lundi 22 janvier 2007

Il faut refaire des médias une question politique


Cet article a été publié dans Salut et Fraternité n°57 de janvier-février-mars 2007, p.3

Le jeudi 16 novembre, l’auditoire de l’Université de Liège, situé Quai Van Beneden, accueillait une conférence de Serge Halimi. Devant 200 personnes, le rédacteur en chef du mensuel Le Monde diplomatique a dénoncé sans complaisance le contrôle de la presse par de grands groupes financiers.

Du constat…

Aujourd’hui, 15 familles seulement contrôlent 35 % de la capitalisation de la place financière de Paris. Parmi ces 15 familles, 6 sont actives dans la presse. On pourrait penser que l’augmentation du nombre de titres ou de médias est un gage de démocratie et de pluralisme. Il n’en est rien : on s’aperçoit en effet rapidement qu’ils sont contrôlés par les mêmes personnes et qu’ils tiennent le même discours. Même géographiquement, on assiste à des concentrations. Ainsi en France, les groupes de presses locaux sont de plus en plus puissants et vont se réduire à cinq zones. Les concentrations sont sur tous les plans : Lagardère contrôle Hachette, Le Monde, Europe 1… Bouygues contrôle TF1, Alstom… On constate aussi des croisements constants au sein des différents Conseils d’administrations.

L’exemple de Libération est particulièrement éclairant, puisque le nouveau propriétaire, Edouard de Rothschild, a licencié le fondateur du journal Serge July pour placer un de ses hommes, Laurent Joffrin, ancien rédacteur du Nouvel observateur, chantre de l’indépendance des rédactions… chargé d’appliquer une opération de refinancement qui s’est faite en échange de l’abandon de la charte des rédacteurs !

Aujourd’hui, il est clair que l’unique responsabilité d’un patron de presse est de vendre un produit qui favorise ses actionnaires, et non d’avoir une responsabilité publique, et encore moins citoyenne. La presse devient ainsi de plus en plus clairement un support de publicité et rien d’autre. L’explosion de la presse « gratuite » est significative, tout comme la presse féminine. Ainsi Elle ou Marie-Claire obtiennent 85% de leur chiffre d’affaire via la publicité. En comparaison, celle-ci ne représente que 5% du chiffre d’affaire du Monde diplomatique. On estime ainsi que 20 % de la « taxe publicitaire », c'est-à-dire la somme qui, sur le prix d’un produit, sert à en payer la promotion, va directement à TF1. Face à ces chiffres, Serge Halimi se positionne en faveur de la suppression de l’aide à la presse aux titres dépendant de tels groupes. Les sommes ainsi dégagées pourraient ensuite aller à la vraie presse d’opinion.

…à la réaction et l’action

Cette situation a longtemps été acceptée sans réaction. En France, c’est la campagne autour du référendum sur la constitution européenne en 2005 et la mobilisation sociale contre le CPE en 2006 qui ont ouvert les yeux de nombreux citoyens face aux mensonges médiatiques. En effet, dans les deux cas, les médias ne parlaient que d’une seule voie en faveur de ces deux projets ultra-libéraux. Les journalistes établis firent preuves d’une partialité tellement évidente qu’elle finit par être contestée. Sur la question des grands éditorialistes, Serge Halimi est catégorique sur le fait qu’ils ne sont même pas achetés. Ils ont totalement intégré le système, incorporé ses règles de fonctionnement, et sont acquis à son idéologie. Il rejoint en cela Alain Accardo qui utilisait la métaphore suivante: il n’y a pas besoin d’organiser une grande manipulation pour que toutes les horloges sonnent à la même heure. Il suffit de les construire selon le même schéma et avec le même réglage. Ensuite, seule une révision ponctuelle suffit et les horloges, d’elles-mêmes et inconsciemment, sonneront toujours exactement en même temps.

Serge Halimi place clairement la question médiatique sur le plan politique. Il démontre, à partir de l’exemple des Etats-Unis, combien le politique s’est lui-même volontairement privé d’outils de régulations. Là-bas, les règles anti-monopole ont été détruites progressivement sous la présidence de Ronald Reagan. S. Halimi termine en insistant sur l’importance politique de la question, et rappelle la proposition de Léon Blum en 1928 de créer un service public qui financerait la presse de tous les partis politiques assurant ainsi la diffusion d’une pluralité d’avis. Or, ce que le patronat a bien compris, c’est qu’en s’emparant des médias, il peut influencer le politique et donc contrôler en partie l’Etat. Ainsi, Bouygues n’a jamais considéré qu’il avait acheté trop cher TF1. Mais nous avons tous notre responsabilité, notamment en ayant oublié le vieux précepte ouvrier qui disait « n’achète pas un journal, tu ramènes un patron à la maison ».

