’éducation,
de l’information et de la culture. Il faut plus d’Etat, ou, si l’on préfère,
une plus grande efficacité de l’Etat, dans les domaines de la souveraineté et de
la sécurité ».[17]
Et de plaider pour un enseignement privé.
Heureusement, la soif de liberté héritée des racines
germaniques est encore vivante dans le peuple : « L’égalitarisme comme
valeur suprême est désormais contestée au nom des libertés. La massification
universaliste et étatiste est contestée au nom des valeurs d’enracinement qui
connaissent un véritable regain. »[18]
Et à travers ces valeurs d’enracinement, Blot revient avec des thèmes chers à
l’extrême droite[19]
sur lesquels il amène une nouvelle argumentation avec la théorie du grand
remplacement et les prémisses du racisme anti-blanc[20] :
« (le peuple) est capable de se battre aussi pour des causes autres
qu’économiques. On le voit bien quand il s’agit des libertés ou de tout ce qui
menace l’identité et l’enracinement des individus. C'est d’ailleurs pour cela,
soit dit en passant, que les problèmes posés par une immigration incontrôlée
doivent être impérativement résolus. N’oublions pas que Rome est morte des invasions
pacifiques bien avant d’avoir été détruite par les troupes d’Alaric (…) Tout
change dans le monde à l’échelle historique sauf la nature profonde de l’homme.
C’est d’ailleurs heureux pour le maintien même de l’espèce humaine »[21].
Et d’enfoncer le clou : « L’immigration désordonnée et massive provoque un
double déracinement. Celui des immigrés, qui est particulièrement dramatique à
la deuxième génération et celui des populations d’accueil qui se sentent à
l’étranger chez elles. Dans ces cas préoccupants, il n’y a que deux voies pour
éviter la violence, car l’histoire est un cimetière de sociétés pluri-ethniques
(…) Les deux voies sont celles de l’enracinement : c’est-à-dire l’intégration
pour ceux qui le peuvent et le veulent, et qui sont en France surtout d’origine
européenne et l’organisation du retour dans les pays d’origine pour les autres
»[22].
Les frontières entre la droite dure et l’extrême droite sont
parfois poreuses et floues[23].
Le discours tenu par Blot et analysé ci-dessous ressemble furieusement à celui
utilisé par des personnes comme Etienne Dujardin, Alain Destexhe, Drieu
Godefridi ou encore Corentin de Salle pour ne citer que quelques belges
francophones. Ce qui n’est pas sans poser des questions.
[1]
Voir L’inégalité comme étoile polaire de
l’extrême droite in AM n°66
d’octobre-décembre 2013
[2]
Voir La tendance païenne de l’extrême
droite in AM n°38 d’octobre-décembre
2006
[3]
Voir Le Gramsci de l’extrême droite in
AM n°78 d’octobre-décembre 2016
[4]
Voir Retour sur le discours du fondateur
de la dynastie Le Pen in AM n°56
d’avril-juin 2011
[5] Blot,
Yvan, Les racines de la liberté,
Paris, Albin Michel, 1985, P.129
[6]
P.238
[7]
P.224
[8]
P.242
[9]
P.198
[10]
P.34
[11]
Voir Antimarxiste et antidémocratique,
bref d’extrême droite in AM n°82
d’octobre -décembre 2017
[12]
P.16
[13]
P.89
[14]
P.27
[15]
P.29
[16]
P.20
[17]
P.145
[18]
P.75
[19]
Voir Un « on est chez nous » d’exclusion
in AM n°81 de juillet -septembre 2017
[20]
Voir Danger : Invasion ! in AM n°22 de juillet-septembre 2002
[21]
P.39
[22]
P.99
[23]
Voir De la nuance entre droite radicale
et extrême droite in AM n°77 de
juillet-septembre 2016
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