vendredi 26 février 2016

Le Nazisme ne se résume pas à Mein Kampf



Cet article est paru dans le n°75 de janvier-mars 2016 de la Revue Aide-Mémoire, p.11



Alors qu’une édition critique de Mein Kampf sort en Allemagne, suscitant certaines interrogations et de nombreux commentaires, il nous est apparu intéressant d’analyser un ouvrage signé également par Adolf Hitler.

Un ouvrage et des auteurs particuliers

Le livre que nous analysons cette fois-ci est un recueil de textes de plusieurs dirigeants de l’Allemagne Nazie publié fin 1936 afin de donner des indications aux lecteurs français de ce qui se passe en Allemagne[1]. Les textes sont présentés comme des documents pour éclairer les personnes intéressées notamment dans le cadre d’un rapprochement nécessaire entre les deux nations car « Après avoir longtemps hésité, je suis persuadé que ce peuple veut la paix avec la France »[2]. Les quatre auteurs ont un statut très différent. Ainsi Ribbentrop fait-il une courte interview à l’auteur assurant que l’Allemagne veut la paix avec la France et ne se réarme que pour se défendre face à la menace de l’Est et le texte de Rosenberg se résume-t-il à 5 pages sur l’URSS enjuivée[3].

Reste donc un long texte de 70 pages d’Hitler et un texte de 50 pages de Goebbels qui forment vraiment l’ossature de l’ouvrage dont, petit détail, chaque page est surmonté de quelques mots résumant l’idée de cette dernière et ce comme dans Mein Kampf[4]. « Je ne suis pas, personnellement, antisémite. Ce ne sont point les petits Juifs qu’il faut d’abord démasquer, mais bien cette internationale du coffre-fort qui mène le monde. Alors, si le petit Juif prend parti pour le gros, tant pis pour lui ».[5] Cette phrase n’est pas issue des deux textes cités, mais bien de « l’étude » qui introduit les textes des dignitaires nazis. Son auteur Yvon-Maurice Sicard vient alors de passer de l’antifascisme à l’extrême droite en suivant Jacques Doriot[6] dans la création du Parti Populaire Français. Sicard deviendra en 38 rédacteur en chef de L’émancipation nationale l’organe du parti dont il deviendra un des principaux dirigeants, allant jusqu’à l’administrer quand Doriot sera sur le Front de l’Est. De plus en plus impliqué dans la collaboration, Sicard à la fin de la guerre fait partie de ces collaborationnistes qui s’exilent en Allemagne. Un concours de circonstance l’empêche d’accompagner Doriot en voiture lorsque celui-ci est tué le 22 février 1945. Il réussit ensuite à rejoindre l’Espagne[7]. Condamné par contumace aux travaux forcés, il bénéficie comme beaucoup de la grâce de 1950[8] et rentre alors en France où il reprend directement des activités au sein de l’Extrême droite notamment via Rivarol et publie alors sous le pseudonyme de Saint-Paulien[9].

L’auteur de l’étude introductive est donc loin d’être neutre. Outre l’antisémitisme, on retrouve bien évidemment l’anticommunisme dans son texte : « C’est la triste vérité ; l’expression révolutionnaire socialiste et communiste fut impitoyablement assujettie au capitalisme juif d’essence internationale »[10] ce qui explique que « Le public français peut comprendre l’acharnement du régime national-socialiste contre le système bolcheviste : la grande majorité des citoyens français refuse aujourd’hui de partir la fleur rouge au fusil, refuse d’aller se faire mitrailler pour M Staline et les mignons du Kremlin. »[11]

Antisémitisme et anticommunisme, deux piliers indissociables[12]

