Ce texte est paru sous forme de deux articles dans
Aide-Mémoire n°89 de juillet-septembre 2019, p.5
l’antifascisme à Liège dans l’entre-deux guerres
Dès le début des années 20 un
antifascisme, au sens premier du terme, se constitue à Liège au sein de
l’immigration italienne qui a fui le régime de Mussolini. Cet antifascisme
s’illustre notamment lors du 1er mai 1926 à Liège[1]
par la présence d’un groupe de travailleurs italiens encadrant une banderole au
message explicite : « Travailleurs, en ce jour, saluons les héros de la cause prolétarienne.
Lavigni et Matteotti, assassinés par les chemises noires. Que le souvenir de la
terreur de Turin et le carnage de Florence puisse vous unir dans la lutte
contre le fascisme assassin. Vive le Premier Mai antifasciste ». Mais
cette lutte antifasciste n’est pas purement idéologique et ne s’exprime pas
uniquement via des slogans, elle est aussi physique, dans la rue. C’est ainsi
que le défilé du 1er Mai est l’occasion d’une grande première : la présence des
Milices de défense ouvrière (MDO). Et déjà une opposition concrète avec les
groupements fascistes a lieu, les Communistes ayant saboté un meeting que la
Légion nationale[2]
avait organisé au Cirque des Variétés situé rue Longhienne, quelques jours plus
tôt le 25 avril.
Début des années 30 un autre 1er
mai, celui de 1933, sera le théâtre d’une démonstration symbolique qui restera
dans les annales. Les cortèges socialistes et communistes font jonction devant
le consulat du 3ème Reich dont est arraché de la façade le drapeau à croix
gammée. Julien Lahaut, nouveau député communiste, l’emportera avec lui et
quelques jours plus tard le déploiera à la tribune du parlement en clamant : «
Voilà le drapeau nazi qu’à Liège, ont arraché les ouvriers communistes et
socialistes unis. Quoi que vous fassiez, ils continueront, dans le pays, la lutte
contre les menées des traîtres et des valets d’Hitler »[3].
L’année suivant, les événements en
France vont donner un nouveau souffle et une nouvelle dimension à
l’antifascisme. Le 6 février, une démonstration de force de l’extrême droite de
l’époque – mobilisation à laquelle se réfèrent d’ailleurs encore aujourd’hui
les récits de cette mouvance[4]
– fait réagir une série de personnes.
le Comité de Vigilance des Intellectuels
Antifascistes (CVIA) est alors créé en mars 1934. Ce comité est placé sous le
patronage des trois principales tendances de la gauche française de
l’époque : les socialistes, les radicaux et les communistes. Le texte
fondateur, qui est un manifeste adressé aux travailleurs, reçoit un bon accueil
et une adhésion importante. À Liège, un comité local est créé qui rassemble de
manière large, via notamment la loge Hiram qui en est à l’initiative, au-delà
des querelles de chapelle qui existent déjà à l’époque. Si des tensions
apparaîtront entre ses différentes composantes et que le CVIA aura une brève
existence, il n’en apporte pas moins plusieurs éléments clefs :
1° Rassemblement au-delà des clivages
et volonté de surpasser les divergences, y compris stratégiques
2° En réaction au danger d’une
extrême droite offensive et en progression
3° Dans une volonté de pouvoir
s’opposer à elle tant intellectuellement que matériellement
4° Le Comité est l’incarnation d’un
esprit antifasciste qui perdurera après lui
5° Il est dans sa dimension
rassembleuse, précurseur du FRONT populaire et dans la ligne de l’action
antifasciste allemande du début des années 30 et de la volonté d’un Front uni
contre le Nazisme.
Un dernier événement montre que
l’antifascisme à Liège, dès cet époque, ne se limitait pas à une simple lutte
idéologique à travers des brochures et des conférences mais avait déjà un
aspect plus concret. C’est la dérouillée subie le 15 septembre 1936 par Léon
Degrelle, chef de Rex, qui, par provocation, tenait à faire un meeting au cœur
de la ville ouvrière de Seraing. Le meeting ayant été interdit par le
bourgmestre, Degrelle loue un bateau mouche pour remonter la Meuse et y
haranguer la foule. Massé sur les berges, les travailleurs bombardent
l’embarcation forçant le bateau à faire demi-tour. Outre le lancement de barres
de fer, de briques, de bouteilles… des coups de feu sont même tirés blessants
des rexistes tandis que le bateau est obligé de s’enfuir.
C’est au milieu des années 1970 que l’on retrouve une
première trace d’une structure clairement antifasciste à Liège. Il s’agit du
« Front antifasciste et démocratique de Liège » dont le n°1 de son
mensuel, Lutte démocratique, est daté
d’octobre 1975. Ce front se crée pour réagir à l’ouverture d’un local du MSI à
Liège[1].
Il est intéressant que, comme en 2019 avec le local de Nation en Saint-Léonard,
un des moteurs de la création de ce front est la volonté de voir fermer un
local et d’empêcher une structuration et une implantation de l’extrême droite à
Liège. L’après 1968 est d’ailleurs une période de renaissance des groupes
fascistes sous de nombreux noms, dont le Front de la Jeunesse qui sera plus
tard central dans la création en 1985 du Front National par Daniel Féret.
