lundi 16 novembre 2015

Des années 20 aux tueurs du Brabant : un fil continu ?



Cet article est paru dans Le Drapeau Rouge n°53 de novembre-décembre 2015, p.11 et 13

C’est un livre salutaire à plusieurs titres que celui consacré à l’assassinat de Julien Lahaut[1]. Un fait unique de l’histoire de Belgique, le meurtre d’un député en fonction, d’autant plus choquant que cet acte ne sera jamais élucidé judiciairement, un non-lieu étant prononcé en 1972.
Salutaire, car il s’intéresse à une figure majeure de la politique belge qui malgré son rôle central dans l’histoire sociale de notre pays, a finalement été très peu étudié. Il est ainsi quand même marquant de constater qu’il faudra attendre le 50e anniversaire de son assassinat pour qu’une exposition un tant soit peu conséquente soit organisée[2] et encore 10 ans pour qu’à l’occasion du 60e anniversaire une biographie, fruit d’un travail documenté d’historien lui soit consacrée[3]. Si l’on sait que l’histoire sociale de notre pays est un parent pauvre de la discipline, l’état des archives ne facilitant pas les choses, on ne peut malgré tout que souligner ce que nous considérons clairement comme une anomalie. Car Julien Lahaut, bien avant son assassinat, était entré dans l’histoire. Rappelons rapidement qu’il fait partie des fondateurs en 1905 de Relève-toi qui sera à l’origine du syndicat des métallurgistes de la région liégeoise, qu’il participe à l’odyssée des autos-canons en Russie[4], qu’il reste aux côtés des travailleurs d’Ougrée-Marihaye durant le conflit social qui dure 9 mois perdant à cette occasion son poste de secrétaire permanent syndical. Il crée alors sa propre structure syndicale, adossée à une coopérative, et rejoint le jeune Parti Communiste Belge. À Seraing son influence est telle que l’on parlera des « Lahautistes » pour désigner ses partisans et qu’il gagnera les élections communales qui suivent la libération. Antifasciste de la première heure, il organise l’aide aux républicains espagnols et marquera l’actualité par des actions directes contre les rexistes mais aussi contre les membres de la Légion Nationale de Hoornaert[5]. Député dès 1932, il subira la déportation dans les camps de concentration Nazis après un passage par la forteresse de Huy où il manquera trois évasions. Ce rapide rappel peut sembler déplacé dans un article consacré à un livre sur son assassinat. Mais il est pourtant essentiel pour comprendre qui est assassiné à son domicile le 18 août 1950. Car c’est bien ce symbole des luttes sociales, cette incarnation de la lutte des classes actif dans toutes les conquêtes sociales de cette séquence exceptionnelle qui va de la fin du 19e siècle au lendemain de la seconde guerre mondiale et qui voit le quotidien des travailleurs se modifier favorablement de manière spectaculaire, qui est la cible de tueurs fascistes.
Salutaire, car il confirme de manière scientifique, sur base d’une enquête minutieuse ayant réussi à reconstituer un puzzle dont les juges d’instruction qui se sont succédés n’auront jamais accès à certaines pièces, ce que certains disaient dès le lendemain de l’assassinat et qu’avait déjà bien débroussaillé un ouvrage en 1985[6]. Ce sont donc bien des gens appartenant au milieu d’extrême droite, farouchement anticommunistes, qui sont les auteurs des faits. Le groupe « Septembre », héritier de la Légion Nationale, et qui édite dès janvier 1945 un hebdomadaire plaidant pour un pouvoir fort, est ici un acteur central. L’ouvrage sur l’assassinat de Lahaut apporte donc des éléments très intéressants qui démontrent combien l’extrême droite connait une continuité parfaite en Belgique des années 20 à aujourd’hui[7] et que c’est l’anticommunisme qui permet ce prolongement. Un anticommunisme qui sert d’épouvantail et est instrumentalisé par une frange active du patronat (Société Générale, Brufina, Union Minière…) qui n’hésite pas à financer des réseaux de renseignement pouvant passer à l’action armée. C’est clairement cet aspect de « synarchie », de communauté d’idée, allant de simple exécutant jusqu’au ministre Devleeschauwer en passant par des patrons, des membres de la police judiciaire et de la sureté de l’état, qui est l’aspect le plus intéressant de l’ouvrage. Bien au-delà de la description très précise de la figure d’André Moyen et de son réseau, les auteurs sont arrivés à ne pas rester dans l’individuel mais à bien montrer à partir d’un rouage essentiel l’ensemble la mécanique. L’assassinat s’inscrit dans un climat et une logique plus large de politique réactionnaire destinée à mettre fin aux avancées sociale issues du rapport de force favorable au monde ouvrier à la Libération. Bref à ne pas se laisser piéger par l’arbre qui cacherait la forêt, à ne pas faire ce que beaucoup ont fait dans ce dossier en s’arrêtant à la question de l’attribution du « Vive la République » dont les auteurs montrent qu’il fut, au mieux, un simple prétexte activant une décision prise bien avant. En ce sens, le sous-titre du livre « les ombres de la guerre froide en Belgique » nous semble mieux en définir le contenu.
Salutaire, car ce livre, qui se lit à certain moment comme un roman d’espionnage (sauf qu’ici la réalité rejoint voire dépasse la fiction), nourrit une réflexion sur la démocratie, sur le rôle joué par le patronat pour défendre ses intérêts lorsque la contestation sociale grandit, et sur le fait que l’expression « guerre froide » est finalement bien mal appropriée. Il est aussi le produit d’une démarche citoyenne qui a permis que le dossier ne soit pas une nouvelle fois enterré par une ministre MR et qu’une recherche objective soit financée par de l’argent public. Origine comme contenu se mêlent ainsi ici dans une démarche démocratique.
Salutaire, enfin car il montre que le réseau de Moyen est un réseau « stay-behind » comme il en a existé de nombreux et qu’il continuera à être financé après l’assassinat. Au point que les auteurs terminent en laissant entendre qu’il y a aurait bien des choses encore à découvrir si on continuait à suivre le fil après 1973. Osons ici la suggestion, non exprimée par les auteurs, que l’on se retrouverait rapidement au cœur du dossier des Tueurs du Brabant.
Nous terminerons en suggérant de lire en parallèle, comme dans un effet miroir, le livre de Martin Conway[8] sur l’immédiat après-guerre. Car autant les auteurs de Qui a tué Julien Lahaut soulignent le désarroi des puissants face aux nombreuses ruptures qui se produisent au lendemain de la guerre, un sentiment mêlé à de la peur qui les mènent à financer des réseaux comme celui de Moyen, autant Conway insiste sur la rapide normalité et stabilité retrouvée. Deux visions, pas forcément en opposition frontale mais à tout le moins divergente, qui confirment une chose : loin de l’histoire officielle, il reste beaucoup à apprendre de cette période de l’immédiat après-guerre.


