jeudi 25 octobre 2007

Après deux numéros spéciaux de Politique : En avant vers les Etats généraux de la gauche

Le texte qui suit est la version complète d'un article publié dans le n°51 d'octobre 2007 de la revue Politique aux pages 62-63. Politique l'a coupé pour publication mais en a mis la version intégrale sur son site. On trouvera également sur ce dernier la réaction d'Henri Goldman. Notons enfin que le débat sur l'avenir de la gauche organisé à Bruxelles le 28 novembre par la revue Politique vient renforcer mon argumentation - tout en s'éloignant de la conclusion - puisque les intervenants principaux sont : Elio Di Rupo (PS, Belgique), Noël Mamère (Les Verts, France), Gabriele Zimmer (Die Linke, Allemagne) et que l'on annonce également la présence de Jean-Marie Coen (ATTAC Wallonie-Bruxelles), Anne Demelenne (FGTB) et Thierry Jacques (MOC).

Moins de dix ans après un numéro spécial Pour une nouvelle gauche, la revue Politique a décidé de remettre le couvert avec un numéro anniversaire, le cinquantième, intitulé La gauche peut-elle encore changer la société ? Lorsque j’ai reçu mon exemplaire, j’ai immédiatement ressorti de mes archives le n°9-10 de 1999 pour effectuer une comparaison entre les deux numéros. Je livre ici la synthèse, forcément subjective, de plusieurs heures d’une lecture rendue assez souvent fastidieuse par un style pas toujours simple ainsi que par le côté répétitif de plusieurs textes.

Quelques similitudes

Entre les deux numéros, il y a certaines similitudes. Premièrement, et c’est peut-être le plus significatif et le plus rassurant, la définition de la gauche est relativement homogène. Pour simplifier et synthétiser très fortement, il y a consensus sur le fait que la gauche est l’incarnation d’un projet émancipateur pour les plus faibles de la société qui se distingue des autres projets grâce au curseur de l’Egalité. A partir de là, tout (et à la fois rien) est dit. Ce qui explique que l’on peut avoir un total de 118 textes évoquant cette même question de manière différente.
Deuxièmement, les deux numéros montrent combien plutôt que de LA gauche, il serait plus juste de parler DES GAUCHES, au pluriel, comme l’exprime justement Jan Michiels : « La réelle solution serait d’admettre la pluralité de la gauche et la nécessité de passer par une alliance des forces en présence, anciennes ou nouvelles. Une union des gauches plutôt qu’un renouveau de la gauche »[1]. Nous y reviendrons plus loin, mais ce constat est important. Il est au centre de plusieurs textes et se retrouve clairement dans les deux numéros.
Troisièmement, et de manière moins significative, la présentation des auteurs n’est guère homogène entre les numéros et au sein de ceux-ci. Si la méthode a été identique pour tous[2], il s’agit d’auto-présentation avec tous les biais qu’une telle méthode entraîne mais aussi, lorsque l’on connaît un peu les personnes, le côté très significatif de ce qu’elles choisissent de mettre en avant (souvent l’aspect professionnel) ou de taire (les affiliations militantes, passées ou présentes, pourtant les plus intéressantes dans un contexte comme celui-ci). Dans le même ordre d’idée, il est amusant de constater que beaucoup plaident pour une solution qui ne passera que par des collectifs, des convergences… mais que les textes sont le plus souvent signés uniquement par des individus, faisant parfois référence à un collectif dont ils font partie. Dans le n°50, seuls deux textes se distinguent du fait qu’ils sont signés par un collectif et qu’ils sont en outre parmi les rares à faire une série de propositions[3].
Enfin, dernière similitude, le constat d’échec du projet émancipateur est longuement rabaché en parallèle à la victoire de la financiarisation du monde et des changements issus de la chute du Mur et de la mondialisation. Les contributions dépassent rarement, nous y reviendrons, ce constat qui ne semble pas avoir évolué - sinon en pire - après 10 ans. Dans les deux numéros, et peut-être encore plus dans celui de 2007 qu’en 1999, c’est souvent le pessimisme qui prédomine. Les titres des deux numéros en sont ici un bon reflet puisque l’on passe d’une affirmation positive (Pour une nouvelle gauche) à une interrogation pessimiste (La gauche peut-elle encore changer la société ?)[4]. L’échec de la mise sur pied d’un Olivier dans lequel de nombreux contributeurs de 1999 plaçaient leurs espoirs n’est certainement pas étranger à ce pessimisme. D’autant que les tentatives de rénovation interne au PS ont également toutes échouées et que la gauche de (la) gauche a été incapable de se fédérer et donc de présenter une alternative un tant soit peu crédible à l’électeur.

