dimanche 12 décembre 2010

Pour un service maximum !

Ce nouveau texte du Ressort a été publié le samedi 11 décembre 2010 dans La Libre Belgique sous le titre Faites grève mais seulement entre 12h17 et 12h24. Il est cosigné par Yannick Bovy, Didier Brissa, Maximilien Lebur, Laurent Lefils, Sylvain Poulenc, Michel Recloux, Olivier Starquit et Karin Walravens

Le scénario est connu. Quand une grève touche les transports en commun, l’enseignement ou un autre service public, un concert médiatique et politique réclame rageusement l’imposition d’un service minimum. Mais est-ce vraiment l’amélioration du service au public qui est visée par ces appels ? Ou ceux-ci ont-ils surtout pour but d’empêcher le libre exercice du droit de grève ? Au-delà, l’enjeu global est celui des conditions de travail de tous les salariés.

A chaque grève interprofessionnelle ou limitée aux transports en commun, l’artillerie lourde est employée : le droit de grève est opposé au droit de ceux qui souhaitent pouvoir aller travailler ; les agents des transports sont décrits comme des « gréviculteurs » ; les citoyens sont présentés comme des « otages ». Les arguments contraires sont bien moins audibles : le droit de grève est reconnu en droit belge et international ; faire grève coûte aux grévistes, malgré les éventuelles indemnités syndicales ; Ingrid Betancourt peut expliquer ce qu’est une vraie prise d’otage. Les implications du conflit ne sont pas non plus toujours décryptées, ces mouvements étant souvent réduits à des points de radioguidage. Autant d’écrans de fumée qui, en fin de compte, occultent très efficacement le point de vue des grévistes et les raisons de leur colère.

Droit de grève entre 12h17 et 12h24

Ce qui est véritablement en jeu, c’est la remise en cause du droit de grève lui-même. Même si ce droit est rarement attaqué de front sur le principe, le recours à la grève, le moment choisi pour le faire et les modalités sont visés, ce qui revient à vider ce droit de sa substance. L’exigence d’imposer un service minimum participe de cette entreprise.

Le but d’une grève est de faire pression sur l’employeur en lui faisant perdre des rentrées financières afin qu’il accepte, fût-ce partiellement, les revendications avancées ou même, tout simplement, la négociation. L’objectif d’une grève interprofessionnelle est de paralyser l’économie pour faire plier le gouvernement ou les organisations patronales. Se lamenter sur les « nuisances » engendrées par une grève paraît donc au mieux absurde, au pire hypocrite.

Le service minimum pose aussi des questions en termes de faisabilité et de sécurité. Quand un train d’heure de pointe est supprimé, le suivant est bondé, voire inaccessible. La pagaille créée est dangereuse pour la sécurité des voyageurs et du personnel. Qu’adviendrait-il si, en cas de grève, quelques trains roulaient à des moments déterminés ? Ils seraient pris d’assaut par des travailleurs pressés par leur propre employeur de les utiliser. Soit le système serait immédiatement paralysé. Soit il faudrait augmenter le nombre de trains mobilisés lors du service minimum. CQFD : les cheminots n’auraient plus le droit de faire grève qu’entre 12h17 et 12h24, quand personne ou presque ne prend le train.

Par ailleurs, le service minimum existe déjà dans les domaines où il est d’une utilité vitale : soins de santé, secours urgents, etc. En outre, depuis toujours, les travailleurs ont maintenu en état, sur une base volontaire et collectivement organisée, les outils nécessitant une surveillance ou ne pouvant être arrêtés, tels les hauts-fourneaux. Les détracteurs du recours au droit de grève perdent de vue les autres formes de résistance, voire de désespoir, auxquelles les travailleurs recourent parfois : absentéisme, sabotage, suicide au travail, menace sur l’environnement…

Misères du service ordinaire

L’appel au service minimum suscite cependant utilement la réflexion sur la qualité des transports proposés aux usagers… en temps ordinaire. Chaque jour, des trains sont annulés faute de matériel en état de marche ou de personnel suffisant pour l’utiliser. D’autres sont bondés, suscitant la colère des voyageurs. Ce constat s’applique à plus d’un service public : classes surchargées dans l’enseignement, attente aux guichets, etc.

