C'est l'intitulé que je ferai en introduction au petit déjeuner philosophique de la Maison de la Laïcité de Waremme le dimanche 16 novembre à partir de 9h00
réservation nécessaire auprès de Jacqueline gihousse, présidente : 0494/783171 ou jgihousse@gmail.com
Petite introduction :
"aujourd'hui encore, le dessin de presse en dit parfois bien plus long
sur une situation politique ou sociétale que des articles très fouillés.
Durant l'occupation, la caricature fut également utilisée pour diffuser
un message, pour relater la vie quotidienne. Nous analyserons comment
les dessinateurs qui ont collaboré ont décrit les différents épisodes de
la seconde guerre mondiale et quels sont les thèmes qu'ils ont abordés.
A partir de cet exemple des années 40-45, nous analyserons comment
l'actualités immédiate a été traitée. Plus largement, ce sera l'occasion
de pratiquer la critique et le décodage de l'image."
Vous trouverez rassemblés sur ce blog tous les textes que j'ai publié ainsi que quelques inédits et les annonces de mes conférences. Pour me contacter : julien.dohet@skynet.be
dimanche 9 novembre 2014
samedi 18 octobre 2014
Le livre : une arme idéologique
Cet article est paru dans le n°70 d'octobre-décembre 2014 de la revue Aide-Mémoire, p.11
Les dernières élections
municipales en France ont vu se confirmer la progression du Front National qui
a réussi à se repositionner dans une dynamique électorale positive après
quelques échecs. Le résultat a été la conquête de 11 mairies par les listes d’extrême
droite. Immédiatement, le discours a tenu à préciser que les excès des années
90 ne seraient pas reproduit, et ce dans la logique de
« normalisation » prônée par Marine Le Pen[1].
Comme sur d’autres sujets, le vernis de respectabilité s’est craquelé rapidement.
« L’affaire Monchaux »
Mediapart, qui a décidé d’effectuer une veille sur la gestion des
villes dirigée par des maires FN ou apparentés, a révélé mi-juin que
Marie-Dominique Desportes avait été engagée comme directrice générale des
services du 7e secteur de Marseille. Il se fait que cette personne,
à l’époque directrice des affaires culturelles et des activités d’animation à
Marignane, fut au centre du processus de « rééquilibrage » du contenu
des bibliothèques publiques qui sera effectué dans les années 90 avec
l’élimination de livres et de journaux de « gauche » remplacés par de
la littérature d’extrême droite et l’abonnement à Présent, National Hebdo
et Rivarol. Cette politique,
illustrative de la gestion de l’époque des villes FN, avait légitimement
provoqué une importante polémique.
Loin d’être un coup de folie, il
s’agissait d’une simple application de l’idéologie que l’extrême droite prône
dans ses écrits et discours. Censurer des livres de gauche, sur
l’homosexualité, qui présentent les civilisations étrangères de manière
positive, y compris au niveau de la littérature enfantine relève d’une logique
politique affirmée. Le livre écrits pour
nuire de Marie-Claude Monchaux[2]
est particulièrement illustratif, lui qui sera à l’origine de ce que l’on a
appelé « l’affaire Monchaux » au milieu des années 80. Durant trois
ans, une virulente polémique sera entretenue après la publication de ce
pamphlet[3]
sur base de certains arguments évoqués dans le livre, mais aussi d’un activisme
important auprès des bibliothèques. Ce nécessaire activisme est d’ailleurs
plaidé par l’auteur : « Je tiens à spécifier que le 20 avril 1983, j’ai
adressé une lettre au Président de contrôle des publications pour la jeunesse,
Bureau des affaires judiciaires, 13 place Vendôme, Paris, en consignant les
faits que je rapporte ici, et en précisant que ce livre se trouvait dans nombre
de librairies, sans compter les bibliothèques enfantines où « il sort toujours
» avec impunité. Je demandais l’attention de la commission et la suppression de
cette seule page 116. Je ne dirai pas qu’on m’a bien ouvertement ri au nez,
mais c’est tout comme ! »[4]
Le but du livre de Monchaux est
on ne peut plus clair : « Dans la majorité des maisons d’édition
françaises contemporaines pour l’enfance et la jeunesse, un certain nombre de
livres, attrayants par leurs couleurs, leur présentation, par la popularité de
la collection à laquelle ils appartiennent, sont des ouvrages corrompus. Ils
établissent une véritable pourriture morale. Cela s’exerce dans tous les
domaines où l’on peut frapper un enfant avec des mots : la permissivité
(voire l’incitation) à la drogue, au vol, à une vie sexuelle précoce, le rejet
de la famille, l’attaque et le crachat sur les lois et les institutions du pays
où nous vivons, la justification de la violence »[5].