Plus près de nous, un Front Antifasciste est créé fin
1991-début 1992. Il se réunissait au Carlo Levi, au début de la rue Saint-Léonard. Dans son éditorial
« contre la démagogie, faisons front » publié dans le deuxième numéro de son
bulletin de liaison le FAF écrivait ceci : «Nous ne prétendons pas détenir
la vérité absolue ni encore moins avoir le monopole de la lutte anti-fasciste.
Le mouvement contre l’extrême droite et contre le racisme est un mouvement très
large qui englobe d’importants secteurs de la société, donc par conséquent
pluraliste. Nous souhaitons engager avec d’autres un profond débat sur ce
thème. (…) Pour faire barrage à l’extrême droite, il faut que dans les faits se
constitue un large front qui regroupe toutes les forces démocratiques opposées
à l’extrême droite y compris les mouvements associatifs et socio-culturels mais
aussi tous les citoyens conscients »
A nouveau, ce Front Antifasciste se constitue notamment pour
réagir à l’annonce de réunions publiques de l’extrême droite qui tente à
plusieurs reprises d’organiser des meetings au Palais des congrès. Meetings qui
ne se tiendront pas, grâce à la mobilisation. L’autre grande raison est la
mobilisation pour une manifestation contre le racisme à Bruxelles qui sera un
grand succès.
Dans cette période du début des années 90, il est notable
que le mot d’ordre d’une des manifestations organisées par le Front
Antifasciste était : « Pas de racisme, pas de fascisme, des emplois ». Et qu’il
proclamait clairement que « L’antifascisme, ce n’est pas seulement empêcher les
fascistes et leurs organisations de manifester, c’est aussi lutter contre les
causes du fascisme, à savoir les exclusions sociales ».
En 94, ce sera la mobilisation contre l’ouverture du local
d’Agir rue Surlet (près du Musée Tchantchès en Outremeuse) avec la création du
Collectif d’Outremeuse contre l’extrême droite dont la liste des premiers
signataires montre toute la diversité qui était rassemblée. Mouvements
politiques et syndicaux, monde associatif et culturel, chrétiens et laïques…
Fin des années 90, dans le contexte de la construction du
centre fermé de Vottem et d’une présence publique du parti REF, on assiste à
une tentative de relance du Front Antifasciste avec cet appel : « Il est temps
de sortir de nos petits souliers et de relancer un mouvement antifasciste
conséquent ». C’est aussi à cette époque que le symbole du triangle rouge, déjà
utilisé depuis plusieurs années par des groupes antifascistes, est produit et
distribué sous forme de pin’s. Une manière de porter le message qui sera
reprise ensuite par les Territoires de la Mémoire, association fondée en 1993
dans le même contexte que le Front Antifasciste, et qui perpétue depuis ce
symbole, geste discret, mais clair pour dire non à l’extrême droite et à ses
idées.
C’est également en 1993, le 13 avril, qu’est mis en place un
Front Anti-Fasciste de Belgique composé des FAF d’Anvers, de Bruxelles, de
Louvain, de Gand et de Liège. Charleroi et Verviers se joindront ensuite. Plus
tard, en 1996, une coordination sera retentée sous le nom de Coordination
antifasciste de Belgique qui, malgré son nom, ne couvrait que la partie
francophone du pays mais avait des liens avec des organisations flamandes.
On le voit par ces brefs flash historiques, la lutte
antifasciste n’a jamais vraiment disparu dans notre région. Elle a connu des
hauts et des bas et s’est réactivée avec force et vigueur quand l’extrême
droite tentait de s’implanter et de se structurer via une expression publique
ou l’établissement d’un local. Citons ainsi encore pour terminer les
mobilisations en 2007 contre la librairie en Hors-Château de l’éditeur
d’extrême droite français Philippe Randa ou celles contre les tentatives de
manifestation du mouvement Pegida en 2016… A chaque fois, l’anticorps a repris
des couleurs, s’est mobilisé et a empêché cette structuration.
C’est à notre sens une raison importante de l’absence d’une
réelle présence pérenne de l’extrême droite sur le territoire liégeois. Et
c’est dans cette filiation que s’inscrit le Front Antifasciste créé en ce début
d’année.
[1]
Voir Julien Dohet « Qu’on réduise les
dividendes et non les salaires », l’un des slogans du 1er Mai 1926 à l’écho
contemporain in analyse de l’ihoes
n°130 - 25 septembre 2014
[2]
Sur cette dernière voir Julien Dohet, Un
résistant d’extrême droite in Aide-Mémoire
n°67 de janvier-mars 2014
[3]
Jules Pirlot, Julien Lahaut Vivant,
Cuesmes, Le Cerisier, 2010
[4] Voir
notamment Julien Dohet La cohérence d’un
engagement in Aide-Mémoire n°40
d’avril-juin 2007
[1] Ce
texte est basé sur un premier dépouillement des archives conservées à l’IHOES
sur le sujet. Un travail qui sera affiné durant cet été.
[1] Le
MSI est le Mouvement Social Italien, créé dès décembre 1946 pour succéder au
parti fasciste interdit. Cette date relativise la fin du fascisme avec la
victoire de 45. Son symbole était une flamme tricolore qui servira de modèle au
FN de Jean-Marie Le Pen. Il se scindera en 1995 entre une aile « modérée »,
l’Alliance Nationale, qui entrera au gouvernement en 2001, et une aile radicale
minoritaire, le Mouvement Social-Flamme tricolore.
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