Cet article est paru dans le n°90 d'Aide-Mémoire d'octobre-décembre 2019, p.11
Alors que la saga autour de la mort de Vincent Lambert a
remis au-devant de l’actualité la mouvance de la « Manif pour tous »,
il nous a paru intéressant de revenir sur le parcours d’un personnage clef de
l’extrême droite française qui s’est donné la mort au cœur de notre dame de
Paris le 21 mai 2013, justement dans le contexte de la mobilisation contre le
mariage pour toutes et tous. Si son geste se voulait politique pour secouer les
consciences, il s’inscrit dans un cadre plus large que rappelle la préface du
livre que nous analysons ici : « Et surtout les dernières pages du
Cœur rebelle où, évoquant le suicide de Montherlant et celui de Françoise de
Grossouvre, Dominique Venner confie qu’il n’est pas donné à tous de finir en
beauté, et qu’il n’y a, parfois, que la mort pour donner un sens à une vie.
Cette mort volontaire et sacrificielle, illustrée par les Romains et les
samouraïs, qu’il a élue un jour de mai 2013, pour parachever sa vie en destin »[1]
Un parcours au cœur de
l’extrême droite
Fils d’un militant du Parti Populaire Français de Doriot[2],
Dominique Venner est né le 16 avril 1935. Très jeune, il quitte le milieu
familial pour s’engager dans l’armée et participera activement à la guerre
d’Algérie, ce tournant pour l’extrême droite française[3].
Faisant référence également à Von Salomon, Venner explique : « C’est dans
cette douleur (Dien bien Phu) que tout a commencé. Les premiers corps francs
d’une nouvelle droite activiste, anciens soldats et jeunes étudiants, commencèrent
à se rassembler. Ils se fortifieront de la colère nationaliste et de la
faiblesse parlementaire »[4].
Combattant de première ligne en Algérie, il rejoint l’OAS et va jusqu’à
préméditer une attaque de l’Elysée. Ce qui lui vaut une arrestation et une peine
de prison. Un passage décisif souligné par la préface : « Devenus rebelles
et proscrits, par allégeance à une fidélité plus haute que la loyauté envers un
pouvoir qui reniait ses promesses, Dominique Venner et ses compagnons de la
clandestinité connurent le sort de ces « réprouvés » si magistralement évoqués
par Ernst Von Salomon. La prison fut leurs universités et c’est à l’ombre des
barreaux qu’ils se forgèrent une doctrine nationaliste, que Dominique Venner
devait incarner, plus tard, dans la création d’Europe Action puis de l’Institut
d’études occidentales »[5].
Il est intéressant de souligner la référence au classique de Von Salomon, récit
autobiographique d’un nationaliste allemand engagé dans les corps francs et des
actions clandestines qui le mèneront en prison sous la république de Weimar. Un
livre référence pour l’extrême droite dès les années 30 sur lequel nous
reviendrons dans une prochaine chronique. Venner entre à cette période en
contact avec Jeune Nation, le groupe de François Sidos[6] :
« Un seul groupe contrastait. Il portait un nom qui sonnait comme un défi à la
décadence « Jeune Nation ». (….) Je fus séduit par les positions tranchantes et
la condamnation en bloc de tout le personnel politique (…) les effectifs
étaient squelettiques (…) On parlait beaucoup de doctrine. Mais celle-ci était
brève. Un nationalisme sommaire qui devait plus à Barrès qu’à Maurras. L’espoir
d’un renversement du régime sur le mode espagnol de 1936, en imaginant jouer le
rôle de la Phalange de José Antonio, ce qui prouvait une grande faculté
d’illusion. L’anticommunisme dicté par l’époque était équilibré par la méfiance
pour le système américain. »[7].
Admirateur de Sparte, de chants allemands et sudistes, faisant référence à
Drieu, Evola[8],
La Varende, Brasillach… Venner profite de son emprisonnement pour lire non
seulement la littérature d’extrême droite mais également des auteurs de
l’extrême gauche sur la question de la révolution. A sa sortie de prison il
crée Europe Action « qui fut à
la fois une revue et un mouvement. Il me semblait nécessaire d’ouvrir une
réflexion en grand, mais que cette réflexion ne soit pas détachée de l’action.
»[9].