Surtout des différences

Mais ce sont surtout les différences entre les deux numéros que j’aimerais souligner car elles me paraissent fondamentales et sources de réflexions qui pourraient faire avancer le schmilblick.
La première saute aux yeux dès la lecture du sommaire. Outre qu’il y a 15 interventions de moins, ce qui, à une exception près sur laquelle nous reviendrons, n’enlève rien à la richesse de la réflexion ni à sa diversité, l’organisation des contributions a été modifiée. Alors qu’il s’agissait de catégories pertinentes dans le n°9-10, l’ordre devient purement alphabétique dans le n°50.
La deuxième voit l’émergence en 2007 d’une nouvelle génération de trentenaires comme Arnaud Zacharie[5], Gregor Chapelle[6], ou Christophe Soil[7], qui de par leur date de naissance auraient difficilement pu participer au numéro de 1999. Si c’est rassurant quant à la relève, il faut souligner que le contenu des textes n’est aucunement marqué de manière générationnelles, à part peut-être une plus grande tendance à se lancer dans la prospective.
Mais la différence qui nous apparaît la plus interpellante et la plus révélatrice est l’absence dans le n°50 de contributions émanant de manière officielle des composantes de ce que certains nomment, la « gauche de gauche » et que d’autres qualifient généralement « d’extrême gauche » ou de « gauche radicale », voire de « petite gauche » et qu’il serait peut-être plus exact et plus pertinent de nommer « gauche anticapitaliste ». Or dans le n°9-10, le PC[8] et le POS[9] (devenu depuis lors la LCR) avaient été sollicités et le PTB[10] avait réussi à s’exprimer, au grand dam, avoué dans l’explication de la « sélection » des contributions[11], des responsables de Politique qui avaient néanmoins eu l’honnêteté de publier le texte. Cette absence est passée sous silence dans l’introduction du n°50. Elle ne me semble pas innocente ou fortuite mais au contraire significative d’une ligne, plus politique qu’éditoriale, des principaux animateurs de la revue.

L’illusion sociale-démocrate

Cette ligne politique, qui me semblait être moins présente dans le manifeste de 1996 qui déclarait qu’il fallait être contre « la règle absolue du profit » et que « le modèle social-démocrate s’épuise sans parvenir à se renouveler », est clairement inscrite dans le n°9-10 dont la majorité du contenu explicite le titre « pour une nouvelle gauche » non dans le sens d’une refondation globale[12] mais dans le sens d’une alliance électorale, d’un cartel, entre le PS et Ecolo, parfois rejoint par la démocratie-chrétienne. Cet Olivier est à l’époque le grand espoir[13], clairement plébiscité, des principaux animateurs[14] et collaborateurs de Politique qui y voient un espoir de battre le cartel de droite qui deviendra le MR et d’imiter ce qui se passe alors, en 1999, un peu partout en Europe. Cet espoir est d’autant plus présent qu’il s’appuie sur une dynamique positive issue des Etats généraux de l’écologie que de nombreux textes de ce numéro encensent. On notera cependant que l’article de Jean-Paul Gailly et Christian Lesenfants, l’un socialiste et l’autre écologiste, illustrait à merveille les problèmes à venir. Les deux auteurs s’y exprimaient chacun à leur tour, et non d’une manière unitaire, sur trois questions dans un article qu’ils cosignaient pourtant[15].
Le numéro 50, nous l’avons déjà dit, est marqué par le désarroi et le pessimisme issu tant de l’échec des convergences de gauche que de celui de la formation d’un Olivier au lendemain des élections de 1999, même si quelques uns continuent à s’y accrocher comme à une bouée de sauvetage. Mais ce que nous qualifions d’illusion social-démocrate ne se situe pas qu’au niveau de cette alliance électoral(iste ?). Elle se situe également dans un monstre du Loch Ness quasi aussi vieux que son objet : la rénovation (ou refondation, ou renouveau, ou retour aux sources, ou…) du PS. Celle-ci est souhaitée en 1999 par de nombreux intervenants, mais aussi en 2007, principalement en raison d’une position jugée incontournable[16], malgré les échecs répétés entre-temps, comme celui de « Refondation Socialiste » dont le principal animateur Francis Bismans, présent en 1999[17] a disparu dans le n°50. Pourtant, dans les solutions présentées en 2007, on retrouve encore cette chimère que le PS est réformable de l’intérieur, peut redevenir une force de changement de la société en faveur des plus faibles. Mais, et cela plusieurs intervenants le soulignent dans les deux numéros (avec un côté rassurant sur le fait que ce constat est totalement transversal entre les différentes catégories de contributeurs), la vraie question est peut-être moins de multiplier les nuances sur les contradictions secondaires (écologie, immigration, féminisme, alliance électorale…) que de mettre le doigt sur la contradiction principale. En clair, de poser la question de la légitimité du capitalisme : « « Etre de gauche », c’est résister au capitalisme. « La gauche », dans ses multiples formes, est l’expression politique de cette résistance. La gauche puise ses sources dans la trinité révolutionnaire républicaine « liberté-égalité-fraternité ». Elle s’enracine dans l’histoire anticapitaliste des 19e et 20e siècles, depuis le chartisme britannique jusqu’aux mouvements écologistes et consuméristes actuels. »[18] Car, pour reprendre les propos d’Eric Corijn, « la critique du système capitaliste se justifie toujours. Personne ne m’a encore donné un argumentaire qui prouverait qu’une économie basée sur la propriété privée, la concurrence, la recherche du profit, peut livrer les réponses aux défis écologiques et aux inégalités sociales. Une gauche pro-capitaliste me semble donc un non-sens »[19]. Il s’agit donc d’envisager enfin sérieusement que la seule position de sortie, le seul positionnement cohérent des gens qui se disent de gauche est, aujourd’hui, celui de l’anticapitalisme, seul à même de permettre de construire le réel projet de société différent que la quasi-totalité des intervenants réclament. Comme le dit François Houtart, « le capitalisme comme système d’organisation de l’économie, indissociable d’une idéologie et d’une culture du progrès par la croissance, conduit l’humanité à un désastre social et écologique (…) L’enjeu de la gauche est de délégitimer le capitalisme et de proposer des alternatives »[20]. Cette position est parfaitement résumée par le titre de l’article de Christian Arnsperger, Etre vraiment de gauche est être anticapitaliste[21], mais semble loin de faire l’unanimité et ne rejoint a priori pas le positionnement des principaux animateurs de la revue à la lecture de leurs différents textes, tant en 1999 qu’en 2007.
Quoiqu’il en soit, nous nous trouvons donc face à deux numéros, à moins de 10 ans d’intervalle, qui posent globalement le même constat sur la situation et qui au niveau des alternatives s’accordent sur le fait qu’elles ne pourront émerger suite à l’action d’un seul parti mais que cela nécessite une convergence des gauches, qu’elles soient politiques ou associatives.