Le débat qui suivit la conférence s’est essentiellement concentré sur les alternatives. Si la création d’une presse militante et les possibilités très faciles et peu coûteuses qu’offre Internet sont des pistes à exploiter, elles ne résolvent qu’une partie du problème. D’une part, Internet ne touche que des couches sociales moyennes ou élevées, et d’autre part, les sites les plus visités restent ceux liés aux grands médias. Quant aux titres alternatifs papiers, ils ne peuvent vivre que si on les achète, et encore mieux si on s’y abonne. Un titre aussi connu et reconnu que Le Monde diplomatique est constamment sur le fil. De même, Politis vient d’être sauvé de justesse grâce à une forte mobilisation financière de ses lecteurs. Enfin, il ne faut pas hésiter à investir les quelques espaces qui sont accessibles au sein des grands médias, car c’est là que l’on touche le plus grand nombre et que l’on peut espérer semer une petite graine de doutes.

samedi 20 janvier 2007

Faut-il se réjouir des résultats des dernières élections communales ?


A la demande du Drapeau Rouge, l'organe du Parti Communiste en Belgique francophone, j'avais analysé le résultat des élections communales. Ce texte est paru dans le n°15 de décembre 2006-janvier 2007 aux pages 13-14. Sa lecture peut se faire en parallèle de l'analyse du résultat des élections législatives réalisées par le Mouvement Le Ressort, analyse que j'ai cosignée, et intitulée Alternance sans alternative

Le dimanche 8 octobre, plus de 7 millions d’électeurs se sont rendus à leur bureau de vote pour remplir leur droit de citoyens de voter. Ce chiffre n’est cependant pas exact puisque l’on estime à 15-16% le nombre de gens ne s’étant pas déplacé ou ayant voté blanc ou nul, ce qui est un chiffre relativement stable mais non moins interpellant.

Mon analyse fera l’impasse sur une analyse des résultats des partis « traditionnels » pour se concentrer sur les résultats de l’extrême droite et de la gauche radicale.

Le succès de l’extrême droite

Contrairement à de nombreux commentateurs post-électoraux, je considère que l’extrême droite sort gagnante de ces élections. Le dimanche noir a pu être effectivement évité par l’impossibilité du Vlaams Belang de casser le cordon sanitaire et d’obtenir des bourgmestres ou des échevins, même dans des communes où il fleurte avec les 35-40 % et où il est le premier parti (34,7% à Schoten, 41% à Merksem et jusqu’à 44% à Deurne). Il est cependant étonnant de devoir considérer comme une victoire le fait qu’un parti ne passe pas une barre aussi élevée ! De même s’il faut se réjouir de la défaite de Filip Dewinter dans sa tentative de conquête symboliquement très puissante d’Anvers, et le fait qu’il soit dépassé par Patrick Janssens en nombre de voix de préférence, il ne faut pas oublier que le VB atteint 33,51%. Il faut aussi constater que le VB s’implante avec ces élections quasi partout en Flandre en présentant des listes dans 247 communes soit 57 de plus qu’en 2000 et en réussissant des scores autour des 10% dans des communes aussi dépourvue d’étranger que La Panne ou Knokke-le-Zoute ! Le VB atteint même 18% à Leeuw-St-Pierre où il se présentait pour la première fois. C’est là le signe tangible d’une implantation faite pour durer, qui s’étend géographiquement et qui a réussi à conquérir la classe moyenne, milieu sociologique historique de l’extrême droite. Globalement le VB passe de 442 conseillers communaux à 786 et de 54 conseillers provinciaux à 88. Dit autrement le VB a quasiment doublé sa représentation, réussissant ainsi un de ses objectifs. Une victoire pour les démocrates ? Un coup d’arrêt ? Un plafond ? Je pense au contraire qu’il s’agit là d’un palier, d’un marchepied pour les campagnes électorales de 2007 et 2009. Quand aux risques d’implosions du à l’absence d’arrivée au pouvoir, ils n’existeront qu’après ces deux échéances et dépendront des rapports de force interne à la Flandre.