Comme on peut le lire dans cet extrait, le style se veut virulent et ne
s’embarrasse pas de nuances pour dénoncer les dérives des romans pour enfants,
l’auteure n’abordant pas la Bande Dessinée. La pression sur les responsables
des bibliothèques est claire : « Je dis avec force que c’est un acte
aussi vil de la part d’un responsable de l’éducation (professeur, moniteur,
bibliothécaire, etc.) de mettre entre les mains de l’enfant un ouvrage dont cet
adulte responsable sait qu’il ne serait pas approuvé par la morale de la
famille si elle en prenait connaissance, que s’il se livrait à un viol physique
sur cet enfant. Je dis que les livres que je cite sont des livres qui entrent
dans cette catégorie. »[6]
Contre la critique des valeurs traditionnelles
« En miniaturisant les actes
graves, en rejetant la responsabilité sur les bourgeois, la police, le
capitalisme, etc. en étalant les pensées des gentils adultes hostiles au régime
(…) on crée un climat de haine et de révolte où toutes les actions
répréhensibles, deviennent non seulement excusables, mais aisément
compréhensibles, presque inévitable en quelque sorte (…) En fin de compte, nous
avons là une littérature qui constitue une énorme, une convaincante incitation
à la malfaisance. »[7].
Pour Monchaux, ce climat ne vient pas de nulle part. Il est le fruit d’un
complot[8]
des forces de gauche « Tout se passe comme si ces auteurs, ces éditeurs, ces
responsables poursuivaient le but d’attiser la lutte, voire la haine des
classes ; de démanteler les structures actuelles de la civilisation occidentale
contemporaine, de déstabiliser la famille, de discréditer l’ordre social, les
mœurs, et d’affaiblir les lois, l’armée, la sécurité, la nation »[9].
L’offensive est facilitée par le fait que la gauche a mis la main sur la
littérature scientifique, sur les colloques et surtout sur les revues
spécialisées sur lesquelles les bibliothèques de province se basent pour leurs
achats : « Bientôt nous saurons d’une éclatante façon si ce volontaire
pourrissement qu’on constate dans les livres d’enfants depuis 1968, sur lequel
les revues spécialisées, toutes d’orientations de gauche, disons-le, ont fait
un silence pudique, ou bien ont parlé en termes d’une modération surprenante,
ressortissait d’un plan concerté ou non. Ce sera facile : Si les prochaines
élections législatives conservent le pouvoir à la majorité actuelle, et si les
livres pour enfants se « moralisent » à partir de ce moment là, cela indiquera
nettement que la majorité en question n’entend pas se faire démolir par des
soixante-huitards attardés, et qu’il sera temps de rentrer dans le rang ! »[10]
La manœuvre passe notamment par
le dénigrement et le mensonge : « On leur ment. On leur ment dans les
livres d’Histoire. C’est si facile. On leur dit qu’à gauche est le Bien et qu’à
droite de cette gauche est le Mal. Qu’à droite est l’argent. C’est à cela qu’on
reconnaît la droite : un homme de gauche n’a jamais d’argent. Il va en
guenilles, il travaille pour un exploiteur. Qu’à droite est l’argent qui n’a
pas de cœur. Et qu’à gauche est le cœur qui n’a pas d’argent. Un homme de
gauche n’est jamais dans l’aisance en Occident, dans l’opulence encore moins.
