samedi 27 novembre 2004

La fin de la démocratie représentative ?

Cet article a été publié dans Espace de libertés n°325 de novembre 2004, p.19

Dans son dernier ouvrage, le sociologue de la VUB Mark Elchardus[1], estime que «la forme contemporaine de la démocratie représentative n'est plus adaptée à la société symbolique et ne peut donc résister aux dangers de la démocratie mise en scène. »[2] Ce constat d'une nécessaire refonte de notre système démocratique, s'il n'est pas unique[3], n'en est pas inintéressant pour autant.

Le livre est centré sur le concept de société symbolique, concept qu'Elchardus préfère à ceux de société de la connaissance ou de société de l'information. Dans la société symbolique, les institutions de contrôle traditionnelles, comme la famille, la religion... ont perdus leur influence au profit des écoles, de la publicité et des mass media. L'auteur s'attarde principalement sur la dénonciation de l'omnipotence et de la dérive des médias qui courent derrière l'audience et ne privilégient plus que la forme, négligeant le fond. Cette dérive est passée en politique où le rôle des « spin doctors », les conseillers en communications, est devenu plus important que celui des idéologues. Sur ce thème, l'observation que nous pouvons faire de la dernière campagne électorale est parfaitement exemplative. En Belgique francophone, les affiches des trois principaux partis ne reprenaient que la tête et le nom du candidat avec le numéro de la liste du parti auquel il appartenait. De slogan il n'était pas question. Quand à la clarification de l'enjeu des élections, comment pouvait-il se faire alors qu'il n'était indiqué nulle part si la personne souriante représentée sur l'affiche se présentait à la Région ou à l'Europe ?

Etonnamment Elchardus n'aborde pas la question du contrôle financier des médias[4] alors qu'il se montre très lucide sur la cause principale de la crise de la démocratie représentative occidentale : « Le projet néolibéral veut (voulait), tout comme les libéraux de Manchester d'il y a cent cinquante ans, transformer autant que possible la société en un libre marché. Plutôt que de néolibéralisme, il faudrait parler de paléolibéralisme. (...) L'importance décroissante de l'état et de la politique, et les chances réduites de la démocratie ne sont pas, vues ainsi, l'aboutissement d'un processus naturel. Elles sont la conséquence d'une stratégie politique poursuivie systématiquement sur une longue période. »[5]

On soulignera par contre la pertinence de l'analyse d'Elchardus quand il dit qu'« aujourd'hui, non seulement la fin de la démocratie représentative se dessine mais aussi celle de la souveraineté du peuple. De plus en plus de décisions sont prises par des porteurs d'autorité non élus. Le juridisme, la technocratisation et la dérégulation – comme on l'appelle – réduisent l'espace de la politique et de la démocratie. »[6] Ce constat général peut être illustré par les grands financiers qui se réunissent à Davos mais également par la « société civile ». L'auteur s'interroge d'ailleurs très justement sur la pertinence d'encore parler de démocratie représentative quand le poids des ONG's et autres mouvements sociaux dépend finalement également plus de leur image, de leur expertise et de leur campagne médiatique que du nombre réel de personnes qu'ils représentent.

Les nombreux constats posés par Elchardus débouchent malheureusement sur une conclusion fort maigre et décevante : « La souveraineté du peuple doit surtout se renforcer dans l'environnement immédiat du citoyen et dans des matières pour lesquelles il peut se baser sur son expérience et non sur les médias. Le quartier semble l'environnement ad hoc »[7], d'autant qu'elle n'est pas assortie d'une vision plus large, à l'image du slogan altermondialiste « Agir local en pensant global ».

Notes

[1]Elchardus, Mark, La démocratie mise en scène, Coll. La Noria, Bruxelles, Labor, 2004, 190p.
[2]p.129
[3]Voir notamment l'essai fortement médiatisé d'Alain Destexhe, Alain Eraly et Eric Gillet, Démocratie ou particratie ? 120 propositions pour refonder le système belge. Bruxelles, Labor, 2003 ainsi que l’article d’Emile Peeters, Démocratie ou démocrature. Illusions démocratiques. In Espace de libertés n°322, p.24.
[4]Voir sur cette question les deux études de Geoffrey Gueuens, L'information sous contrôle. Médias et pouvoir économique en Belgique paru chez Labor en 2002 et Tous pouvoirs confondus. Etat, capital et médias à l'ère de la mondialisation paru chez EPO en 2003
[5]p.88
[6]p.165
[7]p.171