Une rencontre est alors décisive : celle avec Thierry Maulnier[10]
avec qui il enchaine les projets politiques et intellectuels (dont l’Institut
d’Études occidentales). Après avoir participé à la création du GRECE[11]
il se consacre à partir de 1971 à la production intellectuelle d’ouvrages
historiques et se retire à la campagne. En 1991, il fonde Enquête sur
l’Histoire puis en 2002 La Nouvelle Revue d’Histoire et revient quelque peu
dans un activisme politique plus important notamment à travers des émissions
sur Radio Courtoisie.
Le tournant de
l’Algérie
« L’action ne se limitait plus à la France. Dans toute
l’Europe levait l’espérance. D’Italie, de Belgique, d’Allemagne, d’Espagne, du
Portugal venaient en délégation des garçons fascinés par ce qui bouillonnait
ici. Quand je fus emprisonné pour la seconde fois, en 1959, je reçus de toute
l’Europe une avalanche de messages orchestrés depuis la Belgique par Jean
Thiriart, personnage singulier et quelque peu mythomane, dont l’imagination
fertile savait se transformer en décisions. Une Europe de la jeunesse
commençait à s’éveiller. L’Algérie était la torche avec quoi il semblait
possible d’embraser notre vieux continent »[12].
La guerre d’Algérie est un moment clef qui permet à l’extrême droite de sortir
de l’ombre tout en brisant certaine ligne d’ostracisme. De ce conflit violent
Venner parle surtout de l’héroïsme des combattants français mal équipés et mal
préparés face à des algériens qui veulent plus la victoire alors que l’armée
française sera lâchée. C’est ainsi qu’il découvre à l’occasion d’une permission
à Paris que « l’ennemi n’était pas seulement dans les djebels. Qu’il en était
en France de pires et d’une espèce cachée » [13].
Et de décrire les atrocités commises par les combattants indépendantistes (il
parle notamment de 3000 assassinats lors des « pogromes » d’avril
1962[14])
tout en relativisant celles des troupes d’occupations françaises : « Une
blessure au ventre est, pour le blessé, une torture horrible. Mais ce type de
torture n’intéresse personne. Les interrogatoires musclés, ordonnés
implicitement par le pouvoir socialiste de l’époque, se voulaient une réponse
au terrorisme qui frappait la population. Procédé qui ne relève pas lui non
plus, de la morale courante. Qu’il y eut des « bavures » et des innocents «
torturés », c’est évident, comme il y eut des innocents tués par le
terrorisme, ni plus ni moins ». [15]
Pour lui, à l’image de la Rhodésie[16],
les colons auraient dû déclarer leur indépendance pour pouvoir lutter plus
efficacement contre le FLN. S’il rejoint l’OAS, son bilan en est
particulièrement critique : « À côté de quelques jolis coups d’audace et
de téméraire dévouements, l’histoire de l’OAS en Algérie est celle d’un échec.
Comme au temps de la Résistance, les querelles de personnes, l’amateurisme et
les défaillances humaines furent les meilleurs alliés de la répression (…
L’OAS) resta un mouvement invertébré de révolte et de résistance, sans devenir
jamais une organisation révolutionnaire vouée à la prise du pouvoir »[17].
