lundi 12 décembre 2011

Mémoire de la grande grève

C'est sous ce titre que l'ouvrage reprenant les communications du colloque organisé l'année dernière sur la grève de l'hiver 60-61 est, enfin, paru.
Travail de patience pour les coordinateurs.

J'y publie un texte intitulé: Lois sur le maintien de l’ordre ou limitation du « droit de grève » ? Un débat toujours actuel

Publié au CRI, le livre est vendu 22 €.

lundi 24 octobre 2011

Écrire peut avoir des conséquences


Cet article a été publié dans Aide Mémoire n°58 d'octobre-décembre 2011, p.11
L’objet de cette chronique est de démontrer que loin d’être ex-nihilo, les actes posés par des militants d’extrême droite sont le produit d’une abondante littérature qui a largement théorisé des stratégies dans un but précis. L’actualité de cet été, marquée par les attentats en Norvège organisés et réalisés par Anders Behring Breivik, nous donne une nouvelle occasion de montrer que des livres guident les tenants des thèses d’extrêmes droites les plus radicales a été.
Nous nous pencherons cette fois-ci sur les Cahiers de Turner. Cet ouvrage publié pour la première fois en 1978 est signé par Andrew Macdonald[1]. Derrière ce pseudonyme se cache William Luther Pierce (1933-2002), le fondateur et dirigeant de la « National Alliance », un parti qui prône la ségrégation et la suprématie de la race blanche. Les cahiers de Turner sont souvent considérés comme ayant inspiré l’attentat d’Oklahoma City, celui-ci étant un copier-coller d’une des premières péripéties du livre.
Un roman d’anticipation
Les Cahiers de Turner est un roman d’anticipation. Il se présente comme les traces retrouvées un siècle après les événements qu’il raconte. Le texte en temps que tel est d’ailleurs encadré par un avant-propos et un épilogue daté de 1999. On lit donc le journal d’un des jeunes martyrs de la lutte qui a libéré la race blanche de la tyrannie de ZOG lors de la Grande Révolution. Depuis cette dernière, l’humanité vit sous la Nouvelle Ere. Cette présentation donne le ton du livre. Car, pour ceux qui l’ignoreraient, l’acronyme ZOG, présent dès la p.1 et régulièrement utilisé, veut dire : « Zionist Occupation Governement », soit le « Gouvernement d’Occupation Sioniste ». Ce terme est né à la même époque que l’ouvrage et se popularisera dans les années 80. Il est particulièrement illustratif de la vision du monde de l’extrémisme de droite Nord Américain et ne rappelle que trop les discours des années 30 en Europe. Nous y reviendrons.
Le récit chronologique commence en 1991. L’auteur, un nommé Turner, entre à ce moment dans la clandestinité. Il rejoint alors une cellule composée de trois autres militants membres de l’Organisation, mouvement de défense de la race blanche dont le roman ne dit pas grand-chose. La force du livre est dans cette imprécision due au fait qu’il est écrit à la première personne par un militant de base qui gravira certes quelques échelons, mais restera un simple combattant. Le but est clairement de permettre au lecteur de s’identifier à ce héros. D’autant que, loin d’être un surhomme, Turner expose ses craintes et ses doutes. Tout en affirmant avec force ses convictions en sa mission.
Le processus de vie et de fonctionnement dans la Résistance est bien décrit, tout comme la nécessité de joindre une façade légale : « Les unités "légales" consistent en des membres pas encore connus du Système. (Ainsi il serait impossible de prouver que certains d'entre eux sont membres. En cela nous nous sommes basés sur la littérature communiste.) Leur rôle est de nous fournir des renseignements, des fonds, une assistance juridique et tout autre soutien. »[2]. Très vite cependant le roman part dans l’exagération. Si les premiers attentats sont ciblés et crédibles, le roman dérape avec la conquête de la Californie qui devient un sanctuaire blanc d’où l’utilisation de l’arme nucléaire devient possible. Turner meurt à la fin du roman en partant pour une mission suicide consistant à se lancer à bord d’un avion de tourisme chargé d’une bombe nucléaire sur le Pentagone.