Et ils croient cela. Car il est plus facile d’adhérer à un manichéisme aussi
réconfortant, que de réfléchir »[11].
L’auteure appuie sa thèse par de nombreuses citations des ouvrages qu’elle
dénonce et par la multiplication d’exemples comme ici : « Bastien, gamin de Paris, c’est un roman
pour enfants de Bertrand Solet qui connaît des rééditions continuelles aux
éditions La Farandole, depuis 1968. C’est une petite histoire bien menée par un
conteur qui « cible » son public, comme on dit dans la presse
spécialisée. Mais cette histoire à rebondissements se passe pendant la Commune,
et Bastien est le petit garçon d’un menuisier du faubourg Saint Antoine. La
Commune est vue du côté des Communards, et d’eux seuls. À la portée d’un
enfant, à travers les péripéties que vit un enfant de dix ans, sur les
barricades, à travers l’exaltation, les défilés, les yeux sur le drapeau rouge.
« Il fallait bien que les enfants connaissent la Commune autrement que les
extraits des Contes du Lundi qu’on
retrouvait toujours dans les « Morceaux
choisis » dit-on parmi les chapelles du livre d’enfants. Mais je puis
dire – je suis en mesure d’affirmer qu’il ne s’agit pas du tout du même impact.
Daudet était « à droite » et les Contes
du Lundi sont du côté Versaillais »[12].
Ou dans cet autre extrait consacré à la seconde guerre mondiale et à la Résistance :
« La police française est aussi présentée dans ce livre comme odieuse,
collaborant avec les SS et riant méchamment. J’en ferai là une affaire
quasiment personnelle : mon père était résistant (gaulliste) et policier.
Grâce à lui et ses amis, une quantité de juifs ont pu échapper aux allemands.
C’est avec violence que je m’élève contre l’écœurante partialité de Nous retournerons cueillir des jonquilles, ce
petit roman haineux en forme de patriotisme qui ne tend qu’à souffler le
discrédit sur les français de la Résistance qui n’étaient pas FTP. C’est encore
salir les enfants. Ce n’est pas un roman sur la guerre et la Résistance, c’est
une action volontaire de propagande communiste, et elle n’est pas propre et
elle n’est pas digne »[13]
La Révolution, La commune, la
Résistance, mai 68… la guerre d’Algérie ne pouvait évidemment pas ne pas être
abordée : « Vous n’avez rien de plus gai pour les enfants ?
Si : L’Algérie ou la mort des autres
de Virginie Buisson (Gallimard, Folio/Jeunesse) : une histoire comme cela
ne s’oublie pas quand on a treize ans. Avez-vous besoin que je vous dise que
les militaires français n’y sont pas très sympathiques, torturent, que la peur
et la mort et la souffrance font un décor de sang atroces (…) Pensez-vous que
ce soient là des abominations dans lesquelles il est sain de plonger des
enfants qui espèrent tout du monde ? »[14].
On le voit, ce sont en fait toutes
les critiques sur les thèmes et épisodes historiques chers à l’extrême droite
qui sont attaqués par Monchaux qui défend donc la vision du monde de son
courant idéologique et politique. Les passages moralisateurs sont également
bien présents : « Dans je suis
un nuage, on a déjà vu une gamine s’avaler une énorme dose de whisky
(p.148) et cela arrive trop souvent, beaucoup trop souvent parmi le monde
fictif des héros de romans pour la jeunesse dès les premières manifestations
acnéiques de leur puberté. Je le signale parce qu’on ne dénonce pas assez les
épouvantables ravages de l’alcool. C’est une forme de drogue, aussi nocive que
l’autre. Le tabac également. À ce sujet, je tiens à dire en passant que Morris
(…) a bien volontiers retiré de la buche de Lucky Luke son célèbre mégot. (…)
cette mesure de sécurité date de la campagne contre le tabac du septennat de V.
