lundi 21 novembre 2005

Le retour du suffrage capacitaire ?


Cet article a été publié dans Espace de libertés n°336 de novembre 2005, p.20

Au moment où les initiatives pour lutter contre l’Extrême droite se multiplient[1] dans la perspective des élections communales d’octobre 2006, une étude française sur le concept de populisme[2] remet fondamentalement en cause ce terme qui semble pourtant faire l’unanimité tant il est utilisé dans le monde scientifique et dans les médias.

Dans la nombreuse littérature consacrée à l’extrême droite, le livre d’Annie Collovald – maître de conférences en science politique à l’université de Paris X-Nanterre – est une excellente surprise qui pousse la réflexion bien plus loin que son titre ne peut le laisser penser.

Au premier abord le livre est une destruction en règle, aux accents parfois pamphlétaires, du concept de « populisme » tel qu’importé des débats sur la nouvelle droite aux USA par Pierre André Taguieff au début des années 80.

Chiffres et exemples à l’appui, cette étude démontre combien ce terme ne peut s’appliquer à désigner le phénomène politique qu’il prétend définir. A. Collovald développe sa thèse à partir de l’exemple du Front National français. Ainsi si les électeurs du PCF ont certes déserté ce parti, ce n’est pas pour voter FN mais pour s’abstenir. Le vote FN est par ailleurs caractérisé par une grande volatilité qui empêche toute homogénéisation sociale affirmée de son électorat[3]. En outre, mais on regrettera ici un manque d’exemple précis, le programme du FN est idéologiquement, dans ses références plus ou moins explicites (à Maurras, à Vichy, à l’OAS…) comme dans ses propositions, ancré clairement à droite : « la xénophobie frontiste est d’abord un programme « anti-social » qui vise directement les catégories les plus vulnérables »[4]. Outre cette démonstration, dont nous n’avons repris que quelques points, du caractère clairement de droite du FN, l’auteure critique également les méthodologies et les préjugés des tenants de la thèse « populiste ». Elle va jusqu’à dénier toute réelle scientificité aux diverses études qui la consacrent.

Mais ce qui fait de ce livre un ouvrage indispensable pour la réflexion politique aujourd’hui, c’est sa réflexion sur le fonctionnement démocratique découlant de sa critique du « populisme du FN ». Car pour Annie Collovald, outre le fait d’être une inexactitude scientifique relevant d’une conceptualisation intellectuelle non vérifiée (et, plus grave, démentie) par la réalité sociologique, le concept de « populisme » est surtout un outil idéologique au service du conservatisme néolibéral. « (…) Avec le populisme, il est bien question du peuple, mais d’un peuple réduit au statut de problème et refait par les préjugés d’une élite sociale et pour les besoins de la cause néolibérale qui projette la construction d’un avenir radieux, conduit par la mondialisation des logiques financières, contrôlé par des experts (…) Le peuple doit être méprisé et méprisable pour que se réalise l’utopie conservatrice du néolibéralisme rêvant d’une démocratie dépeuplée et réservée à une étroite élite « capacitaire » »[5]. Et de développer longuement et de brillante manière combien le « populisme » ainsi entendu déqualifie les classes sociales inférieures et les transforme en exclues de l’intérieur, permettant ainsi de remettre en cause de manière subtile la légitimité du suffrage universel au profit d’une bonne gouvernance laissée au bon soin des experts qualifiés. Un des exemples mis en avant est celui du message humanitaire qui rejette la faute sur l’exclu au lieu de s’interroger sur les causes socio-économiques facteurs de son exclusion. Ce qui est en fait une réactualisation du discours charitable des bourgeois catholiques du 19e siècle. On retrouve ce discours particulièrement présent en Belgique dans le débat sur les chômeurs[6].

Un livre qui pose de vraies questions et suscite la réflexion, surtout après la campagne du référendum sur la constitution européenne où en France – mais le constat est le même partout – les partisans du Oui ont tenu un discours particulièrement méprisant envers les citoyens[7]. Certes, un référendum populaire ne peut avoir pour but de trancher de la vérité (si elle existe), mais les débats au soir des résultats étaient significatifs d’une « élite » qui refuse de comprendre le sens d’un vote et qui continue à s’attribuer la seule vérité possible (celle du capitalisme triomphant) tandis que les électeurs n’auraient été mus que par la peur ? Bref mieux vaut ne pas demander leur avis aux citoyens incultes. C’est d’ailleurs le choix de la Belgique et de nombreux autres pays…

Notes

[1] Plate-forme « Pour que vive la démocratie », projet www.lacible.be...
[2] Annie Collovald, Le « Populisme du FN ». Un dangereux contresens. Broissieux, éditions du Croquant, 2004, 253 p. 12 €
[3] p.148
[4] p.226.
[5] p.234.
[6] voir le site www.stopchasseauxchomeurs.be
[7] voir le mini dossier Clefs pour l’après-29 mai dans le numéro de juillet du Monde diplomatique, pp.4-6.