Une idéologie clairement affirmée
Il ne faudrait cependant pas rejeter le livre au nom de ce que l’on peut considérer comme un délire. Car plus profondément il révèle une permanence de l’idéologie d’extrême droite déjà rencontrée à plusieurs reprises dans cette rubrique, à savoir le rejet de la masse apathique. C’est une minorité agissante qui pourra changer les choses : « C'est seulement la minorité d'une minorité qui pourra sortir notre race de cette jungle et lui faire faire ses premiers pas vers une civilisation aristocratique authentique. Nous devons tout à ces rares ancêtres, qui non seulement avait cette sensibilité, mais qui ressentaient le besoin d'agir et possédaient les aptitudes pour y parvenir. » Cette minorité est une élite, un ordre. Cet élitisme est une des clefs de l’idéologie d’extrême droite exprimée de manière diverses. Si les références Templières de Breivik sont moins sophistiquée que la pensée développée par Julius Evola[3], elle n’en reflète pas moins la même idée. Tout comme lorsque dans le roman Turner, qui commence à se faire remarquer par ses actes de bravoures, est initié dans « L’Ordre » qui est décrit comme composé de plusieurs niveaux : « En tant que membres de l'Ordre, nous devrons être les porteurs de la Foi. Les futurs leaders de l'Organisation seront exclusivement issus de l'Ordre. Il nous exposa également beaucoup d'autres choses, réitérant en les développant quelques-unes des idées que je venais juste de lire. L'Ordre, nous expliqua-t-il, restera hermétique même au sein de l'Organisation, jusqu'à ce que l'aboutissement de la première phase de notre tâche soit couronné de succès. En d'autres termes jusqu'à LA DESTRUCTION TOTALE DE ZOG. Il nous indiqua le signe de reconnaissance des membres. Puis nous avons prêté serment. »[4]
Destruction totale de ZOG. Nous avons déjà précisé ce que ce mot voulait dire. Mais ici le livre développe concrètement la nécessité de se battre dans une lutte à mort où il ne peut y avoir de pitié : « En traversant les montagnes situées au nord de Los Angeles, nous avons croisé une longue colonne de marcheurs, (…) j'observais minutieusement les prisonniers, essayant de savoir qui ils étaient. Ils ne ressemblaient pas à des noirs ni à des chicanos, cependant seulement quelques-uns d'entre eux étaient des blancs. Beaucoup de visages étaient clairement juifs, alors que les autres avaient des visages ou des cheveux évoquant une hérédité négroïde. La tête de la colonne quitta la route principale pour un chemin forestier peu utilisé qui disparaissait dans un canyon (…). Il ne devait y avoir pas moins de 50 000 marcheurs, de tous âges et de chaque sexe, dans la seule partie de colonne que nous dépassions. (…) Je commençais à comprendre. Les métèques, clairement identifiables, étaient ceux dont nous voulions qu'ils augmentent la pression raciale sur les blancs, hors de Californie. La présence de beaucoup de bâtards, presque blancs, aurait purement et simplement compromis le résultat - et il y avait toujours le danger qu'ils se fassent passer pour de purs blancs ensuite. Il était préférable d'en finir avec eux maintenant, tant que nous les avions sous la main. J'avais dans l'idée que leur voyage dans le canyon, au nord d'ici, était un aller simple! »[5]. Le sort des non-blancs est donc clair. Mais le même sort attend tous ceux qui ne se rangent pas derrière la cause : « Le Jour de la Corde a eu lieu aujourd'hui. Une journée sinistre et sanglante, mais une journée inévitable. Cette nuit, pour la première fois depuis des semaines, tout est calme et complètement pacifié dans tout le sud de la Californie. Mais la nuit est remplie d'une horreur silencieuse; des centaines de milliers de réverbères, de poteaux électriques et d'arbres à travers cette vaste métropole, prennent de sinistres formes. Dans les zones éclairées, on voyait des corps pendus partout. Même les feux tricolores aux intersections avaient été réquisitionnés, et pratiquement à tous les coins de rue où je suis passé, en me rendant au QG, il y avait un corps se balançant, quatre à chaque intersection. A environ un mile d'ici, un groupe d'environ 30 corps se balance d'une simple passerelle, chacun avec une pancarte identique autour du cou portant la légende, "j'ai trahi ma race". »[6] Rappelons que ces lignes sont écrites en 1978, dix ans seulement après les derniers lynchages de noirs dans le Sud des USA.