[1] Emmanuel Gérard, Widukind De Ridder, Françoise Muller, Qui a tué Julien Lahaut ? Les ombres de la guerre froide en Belgique, La Renaissance du Livre, Waterloo, 2015, 349 p.
[2] Exposition « Noss’ Julien » Julien Lahaut 1884-1950 réalisée par l’Institut d’Histoire Ouvrière, Économique et Sociale (IHOES) en 2000.
[3] Jules Pirlot, Julien Lahaut vivant, Cuesmes, Cerisier, 2010
[4] Un film d’animation, ayant en toile de fond cet épisode de la guerre 14-18, Cafard du réalisateur flamand Jan Bultheel est sorti en octobre 2015
[5] Julien Dohet, « Qu’on réduise les dividendes et non les salaires », l’un des slogans du 1er Mai 1926 à l’écho contemporain, analyse de l’IHOES n°130, septembre 2014 (disponible en ligne sur www.ihoes.be)
[6] Rudi Van Doorselaer et Etienne Verhoyen, L’assassinat de Julien Lahaut : une histoire de l’anticommunisme en Belgique, Berchem, EPO, 1987 (réédité en 2010 par la Renaissance du livre)
[7] Voir sur ce sujet plusieurs de mes chroniques parues dans Aide-Mémoire et plus particulièrement : L’extrême droite n’a jamais cessé d’exister dans le n°32 d’avril-juin 2005 et Un résistant d’extrême droite dans le n°67 de janvier-mars 2014.
[8] Martin Conway, Les chagrins de la Belgique. Libération et reconstruction politique 1944-1947, Bruxelles, CRISP, 2015

jeudi 29 octobre 2015

Le journalisme d’investigation n’est pas neutre



Cet article a été publié dans le n°74 d'octobre-décembre 2015 de la Revue Aide-Mémoire, p.11

La question des réfugiés et son traitement sur les réseaux sociaux a permis à des non-spécialistes de découvrir que l’extrême droite possédait des sites d’informations professionnels pour diffuser sa vision de la société. Comme tous ce qui concerne ce courant politique, il n’y a là rien de nouveau[1] comme nous allons le voir avec cette chronique qui prolonge les articles publiés sur l’Espagne républicaine dans le précédent numéro.

