lundi 29 avril 2013

Pour un 1er mai politisé



 édito paru dans le 6com le 29 avril 2013
 

C’est en 1889 que des délégués du mouvement ouvrier venus du monde entier décident de faire du 1er mai une journée de lutte internationale. Dès la première édition en 1890, cette journée est pour les organisations des travailleurs l’occasion de marquer les esprits et de mettre en avant les revendications pour un changement de société et une amélioration des conditions socio-économiques. Dès l’origine, la réduction collective du temps de travail est vue comme une étape indispensable, corolaire sur le plan de la démocratie économique et sociale de la conquête du Suffrage Universel, qui incarne le volet de la démocratie politique. Pendant plus de 20 ans, les 3x8 (soit 8 heures de travail, 8 heures de loisir et 8 heures de repos) sera au cœur du programme revendicatif du mouvement ouvrier. C’est d’ailleurs ce triptyque que le triangle rouge incarnera d’abord avant de devenir le symbole de la lutte antifasciste[1]. Je me permets ici une petite parenthèse digressive. Je me permets ici une petite parenthèse digressive. Ne serait-il pas temps de réhabiliter comme fleur du 1er mai, à la place du muguet qui pris leur place progressivement et officiellement sous Vichy, les fleurs sauvages et rebelles de couleur rouge que sont le coquelicot ou l’églantine ?

Pour rester dans la symbolique du triangle rouge, questionnons en trois points cette journée du 1er mai :

1° Le 1er mai est donc depuis 123 ans l’occasion pour le monde du travail d’affirmer sa force, de démontrer sa puissance et d’avoir une caisse de résonance à ses revendications. Dès son origine, le débat existe de savoir s’il doit s’agir d’une journée de lutte ou d’une journée de fête[2]. Et souvent elle sera un peu des deux à la fois. Le plus grand changement à ce niveau étant bien évidemment le fait que d’un jour de grève, le 1er mai soit devenu un jour férié légal au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il incarne ainsi à la perfection toute l’ambiguïté des conquêtes sociales de cette période. Le mouvement ouvrier obtient alors la concrétisation d’un bon nombre de ses revendications, améliorant ainsi le quotidien des personnes qu’il représente et organise, se voit reconnu et insérer dans la gestion de la société ce qui lui donne des moyens importants de contrôle et des leviers pour approfondir les avancées sociales. Mais le revers de la médaille est une intégration de plus en plus grande au sein d’un système capitaliste qui attend le moment propice pour reprendre sa liberté de manœuvre et un affaiblissement progressif des moyens de luttes au profit de la concertation et de la négociation.

2° Au-delà de cette ambiguïté sur la forme, le 1er mai questionne également sur le fonds. Il s’agit en effet dès le départ de la « fête du travail » et non de la « fête des travailleurs ». Les mots ont toujours leur importance. Il n’est donc pas anormal que la question de la centralité du travail soit une question complexe sur laquelle le mouvement ouvrier, et plus particulièrement le mouvement syndical, soit amené à débattre régulièrement et souvent bien malgré lui car ce débat nécessite de sortir la tête du guidon et de mettre en danger un certain nombre de certitudes. C’est ce qu’un livre et une rencontre permettent aujourd’hui. Le livre, c’est celui de Nicolas Latteur, Le Travail une question politique[3]. La rencontre, c’est celle organisée autour du concept de salaire socialisé les 6 et 7 mai à Liège par le collectif Riposte-CTE en présence de Bernard Friot, sociologue auteur notamment de L’Enjeu du salaire. Deux occasions de questionner la valeur travail et notre relation avec celle-ci.

3° Le 1er mai est également le moment des traditionnels discours politiques. Si 2013 n’est, grande exception pour notre pays, pas une année électorale, les discours qui seront prononcés ne seront pas sans intérêt. Les déclarations du président du PS tant sur l’Index que sur le statut Employé-Ouvrier n’ont pas manqué de jeter un nouveau trouble sur les intentions du parti qui incarne encore pour la majorité du monde du travail son relais politique. Ce statut est aujourd’hui questionné par un nombre de militants de plus en plus importants, comme l’a encore montré le meeting qui s’est déroulé ce samedi à Charleroi. L’avenir nous dira dans quelle mesure une alternative crédible peut émerger. Mais plus encore, c’est au-delà des discours, les actes politiques qui seront posés dans les prochaines semaines qui seront importants et détermineront l’attitude à avoir lors du trio électoral de l’an prochain.

Le 1er mai, plus que jamais s’il peut apparaître comme un moment de pause syndicale destinée à se ressourcer en faisant la fête, doit également continuer à être un moment fondamentalement politique permettant de se ressourcer idéologiquement en requestionnant tant nos pratiques que nos concepts.

Julien Dohet


[2] Voir sur ce débat l’étude réalisée avec Jean Faniel : Euromayday : Imitation ou réinvention du 1er mai ? lors du colloque Action collective et exclusion sociale en Europe, Lyon, 11-12 janvier 2008. Texte publié en anglais dans Mobilising against marginalization in Europe, Cambridge scholars publishing, 2010.
[3] Latteur, Nicolas, Le travail une question politique, Bruxelles-Namur, Aden-Cepag, 2013, 138 p.