Au fond, le service minimum n’est-il pas déjà ce à quoi les services publics sont actuellement réduits ? Le sous-investissement dans le rail, dans l’enseignement, dans la justice, dans les voiries, etc. ne date pas d’hier. Gouvernements Martens-Gol, Plan global et autres « consolidations stratégiques » ont depuis trente ans privatisé des pans entiers de l’économie et provoqué la dégradation d’autres services publics, parfois pour en préparer la privatisation. Les directives adoptées au niveau européen et les décisions de la Cour de Justice ont également provoqué la libéralisation de plus d’un secteur, impliquant ses corollaires que sont la mise en concurrence et la privatisation. Enfin, les « entreprises publiques autonomes » sont désormais priées de se débrouiller pour gérer la misère de leurs moyens tout en rémunérant leurs actionnaires privés. Elles en viennent dès lors à privilégier la satisfaction de la demande solvable au détriment de leur mission première de service au public. Cela conduit fatalement à une dégradation du service offert et des conditions de travail. Plus largement, la privatisation, comme la sous-traitance, contribuent à la dégradation globale des conditions de travail des salariés et à l’augmentation, par exemple, des accidents de travail.

Ne pas se tromper de colère

Paradoxe : c’est au moment où la qualité des services publics est affaiblie que ceux qui encouragent leur démantèlement, voire y participent directement, ont le culot d’en appeler à un service minimum en cas de grève !

La colère des usagers est légitime, mais, imprégnés par le discours dominant sur la supériorité du privé et l’inefficacité, voire la « paresse » des agents des services publics, ces usagers se trompent souvent de colère. Adoptant une stratégie ambiguë, certaines associations de « clients » de services publics privilégient parfois la protestation individuelle et les coups de gueule médiatiques contre ces services plutôt que la remise en question fondamentale et collectivement organisée des principes créant les mauvaises conditions dénoncées.

La stratégie des organisations syndicales est également sur la sellette. Plutôt que de se mettre les usagers à dos, les syndicats doivent réfléchir au moyen de s’en faire des alliés. Non pas en renonçant à la grève, mais en réfléchissant à ses modalités... pour ne pas se tromper de cible ! Lors de certaines grèves, comme on le voit ces jours-ci, les syndicats tentent d’expliquer que les projets de la direction visant l’emploi et les conditions de travail auront des répercussions sur la qualité du service offert aux citoyens, voire sur l’environnement. Il serait nécessaire que des mobilisations syndicales offensives se développent en dehors de ces périodes, pour dénoncer les mauvaises conditions offertes aux usagers. Sans cela, les grèves dans les services publics peuvent paraître corporatistes, même lorsqu’elles sont porteuses de revendications sociétales. L’appel au service minimum peut dès lors se déchaîner. Alors qu’il faudrait au contraire en appeler, en permanence, à un service maximum !

Menace sur la concertation interprofessionnelle

Cet article a été publié dans Espace de Libertés, n°392 de décembre 2010, pp.28-29

Depuis la mi-novembre les interlocuteurs sociaux se réunissent autour de la discussion pour l’accord interprofessionnel (AIP) 2011-2012. Celui-ci s’annonce dès à présent mal parti alors que le précédent accord n’en était déjà pas réellement un. Il avait d’ailleurs été appelé accord exceptionnel interprofessionnel. La situation aujourd’hui est particulière. D’une part l’absence d’un gouvernement donne l’occasion aux interlocuteurs sociaux de reprendre un peu la main sans une immiscions trop importante du pouvoir exécutif. D’autre part les finances publiques ont été mises à mal par la crise financière et le sauvetage des institutions bancaires privées. Même si ce fut l’occasion de démontrer que le privé ne pouvait visiblement se passer du système public, le capitalisme est reparti rapidement de plus belle dans son arrogance.

C’est dans ce contexte que chacune des parties autours de la table a avancé ses positions. Sans surprise, cela fait deux siècles qu’il tient ce discours, le patronat a réclamé la modération salariale au nom de la compétitivité envers les pays limitrophes. C’est essentiellement par la voix de la FEB que ce type de discours a été tenu tandis que le Voka, soit le patronat flamand, a même parlé de gel salarial[1]. L’offensive médiatique sur cette épineuse question est lancée. Ainsi début novembre, la presse relayait une information du Conseil Central de l’Economie soulignant que les salaires belges avaient augmentés de 0,5 % de plus que ceux des trois pays voisins (France, Pays-Bas, Allemagne). Et de reparler de la fin du système d’indexation automatique des salaires. Du côté syndical, la fin de ce système et toute forme de modération salariale sont rejetées avec force au nom, notamment, de l’aspect négatif que cela entrainerait sur la consommation et donc sur l’économie. Mais les interlocuteurs sociaux ne discuteront pas que des salaires. Ce sera aussi l’occasion d’aborder la difficile question de l’harmonisation des statuts ouvriers et employés, les atteintes à la liberté du fait de grèves, les velléités de service minimum, les innombrables réductions de cotisation patronale qui grèvent le budget de la sécurité sociale, mais aussi la réduction du temps de travail, la formation des travailleurs…

