samedi 11 février 2012

Capital contre travail, les gagnants et les perdants

Le jeudi 8 mars 2012 à 18h30 au Botanique, Rue Royale 236, à Bruxelles je participerai à un débat dans le cadre du Festival d’ATTAC 2012

Le Sujet du débat sera "Capital contre travail, les gagnants et les perdants" et sera précédé de la projection du film "il était une fois le salariat".

L’anticommunisme d’un transfuge

Article publié dans Aide-Mémoire n°59 de janvier-mars 2012, p.11

Cette chronique l’a largement démontré, l’extrême droite est une tendance politique polymorphe ayant un corpus idéologique commun. Un des fondements est l’anticommunisme, et plus largement un rejet des valeurs de gauche.

De l’extrême gauche à l’extrême droite (1) :

Parmi les adversaires les plus virulents du communisme dans les années ’30, une personnalité se détache. Jacques Doriot (1898-1945) est en effet un ouvrier métallurgiste de Saint-Denis(2). Militant socialiste, il se distingue lors de la guerre 14-18. À la fin de celle-ci, il suit la tendance communiste lors du congrès de Tours et devient très rapidement l’étoile montante du PCF. Il est ainsi à seulement 26 ans membre du Comité Central. Le début de la rupture idéologique commence en 1928. Doriot s’oppose à la tactique « classe contre classe » décidée par l’Internationale Communiste et défend l’alliance avec la social-démocratie pour contrer le Fascisme. Doriot, devenu maire de Saint-Denis, s’oppose de plus en plus à la stratégie communiste et refuse de se rendre à Moscou. En 1934, il est exclu du Comité Central. Son évolution politique se poursuit et en juin 1936, avec d’autres communistes en rupture, il fonde le Parti Populaire Français à partir duquel il tente de créer un Front de la Liberté regroupant les partis de la « droite nationale », notamment les Croix de Feux de La Rocque(3).
Après l’Armistice, le PPF devient ouvertement fasciste et prône la collaboration avec les Nazis. Doriot fonde la Légion des Volontaires Français (4) dans laquelle il s’engage dès juillet 1941. Il passera alors la majorité de son temps sur le front ou, comme Léon Degrelle(5), il se distingue particulièrement. C’est sous l’uniforme allemand qu’il meurt le 22 février 1945 lors d’une attaque aérienne en Allemagne.
Ce n’est pas un de ses livres de la période collaborationniste que nous avons choisi d’analyser, mais un ouvrage du début du PPF, plus éclairant à notre sens des raisons de sa rupture et de sa future évolution.
Nous aborderons plus loin les aspects déjà fascistes de la pensée de Doriot, mais commencerons par souligner combien le titre, La France ne sera pas un pays d’esclaves (6) relève déjà de la rhétorique que nous analysons dans ses colonnes chaque trimestre. Comme d’habitude, le pessimisme est énorme et la situation décrite comme catastrophique, comme proche de la fin : « Il y a dix-huit ans, la France est sortie victorieuse de la guerre. Après avoir pansé ses plaies, elle avait la possibilité d’être libre et forte (…) Or, la France traverse la crise politique, sociale, morale, la plus profonde de son histoire. Sa sécurité est gravement menacée, son économie est en pleine crise, ses institutions politiques délibèrent sous la menace de l’explosion populaire. Ses ouvriers sont sans travail. Ses paysans vivent mal de leur dur labeur. Sa jeunesse est sans espoir. Ses anciens combattants sont obligés de marchander leur droit. Ses commerçants et artisans sont acculés à la misère. Ses classes moyennes se ruinent. Ses savants, ses artistes sont délaissés » (7).