Giscard D’Estaing (…) Et non seulement Lucky Luke n’est pas affadi, mais au
contraire il donne la preuve éclatante de sa discipline personnelle, de sa
volonté de renoncer à une habitude nocive. »[15].
Tout comme la dénonciation « d’incartade » provenant de ce qu’elle
considère comme son propre camp : « Et c’est une grande vertu dans ce
métier que d’avoir le souci de ne pas nuire, sans pour autant tomber dans le
conventionnel, ni l’aseptisé (…) Ce n’est pas le cas de ces démiurges qui
dressent l’enfant, tout jeune à mépriser, à cracher, à haïr. (…) Haïr l’armée
d’abord ! Est ridicule tout ce qui porte un uniforme. Voilà ce que dit L’uniforme ensorcelé aux éditions du
Cerf. Ce n’était pourtant pas ici qu’on pouvait légitimement attendre une si
violente et si stupide attaque. Le Cerf est une maison d’édition à vocation
catholique, et a publié une quantité de livres exquis ou magnifiques. Mais
celui-là est à classer dans la catégorie évoquée plus haut des « imbéciles
utiles ». »[16]
Une idéologie cohérente et plurielle dans sa diffusion
Il n’y a aucun doute sur le fait
que les livres pour enfant présentés par la Bibliothèque Georges Orwell en page
9 entreraient dans la catégorie des « écrits pour nuire ». Plus
sérieusement, cet ouvrage, et le rappel de l’influence qu’il a eu, nous permet
de rappeler que la démarche de cette chronique est de démontrer la cohérence de
l’idéologie d’extrême droite (d’où le renvoi en note de bas de page vers des
articles précédents), mais surtout de permettre aux lecteurs d’appréhender
directement la manière dont cette idéologie se construit et s’exprime à travers
des écrits variés. Avec cet ouvrage, on constate une nouvelle fois qu’au-delà
des livres politiques proprement dit, le récit de voyage[17],
le roman de guerre[18],
le roman d’anticipation[19],
la BD[20]…
toute forme que nous avons analysée ces dernières années, permettent à
l’extrême droite de diffuser son message. À l’occasion de la rentrée scolaire,
il nous a semblé intéressant d’aborder notre sujet par ce nouvel angle original
qu’est la littérature enfantine.
[1]
Voir Retour sur le discours du fondateur de la dynastie Le Pen in A-M
n°56 d’avril-mai-juin 2011
[2] Marie-Claude
Monchaux, écrits pour nuire. Littérature
enfantine et subversion. Paris, Union Nationale inter-universitaire /
Centre d’études et de diffusion, 1985, 125 p.
[3] Daniel
Delbrassine, Censure et autocensure dans
le roman pour la jeunesse, in Parole Revue de l'institut suisse Jeunesse
et Médias, 2, 2008, pp.8-11
[4] P.41
[5] P.5
[6] P.47
[7] P.34
[8] Sur
la question du complot, voir les travaux de Jérôme Jamin, notamment L'imaginaire du Complot: Discours d'extrême
droite en France et aux Etats-Unis
[9] P.6
[10] P.119
[11] P.114
[12] Pp.114-115.
[13] P.118
Voir Le « résistantialisme », un équivalent au négationnisme in
A-M n°44 d’avril-mai-juin 2008
[14] P.83
Voir Quand la résistance et le droit d’insurrection sont-ils justifiés ? in A-M
n°55 de janvier-février-mars 2011 et La pensée
« contrerévolutionnaire »
in A-M n°36 d’avril-mai-juin 2006.
[15] P43
[16] P.93
[18] Voir Le Militaria, porte d'entrée de l'idéologie d'extrême droite in A-M n°46
d'octobre-novembre-décembre 2008
[19] Voir
Ecrire peut avoir des conséquences in A-M
n°58 d’octobre-novembre-décembre 2011
mardi 23 septembre 2014
Pour une laïcité du XXIe siècle
C'est sous cet intitulé que j'interviendrai le
et ce dans le cadre de son 30e anniversaire.