Quel rôle pour Politique ?

Après avoir eu le grand mérite de permettre l’émergence publique de ce constat, Politique ne peut rester plus longtemps au balcon dans son rôle d’analyste. Or la tentative de création d’une alternative anticapitaliste crédible qu’a voulu être Une Autre Gauche a certainement souffert de l’absence totale de Politique dans le processus lorsqu’il en était encore temps. Ce que l’on peut réellement regretter.
Je tiens à terminer cet article par une réelle proposition. Celle-ci n’est pas totalement originale puisqu’elle rebondit sur ce qu’exprime la direction de Politique en introduction du numéro de 2007 : « Si le mot n’était pas si galvaudé et le concept si instrumentalisé, on dirait que ces 51 contributions pourraient être les prémisses d’Etats généraux de la gauche et soulignent le besoin d’une réflexion collective qui ne trouve pas sa place dans les structures ou organisations de tous genres »[22]. Il s’agirait, sur base des différentes propositions émises dans des articles comme celui de François Schreuer[23], de Thierry Bodson[24], ou d’autres déjà évoqués, d’organiser dans un maximum de lieux de Wallonie et de Bruxelles ces « Etats généraux de la gauche »[25], en lien avec les luttes sociales du moment à ces endroits afin de s’inspirer des richesses des « expériences collectives concrètes »[26]. Les résultats seraient publiés dans un numéro spécial exclusivement consacré à la diffusion du projet de société qui se serait élaboré au cours de ses « Etats généraux de la gauche », mise ici au singulier pour en souligner la cohérence, mais dont il est clair qu’elle reflétera la grande diversité qui existe en son sein.