Un mouvement dont il tient à souligner les origines et la composition dépassant
les clivages traditionnels même si très vite il se réduira de plus en plus à la
mouvance nationaliste. Il retiendra surtout une figure qu’il compare aux héros
grecs Achille et Hector : « Parmi tous les condamnés, la figure de Jean
Bastien-Thiry se détache avec une hauteur particulière. Contrairement à ce
qu’annonçait son grade, cet officier n’était pas un homme de guerre, mais un
ingénier, un intellectuel en quelque sorte, qui n’avait jamais manié une arme
(…) Il fut l’homme d’une seule idée, d’un seul projet poursuivi envers et
contre tous. Le seul projet cohérent conçu dans le cadre de l’OAS. Après son
arrestation, c’est en pleine connaissance de cause, assurément, qu’il rédigea
dans la solitude de sa cellule la longue et rigoureuse déclaration lue à son
procès. Niant méthodiquement la légitimité du chef de l’Etat, assumant l’entière
responsabilité de son acte et se refusant aux regrets, il se condamnait à mort,
mais il se donnait un destin. »[18]
Pour Venner et son courant politique la guerre d’Algérie représente
bien plus qu’un simple conflit : « (…) Au regard de l’histoire, quand le
moment sera venu, elle apparaîtra surtout comme un combat perdu par l’Europe
face à l’Afrique pour la défense de sa frontière du Sud. La guerre d’Algérie
s’inscrit dans la longue histoire du flux et du reflux européens de part et
d’autre de la Méditérranée depuis plus de deux mille ans, depuis Rome et
Carthage. Les historiens de l’avenir noteront que l’invasion de la France et de
l’Europe par les foules africaines et musulmanes du XXe siècle, commença en
1962 avec la capitulation française en Algérie »[19]
Une multitude de
références
Nous l’avons déjà mis en évidence, lire l’essai
autobiographique de Venner, c’est aussi naviguer au milieu d’un océan de
références à l’idéologie d’extrême droite allant des années 30 à la période
contemporaine. Dès l’introduction le propos est limpide : « Car déjà se
faisaient jour le ressentiment, la haine de soi, le rejet du passé, le
nihilisme mou, la religion de l’humanitaire, qui devaient marquer d’une durable
empreinte les décennies suivantes et entériner une sortie programmée de
l’Histoire »[20].
Et comme Venner le dit lui-même : « Nous étions les héritiers du combat
précédent auquel il fallait donner un sens dans un paysage nouveau qui lui
déniait toute signification. Nous avons entrepris une réflexion sur le contenu
neuf à donner à ce que nous appelions le « nationalisme », mot dont nous avions
fait notre drapeau, bien qu’il ne recouvrit que très imparfaitement ce que nous
étions. »[21]
Précisant : « Mes choix profonds n’étaient pas d’ordre intellectuel mais
esthétique. L’important pour moi n’était pas la forme de l’Etat – une apparence
– mais le type d’homme dominant dans la société. Je préférais une république où
l’on cultivait le souvenir de Sparte à une monarchie vautrée dans le culte de
l’argent. »[22].
Cette vision du monde, il la partage et la théorise avec
d’autres déjà rencontrés dans cette chronique : « Les membres de la
Fédération des étudiants nationalistes et les très jeunes fondateurs du
mouvement Occident furent les premiers à s’enthousiasmer pour les voies
nouvelles qui étaient ouvertes. Certains d’entre eux ont poursuivi ensuite très
loin ces réflexions suivant des voies qui leur étaient propres. Parmi eux, un
garçon très impatient qui montrait déjà les dons éblouissants qui s’épanouiront
plus tard sous la signature d’Alain de Benoist. Cette génération de très jeunes
intellectuels formés à l’action autant qu’aux idées était d’une richesse assez
rare comme le prouveront leurs itinéraires multiples et imprévisibles »[23].
Comme on a déjà pu le lire avec les références à Sparte et à l’Antiquité,
Venner n’appartient pas au courant de la droite ultra-catholique[24]
mais plus à la branche païenne[25]
de l’extrême droite : « Tout Européen soucieux de son identité en vient
nécessairement à reconnaitre que les sources en sont antérieures au
christianisme et que celui-ci a souvent agir comme facteur de corruption des
traditions grecques, romaines, celtes ou germaniques qui sont constitutives de
l’Europe conçue comme unité de culture. Il n’était pas question de nier
l’imprégnation chrétienne de l’Europe, mais d’en soumettre le bilan à la
critique »[26].
L’Algérie comme axe, y compris dans la redéfinition du
racisme car pour Venner : « la décolonisation, phénomène essentiellement
raciste (chasser le Blanc) avait reçu en France l’appui majoritaire d’une
bourgeoisie bien-pensante acquise aux utopies cosmopolites »[27]
a des conséquences lourdes : « Le spectre de l’Algérie hante toujours la
France. Deux ou trois millions d’immigrés algériens, personne ne sait au juste,
vivent ici, auxquels s’ajoutent un ou deux millions de « beurs » de nationalité
française, mais de sentiments et de comportements incertains »[28].