Un Nazisme assumé
Au-delà d’un roman apocalyptique prônant l’utilisation de l’arme atomique pour purifier le monde et réaliser un pogrom mondial, Les cahiers de Turner distille un négationnisme totalement décomplexé. Ainsi lorsque Turner dénonce la présentation qui est faite de sa cause dans les médias officiels : « Ce qui se produit à présent est une réminiscence de la campagne orchestrée contre Hitler et les allemands depuis les années 40: les histoires d'Hitler entrant dans des rages folles au point de mordre les tapis, les plans germaniques d'invasion de l'Amérique, les bébés écorchés vifs pour fabriquer des abat-jours et transformés en savonnettes. Les bobards des filles kidnappées et placées dans des "haras" nationaux-socialistes, sans oublier la loufoque légende des chambres à gaz et leurs très lucratifs six millions. Les juifs ont réussi à convaincre le peuple américain de l'authenticité de ces mythes. Le résultat de la seconde guerre mondiale fut une boucherie pour les millions des meilleurs de notre race, ainsi le placement de l'Europe Centrale et de l'Europe de l'Est, dans un gigantesque camp de concentration communiste. Maintenant, il semble bien que le Système ait de nouveau décidé de déclencher un état d'hystérie dans le public, en nous représentant comme une menace plus importante que celle que nous représentons en réalité. Nous sommes les nouveaux allemands. »[7] Un passage qui, à lui seul, explique pourquoi ce livre n’est pas disponible en librairie[8].
Le fond du livre est clairement un appel au soulèvement armé afin d’établir une suprématie blanche, de sauver « l’héritage aryen » menacé par le métissage d’une société cosmopolite dominée par les Juifs : « Nous avions le choix, nous avions d'autres références, qui nous auraient permis d'éviter le piège de la gangrène juive. Nous n'avons aucune excuse. Des hommes de sagesse, d'intégrité et de courage nous ont prévenus, encore et encore des conséquences de notre folie. Et même lorsque nous étions tous en train de marcher le long du "chemin fleuri des juifs," plusieurs opportunités se sont présentées à nous pour nous libérer des tentacules de la pieuvre. La plus récente eut lieu il y a 50 années de cela, quand les juifs étaient coincés dans leur conflit pour devenir les maîtres de l'est et du centre de l'Europe. Nous nous sommes rangés du côté des juifs lors de cette bataille, comme toujours. » [9] Délire direz-vous. Mais contenu similaire à ce que disait un Céline fin des années 30[10].
La fin du livre ne laisse d’ailleurs aucun doute sur la filiation politique de son auteur et du message politique qu’il porte : « Mais ce fut en 1999, selon la chronologie de l'Ancienne Ere : 110 ans après l'anniversaire de naissance de l'un des plus grands fils de notre sang que le rêve d'un monde blanc devint finalement une certitude. Et ce, grâce au sacrifice d'innombrables braves, hommes et femmes de l'Organisation durant les années précédentes. Ils avaient maintenu ce rêve vivant jusqu'à sa réalisation. Earl Turner avait été l'un de ces milliers de protagonistes. Il gagna l'immortalité en ce sombre jour de novembre, il y a 106 ans, lorsqu'il accomplit fidèlement son devoir envers sa race, pour l'Organisation et pour l'Ordre élitiste qui l'avait accepté dans ses rangs. »
Précisons, pour le lecteur qui ne serait pas habitué à la littérature d’extrême droite et à ses messages légèrement codé que si l’on retranche 110 à 1999 on arrive à 1889. Soit l’année de naissance à Braunau d’un certain… Adolf Hitler !
Notes