Notes

[1] Jan Michiels, La gauche sans la lutte des classes in n°9-10, pp.88-89. Voir aussi Hassan Boussetta, Interdépendances, in n°50, p.19.
[2] Ayant participé au nom du collectif Le Ressort au n°50, j’ai dû fournir une présentation personnelle en quelques lignes alors qu’au départ, nous voulions signer uniquement du nom du collectif.
[3] Barricade, Préférer le juste au facile pp.10-11 et Le Ressort, Une nécessaire reconquista idéologique pp.84-85.
[4] On aurait ainsi pu imaginer une formulation optimiste tout en maintenant le questionnement avec une formule comme « Comment la gauche peut-elle changer la société ? ».
[5] Arnaud Zacharie, Proposer des « utopies réalistes », pp.96-97.
[6] Gregor Chapelle, Ensemble, tout redeviendra possible, pp.24-25.
[7] Christophe Soil, La solidarité est une arme, pas un devoir, pp.90-91.
[8] Maurice Magis, Citoyenneté : à l’offensive, pp.42-44.
[9] Alain Tondeur, De la « gauche plurielle » à la « gauche de la gauche », pp.45-47.
[10] Paula Hertogen, La vraie gauche est à Clabecq, pp.38-39.
[11] Texte présent aux pages 4-5, sous le sommaire.
[12] L’aspect refondation se limitant au souhait envers le PS.
[13] Voir notamment les textes de Thierry Detienne, Pour une majorité plurielle gauches-verts en Belgique, pp.25-27 ; Paul Ficheroulle, La gauche nouvelle sera plurielle ou ne sera pas, pp.29-33 ; Jean Cornil, « Groupons-nous et demain... », pp.110-111.
[14] Le texte d’introduction de 1999, Vaste chantier…, pp.6-9 signé par Jacques Bauduin, Henri Goldman, Hugues Le Paige et Gabriel Maissin apparaît comme particulièrement éclairant. Henri Goldman y revient d’ailleurs de manière critique dans sa contribution de 2007, Patience dans l’urgence, pp.52-53.
[15] De gauche, à deux voix, in n°9-10, pp.34-37.
[16] Voir, par exemple, les textes dans le numéro de 2007 d’Isabelle Philippon, La société, une espèce menacée, p.76 ; Hugues Le Paige, Pour une gauche transversale, pp.68-69 ou encore Chantal Kesteloot, La gauche ne nous fait pas rêver, pp.66-67 et pour celui de 1999 de Serge Govaert, Le flacon et l’ivresse, pp.116-119.
[17] Fancis Bismans, Un nouveau PS pour une nouvelle gauche, in n°9-10, pp.18-19. Il a créé entre-temps le « Mouvement socialiste » sur la base de diverses dissidences du PS.
[18] Willy Wolsztajn, Ni nouvelle, ni vieille : actuelle, n°9-10, p.104.
[19] Eric Corijn, Faire l’inventaire d’abord, n °50, p.32.
[20] François Houtart, Relier l’immédiatement possible à l’utopie, n°50, p.60.
[21] in n°50, pp.12-13.
[22] Henri Goldman, Hugues Le Paige, Bernard Richelle, Rendez-vous en 2017, p.4.
[23] François Schreuer, Redonner des complexes à la droite, n°50, pp.88-89.
[24] Thierry Bodson, Inverser la tendance, n°50, pp.18-19.
[25] Au vu de ce que j’ai dit plus haut, le complément « anticapitaliste » est pour moi sous-entendu et mériterait certainement de figurer clairement, même au risque d’effaroucher certains.
[26] Pour reprendre les termes de Florence Caeyemaex dans Conscience historique et subjectivité politique in n°50, pp.22-23. On pourrait aussi parler des « intelligences collectives prônées par Majo Hansotte dans La gauche est avant tout un travail in n°50, pp.56-57.

mardi 16 octobre 2007

Mes conférences

Vous trouverez ci-dessous les thèmes que j'ai déjà abordé dans l'ordre chronologique de leur première diffusion. La pluspart des conférences sont appuyées par un diaporama informatique. N'hésitez pas à me contacter pour un de ses sujets ou pour une demande précise.
  1. Les citoyens face à la mondialisation
  2. L’extrême droite, vous connaissez ?
  3. Les coopératives en Belgique. Une utopie réalisée ?
  4. Le POB jusqu’en 1914
  5. L’histoire des coopératives
  6. La Belgique de Jacques Yerna
  7. Histoire comparée de l’OMC et de l’OIT
  8. L’extrême droite hier et aujourd’hui
  9. L’histoire sociale de Belgique
  10. La sécurité sociale. Produit de l’histoire des luttes sociales
  11. L’extrême droite, un mouvement politique durable
  12. L’histoire de l’extrême droite en Belgique
  13. Médias et extrême droite
  14. L’actualité et l’idéologie de l’extrême droite
  15. L’histoire du POB
  16. La conquête du Suffrage Universel : une illustration des luttes sociales
  17. Les stratégies de communication de l’Extrême droite
  18. Faut-il privatiser la sécurité sociale
  19. Les partis politiques en Belgique
  20. Le concept de révolution dans l’histoire
  21. La réduction du temps de travail
  22. La décroissance