Un journaliste « national »

Se définir comme « national » n’est pas non plus une nouveauté. C’est comme « journaliste national » qui ne fait que relater les faits tel qu’il les a vu que Pierre Héricourt se présente dans son ouvrage Pourquoi Franco a vaincu[2], préfacé par le dictateur Espagnol. Au-delà du contenu du livre, le parcours personnel de l’auteur montre toute sa neutralité. Héricourt (1895-1965) a été non seulement journaliste et écrivain, soldat de la première guerre mondiale, mais surtout- pour le sujet qui nous occupe, membre actif de l’Action Française et consul général de France à Barcelone sous le gouvernement de Vichy. À la fin de la guerre il reste d’ailleurs en Espagne d’où il dirige le « Secours national français », une organisation qu’il a fondée et qui est destinée à aider les exilés vichystes, notamment les membres de la Milice, qui ont fui la France pour échapper à la répression qui frappent les collaborateurs[3]. Héricourt y est protégé au vu de son ralliement précoce au franquisme[4] :
« J’étais certain du succès des armées nationales commandées par cet homme prodigieux qu’est Franco – alliant la jeunesse souriante à la science militaire, à la réflexion et à l’audace – du jour où j’ai été amené à voir par moi-même le climat moral et l’organisation matérielle d’un mouvement qui n’avait rien d’une aventure de prétoriens, mais qui avait au contraire jailli, je le sentais bien, du plus profond de l’âme espagnole, comme la révolte de tout un peuple qui ne veut pas mourir »[5] déclare dès les premières pages Herricourt qui n’hésitera pas à prendre la parole à la radio franquiste notamment pour y déclarer : « Comme l’a très bien dit l’autre semaine et très bien prouvé André tardieu, après Charles Maurras, la majorité légale, issue chez nous des élections Front populaire, est la minorité réelle. (…) Croyez-moi, Espagnols qui m’entendez, les Français ne sont pas plus responsables de leur Front populaire que vous ne l’étiez du vôtre. Vous pouvez être certains que la majorité d’entre eux est résolument contre la barbarie, pour la civilisation. »[6]. Franco sera reconnaissant, lui qui signe la préface de l’ouvrage et encense son auteur : « Grâce à Dieu ! Grâce aux vaillantes troupes de l’Espagne nationale, Tercio, Regulares, Navarrais, Volontaires, Carlistes, Phalangistes… qui ont rivalisé d’héroïsme, nous avons délivré la Patrie des hordes moscoutaires qui prétendaient l’asservir. A l’heure de la libération définitive, je n’oublie pas que vous avez été le premier journaliste français à annoncer sans hésitation le triomphe de notre cause qui n’était pas seulement celle de l’Espagne, vous l’aviez immédiatement compris, mais aussi celle de l’Europe civilisée »[7]

Les bons et les mauvais

L’ouvrage de Pierre Héricourt est un long reportage[8] du côté des troupes franquistes commencé en Afrique du Nord et qui passe par la ligne de front. L’auteur s’y attache à montrer la vaillance des troupes de Franco comme dans cet extrait concernant la marine : « Autour de Franco, l’élite de la marine espagnole a donné au monde un exemple vivant de ce que peuvent faire des hommes disciplinés, courageux, volontaires, même avec peu de moyens en face d’un adversaire supérieur en forces et en ressources »[9] mais aussi le fait que les troupes républicaines seraient mieux équipées, multipliant les exemples sur plusieurs pages du matériel récupéré et réutilisé, dénonçant au passage la provenance de celui-ci qui prouve l’implication de pays comme la France ou le fait que sans l’arrivée massive des « staliniens » Madrid serait tombée. Par contre il nie une aide massive de l’Allemagne et de l’Italie, la réduisant à quelques conseillers militaires ou à des volontaires italiens des chemises noires, y compris au niveau de l’aviation. Et si l’héroïsme des défenseurs de l’Alcazar[10] est développé, aucune mention n’est faite de Guernica. Plus largement l’auteur s’attache à montrer combien les zones « libérées » sont calmes et que la vie s’y déroule normalement. A l’inverse il multiplie les témoignages sur les exactions des « rouges » comme lorsqu’il rapporte le témoignage d’une mère et de sa fille rencontrée au Maroc espagnol : « Ce qui a été raconté dans les journaux, par vos confrères, est très au-dessous de la réalité. Les anarchistes et les communistes de Malaga ont inventé des supplices auprès desquels l’assassinat à coup de revolver, même sans motif, était un bienfait des Dieux »[11].
Outre qu’à certains moments, l’auteur n’est pas exempt de contradiction, comme dans cet extrait : « On venait simplement d’apprendre que des indigènes se massaient en grand nombre, alertés sans doute par les Allemands qui circulaient depuis longtemps à Tanger, pour fêter l’arrivée du cuirassé « anti-juifs ». Ils n’attendaient plus que les coups de canon pour s’élancer au pillage des échoppes israélites… en signe de joie ! En Tunisie, en Algérie, au Maroc même on fera bien, encore maintenant, de prendre garde à cet état d’esprit qui pourrait dépasser les proportions d’un mouvement antisémite »[12], il dit aussi très clairement que loin d’être un événement subi, le coup d’état de Franco s’appuie sur un mouvement réactionnaire plus ancien, comme lorsqu’il rencontre un général qu’il décrit comme : « (…un) de ceux qui ne font pas la guerre seulement depuis le 18 juillet 1936, mais depuis la chute de la monarchie, c’est-à-dire depuis le mois d’avril 1931. Avec quelques-uns de ses amis de l’armée, il a été parmi les premiers adhérents de l’UME « l’Union Militaire Espagnole », association des officiers de tous grades qui savaient que leur pays allait sombrer peu à peu dans l’anarchie (…) »[13] Héricourt en parle car ce groupe revendique sa filiation avec des idées d’auteur français « (…) c’est chez vous, chez Maurras et chez Bainville, que nous avons retrouvé une doctrine solide. Ce sont les ouvrages de vos maîtres qui ont opéré le regroupement des esprits, grâce aux traductions faites par nos amis de la Accion española, grâce au vaillant Calvo Sotelo en particulier »[14]