[1] Macdonald, Andrew (William L. Pierce), Les Carnets de Turner. La version que nous avons trouvée sur Internet comptait 200 pages A4.
[2] P.20
[3] Voir Le Fascisme est de droite in Aide-Mémoire n°47 de janvier-février-mars 2009 et La révolution conservatrice in Aide-Mémoire n°48 d’avril-mai-juin 2009
[4] P.65
[5] P.149
[6] P.152
[7] P.42 Voir Quand le relativisme sert à masquer le négationnisme in Aide-Mémoire n°34 d’octobre-novembre-décembre 2005.
[8] Mais téléchargeable en version française sur Internet après 30 secondes de recherches…
[9] P.158
[10] Voir L’antisémitisme est-il une futilité ?in Aide-Mémoire n°26 d’octobre-novembre-décembre 2003.

dimanche 25 septembre 2011

Deux conférences en octobre

Je donnerai deux conférences dans le courant du mois d'octobre.

  • le jeudi 13 octobre à 20 h à la Maison de la Laïcité d'Hannut sur mon dernier ouvrage, Vive la sociale

  • le mardi 25 octobre à 19h30 à l'espace laïcité de Waremme sur La communication de l'extrême droite

samedi 6 août 2011

Vive la sociale en vidéo

Le CAL a décidé d'investir dans la communication multimédia. Dans ce cadre de courtes capsules vidéos sont réalisées par le journaliste Pierre SCHONBRODT et mise directement en ligne.
Mon dernier livre, Vive la sociale, a fait l'objet d'un reportage tourné dans les locaux de l'IHOES.



Vous pouvez également consulter cette vidéo sur le site de la web-tv du CAL

Hommage à Julien Lahaut

Comme chaque année un hommage à Julien Lahaut (voir sa biographie ici) est programmé.
Le jeudi 18 août à 17h00, et pour la deuxième fois, ce sont le PC et le PTB qui appelle à un rassemblement au cimetière des Biens Communaux sur les hauteurs de Seraing.
Le message de cette année est clair:
"A l’heure où les conquêtes sociales et les services publics sont totalement remis en cause par le traité de Lisbonne et la mondialisation, il nous apparait indispensable de rappeler les valeurs qui ont éclairé la vie de Julien Lahaut , militant anti fasciste de la première heure, résistant et ardent défenseur des aspirations populaires.
C’est parce que ces valeurs font tellement défaut aujourd’hui que nous insistons sur votre présence."

jeudi 21 juillet 2011

Une troisième voie : le socialisme racial

Cet article a été publié dans Aide-Mémoire n°57 de juillet-septembre 2011, p.11

Nous l’avons déjà évoqué dans cette rubrique, une frange de l’extrême droite aime à se qualifier de troisième voie[1]. Cette tendance remonte aux années 30. « Ni Trust, ni Soviet » est alors le résumé de leur positionnement politique.

Du Trotskisme au Nouvel Ordre Européen

Avant d’analyser le contenu du livre Socialisme national contre marxisme[2], une présentation de son auteur est indispensable[3]. René Binet (1913-1957) commence à militer au sein du Parti Communiste du Havre avant d’en être exclu en 1935 et de rejoindre la IVe Internationale fondée par Trotski. Il continue en parallèle à militer au sein de la CGT. Le tournant est la Seconde Guerre mondiale. Fait prisonnier, il évolue politiquement et se rapproche de l’ancien communiste Jacques Doriot ainsi que de Marc Augier[4]. Cette évolution aboutit à son engagement au sein de la division SS Charlemagne. Cette évolution, qui peut sembler incongrue, est basée sur l’antistalinisme. À la Libération, Binet continue son combat politique et participe dès 1946 à plusieurs mouvements, dont celui des frères Sidos[5]. Il participe en 1951 à la réunion internationale de Malmö, où l’on retrouve également Maurice Bardèche[6] et Oswald Mosley[7]. C’est à cette occasion qu’il crée le Mouvement social européen, qu’il quitte rapidement pour fonder avec Gaston-Armand Amaudruz le Nouvel Ordre Européen (NOE), un parti ouvertement raciste. Ce mouvement, qui existerait toujours, a surtout été actif dans les années 1960. Amaudruz, un suisse condamné à la prison pour négationnisme, préface l’ouvrage que nous allons analyser. Publié par « l’Institut supérieur des sciences psychosomatiques, biologiques et raciales », une structure fondée en 1969 à Barcelone par le NOE, le livre est en fait une réédition d’une première version sortie confidentiellement en 1950.