Cette conférence sera précédée d'un verre de l'amitié et d'un cabaret chanté.
vendredi 10 octobre
à 20h à la Maison de la laïcité de Tournai (rue des clarisses n°13)et ce dans le cadre de son 30e anniversaire.
Cette conférence sera précédée d'un verre de l'amitié et d'un cabaret chanté.
jeudi 17 juillet 2014
1945 ne marque pas la fin des dictatures d’extrême droite en Europe
Cet article est paru dans le n°69 de la revue Aide-Mémoire de juillet-septembre 2014, p.11
Le 25 avril
1974, un coup d’état militaire mené sans coup férir par de jeunes capitaines
mettait fin à la dictature au Portugal sur l’air devenu célèbre de Grandola. Cet épisode de l’histoire
portugaise, mettant fin à un régime d’extrême droite également mis en place par
un coup d’état 48 ans plus tôt, en mai 1926, sera qualifié de Révolution des
Œillets. L’occasion, 40 ans plus tard, de revenir sur la personnalité de
Salazar et sa vision politique que nous avions déjà abordé dans une de nos
premières chroniques[1]
La spécificité portugaise
Nous
analysons cette fois-ci un ouvrage publié en 1956 en France et regroupant
thématiquement une série de textes et de citations de Salazar rédigés avant et
après la seconde guerre mondiale[2]. Il faut pour commencer souligner la grande cohérence de l’ouvrage sur le plan
des idées qui y sont développées. Le livre est publié alors que le Portugal a
intégré le clan de l’Ouest et fait allégeance aux USA, non seulement dans une
logique de survie mais surtout dans une cohérence idéologique[3] :
« Mais il est de l’intérêt vital des nations de s’opposer à l’expansion de
cette pandémie (le communisme) qui, partout où des minorités audacieuses
parviennent à l’installer, porte atteinte, presque sans exception connue, à
l’indépendance des Etats, à la liberté des individus, aux conquêtes de la
civilisation »[4]. Mais
le pays n’est pas encore englué dans les guerres en Guinée, Mozambique et
surtout Angola pour maintenir sa domination sur ses colonies qu’il considère
comme des extensions du Portugal : « Le problème consiste maintenant
à ne pas gaspiller inconsidérément les conditions qui lui restent encore pour
garantir la vie de l’Occident. Heureusement, toute l’Afrique est une dépendance
de l’Occident européen et forme avec lui, en face de l’Amérique, et d’un pôle à
l’autre, la base matérielle de la mission qu’elle doit continuer à remplir dans
le monde ».[5]
Salazar considère clairement qu’il s’agit là de territoires portugais outre-mer
et qu’il y fait œuvre civilisatrice sur un continent qui ne pourra jamais être
indépendant.
Si sur le
plan international Salazar a choisi son camp bien avant la fin du conflit,
rappelons que son pays sera un refuge pour d’éminents membres de l’extrême
droite européenne en fuite. Ne citons que Jacques Ploncard d’Assac que nous
avions analysé en son temps et qui diffusait sa propagande à partir du Portugal[6].
Comme tout régime nationaliste, Salazar
glorifie le passé du Portugal et tend à insister sur ses spécificités et sa
grandeur révolue, mettant par la même occasion en évidence sa pureté
raciale : « Des guerres, nous en eûmes beaucoup, mais ni invasion ou
confusion de races, ni annexions de territoires, ni substitution de maisons
régnantes, ni variations de frontières ; du premier au dernier, les chefs
eux-mêmes avaient dans les veines le même sang portugais ».[7]
C’est d’ailleurs parcequ’il a voulu copier l’étranger que le Portugal a été en
crise et qu’il a fallu mettre en place ce qu’il nomme une « dictature
provisoire », expliquée ainsi en note de l’ouvrage : « La
période de Dictature, d’ailleurs « modérée » a duré de 1926 à 1933.
Cette année-là, la Constitution a été votée, qui est toujours en
vigueur. »[8].
