mardi 27 janvier 2004

L’« image-action » plutôt que l’idéologie


Cet article a été publié dans Espace de libertés n°317 de janvier 2004, p.19

Claude Javeau a récemment commis un livre[1] où il proclame son amour pour la social-démocratie seule option politique avec le conservatisme libéral qui ne conduise pas nécessairement au totalitarisme selon lui.

Rédigé à la veille des élections législatives ce texte, vite lu, se veut une démonstration qu’il n’y a pas d’avenir en dehors du réformisme. Pour Javeau, être social-démocrate signifie se battre pour trois prinicpes : Le primat de l’intérêt collectif sur les intérêts particuliers ; la liberté garantie à tous ne prend son sens que par rapport à la plus grande égalité possible ; la démocratisation de l’enseignement. Sur ce dernier aspect, l’auteur dénonce la trop grande place donnée dans l’enseignement aux pédagogues qui a eu pour conséquence de diminuer les difficultés d’apprentissages au de travailler sur les phénomènes d’exclusions. Javeau précise enfin qu’il faut maintenir en fin de parcours un tri élitiste[2].

Javeau reconnaît qu’il n’est pas un militant, mais plutôt un compagnon de route du PS, parti auprès duquel il a l’impression de jouer un rôle nécessaire « mais c’est peut-être là présomption petite-bourgeoise. À moins qu’il ne s’agisse de mon alibi face à ce que je goûte très peu dans l’activité politique : les réunions, les activités de militance (...) »[3]. Nous aurions tendance à rejoindre le célèbre sociologue car il nous semble que la position de l’intellectuel hors de la mêlée, isolé dans son bureau et ne participant pas concrètement à la lutte n’est pas crédible. Mais la plus grosse critique que nous pourrions faire de ce livre est son manque de cohérence. Claude Javeau dénonce qu’« on ne trouve aucune allusion à des positions idéologiques fondamentales, seulement un tableau de chasse des réalisations antérieures et l’annonce de promesses ponctuelles »[4] dans les tracts électoraux du PS pour les législatives, alors que c’est justement cette même impression que donne son livre.

Car que donne-t-on comme perspectives aux lecteurs lorsque l’on dit préférer le terme « d’image-action » à celui d’idéologie ? Quand d’un côté on résume le communisme aux goulags et au stalinisme en oubliant tous les apports sociaux - notamment au niveau de la condition de la femme - tandis que le bilan du réformisme n’est jamais mis en question ? Quand, surtout, on dénonce des évolutions dans la société en feignant d’oublier qui gouvernait à ce moment (on pense aux privatisations de Di Rupo).

Claude Javeau a deux éclairs de lucidité mais n’en profite pas pour aller aux racines du problème. D’abord lorsqu’il qualifie De Man de « seul vrai philosophe politique dont la Belgique pourrait s’enorgueillir »[5]. De Man dont on sait l’empressement du PS à rappeller le Plan du travail ou à vouloir l’actualiser[6]. Ensuite quand il reconnaît que le système de la sécurité sociale « reposait sur le compromis social-démocrate, par lequel la limitation apportée à la maximalisation des profits étaient échangée contre la conjuration de l’attrait de l’URSS et le renoncement à la menace révolutionnaire »[7]. Bref que cet apport essentiel dont se vante tant le PS qui en fait son principal fond de commerce, est finalement dû au Communisme. Ce qui explique son détricotage avec l’aide de la social-démocratie depuis 1989 ?

Un livre intéressant pour son illustration des contradictions fondamentales dans laquelle se trouve de nombreux progressistes qui se refusent à admettre que le problème est le système capitaliste devenu pour eux un horizon indépassable.

Notes

[1] Javeau, Claude, Vive la sociale ! éloge de la social-démocratie. (coll. Petit panorama), s.l, le grand miroir, 2003, 101 p.
[2] On se rappelera son pamphlet Eloge de l’élitisme paru l’an dernier dans la même collection.
[3] p.35.
[4] p.98, note 14.
[5] P.43.
[6] la tentative des années 50 menées par le renardisme et ses « réformes de structure » fut clairement sabottée par la direction social-démocrate. Voir Julien Dohet et Jérôme Jamin, La Belgique de Jacques Yerna. Entretiens. Bruxelles-Seraing, Labor-IHOES, 2003.
[7] p.88.