Ni marxisme, ni capitalisme

Le parcours de René Binet est éclairant. Il fait partie de ces militants qui ont cru au double langage contenu dans le terme « national-socialiste » et pensait qu’une idéologie commune allait pouvoir transcender le nationalisme. Il fait ainsi un constat amer que nous avions déjà rencontré quand nous avions étudié le fascisme roumain[8] : « enfin, on peut ajouter que ce fut l’erreur du nazisme allemand et d’Hitler en particulier d’avoir fait aussi un racisme national au lieu de regrouper les quatre grandes races fondamentales de l’Europe sur une base nouvelle. Au moment où l’Allemagne passagèrement victorieuse pouvait disposer de l’Europe, l’application de la discrimination raciale sur une base rigoureuse eût permis la création immédiate d’un équilibre, d’une série d’États racialement unis à travers le continent »[9].

Après avoir été militant marxiste, il s’est détaché de celui-ci. Son livre est donc la dénonciation d’un système idéologique bien connu par son auteur qui en a gardé cependant quelques éléments. C’est ainsi que contrairement à de nombreux autres auteurs d’extrême droite, Binet ne plaide pas pour la création de syndicats corporatistes ou nationaux, mais pour une prise de contrôle des structures syndicales existantes qui ont la confiance des travailleurs que l’on veut toucher. C’est ainsi également qu’il se réfère aux socialistes pré-marxistes, principalement le courant français qui sera plus tard qualifié de « socialisme utopique » en opposition au « socialisme scientifique ». Cette nuance apportée, la charge contre le marxisme constitue l’essentiel de l’ouvrage. Pour lui, l’orthodoxie marxiste est devenue une terreur intellectuelle dépassée alors qu’il lui reconnait un rôle et une pertinence pour le 19e siècle. C’est en fait l’expérience de l’URSS qui a démontré que le marxisme ne pouvait fonctionner, notamment parce qu’il a évolué en une dictature avec le stalinisme : « (…) la liberté et le système marxiste sont inconciliables, (…le vrai socialisme) donnera réellement à l’homme le maximum de liberté compatible avec la vie en société, passe par d’autres voies que celles du marxisme. »[10].

Outre cette critique, l’autre point central pour Binet est un aspect classique de la propagande de l’extrême droite des années 30-40 contre l’URSS que l’on synthétise souvent dans la formule de l’ennemi judéo-bolchévique : « La privation progressive de droits des peuples de l’Est en face d’une couche dressée dès l’origine pour la lutte de races et la domination des autres races, en fait le terrain d’élection pour la prise en mains totale du pouvoir par la couche étrangère au pays. Cette prise du pouvoir étant accomplie, il n’y a qu’un pas pour que la lutte s’élargisse et que l’État soviétique ne devienne le tremplin d’une agression contre l’ordre traditionnel du monde européen. »[11] En clair, il dénonce le fait que de nombreux dirigeants de la révolution communiste seraient Juifs, tout comme Marx. Binet parle d’ailleurs au sujet de ce dernier de « socialisme levantin » qu’il oppose au « socialisme national » qu’il prône.