Au niveau de la Belgique francophone la situation n’est guère plus réjouissante, sauf à vouloir garder des œillères et appliquer la méthode coué. L’extrême droite, sans unité, sans chef charismatique, présentant très peu de listes souvent peu fournies, et même sans campagne, parvient à obtenir 28 élus en Wallonie et 2 à Bruxelles (précisons ici que le VB, bien plus organisé et crédible obtient 16 élus en région bruxelloise) ! La plupart sont élus dans la province du Hainaut où les affaires n’ont certainement pas servi la démocratie et où l’extrême droite fleurte, voir dépasse, les 10% à plusieurs endroits, culminant à 13% et 3 élus à Pont-à-Celles où le FN avait Charles Petitjean comme tête de liste. C’est donc un succès électoral qui efface l’échec de 2000. L’échec des campagnes anti-extrême droite (comme « la cible c’est toi » de la FGTB de Liège, ou « Triangle rouge » du CAL) est ici très net vu que l’objectif clairement annoncé était : pas d’élu issu de listes d’extrême droite. Faire ce constat n’est nullement remettre en cause la nécessité de tels campagnes de sensibilisation et de dénonciation, ni leurs pertinences, ni le dévouement des militants et permanents qui y consacrent de l’énergie. J’ai moi-même participé à plusieurs d’entre elles ainsi qu’à la campagne électorale par des conférences-débats sur l’extrême droite 2 à 3 fois par semaine durant le mois de septembre. Non, faire ce constat c’est affirmer clairement que l’on ne peut lutter efficacement contre l’extrême droite en ne se plaçant que sur le terrain de l’idéologie, mais qu’il faut aussi travailler sur le terrain économique. C’est reconnaître le lien entre l’extension d’un capitalisme sans frein et la progression de l’extrême droite. C’est reconnaître que tous deux se fondent sur le darwinisme social, c'est-à-dire sur la loi du plus fort et l’élimination des faibles. Si la manière de cette élimination diffère, sa logique et sa justification idéologique sont identiques. Un combat contre l’extrême droite ne peut donc s’abstenir d’une lutte pour une société plus solidaire, pour une société qui redistribue les richesses, qui consacre des moyens suffisants pour un service public efficace, qui résoud la question du logement… C’est trouver inacceptable qu’en Belgique, un des pays les plus riches de la planète, 15 % de la population, dont des gens qui travaillent, vit sous ou à la limite du seuil de pauvreté. Bref c’est dire qu’en 2007 il deviendra urgent pour les antifascistes qui se veulent conséquent de ne plus se limiter à dénoncer l’extrême droite mais à se retrousser les manches et à lutter de toutes leurs forces contre ce que Robert Castel a brillamment qualifié d’insécurité sociale.

En 2007 justement, il faut s’attendre à une nouvelle progression de l’extrême droite tant au nord qu’au sud du pays. Au nord, la progression ne devrait plus être spectaculaire ce qui pourrait la rendre plus dangereuse. Cette progression plomberait de toute manière encore plus le débat en Flandre et donc menacerait l’unité de la Belgique. Or une scission, même pour les gens de gauche les moins belgicains, seraient une catastrophe, ne fut-ce qu’au niveau de la sécurité sociale qui à l’heure actuelle reste le mécanisme de solidarité et de redistribution des richesses le plus important puisqu’il concerne 50% du budget de l’Etat. Au sud, l’ampleur de la progression dépendra de la capacité de l’extrême droite à réaliser son unité, si pas structurellement du moins électoralement. Ainsi, un cartel électoral comme le FNB et Nation l’ont déjà réalisé pour les ces élections communales, qui regrouperait l’ensemble des forces d’extrême droite serait une machine à voix importante. D’autant plus si un leader émergeait profitant des 10 ans d’inéligibilité de Daniel Féret, condamnation confirmée en appel et qui devrait signer la mort politique du président-fondateur du Front National. Ce dernier parti reste cependant au centre du jeux au sein de l’extrême droite puisqu’il a obtenu 28 des 30 conseillers communaux (contre 1 pour Force Nationale à Mouscron et 1 pour l’alliance FNB-Nation à Verviers) et 4 des 5 conseillers provinciaux (le dernier appartenant à Force nationale dans le Hainaut).

Et la gauche radicale ?