L’Espagne nouvelle

Aux détours de ces rencontres, l’auteur vante évidemment les mérites d’une Espagne qui renaît, tout l’inverse de la France qui s’enfonce. Dans cette Espagne, la place du Caudillo n’est pas contestée : « Nous sommes tous convaincus que nous ne pourrons réparer le mal, et les ruines, réconcilier nos compatriotes dans leurs villes, dans leurs provinces, dans leurs métiers que grâce à un régime corporatif et décentralisé (…) Inspiré très certainement de ce qui n’a pas si mal réussi à l’Italie pour la délivrer, elle aussi, du communisme. Mais pour la période transitoire indispensable nous faisons tous confiance à Franco et aux chefs de l’armée nationale »[15] Cette place incontestable du chef, se double d’une disparition des partis politiques : « Notre état sera un instrument totalitaire au service de l’intégrité de la patrie. Tous les Espagnols participeront à l’Etat, au moyen de leurs fonctions familiales, municipales et syndicales. Nul n’y participera au moyen des partis politiques. On abolira implacablement le système des partis politiques avec toutes ses conséquences »[16]  et de l’instauration du corporatisme, vu comme la troisième voie entre le capitalisme et le communisme : « Nous organiserons corporativement la société espagnole au moyen d’un  système de syndicats verticaux établis par branches de production au service de l’intégrité économique nationale. Nous répudions le système capitaliste (…) qui déshumanise la propriété privée et agglomère les travailleurs en masses informes promises à la misère et au désespoir. Notre sens spirituel et national répudie aussi violemment le marxisme. »[17]. C’est une Espagne unitaire, interdisant toute tentative de séparatisme régional, et qui veut redevenir le  « chef spirituel du monde hispanique »[18]. Pour réaliser cela, « Tous les hommes recevront une éducation prémilitaire qui les préparera à l’honneur d’être incorporé à l’armée nationale et populaire de l’Espagne ».[19] De plus l’organisation des femmes sera vigilante à la jeunesse : « Tout notre travail tend à exalter la famille, à rendre le foyer plus confortable, plus accueillant, plus gai. Les marxistes tentent d’arracher au cerveau des enfants l’idée de Dieu, à leur cœur les sentiments d’amour et de respect envers leurs parents. Nous nous efforçons de développer chez les petits que nous pouvons toucher un sentiment de la religion et de la famille, qui garantisse une vie faite pour contribuer à la paix de l’avenir »[20]