Nous l’avons cependant souligné dès le départ, le marxisme n’est pas le seul qui est critiqué. Le capitalisme l’est aussi. Mais comme nous avons déjà eu l’occasion de le voir dans cette chronique, c’est le capitalisme mondial, « cosmopolite », que l’on critique et pas le système économique en soi[12] : « Tout cela pose désormais un problème d’indépendance à l’égard du capital financier. Nous avons bien fixé que le socialisme moderne formant la réalité nationale impose une tâche précise au capital industriel, à l’ouvrier et au paysan. Il est nécessaire pour que cette tâche soit accomplie en toute liberté que l’indépendance nationale, l’indépendance de la communauté ainsi constituée, soit garantie et protégée par l’État. »[13]. Ce double rejet, en miroir, est théorisé dans un raccourci saisissant : « Le marxisme est l’adaptation du capitalisme au développement technique de notre époque. En plus bref, la société marxiste russe est le type de la société capitaliste du 20e siècle »[14]. Face à cela, la solution est évidente : « Nous préconisons la construction d’un nouveau Parti du peuple français qui soit capable de reconstituer l’Unité d’un peuple que des forces étrangères et capitalistes conjuguées ont réussi à diviser. Nous savons que la couche sociale décisive pour réaliser cette unité et la rendre dynamique est la classe ouvrière »[15]. Et non la classe moyenne, comme la majorité des penseurs d’extrême droite le pensent, ce qui fait l’originalité du courant de pensée auquel appartient Binet.

Un racisme puissant

Comme on a déjà pu le constater, le racisme est au cœur de l’idéologie de Binet. Un racisme virulent. D’autant plus virulent qu’il se veut scientifique, prétention que nous avons rencontrée plus d’une fois : « Depuis peu, on prétend plier les peuples occidentaux à des conceptions élaborées par des fils de rabbins, descendants de bédouins pillards, ou plus encore à des méthodes sénégaliennes apportées chez eux par des “députés” aux mœurs de gorilles. Sous le fallacieux prétexte que tous ont l’habitude de se tenir sur leurs pattes d’arrière, on a voulu antiscientifiquement les tenir pour les membres d’une seule et unique espèce. Avant seulement de parler “d’humanité”, histoire humaine et autres termes généraux, nous voudrions entendre qu’on nous précise ce qu’est l’homme. Nous ne croyons pas qu’un même nom puisse s’appliquer uniformément à toutes les races. Chacune d’elles manifeste des différences physiques, physiologiques, psychiques trop considérables pour qu’un même terme générique les puisse désigner. Chaque race peut former une société homogène dont nous ne préjugeons pas la hiérarchie, mais non pas un tout uniforme avec les autres »[16]. Si dans cet extrait, on ne fait guère de hiérarchie entre les races, on sent bien dans le propos que le blanc est considéré comme supérieur. Ce qui se confirme plus loin quand il défend la ségrégation effectuée dans les syndicats américains contre les noirs. Et d’utiliser une comparaison classique des « experts » raciaux de l’extrême droite[17] : « de même que nous nous indignons de voir un charretier frapper son cheval et le traiter brutalement, il nous déplaît de voir maltraiter les noirs. Mais, de là à en faire des électeurs ailleurs que chez eux, il y a toute une gamme de nuances (…). Nous ne tenons pas pour possible d’accepter entre eux et nous le mélange des sangs que quelques-uns admettraient facilement (…). Le développement et l’émancipation des peuples colonisés ? Oui, mais sur la base de leurs traditions et de leurs caractéristiques raciales. Ils sont aussi inaptes à recevoir notre civilisation que nous à nous adapter à la leur »[18]. Notons ici que l’argument final repris à la fin de cet extrait, à savoir le fait que chacun doit vivre selon sa culture dans son lieu d’origine est celui utilisé aujourd’hui par l’extrême droite dans son discours de défense de la culture européenne.