Tollé... Tollérance

C'est sous cet intitulé que la 3e édition du festival Images citoyennes se déroulera cette année au Théâtre le Moderne, rue Ste-Walburge n°1 à 4000 Liège. Je participe dans le cadre professionnel à son organisation et y animerai trois cafés-citoyens :
  • Religions et libertés individuelles le jeudi 25 octobre 2007 à 22h00 (précédé à 20H30 de la projection du film Ainsi soit-il)
  • Voile, tchador, burka... une liberté? le vendredi 26 octobre 2007 à 21h30 (précédé à 20h30 de la projection du film Sénégalaise et Islam)
  • Comment mourir dans la dignité le samedi 27 octobre 2007 à 17h30 (précédé à 16h00 de la projection du film La position du lion couché)

samedi 13 octobre 2007

On y croyait, on s'est battus, on avait raison, on a gagné

Cette carte blanche a été publiée dans La Libre Belgique du vendredi 12 octobre 2007, p.28. Je l'ai co-signée avec Eric JADOT, Laurent PETIT, Michel RECLOUX et Olivier STARQUIT au nom du mouvement "Le Ressort". A signaler que c'est la quatrième fois que La Libre Belgique publie un texte de ce collectif et que pour la première fois Le Soir s'est également montré intéressé. Il a cependant réagi plus tard et nous demandait d'en réduire le nombre de signe.

Ce sera donc, à ce que l'on sait, pour la fin du mois de novembre. Dans quelques semaines. Après plusieurs mois de travail pour remettre "leur" outil en état, les "hommes d'acier" rallumeront le haut-fourneau n°6, sur le site de Cockerill, à Seraing (Liège). D'une flamme, ils redonneront vie à la "cathédrale du feu" qui avait cessé de vomir ses torrents de fonte en fusion et son épaisse fumée noire le 26 avril 2005.

Le 24 janvier 2003, le groupe Arcelor condamne "la phase à chaud" liégeoise. Il est décidé que les hauts-fourneaux 6 et B (le HF B se situe à Ougrée, à quelques encablures du HF 6) seront définitivement arrêtés, respectivement en 2005 et 2009. En juin 2006, Arcelor est absorbé par le groupe sidérurgique indien dirigé par Lakshmi Mittal. C'est la naissance d'Arcelor Mittal. En mai 2007, le groupe annonce une probable relance du haut-fourneau 6 au mois de novembre.

Depuis lors, on se congratule, on se félicite. Il n'y en a que pour les "vainqueurs" : les syndicats, d'abord, et au premier chef la FGTB qui s'est toujours fermement opposée à la fermeture de l'outil et qui s'est battue pied à pied. Contre la fermeture d'abord, puis, après l'extinction contrainte des feux, contre le démantèlement et la mise en pièces du haut-fourneau. Jusqu'à obtenir, croyant toujours à la possibilité d'un redémarrage, la mise "sous cocon" du HF6. Elle avait vu juste. Mittal, de son côté, a mesuré la qualité des outils liégeois et compris tout l'intérêt qu'il pouvait retirer de leur relance.

La reprise est donc, pour les syndicats, et singulièrement pour la FGTB, une victoire importante. Une victoire qui prouve la vaillance et la pertinence du combat des travailleurs et de ses délégués, la clairvoyance des analyses socio-économiques portées par les représentants syndicaux, et qui démontre que oui, on peut résister aux puissances d'argent, à l'injustice de l'ordre néolibéral, et, en l'occurrence, aux diktats des maîtres de l'acier. "On y croyait, on s'est battus, on avait raison, on a gagné."

Même son de cloche du côté des mandataires politiques. Eux aussi se congratulent : on a sauvé l'emploi ! Et la face. D'abord, on les vit sonnés, défaits, abasourdis par l'annonce de la fermeture. Puis résignés. Puis les premiers surpris quant Mittal fit volte-face et qu'il fut question de réouverture. Et les voilà qui, à nouveau, dominent la plaine, d'où Lakshmi viendra, qui les fera héros. Le "chaud" n'est pas mort, la sidérurgie vivra, et c'est à l'obstination de la puissance publique, qui a retenu les "investisseurs", qu'on le doit.

Car la Région wallonne y a mis tout son poids, négociant la relance avec la direction d'Arcelor Mittal. Elle y a mis des sous, aussi, pas qu'un peu, et ce n'est pas fini. Ses représentants (au premier rang desquels ses représentants membres du parti socialiste) ont fait de la résistance. Malgré le peu d'enthousiasme, voire la réticence, de certains de leurs collègues, ils ont débattu, convaincu, obtenu. Obtenu des maîtres de l'acier qu'ils ne mettent pas les voiles. Qu'ils investissent et parient sur la com-pé-ti-ti-vi-té hors pair des outils et des travailleurs de Seraing. Pour l'emploi, pour la ville, pour la Région. "On y croyait, on s'est battus, on avait raison, on a gagné."