Nous l’avons dit, seul un projet de société global plus solidaire peut arrêter la progression de l’extrême droite et redonner de l’espoir aux gens en leur permettant de s’émanciper, libérés qu’ils seraient des inquiétudes liées à la survie quotidienne. Or, il faut constater que la gauche devient de plus en plus pâle. Le SPA a gommé jusque dans son nom toutes références au socialisme (het sociaal progressief alternatief). Malgré cela Patrick Janssens dans sa campagne à Anvers a jugé plus prudent de ne mentionner que son nom sur les affiches. Ecolo se positionne de plus en plus au centre comme le prouve une série d’alliance, mais surtout son discours de campagne. Quand au PS, si de nombreux militants et mêmes candidats sont des gens qui croient réellement en un idéal socialiste de progrès, force est de constater que sa direction, son fonctionnement et ses positionnements politiques sont de moins en moins compatibles avec les valeurs « de gauche ».

La question est donc de savoir si une force plus clairement en rupture avec le système existe et quel est son impact. Disons le directement : quasi nul. Des avant-gardes prolétariennes détenant la vérité comme le MAS-LSP se sont à nouveau présentées pour ne pas dépasser le demi % avec le discours habituel qu’on ne cherche pas à avoir d’élus mais à mobiliser les forces sociales et à se faire connaître. Heureusement, la situation ne se résume pas à cette caricature trotskiste. Le Mouvement socialiste, qui regroupe diverses dissidences du PS en Wallonie et à Bruxelles, a obtenu une série d’élus principalement sur des listes de cartel. A Flémalle, où il reprenait des membres du PC et du PTB sur sa liste, il rate un élu à moins de 10 voix. Le POS présentait plusieurs candidats au sein de listes très diverses et obtient 2 élus. Pour le PC, les résultats sont arithmétiquement intéressants – si on fait le définitivement le deuil de ce que fut ce parti – avec 10 élus. Mais il faut noter qu’aucun ne l’est sur une liste étiqueté PC. Tous les 10 sont élus sur des listes au nom unique (Ecova à Trooz ou UPM-ADC à Manage) ou comme candidats d’ouvertures au sein de formations sociales-démocrates (Ecolo à La Louvière et Charleroi, PS à Tournai…). Cela mérite à mon sens un questionnement. Reste le PTB qui obtient 4 élus en Wallonie (2 à Herstal, 1 à Seraing et 1 à La Louvière) doublant ainsi sa représentation. Ce résultat non négligeable (renforcé par 11 élus en Flandre dont 6 sur la seule commune de Zelzate) l’est d’autant plus qu’ils sont obtenus sur son sigle propre. Bref en Belgique francophone la gauche radicale a obtenu 16 élus dont moins d’un tiers sur des listes propres. Difficile de voir en cela un début de changement dans la conscience de classe des électeurs ou un début de prise de pouvoir. Il est cependant le signe qu’un potentiel électoral existe encore et qu’un travail de terrain constant renforcé par une campagne intelligente peut porter ces fruits. Mais 16 élus, dans un climat de dégradation socio-économique et après les mobilisations sociales importantes contre le « pacte de solidarité entre les générations », cela reste anecdotique devant la puissance à peine ébranlée d’un PS auquel l’immense majorité des travailleurs reste attaché. La question dans la perspective de 2007 est donc de savoir si un rassemblement des énergies de la gauche radicale serait capable d’attirer également des militants indépendants actifs dans les mouvements sociaux (associatifs ou syndicaux) et à la recherche d’un débouché politique crédible à leurs revendications. C’est le sens de l’initiative menée en commun par « Une Autre Gauche » et le « Comité voor een Andere Politiek » qui a réuni 600 personnes à Bruxelles le 28 octobre et a décidé de tout faire pour présenter des listes aux élections de 2007.

En conclusion, les élections qui se profilent en 2007 seront déterminantes à plusieurs points de vue pour ce que j’ai développé dans cette analyse :

1) L’avenir de la Belgique et donc de la sécurité sociale.

2) La progression de la fascisation de la Flandre, que ce soit via le VB, le CD&V-NVa ou la tendance de De Decker exclu du VLD.

3) La structuration de l’extrême droite francophone lui donnant les capacités d’aller capter son potentiel électoral qui doit tourner entre 10 et 20 %

4) La confirmation du frémissement d’une gauche radicale qui serait capable de porter un projet crédible de société et d’aller chercher des voix chez tous ceux qui rejettent le système aujourd’hui.