Le Darwinisme

Au-delà de l’expression d’un racisme profond avec des termes et des comparaisons aujourd’hui interdites légalement, c’est une conception des rapports sociaux au sens large – que nos lecteurs connaissent bien maintenant – que René Binet exprime : « J’avais au contraire acquis la certitude théorique, doctrinale, et non seulement sentimentale et a priori, que non seulement c’est l’homme qui fait l’histoire comme le dit Marx, que c’est l’homme qui détermine l’économie, mais qu’au-delà des lois du développement, des lois sociales historiques et autres, au-dessus d’elles et antérieures à elles, règnent les lois du développement humain. Lois biologiques qui subordonnent toutes les sociétés en voie de progression à un impératif de sélection individuelle avant de régler les rapports sociaux des individus et des sociétés. Impératif de sélection, devant lequel la lutte de classe s’estompe si elle ne disparaît pas complètement. Seule la notion de hiérarchie des individus et des races était capable de résoudre tous les antagonismes sociaux en créant la hiérarchie équitable des valeurs individuelles.»[19] Le darwinisme social, élevé au rang de science, est donc bien à nouveau au cœur de l’explication du monde d’un penseur d’extrême droite pourtant quelque peu atypique.

Notes

[1] Voir « Un vrai fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite » in Aide-mémoire n°31 de janvier-février-mars 2005 et « Du socialisme au fascisme » in Aide-mémoire n°41 de juillet-août-septembre 2007.
[2] Binet, René, Socialisme national contre marxisme, Montréal-Lausanne, Editions Celtiques-ISS, 1978, 157p.
[3] Comme souvent les renseignements sont issus du site Metapedia
[4] Plus connu sous son nom de plume de Saint-Loup. Voir « Le Militaria, porte d'entrée de l'idéologie d'extrême droite » in Aide-mémoire n°46 d'octobre-novembre-décembre 2008.
[5] Voir « La tendance païenne de l’extrême droite » in Aide-mémoire n°38 d’octobre-novembre-décembre 2006.
[6] Voir « Quand le relativisme sert à masquer le négationnisme » in Aide-mémoire n°34 d’octobre-novembre-décembre 2005 et « Le fascisme n’a pas confiance dans le peuple » in Aide-mémoire n°53 de juillet-août-septembre 2010.
[7] Voir « Le nationalisme européen de l’extrême droite » in Aide-mémoire n°35 de janvier-février-mars 2006.
[8] Voir « Le bilan du nationalisme » in Aide-mémoire n°39 de janvier-février-mars 2007.
[9] P.81
[10] P.61
[11] P.91
[12] « Force, Joie et Travail! » in Aide-mémoire n°45 de juillet-août-septembre 2008.
[13] P.121
[14] P.22
[15] P.122.
[16] P.66
[17] Voir « De l’étalon au noble SS » in Aide-mémoire n°27 de janvier-février-mars 2004.
[18] P.143
[19] Pp.12-13

samedi 9 juillet 2011

Le Plan Marshall, messie de la Wallonie

Cet article a été publié dans Espace de libertés, n°399 de juillet-août 2011, p.27

Alors que les négociations pour la formation d’un gouvernement continuent à ne pas commencer, Luc Pire a commandé un livre de circonstance à Paul Magnette sur la question du nationalisme. Le brillant universitaire, devenu ministre et souvent cité comme successeur d’Elio Di Rupo à la tête du PS, s’est adjoint l’aide de Jean Sloover, bien connu de nos lecteurs, pour produire un ouvrage concis sous forme d’interview[1].

Si le livre s’avère agréable à lire et est assez instructif, il déçoit cependant au vu de ce que l’on peut attendre d’un professeur de science politique. Car au final, Magnette n’apporte rien de bien neuf à la question de l’analyse des raisons pouvant expliquer le nationalisme en général, et le nationalisme flamand en particulier. Le point de départ est un désaccord avec la phrase de François Mitterand disant que « le nationalisme, c’est la guerre ». Dès l’introduction l’auteur précise : « Condamner le nationalisme comme une forme de maladie honteuse ou de déviation morale, c’est contribuer à renforcer encore les mécanismes de victimisation dont il se nourrit. Lui opposer des faits et des chiffres, tenter de le contraindre à prendre ses responsabilités, et à se heurter aux réalités du pouvoir, accepter de négocier les demandes rationnelles qu’il énonce tout en dénonçant ses mythes, telles sont sans doute les seules voies, longues et périlleuses, que les progressistes peuvent emprunter pour l’apprivoiser. »[2]. Pour Magnette, la Gauche se doit de prendre en compte la dimension nationaliste qui répondrait, selon lui, à une aspiration humaine fondamentale qui peut être positive comme l’aurait démontré le nationalisme libéral du 19e siècle.