Le discours d’Hitler insiste d’abord sur la différence entre les nazis et leur politique et ce qui se fait et se faisait par les autres partis. Ainsi prend-il des accents de gauche sur l’économie[13] : « Ce n’est pas le peuple qui est fait pour l’économie, c’est au contraire l’économie qui est faite pour le peuple. Peuple et économie ne sont pas les esclaves du capital qui n’a qu’un rôle d’auxiliaire économique et, par conséquent, reste subordonné aux nécessités supérieures du maintien de l’existence d’un peuple »[14] et insiste-t-il sur le fait qu’il a tenu les promesses faites : « si je leur avait prédit qu’après ces quatre années il n’y aurait plus qu’un peuple, qu’aucune social-démocratie, aucun communisme, aucun parti du centre, mais non plus aucun parti bourgeois ne pourrait plus attenter à la vie du peuple allemand, qu’il n’y aurait plus de syndicats pour exciter l’ouvrier et plus de cartels d’entreprises pour corrompre le patron, qu’après ces quatre ans il n’existerait plus aucun gouvernement de province (…) »[15] Une énumération qui montre aussi la vitesse avec laquelle les Nazis on mit au pas l’Allemagne[16]. Le judéo-bolchévisme est abordé à de nombreuses reprises mais peut-être résumé par une citation : « Nous savons tous que le but poursuivi par le bolchévisme est d’exterminer la direction organique des peuples, basée sur la communauté du sang et de la remplacer par l’élément juif tout à fait étranger aux peuples aryens. C’est pourquoi ce problème est international. De même que nous voyons actuellement en Russie la direction des républiques soviétiques et paysannes concentrée dans une proportion de 98% entre les mains de Juifs, qui n’ont jamais été ni paysans ni ouvriers, mais ne sont que des intellectuels cosmopolites parasites et dégénérés, qui avaient besoin d’un milieu allogène et d’un sol étranger pour subsister (…) »[17]. Goebbels ne dit rien d’autre avec cette courte phrase : « Ce n’est pas la dictature du prolétariat mais bien celle de la juiverie qui règne actuellement dans l’Union soviétique sur le reste de la population » [18]

Une vision du monde

Mais c’est sur les éléments de vision du monde que les textes rassemblés ici sont les plus intéressants. Goebbels toujours en montre la spécificité tout en faisant le lien avec la critique du judéo-bolchévisme : « Ce que nous entendons d’ordinaire par idée et conception du monde en général n’a absolument rien à voir avec ce qu’on appelle le « bolchevisme ». Cette doctrine est une folie pathologique, criminelle, manifestement conçue par des Juifs, conduite par des Juifs dans le but d’anéantir les peuples cultivés de l’Europe et de faire peser sur eux une domination judaïque mondiale. Le bolchevisme ne pouvait sortir que du cerveau de Juifs et c’est uniquement sur l’asphalte stérile des grandes villes qu’il a rencontré des possibilités d’extension »[19]. Hitler insiste lui sur le principe d’autorité : « Le principe d’autorité a été, de tous temps, le plus actif ordonnateur des œuvres culturelles. Mais il ne crée pas seulement les conditions générales permettant ces réalisations culturelles, c’est lui aussi qui a créé ces prémices. »[20]. Et de compléter : « Mais le principe de la volonté autoritaire vise à mettre fin à la période de décadence et à inaugurer une nouvelle période d’essor, c’est-à-dire de développement constructeur. L’idée nationale-socialiste, sortie victorieuse du libre jeu des forces, et le mouvement qui la représente, vont donc prendre la direction de la nation non seulement dans le domaine politique, mais dans les domaines économiques et culturel »[21]. À l’inverse, se trouvent les principes démocratiques qu’il critique fermement : « La mentalité qui mène à l’anarchie, on peut dire même la base spirituelle de toute anarchie, c’est la démocratie. Aucun État n’a été créé par la démocratie de tout à l’heure, mais les plus grands empires ont été détruits par ce genre de démocratie. Oui, cette démocratie en ses derniers excès aboutit immanquablement à l’anarchie de même que, en revanche, l’autorité ou, pour mieux dire, le principe autoritaire a toujours immanquablement, dans ses effets, ramené à l’Etat, c’est-à-dire à un ordre commun plus élevé »[22] Avant de se prononcer sur son propre rôle historique : « La postérité ne nous demandera pas si, à cette époque critique et menaçante, nous avons maintenu la liberté démocratique, c’est-à-dire le désordre, mais si nous avons réussi à préserver un grand peuple de la débâcle économique et politique »[23]