Et donc, pas de doute : au jour béni de la relance, dans la chaleur incandescente de la première coulée, ce sera la fête. Guindaille, guirlandes, flonflons et discours vibrants. Envolées et embrassades. Seraing brillera de mille feux, sous la flamme rallumée du dragon, et résonnera à nouveau du vrombissement sourd et familier du HF6.

Le HF6 redémarre. C'est le jackpot. Mittal le Messie et la manne financière qui l'accompagne. Des rentrées financières importantes pour la ville de Seraing et les communes voisines, des emplois, une activité qui reprend.

Un grand "ouf" de soulagement. 200 emplois directs, aux dires des dirigeants d'Arcelor Mittal. Quelques milliers d'emplois indirects. Selon les sources, on parle de 4000, 5000 emplois, 10000 peut-être. A l'échelle d'une Région accablée par un chômage de fond, c'est beaucoup. Mais parle-t-on d'emplois solides à long terme ? Et quel est, pour la collectivité, le coût (environnemental notamment) de l'activité qui génère ces emplois ?

Les deux hauts-fourneaux de Seraing, ensemble, rejettent plus de 6 millions de tonnes de CO2 par an dans l'atmosphère. Peut-on raisonnablement considérer comme secondaire, à l'heure du dérèglement climatique, l'impact de la relance du HF 6 ?

Les défenseurs du redémarrage parlent emploi avant tout, et font valoir l'argument suivant : si les rejets de CO2, de particules et de gaz polluants ne se font pas à Liège, ils se feront en Inde, au Brésil ou en Chine. Alors qu'ici, au moins, on dispose d'une réglementation plus stricte, ainsi que de filtres et de technologies plus efficaces, permettant de réduire les rejets et leur nocivité. Admettons... mais à condition que les dites réglementations soient effectivement et drastiquement appliquées. Or, de quelles garanties, de quels moyens de contrôle, peut-on se prévaloir sur ce point ? Et ne s'agit-il pas là, quoi qu'il en soit, d'une vision passablement "à court terme" du problème ?

Quant à se féliciter d'avoir contraint Arcelor Mittal à rester... Le géant sidérurgique n'est pas une entreprise philanthropique. Arcelor Mittal est là pour faire de l'acier, et, surtout, de l'argent. Du chiffre. La réouverture du HF 6 lui permet de répondre à une demande d'acier en hausse, notamment à destination des pays de l'Est. Liège est à cet égard géographiquement bien placée, d'autant plus que ses hauts-fourneaux y sont très performants (parmi les plus productifs du groupe).

Il ne s'agit évidemment pas ici de mettre en doute le caractère indispensable de la lutte politique, syndicale, et de la résistance sociale, citoyenne, aux prescriptions iniques, cyniques d'un capitalisme globalisé qui mène l'humanité droit dans le mur. Mais il faut bien le dire : la réouverture du HF 6 est davantage le fruit d'une stratégie commerciale, dont l'objectif est d'atteindre la plus grande rentabilité possible, qu'une victoire arrachée au groupe industriel par un combat politique et syndical irrésistible.

Le HF6 redémarre. Pour combien de temps ? Dans deux, cinq, dix ans, si le "chaud" s'éteint, pour de bon cette fois, qu'est-ce qu'on fait ? Et en attendant ? Seraing, ce n'est pas Beaubourg-sur-Meuse, un sanctuaire de l'art (industriel) moderne entouré de mille tubulures à fasciner le chaland. C'est une ville meurtrie, un paysage social en déshérence, une zone sinistrée. Où sont passés les bénéfices de l'acier ? Dans le bas de la ville, le désastre social, économique, sanitaire, éducatif, culturel se lit sur les visages et les corps à tous les coins de rue.

Les façades semblent figées par la poussière et la fumée, on ne compte plus les maisons à vendre ni celles qui tiennent à peine debout. Où, quand, et comment parle-t-on des politiques novatrices, radicales, qui permettront d'endiguer le sinistre, maintenant ? Quand et comment parle-t-on assainissement, reconversion, normes sociales et environnementales, dépollution, silence et verdure ? Quand et comment parle-t-on du potentiel de la région et de ses habitants, et des emplois qui pourraient être créés en termes de redéploiement socio-économique "propre, alternatif, soutenable, ancré dans le long terme" ? Et peut-on considérer le "plan Marshall" comme une réponse suffisante ?