Le livre s’attache, contexte belge oblige, à expliquer le caractère très peu progressiste du nationalisme flamand avant de se pencher sur le régionalisme wallon. Dans son historique de ce dernier, Magnette tend à montrer l’importance déterminante jouée par les socialistes. Il fait par ailleurs de ces derniers les vrais fondateurs et défenseurs de la région bruxelloise. Mais si l’on comprend bien l’importance politique aujourd’hui de se positionner ainsi, certains « oublis » sont interpellant. Ainsi du fait que le PS, alors toujours PSB, pris énormément de temps à s’emparer de la revendication régionaliste plutôt portée par la FGTB. L’exclusion des régionalistes lors du congrès dits « des incompatibilités », les conséquences électorales de cette décision, ainsi que les positions jusqu’au début des années 70 sont passées sous silence. Or ces dix années sont cruciales dans l’histoire du régionalisme wallon et les socialistes portent une responsabilité importante dans la perte de temps de cette période[3].

Le livre de Paul Magnette peut ainsi également se comprendre comme une volonté de se profiler pour reprendre le positionnement régionaliste quelque peu délaissé ces derniers temps au sein du PS. Si l’héritage n’est pas explicitement évoqué, et on comprendra aisément pourquoi, on retrouve dans les propos du ministre du climat et de l’énergie les accents régionalistes d’un Jean-Claude Van Cauwenbergh, ou d’un José Happart à l’époque de son mouvement « Wallonie région d’Europe ». S’inscrivant clairement dans le droit fil des thèses de l’Institut Jules Destrée, Magnette reste prudent et parvient à un beau jeux d’équilibriste politique quand il lie le Mouvement Wallon et deux des hommes forts du PS actuels, dont le premier cité est pourtant plus connu pour ses sentiments belges que wallon : « Oui, le Plan Marshall est un projet crucial pour la Wallonie, à la fois parce qu’il organise le redéploiement économique de la Région, battant en brèche les préjugés sur son déclin, et aussi parce qu’en faisant travailler ensemble les entreprises, les syndicats, les universités, il nourrit une réelle mobilisation et une prise de conscience collectives. Dans le fond, le Plan Marshall réalise les objectifs phares du mouvement wallon né des grèves de 1960. Ce qui le caractérise, ce sont des réformes de structure adaptées à la réalité socio-économique du début du XXIe siècle (…) Elio Di Rupo et Jean-Claude Marcourt ont en quelque sorte recueilli et modernisé l’héritage politique d’André Renard. »[4]. Pas certains que le fondateur du Mouvement Populaire Wallon partagerait cette analyse…

L’ouvrage, qui plaide au final pour un renforcement des trois régions afin de maintenir l’échelon fédéral, permet de baliser un débat qui s’avère inévitable aujourd’hui. C’est d’ailleurs ce que souligne Johan Vande Lanotte dans sa préface lorsqu’il dit : « Les médias et les partis francophones ont bien du mal à gérer cette situation [le nationalisme flamand NDLR]. C’est pourquoi le livre de Paul Magnette est important. Il introduit un débat qui doit assurément être mené dans la partie francophone du pays et présente un miroir critique à la Flandre »[5]


Notes

[1] Paul Magnette, Grandeur et misère de l’idée nationale. Entretiens avec Jean Sloover, Liège, Luc Pire, 2011

[2] P.22

[3] Voir à ce sujet l’analyse qu’en faisait Jacques Yerna in Julien Dohet et Jérôme Jamin, La Belgique de Jacques Yerna, Bruxelles-Seraing, Labor-IHOES, 2003.

[4] P.104

[5] P.8