lundi 17 décembre 2012

Le retour du concept de “Banksters”

Cet édito de 6com a été publié le 17 décembre 2012

Dernier édito pour 2012. Fin décembre, on souhaite traditionnellement les bons vœux et une bonne année. Mais la situation socio-économique et politique de cette fin d’année permet-elle de faire dans le futile ? Surtout au vu de ce qui se profile dès le tout début de 2013. Une année qui sera loin d’être de tout repos pour tous ceux qui luttent contre la régression sociale et se battent pour une société basée sur une redistribution des richesses permettant l’émancipation sociale, économique et intellectuelle de toutes et tous. Les dossiers ne manqueront pas, et ce dès le jour de l’an passé. Pas le temps de digérer que l’Accord interprofessionnel sera au cœur du débat. Premier dossier d’une longue série comprenant notamment celui de l’harmonisation des statuts employés/ouvriers. Le tout dans un contexte économique qui s’annonce difficile. Les effets de la crise des subprimes de 2008 ne cessent de monter en puissance. 2012 a été la première année où ce qui s’est passé au niveau de la finance internationale et de ses bidouillages destinés à créer de l’argent sur du vide s’est concrétisé au niveau des entreprises. L’économie virtuelle a donc eu des impacts gravissimes sur l’économie réelle. Et cela risque de s’aggraver encore en 2013. Ceux qui paieront la note finale, seront les travailleurs. C’est-à-dire nous toutes et tous.

2008-2012. Quatre années pour que les effets de l’éclatement d’une bulle spéculative aux USA touchent les travailleurs belges de plein fouet. Les Grecs, les Espagnols, les Portugais… subissant déjà depuis plusieurs mois voire années la situation.

1929-1933. Quatre années pour que les effets de l’éclatement d’une bulle spéculative aux USA touchent les travailleurs belges de plein fouet, faisant exploser le chômage à près de 40 % de la population active, jetant des milliers de travailleurs à la rue et à la soupe populaire avant de les jeter dans les bras du Fascisme.

Contrairement à une idée reçue, l’histoire ne se répète jamais. Car le monde bouge, les situations changent. Mais lorsqu’une situation socio-économique est similaire, les situations politiques se retrouvent également avoir des proximités. Une montée des inégalités met toujours à mal une paix sociale qui n’est possible que via la cohésion sociale réalisée par une répartition équitable des richesses. Et nous ne devons jamais oublier que le Fascisme, réaction de Droite face à la montée du communisme, s’est nourri du désarroi de la classe moyenne qui voyait ses espoirs d’ascensions sociales réduits à néant.

Je ne développerai qu’un seul exemple. Ouvrant le Trends de cette semaine quelle n’est pas ma surprise de découvrir un article dénonçant les banques comme les auteurs de méga hold-up, principalement contre les États. Comme souvent dans la presse écrite aujourd’hui, ce qui se présente comme un article de fond est en fait une recension d’un ouvrage. En l’occurrence celui de Paul Vacca, La société du hold-up. Le nouveau récit du capitalisme paru aux Mille et une nuits. Ce n’est pas la thèse de l’article qui m’interpelle ici. Mais bien le fait que le journaliste , relayant les propos de l’auteur, utilise pour qualifier les agents de la finance internationale de «Banksters ». Et voici le Trends utiliser un vocable fasciste des années 30.

Car le terme de « Banksters » est très loin d’être neutre. Il est au cœur de la campagne du Front National français pour les élections européennes du 7 juin 2009 avec une affiche « Contre l’Europe des Banksters ». Mais ce slogan du FN était déjà une récupération d’un vieux slogan de l’extrême droite. En effet, il est une des expressions qui firent le succès d’un certain Léon Degrelle, fondateur et führer du parti Rexiste qui connut une éphémère victoire électorale en 1936 en Wallonie et à Bruxelles sur le temps que son équivalent du VNV connaissait un succès comparable en Flandre. Degrelle, dont l’organe politique Le Pays Réel faisait référence à la distinction établie par Charles Maurras, royaliste français d’extrême droite, entre le Pays légal et le pays réel.
Ce terme de « Banksters » Degrelle l’utilisa, accompagné de la symbolique du balai, en 1936 dans une brochure attaquant le Ministre Segers qu’il accusait « d’être un cumulard, un bankster, un pillard d’épargne et un lâche ». Degrelle ne semble pourtant pas être l’inventeur de ce bon mot capable de frapper les esprits et d’être apprécié et repris par des gens n’étant pas d’extrême droite. C’est à Ferdinand Pecora, le président de la commission du Sénat Américain ayant enquêté sur les origines du Krach de 1929 que l’on attribue la paternité. Son rapport est à l’origine d’une loi votée à l’initiative du président Roosevelt obligeant la séparation entre banques de dépôts et banques d’investissements. Un débat purement historique dont tout rapport avec une situation existante en 2012 serait tout à fait fortuit…

Par ce petit exemple, on voit – outre ce que la connaissance de l’histoire peut nous apporter comme grille d’analyse pour nourrir notre réflexion - une nouvelle fois l’importance du choix des mots. Le fait que ceux-ci sont connotés et rarement neutres. Une réflexion essentielle à la veille de mobilisation sociale importante. Car les années 30 et l’histoire de notre propre organisation montrent que les situations de crise peuvent parfois déboucher sur des dérives idéologiques importantes et des alliances contre nature. Une affiche du milieu des années trente éditée en commun par le Parti Ouvrier Belge (ancêtre du PS) et la Commission Syndicale Belge (ancêtre de la FGTB) montrait ainsi un homme légèrement vêtu, aux cheveux clairs et à la musculature saillante utiliser un balai pour « balayez le gouvernement des banquiers »…

Prenons donc bien garde dans les mois à venir à continuer à ne pas confondre message simple, accessible et porteur avec slogan simpliste.