Critique du Stalinisme

Afin de sauver la France, Doriot a son idée : « Nous sommes donc de ce front populaire contre le fascisme. Nous pensons même qu’il faut y apporter autre chose que de l’anti-fascisme négatif et défensif, mais qu’il est urgent de lui donner un programme ou un plan d’action contre la crise, car c’est en luttant contre la crise qu’on vaincra le fascisme »(8) Cette prise de position, nous l’avons dit dans l’introduction biographique, est en opposition avec la ligne du Parti Communiste Française. La raison pour Doriot est simple et est au cœur de la critique au centre de son ouvrage : « Les partis communistes étrangers sont parfaitement subordonnés à l’Exécutif, c'est-à-dire aux Russes, même lorsque cet Exécutif est présidé par Dimitroff, Bulgare d’origine, mais citoyen soviétique et membre du Parti Communiste de l’URSS, et, comme tel, soumis à sa discipline de fer. »(9) Si l’ancien communiste évolue clairement vers le nationalisme, nous y reviendrons, il tient cependant à montrer dès le départ qu’il ne renie pas tout en bloc : « Lénine, qui avait une probité intellectuelle remarquable, examinait toutes les questions à la lueur de la doctrine qu’il croyait juste. Staline, homme de main, sans principes, a surtout appris l’art de la ruse, de la manœuvre, de l’évolution, et, par son esprit d’intrigue savante, il a fait du Parti et de l’Internationale qu’il dirige deux instruments très redoutables et capables de tout pour sauver la caste dont il est le chef. »(10) Défendant le bilan de Lénine, il enfonce le clou : « Très intéressante est la qualité des exclus. D’après la Pravda, ce sont : les Trotskystes, les Zinovievistes, les espions, Koulaks et les gardes blancs, selon la terminologie russe (…) Or les Trotskystes et les Zinoviévistes sont justement ceux qui veulent parvenir à l’application intégrale du marxisme ; c’est contre eux que s’exerce la répression la plus énergique »(11). Il dénonce surtout le Stalinisme pour sa dimension nationaliste russe et le fait qu’il utilise les partis communistes des autres pays comme des cinquièmes colonnes au service unique de l’URSS : « Mais Staline et le National-Soviétisme ont sur l’Italie et sur l’Allemagne un avantage considérable. Ils maintiennent dans chaque pays un parti communiste. Par leurs organisations centralisées, commandées par Moscou, ces partis font, dans tous les pays, la besogne que Moscou ordonne pour favoriser sa politique expansionniste à l’extérieur. »(12) Cette attitude est d’autant plus grave qu’elle pousse vers une nouvelle guerre la France. La solution est donc claire : « Pour le Français qui veut la paix, le pain, la liberté, il n’est d’autre solution que de combattre sous nos drapeaux le parti de Staline et de barrer la route aux soviets en France. » (13)

Aspects fascistes

L’anticommunisme est donc le ciment du mouvement lancé par Doriot qui utilise largement ses connaissances acquises pendant ces 15 ans de pratique au sein des organes dirigeants du PCF pour critiquer celui-ci. Un de ses principaux arguments étant résumé par le titre du chapitre II : « l’or de Moscou ». L’auteur reconnaît son erreur : « Nous avons été en effet pour un parti de lutte de classes qui devait faire la révolution socialiste, non seulement en France, mais dans le monde, pour un parti qui devait amener l’égalité absolue entre les hommes. Nous pensons aujourd’hui que cette formule n’est pas applicable, qu’elle a fait faillite dans le monde entier. » (14)
Mais au-delà de cet anticommunisme, l’ouvrage du fondateur du PPF aborde d’autres aspects de l’idéologie d’extrême droite. Et notamment de se présenter comme une troisième voie (15) : « Dans notre parti, nous ne voulons pas des membres des deux cents familles. Nous ne voulons pas non plus des dirigeants communistes. Voici deux barrières qui nous laissent un champ assez large pour le recrutement. Mais tous ceux qui souffrent de la situation actuelle, qui veulent que ça change, les ouvriers, les paysans, les petits et moyens producteurs, les intellectuels, les anciens combattants, les jeunes, s’ils sont d’accord avec nous, ceux-là ont leur place chez nous » (16). Cette position est due à une volonté farouche de ne pas voir la France entrainé dans une guerre qui n’est pas la sienne : « Ainsi, à cause de leur impéritie, la France se trouve aujourd’hui dans une situation dangereusement révolutionnaire, puisque l’étranger risque de nous coloniser et d’ouvrir nos portes à la guerre. Les dirigeants qui ont abouti à un tel résultat intérieur ne méritent certes pas la louange. Or, répétons-le, à droite comme à gauche, la responsabilité est égale. Le chaos dans lequel nous sommes est le produit de leur inaction commune ou plutôt de leur action néfaste. » (17).
Un autre point déjà rencontré est la défense de la paysannerie et la diabolisation du monde urbain : « Il faut lui faciliter (au paysan) son maintien à la terre, évitant ainsi l’affreuse concentration des grandes villes, génératrices de misère, de chômage et de ces troubles sociaux dont nous sommes tous les jours les témoins. »(18) Enfin, nous terminerons par un passage qui raccroche clairement Doriot au paradigme de l’extrême droite. Car cet ancien marxiste, qui se dit pourtant toujours défenseur de l’héritage de Lénine, n’hésite pas à rejoindre la théorie du darwinisme social, même s’il ne développe pas cet aspect : « L’erreur fondamentale du marxisme est de croire que le milieu économique forme complètement le milieu social, que l’homme est le produit exclusif de son milieu économique. Or, cette affirmation n’est que partiellement vraie. Car il faut tenir compte qu’en dehors de l’impulsion qu’il reçoit du milieu économique, l’homme obéit à un certain nombre de lois naturelles, qui se reproduisent depuis toujours (…) » (19)