La question de la réouverture du HF 6 et du sauvetage du "chaud" liégeois semble aujourd'hui occulter, voire... mettre sous cocon cette réflexion sur le modèle de société que l'on veut promouvoir, en termes d'emploi, de modes de production, de services publics, d'énergies renouvelables, de recherche, de formation, etc.

En réalité, la relance du HF6, pour symbolique qu'elle soit, n'est pas le problème. Mais elle n'aura servi à rien si, dans deux, cinq ou dix ans, après une nouvelle fermeture, définitive celle-là, on en est toujours au même point : pas bien loin. C'est là toute la responsabilité de nos mandataires politiques de gauche, au PS ou chez Ecolo : oser reprendre la main, enfin, et se donner les moyens, avec les forces syndicales et citoyennes, d'inverser le cours des choses pour (vraiment et radicalement) changer la vie.

A défaut, tout brillants qu'ils soient, les lampions des réjouissances paraîtront bien pâlots au jour prochain de la relance, cernés par l'ombre démesurée des 30000 emplois perdus en 30 ans dans le bassin liégeois et menacés d'asphyxie par d'épais nuages de fumée noire.

jeudi 11 octobre 2007

Retour à l'obscurantisme

Cet article a été publié dans Espace de libertés n°357 d'octobre 2007, p.28

C’est un bel objet que cet Atlas de la création envoyé gratuitement et massivement l’année scolaire passée dans les écoles et les bibliothèques publiques. De grand format, richement illustrées, les 772 pages de papiers glacés sont très attrayantes, d’autant qu’elles sont écrites dans un style très accessible. Si donc la forme est on ne peut plus agréable, on ne peut en dire autant du contenu.

A ce niveau, il vaut mieux s’accrocher tant on est face à une régression de la pensée qui nous ramène au pire obscurantisme d’avant les Lumières. Car, si le livre consiste en un redondant exposé d’une critique de la théorie de l’évolution de Darwin, au moyen de l’analyse des fossiles du monde entier (dont la reproduction en de grandes photographies couleurs constitue la plus grande part de l’ouvrage) qui prouverait l’erreur de Darwin puisque l’on ne trouverait aucun fossile témoignant des stades intermédiaires de l’évolution, il s’agit surtout de réaffirmer que « tout ce qui existe sur terre est l’œuvre de Dieu »[1]. Si Harun Yahya, pseudonyme nous dit la présentation de l’auteur faisant référence à deux prophètes (Aaron et Jean) ayant lutté « contre le manque de foi de leurs peuples »[2], se targue de démonstration pseudo-scientifique d’abord via les fossiles et ensuite via les cellules se basant principalement sur la littérature créationniste anglo-saxonne, c’est de toute manière pour assener une vérité indiscutable : « Dans chaque détail de la vie, l’incomparable création et l’infinie science de notre Seigneur sont trop évidentes pour être dissimulées »[3] et ainsi disqualifier la science dont les progrès ne peuvent que nous éclairer sur cette constatation et non essayer d’expliquer le pourquoi et le comment du fonctionnement de ce qui nous entoure.

Le livre n’est donc finalement qu’une longue succession d’arguments, se terminant toujours par des citations du Coran comme preuves ultimes, qui visent à combattre la philosophie matérialiste. Le lecteur en est d’ailleurs averti dès le quatrième de couverture qui résume parfaitement le contenu de l’ouvrage et les intentions de son auteur : « Ces livres sont centrés sur un seul objectif : communiquer aux lecteurs le message du Coran et par conséquent les inciter à réfléchir aux certains thèmes importants tels que l’existence de Dieu, son unicité et l’au-delà, et démonter les arguments des tenants des idéologies athées ».

L’Atlas de la création est un nouvel exemple de la recrudescence d’une idéologie obscurantiste, basée sur une vérité indiscutable et invérifiable qu’est l’existence de Dieu, qui après avoir du faire profil bas depuis la victoire de la philosophie des Lumières et de l’Humanisme profite des incertitudes de ce 21e siècle pour revenir avec une explication simpliste et réconfortante du monde. Combattre de telles idées ne se fera que par une réaffirmation sans faille de nos valeurs de libre examen et par une éducation qui se doit d’être émancipatrice par l’apprentissage de l’esprit critique.