Et de terminer sur cette redéfinition du racisme opéré par l’extrême droite qui
garde néanmoins cette idée de hiérarchie et de non mixité possible : « Il
a fallu du temps pour en arriver à cette idée nouvelle qu’en affirmant
l’identité de « mon peule » je défends celle de tous les peuples, qu’en
assurant le droit égal de chaque culture, j’assure le même droit pour les
miens. Respecter la culture enracinée de tous les peuples ne signifie pas qu’on
accorde une égale considération à n’importe quoi. Parler d’égalité des cultures
n’a pas de sens ».[29]
[1] Venner,
Dominique, Le cœur rebelle. Nouvelle
édition revue et augmentée. Préface
de Bruno de Cessole. Postface inédite de l’auteur. Paris, Pierre-Guillaume
de Roux, 2014, p.15.
[2]
Voir L’anticommunisme d’un transfuge in
AM n°59 de janvier-mars 2012
[3]
Sur celle-ci voir aussi La pensée «
contrerévolutionnaire » in AM n°36
d’avril-juin 2006
[4]
P.65. Dien Bien Phu est le nom de la bataille décisive qui scelle la défaite de
la France dans la guerre d’Indochine. L’utilisation du terme « corps
francs », renvoie à l’ouvrage d’Ernst Von Salomon, Les réprouvés (auquel fait également référence la préface, voir
citation suivante) qui est le récit autobiographique d’un opposant par les
armes à la république de Weimar que nous analyserons dans une prochaine
chronique.
[5]
Pp.12-13
[6]
Son frère Pierre (qui présidera le mouvement fasciste L’Œuvre Française de 1968
à 2012) et lui avaient été condamnés à 10 ans de prisons en 46 pour
appartenance active à la Milice du régime de Vichy. Leur père, qui en était un
des principaux responsables, étant lui condamné à mort et fusillé. Sur Vichy,
voir L’histoire est incomplète sans le
témoignage des perdants in AM n°73
de juillet-septembre 2015 et Faire don de
sa personne in AM n°86
d’octobre-décembre 2018
[7]
P.91. Sur Maurras voir De l’inégalité à la
monarchie in AM n°33 de
juillet-septembre 2005. Sur l’Espagne voir L’idéologie
derrière la carte postale in AM n°62
d’octobre-décembre 2012 et Le journalisme
d’investigation n’est pas neutre in AM
n°74 d’octobre-décembre 2015. Sur la Phalange en particulier voir La troisième voie phalangiste in AM n°83 de janvier-mars 2018
[8]
Voir Le Fascisme est de droite in AM n°47 de janvier-mars 2009 et La révolution conservatrice in AM n°48 d’avril-juin 2009
[9]
P.151
[10]
Voir Antimarxiste et antidémocratique,
bref d’extrême droite in AM n°82
d’octobre-décembre 2017
[11]
Voir L’inégalité comme étoile polaire de
l’extrême droite in AM n°66
d’octobre-décembre 2013
[12]
Pp.114-115
[13]
P.50. On retrouve ici l’argument utilisé également par les Nazis concernant la
guerre 14-18 et le fait que ce n’est pas sur le front militaire que la guerre a
été perdue mais à cause de la subversion à l’arrière.
[14]
P.78
[15] P.55
[16] Au
moment de la décolonisation les colons blancs de la Rhodésie du Sud (actuel
Zimbabwe) déclareront unanimement en 1965 leur indépendance envers l’Angleterre
afin de, comme en Afrique du Sud limitrophe, tenté de garder le pouvoir
dans un régime d’apartheid qui tiendra jusqu’aux années 80.
[17]
P.70
[18]
Pp.136-137 Sur Bastien-Thiry voir Quand
la résistance et le droit d’insurrection sont-ils justifiés ? in AM n°55 de janvier-mars 2011
[19]
P.21
[20]
P.10
[21]
P.153
[22]
P.97
[23]
P.156. Voir Le Gramsci de l’extrême
droite in AM n°78
d’octobre-décembre 2016
[24]
Voir La Loi du décalogue in AM n°64 d’avril-juin 2013
[25]
Voir La tendance païenne de l’extrême
droite in AM n°38
d’octobre-décembre 2006
[26]
P.155
[27]
P.27
[28]
P.25. Notons ici combien ce discours naturalisant une intégration impossible
est revenu au-devant de la scène médiatique lors de la victoire de l’Algérie à
la coupe d’Afrique de football.
[29]
P.190
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