Notes

1. Doriot n’est pas le seul à provenir de la gauche. Voir sur Déat in Du socialisme au fascisme in A-M n°41 de juillet-septembre 2007 et sur Mussolini in L’ascension fulgurante d’un mouvement in A-M n°28 d’avril- juin 2004.
2. Voir Burrin, Philippe, La dérive fasciste. Doriot, Déat, Bergery 1933-1945, Paris, Seuil, 2003
3. Voir Travail – Famille – Patrie in A-M n°49 de juillet-septembre 2009.
4. Voir Le Militaria, porte d'entrée de l'idéologie d'extrême droite in A-M n°46 d'octobre-décembre 2008.
5. Voir « Tintin-Degrelle » une idéologie au-delà de la polémique in A-M n°50 d’octobre-décembre 2009 et n°51 de janvier-mars 2010.
6. Jacques Doriot, La France ne sera pas un pays d’esclaves, Paris, Les Œuvres françaises, 1936, 158 p
7. P.149
8. P.25
9. P.67
10. P.8
11. P.90
12. P.106
13. P.14
14. P.80
15. Voir Un vrai fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite in A-M n°31 de janvier-mars 2005
16. P.127
17. P.121
18. P.124
19. P.94

dimanche 5 février 2012

Les partis de la gauche anticapitaliste en Europe

Je cosigne avec Jean Faniel un article intitulé : "La gauche anticapitaliste en Belgique : entre fragmentation et tentatives d’unité" dans cet ouvrage publié sous la Direction de Jean-Michel De Waele et Daniel-Louis Seiler dans La collection « politiques comparées ». Ce livre fait suite à un colloque qui s'était tenu à Aix-En-Provence auquel j'avais participé.

En voici la présentation :

Extrême gauche, ultra gauche, gauche de la gauche, gauche extrême : la variété même des dénominations témoigne de la complexité du phénomène. L'indécision sémantique s'ajoute à la diversité qui règne dans cette famille politique dont les généalogies parfois anciennes n'ont d'égales que les propensions historiques aux scissions. La fin du régime soviétique, l'ouverture de la Chine à l'économie mondialisée n'ont nullement fait disparaître ces formations qui s'alimentaient hier aux théories révolutionnaires. Communistes, trotskystes, maoïstes, dissidents des uns et des autres, voisinent aujourd'hui plus ou moins pacifiquement dans un paysage idéologique, certes bigarré, mais dont l'arrimage au pôle de la radicalité de la gauche anticapitaliste confère une forte identité. Le temps des crises sociales et économiques semble leur avoir donné une seconde jeunesse.
Grâce à l'approche comparative, ce livre montre, à l'échelle européenne, l'importance des tensions qui traversent aujourd'hui ces formations. Entre recompositions idéologiques et prégnance de s trajectoires historiques, entre présences parlementaires et participations aux nouveaux mouvements sociaux, ces partis inscrivent en effet leurs activités dans des répertoires multiples qui leur donnent souvent une visibilité auprès de l'opinion bien supérieure à ce que laisseraient supposer leurs forces militantes ou électorales.

336 pages - 29 € ISBN 978-2-7178-6101-3