Si Salazar assume le côté autoritaire de son régime au nom du
nationalisme : « la supériorité de l’intérêt national, à laquelle
doivent se subordonner les intérêts individuels, est entièrement justifiée et
apparaît comme la raison suffisante – mais, en revanche, comme la seule
légitime – des restrictions individuelles, des devoirs, des limitations
imposées à l’exercice des libertés publiques », il tient à se distancier
des régimes fascistes : « Sans doute, il y a dans le monde des
systèmes politiques qui offrent des ressemblances, des points de contact avec
le nationalisme portugais, - d’ailleurs presque exclusivement limités à l’idée
corporative. Mais les différences sont bien marquées dans les méthodes de
réalisation et surtout dans la conception de l’Etat et dans l’organisation de
l’appui politique et civil du gouvernement »[9].
Il va même plus loin en dénonçant, après guerre, les excès du Nazisme raciste
aux racines païennes[10].
Des thèmes toujours aussi habituels
Mais ce qui
est surtout intéressant, c’est de finalement retrouvé, bien plus que dans la
précédente brochure analysée, les thèmes récurrents de cette chronique. C’est
ainsi que la 3e partie s’intitule « les deux grandes valeurs de
base : Dieu et la patrie » auquel on peut rajouter la famille, tant
les citations des différentes époques sur ce thème ne se modifient guères. Sur
le rôle de la Religion, on retrouve une pensée finalement proche de celle de
Maurras[11] :
« Par conséquent, l’Etat portugais n’est pas confessionnel, mais il
reconnaît l’importance tout à fait spéciale de la religion catholique dans la
formation de la conscience portugaise, dans l’action historique de la Nation
et, grâce aux missions, dans la conquête morale des terres d’outre-mer. Donc,
il y va de l’intérêt général de concéder à l’Eglise soutien et sympathie, sans
préjudice de la liberté de culte »[12].
La conception du chef, du guide de la nation,
entièrement dévouée à celle-ci est bien présente. Dans la préface et le
portrait qui encadrent les écrits de Salazar, mais également dans ces
derniers : « Mais l’homme, dans la vie domestique, dans le travail,
dans la Nation, est obligé de s’organiser. Etant donné le déséquilibre de
l’esprit humain, l’ordre n’est pas spontané : il faut que quelqu’un
commande au bénéfice de tous et que le commandement soit confié à celui qui
peut le mieux commander »[13].
Comme tous les dirigeants d’extrême droite, il tient surtout à souligner qu’il
s’agit pour lui non pas de vouloir le pouvoir, mais bien de se sacrifier pour
la nation en travaillant énormément, en n’étant qu’un simple technicien :
« Je comprends que certains aient l’amour du commandement et éprouvent du
plaisir à commander, mais ce n’est pas mon cas. Ne m’intéressant ni aux
richesses ni aux honneurs, n’aimant pas à commander, j’ai toujours travaillé
sans exaltation (…) »[14]
Et d’en revenir à la notion d’autoritarisme parfois bien nécessaire :
« La conscience nationale nous impose de « servir » :
servir l’intérêt du peuple, avec le peuple, malgré lui, momentanément même
contre lui, s’il est nécessaire »[15].
« La société, comme l’individu, s’éduque
quand elle obéit ; elle se démoralise quand elle s’habitue à la
désobéissance sans encourir des responsabilités, ou bien à faire tomber par la
force les unes après les autres les lois les plus justes »[16].
C’est pourquoi nous retrouvons le classique antiparlementarisme virulent dès
les premières pages : « Il nous semble que le caractère fictif du
régime constitutionnel, de la souveraineté du peuple, de la majorité
parlementaire représentant la volonté de la nation, se trouvait, à l’époque –
pour nous tout au moins qui n’avions aucune préoccupation politique – nettement
et indiscutablement prouvé »[17].