Ce rôle historique, Goebbels le souligne à la fin de son texte dans un style qui nous rappelle combien la place du chef est importante dans la logique d’extrême droite : « C’est le mérite historique du Führer – mérite qui lui est d’ailleurs déjà reconnu par le monde entier – d’avoir opposé à l’assaut du bolchevisme aux frontières orientales d’Allemagne, un solide rempart et de s’être dressé ainsi en pionnier spirituel de l’Europe dans son règlement de compte avec les forces subversives de la destruction et de l’anarchie. Vrai chevalier sans peur et sans reproche il a brandi de sa forte main le drapeau de la culture, de l’humanité, de la civilisation et, la tête haute, il l’a opposé à la menace et à la ruée de la révolution mondiale »[24]. Et de terminer par une mise en garde découlant du darwinisme social : « Or, tout pacte que le monde bourgeois conclut avec le bolchevisme radical doit – d’après la loi naturelle suivant laquelle le plus fort vainc le plus faible – aboutir toujours à la victoire du bolchevisme sur la société bourgeoise »[25]

Notes

[1] Adolf Hitler, Dr Goebbels, A. Rosenberg, J. Von Ribbentrop, L’Avenir de l’Allemagne. Précédé d’une étude de Y.-M. Sicard, Paris, Fernand Sorlot, 1936, 171p.
[2] P.13
[3] Voir Alfred Rosenberg. Journal 1934-1944, Paris, Flammarion, 2015, 676 p. pour les conceptions de celui qui fut considéré comme l’idéologue du parti Nazi et dont nous ferons certainement un jour un article sur son Mythe du XXe siècle.
[4] Voir « Mon Combat » d’Adolf Hitler, une autobiographie… in AM n°20 de Janvier-mars 2002 et « Mon Combat » d’Adolf Hitler, un programme…in AM n°21 d’avril-juin 2002.
[5] P.18
[6] Voir L’anticommunisme d’un transfuge in AM n°59 de janvier-mars 2012. Voir sur d’autre parcours similaires Du socialisme au fascisme in AM n°41 de juillet-septembre 2007 et Une troisième voie : le socialisme racial in AM n°57 de juillet-septembre 2011.
[7] Voir Le journalisme d’investigation n’est pas neutre in AM n°74 d’octobre-décembre 2015
[8] Voir sur cette amnistie Le « résistantialisme », un équivalent au négationnisme in AM n°44 d’avril-juin 2008,
[9] Epstein, Simon, Un paradoxe français, Paris, Albin-Michel, 2008, pp.232-234.
[10] P.22
[11] P.15
[12] Voir Antisémitisme et anticommunisme. Les deux mamelles de l’extrême droite in AM n°63 de janvier-février-mars 2013,
[13] Voir Force, Joie et Travail! In AM n°45 de juillet-septembre 2008 et L’extrême droite défend-elle les travailleurs ? in AM n°60 d’avril-juin 2012
[14] P.51
[15] Pp.43-44
[16] Voir Les résultats d’une coalition avec l’extrême droite in AM n°30 d’octobre-décembre 2004. Sur la vitesse à laquelle l’extrême droite pourrait appliquer son programme la BD de François Durpaire et Farud Boudjellal, La Présidente publiée chez Demopolis fin 2015 est très intéressante.
[17] P.78
[18] P.119
[19] Pp.103-104
[20] P.86
[21] P.95
[22] P.76
[23] P.59
[24] P.148
[25] P.105