Notes

[1] P.15

[2] p.4

[3] p.604

mardi 2 octobre 2007

Marcel Deprez: L'esprit de la résistance


Cet article est une version complétée par des renseignements obtenus depuis du texte qui a été publié dans Le Drapeau Rouge n°19 d'octobre 2007, p.17

Marcel Deprez est né à Ans le 5 mars 1920 d’un père receveur des contributions et d’une mère institutrice[1]. C’est donc à l’âge de 87 ans que cet homme à la vie militante bien remplie est décédé. Beaucoup de personnes l’ont connu comme inspecteur pour les bibliothèques et l'éducation nationale puis comme secrétaire général des affaires culturelles de la Communauté française (successeur de Marcel Hicter), fortement attaché au secteur de l’éducation permanente qu’il concevait réellement comme un outil d’émancipation exigeant, loin de la standardisation culturelle mise en avant par les médias. Marcel Deprez s’était impliqué dans de nombreux projets liés à la formation des adultes. Citons parmi de nombreux autres Peuple et Culture Wallonie-Bruxelles, Lire et écrire, les CEMEA et Canal Emploi.

Pour ma part, c’est principalement comme ancien résistant que je l’ai connu quand j’ai commencé à travailler à l’Institut d’histoire ouvrière, économique et sociale qu’il avait fondé avec Michel Hannotte et qu’il présida de sa création à récemment. Ce docteur en Histoire aura finalement consacré sa vie à la lutte antifasciste. Car c’est dès le début de l'occupation (mais officiellement en décembre 1942 d'après son dossier du PCB), que ce militant inscrit au Jeunes gardes Socialistes depuis 1936 rejoint la résistance où il sera actif au sein des Partisans Armés du Front de l’Indépendance. Il lutte clandestinement contre l’occupant en compagnie de son frère René. Il y sera nommé adjoint du Commandant du Régiment Ourthe Amblève et participe notamment au sabotage du pont d'Esneux dans le cadre d'un vaste plan qui fera réussir 17 des 18 opérations prévues dans la nuit du 8 au 9 août 1944. Membre du Parti Communiste à partir de 1943 (il en sera exclu après guerre), Marcel Deprez est arrêté le 21 août 1944 pour « port de faux papiers » et réfractaire au service du travail obligatoire. Reconnu comme résistant, il échappe de peu à l'exécution à la Citadelle de Liège et est déporté au camp de Bergen-Belsen en Allemagne au début du mois de septembre, soit juste avant la libération de la Belgique. Libéré le 10 avril 1945, il rentre en Belgique le 27 du même mois.

Cet engagement dans la Résistance et les valeurs qui y sont liées restèrent jusqu’au bout fondamentaux. C’est ainsi que Marcel Deprez avait participé très activement à la récolte (et donc au sauvetage) de précieuses archives de différents résistants de la région liégeoise à l’occasion d’un colloque et d’une exposition de l’IHOES en 1991, travail qui sera continué ensuite et qui donnera naissance à trois expositions et deux ouvrages. Mais le travail d’historien, il le concevait comme un travail au sein de la cité et pas seulement dans les archives. Il s’agissait pour lui de donner aux générations suivantes un héritage vivant et non un souvenir figé. De transmettre un « esprit de la Résistance ». Cette Résistance qui, outre son combat contre le Nazisme, lutta pour un monde meilleur, pour que la démocratie politique une fois restaurée soit complétée par une démocratie économique et sociale dont la sécurité sociale fut aussi une des concrétisations, à l’image du programme du Conseil National de la Résistance en France[2]. C’est pourquoi il s’investira jusqu’à son dernier jour au sein du Front de l’Indépendance dont il sera le président tout en s’occupant de la Maison de la Résistance et du Musée national de la Résistance. Sans oublier le travail de longue haleine que fut la publication de Résistance liégeoise, le périodique de la section liégeoise du FI, jusqu’à nos jours.

Pour résumer ce que je retiens de ce qu’était Marcel Deprez, je m’appuierai sur un texte qu’il avait publié dans le magazine Espace de libertés en février 2002 à l’occasion d’un dossier consacré au Terrorisme et qu’il avait intitulé : quelle différence entre terrorisme et guérilla. En marxiste qu’il était, il y rappelait que « pour être concret et traiter de façon critique le fait et le faire du terrorisme, essayons de l’analyser dialectiquement dans sa relation avec une société que d’aucuns veulent garantir et d’autres transformer » et écrivait ainsi un texte exigeant dans sa lecture mais qui se refusait au simplisme et au suivisme du climat dominant pour questionner le système démocratique dans ses pratiques.

Notes

[1] Outre nos propres connaissances, ce texte a été réalisé sur base des renseignements fourni par le CARCOB, centre des archives communistes en Belgique, par le texte de Joseph Pirlet, président de la régionale de Liège-Verviers du FI rédigé pour le bulletin du FI et d’un texte de Jean-Marie Lange diffusé par courriel

[2] Voir à ce sujet le texte de Serge Wolikoff, L’esprit de la résistance toujours d’actualité dans Le Monde diplomatique de mars 2004.