Et de préciser sa pensée en faisant d’une pierre deux coups : dénoncer le
parlementarisme et justifier son régime : « Cette équivoque est due à
ce que l’on a admis comme une vérité d’axiome, sans examen approfondi, cette
triple équation : liberté égale démocratie ; démocratie égale
parlementarisme ; parlementarisme égale opposition. Cette équation a été
funestement responsable de ce que, dans un document officiel, les oppositions
portugaises ont accusé de dictature le régime, du fait que le Gouvernement ne
peut être renversé par les Chambres. »[18]
Enfin, si l’ « Estado novo »
portugais se présente comme une troisième voie : « Pour nous qui nous
affirmons, d’un côté, anticommunistes et, de l’autre, antidémocrates et
antilibéraux, autoritaires et interventionnistes, et aussi largement sociaux
que l’exige de nous le principe de l’égalité de tous devant les bénéfices de la
civilisation (…) »[19],
il s’agit d’une troisième voie[20]
qui s’attaque frontalement aux exclus de la société comme les chômeurs :
« Ce que je puis affirmer, c’est que notre expérience (sur le chômage) est
la plus intelligente, la plus originale qui ait été faite. Le subside, sans
travail compensateur, démoralise les individus, les rend indolents, paresseux,
complètement inutiles à la vie d’une société. Le subside, en échange de
travail, au contraire, fait que les hommes ne perdent pas l’habitude de leur
fonction naturelle dans la vie et permet d’enrichir le pays par la réalisation
de travaux publics d’utilité générale »[21]
et dont l’anticommunisme est central car vu comme une lutte pour la survie de
la civilisation : « Il s’est agrégé toutes les aberrations de
l’intelligence et il est, en tant que système, indépendamment de quelques
réalisations matérielles, la synthèse de toutes les révoltes traditionnelles de
la matière contre l’esprit et de la barbarie contre la civilisation. Le
communisme est la « grande hérésie » de notre époque »[22]
L’inégalité
Mais un
ouvrage d’extrême droite ne serait pas complet s’il ne reprenait pas comme
fondement le concept d’inégalité naturelle. Rejetant clairement l’héritage de
1789, Salazar ne fait évidemment pas l’impasse : « On a tellement
proclamé les beautés de l’égalité et les avantages de la démocratie, et l’on
s’est abaissé à tel point, en les exaltant, que l’on a vu s’opérer un
nivellement par en bas, contre l’évidence des inégalités naturelles, contre la
légitime et nécessaire hiérarchie des valeurs dans une société bien
ordonnée »[23].
La solution est donc évidente : « Aujourd’hui, le problème le plus
pressant est celui de la formation d’une élite, suffisante en nombre et en
qualité, pour diriger efficacement la pensée et la vie de la Nation »[24].
Notes
[1] Un
nationalisme religieux : le Portugal de Salazar in n°24 d’avril-mai-juin
2003
[2] Oliveira
Salazar, Principes d’action. Préface de
Pierre Gaxotte. Portrait de Salazar par Gustave Thibon, Coll. Les grandes études
politiques et sociales, Paris, Fayard, 1956, 254 p.
[3] Sur l’Espagne voisine, voir L’idéologie derrière la carte postale in
n°62 d’octobre-novembre-décembre 2012.
[4] P.233
[5] Pp.213-214
[6] Voir La
préparation de la reconquête idéologique in n°42
d’octobre-novembre-décembre 2007.
[7] P.80
[8] P.127
[9] P.85
[10] Sur le
bilan tiré par l’extrême droite des années 30-40, voir Le bilan du
nationalisme in n°39 de janvier-février-mars 2007. Sur les aspects païens
voir La tendance païenne de l’extrême droite in n°38 d’octobre-novembre-décembre
2006.
[11] Voir
De l’inégalité à la monarchie in n°33 de juillet-août-septembre 2005.
[12] Pp.75-76
[13] P.59
[14] P.145
[15] P.51
[16] P.33
[17] P.17
[18] P.156
[19] P.73
[20] Voir Un
vrai fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite in
n°31 de janvier-février-mars 2005
[21] P.115
[22] P174
[23] P.166
[24] P.34
Inscription à :
Articles (Atom)