Une lutte pour la civilisation aux thèmes connus

Comme on le voit avec ces derniers extraits, l’Espagne nouvelle telle qu’elle est décrite par Héricourt, reprend les thèmes connus de la société fasciste. En ce compris la volonté de lutter contre « les forces occultes de la Révolution » car  « Franco savait fort bien que son pays avait été empoisonné pendant de longues décades par l’esprit du stupide XIXe siècle. C’est pourquoi les problèmes touchant la culture et spécialement ceux de l’enseignement à ses divers degrés ont été, dès le début du mouvement libérateur, une de ses grandes préoccupations »[21]. C’est donc clairement une lutte à mort qui est faite contre les marxistes, lutte initiée par un petit nombre qui osera entrer en résistance et subir la répression : « (…) José-Antonio Primo de Rivera est le digne fils de son père. Il a su grouper en moins de trois ans toute cette jeunesse des « phalanges » que vous avez vue à l’œuvre. Il a su déclencher, quand il le fallait, la contre-attaque partout où les marxistes se prétendaient les maîtres de la rue. (…) et cependant elles avaient été persécutées, si je puis dire, comme vos ligues nationales en France »[22]. Un antimarxisme teinté d’antisémistisme qui expliquerait le ralliement des forces marocaines comme le témoigne à l’auteur l’un de ses soldats : « Nous savons parfaitement que le communisme est le contraire de la doctrine islamique et qu’ils ne peuvent pas cohabiter. Le communisme tuerait l’Islam, comme il tente de tuer toutes les autres religions. Quand les gens de Madrid ou de Barcelone viennent nous parler de Mahomet, ils nous font rire ! Et puis il y a, d’autre part, voyez-vous, quelque chose que le plus humble des fellahs a depuis longtemps compris : c’est que tous les Juifs d’Europe et d’Espagne sont du côté du gouvernement de Madrid et que Franco fait la guerre aux Juifs… donc notre guerre »[23]. L’antimaçonnisme vient évidemment compléter le triptyque traditionnel de l’extrême droite[24] : « Il y a une « Fédération internationale des journalistes » qui aurait dû mettre bon ordre rapidement à ces mensonges (…) mais cette fédération a son siège administratif à Paris, elle est liée à toute la franc-maçonnerie franco-britannique et à toute la juiverie allemande expulsée par Hitler »[25]. Le tout mâtiné de l’habituel catastrophisme autour de la situation de son propre pays la France : « Sonnez, cloches d’Espagne, en l’honneur de ceux qui dirigeront demain, dans le soleil et la gloire, la destinée d’un magnifique empire rénové (…) Sonnez ! sonnez encore ! cependant que je ne puis me défendre de regarder plus près de moi avec tristesse, et de songer qu’il est atroce pour un peuple de sentir sa puissance se rétrécir, tandis que de jeunes forces se développent si vigoureusement autour de lui ! »[26]. Une France dont la cause du déclin est connue : « La France, à laquelle la loi du Nombre venait de donner un gouvernement juif de front populaire était la première promise au bûcher »[27].
Nous n’avions pas encore abordé dans cette chronique le journalisme « d’investigation », mais pouvons constater que si la forme change[28], même fonds reste le même, preuve une fois de plus que le monde d’extrême droite est un tout structuré.


[1] Voir aussi la projection du film Le journal d’Augustin à la Cité Miroir le 8 septembre dans le cadre de la soirée « Chili 1975, la désinformation en acte »
[2] Hericourt, Pierre, Pourquoi Franco a vaincu. Préface du Général Franco, Paris, édition Baudinière, 1939, 317 p.
[3] Voir Le « résistantialisme », un équivalent au négationnisme in AM n°44 d’avril-juin 2008
[4] Voir Dulphy, Anne, Les exilés français en Espagne depuis la seconde guerre mondiale : des vaincus de la Libération aux combattants d’Algérie française 1944-1970 in Matériaux pour l’histoire de notre temps, n°67, 2002, pp.96-101. Sur les exilés voir aussi La préparation de la reconquête idéologique in AM n°42 d’octobre-décembre 2007
[5] P.20
[6] P.126. Sur Maurras, voir De l’inégalité à la monarchie in AM n°33 de juillet-septembre 2005
[7] P.7
[8] Voir aussi L’idéologie derrière la carte postale in AM n°62 d’octobre-décembre 2012
[9] P215
[10] La défense des cadets de l’Alcazar est un épisode élevé au rang de mythe par les nationalistes et qui sera l’objet de nombreux récits, comme par exemple….
[11] P.39
[12] P.35
[13] P.166
[14] P.105
[15] P.80
[16] P.96
[17] P.97
[18] P.94
[19] P.101
[20] Pp.301-302
[21] P.306
[22] P.79. Sur ces ligues voir La cohérence d’un engagement in AM n°40 d’avril-mai-juin 2007 et Travail – Famille – Patrie in AM n°49 de juillet-août-septembre 2009
[23] P.55
[24] Sur ce triptyque voir Antisémitisme et anticommunisme. Les deux mamelles de l’extrême droite  in Am n°63 de janvier-mars 2013, Le temps de la délation in Am n°72 d’avril-juin 2015,
[25] P.202
[26] P.317
[27] P.17
[28] Sur les différentes formes déjà analysée voir Le livre : une arme idéologique n°70 d’octobre-novembre-décembre 2014,