L’Accord interprofessionnel est donc, tous les deux ans, un moment important de la vie socio-économique du pays. C’est ce que rappelle Michel Capron dans le chapitre qu’il lui consacre[2] dans une somme que le CRISP vient de publier[3]. C’est dans le prolongement de l’accord de solidarité sociale de 1944 qu’est conclu en mai 1960 le premier « accord de programmation sociale » qui inaugure ce qui deviendra, après un changement de dénomination, l’AIP. Michel Capron dans son analyse fouillée distingue quatre étapes dans l’évolution de cet organe de concertation. De l’origine à 1975, les interlocuteurs sociaux se partagent les fruits de la croissance économique. « Les accords de programmation sociale permettent au patronat de lier coût salarial et amélioration de la productivité sur fond de paix sociale ; les syndicats y voient la possibilité d’étendre les avantages obtenus par les secteurs forts aux secteurs faibles, dans une logique de solidarité sociale (…) le contenu des accords reflète le rapport de force entre interlocuteurs sociaux : les syndicats portent des revendications sur les salaires et les conditions de travail et le patronat accepte d’y répondre d’autant plus facilement que l’on est en période de croissance économique et que la paix sociale lui est garantie »[4]. A partir de 1975, la donne va changer et les interlocuteurs sociaux n’arrivent plus à se mettre d’accord. Le gouvernement prend alors la main, via notamment les pouvoirs spéciaux, et impose la flexibilité tout en renvoyant une série de dossiers au niveau des entreprises. « Pendant ces dix années, le gouvernement a déplacé le centre de gravité de la négociation sociale vers les entreprises, pour en faire un outil de sa politique économique de retour à la compétitivité moyennant la modération salariale »[5]. Après dix ans de ce régime, les interlocuteurs sociaux reprennent une part de liberté, mais une liberté de négociation qui reste encadrée par le gouvernement qui impose une obligation de résultat. 1993 inaugure la dernière période identifiée par Capron. Le gouvernement y multiplie les accords en dehors de l’AIP, accords qui influencent cependant ce dernier. La loi du 26 juillet 1996 sur la promotion de l’emploi et la sauvegarde préventive de la compétitivité est importante dans ce processus. « On observe ainsi une transition vers un échange entre logique économique de modération salariale et logique sociale d’emploi. Mais l’échange s’avère inégal : la modération sera appliquée, mais les mesures de création d’emploi sont non contraignantes et leur contrôle très imparfait »[6]

Au final, l’auteur démontre combien le périmètre de négociation et d’intervention des interlocuteurs sociaux s’est considérablement réduit au fur et à mesure que le gouvernement prenait la main. Mais plus important, combien cette prise en main par le gouvernement va dans le sens d’un renforcement du rapport de force du patronat.

La contribution de Michel Capron est représentative de ce que l’on retrouve dans l’ouvrage de référence dans laquelle elle est publiée. Une fois n’est pas coutume, le CRISP publie ici un livre indispensable à la bibliothèque de tout qui s’intéresse à la manière dont la concertation sociale, et donc le volet socio-économique, fonctionne en Belgique. Et comme pour les autres aspects institutionnels, il s’agit de s’accrocher pour s’y retrouver. Car si l’AIP est un volet qui attire sur lui les projecteurs des médias de part la communication que les différentes parties font sur les positions qu’elles y défendent, d’autres institutions pourtant essentielles sont nettement moins connues comme le conseil central de l’économie ou le conseil national du travail.

Mais cet ouvrage collectif ne se contente pas d’expliquer en quoi consistent ces différents organes et leur rôle. Il les replace également dans leur contexte historique et dans leur environnement en consacrant des chapitres spécifiques aux différents acteurs qui y participent. C’est aussi l’occasion d’aborder la question de la conflictualité dans les relations collectives du travail, que ce soit en Wallonie et en Flandre, brisant par la même quelques clichés pourtant bien ancrés. Mais le livre, après avoir évoqué les organes nationaux et interprofessionnels se penchent également, et c’est ce qui en constitue l’immense richesse, sur la concertation au niveau de secteur comme la grande distribution avant de se poser les questions du niveau international, principalement européen. Il se termine par les points de tension de la concertation sociale contemporaine comme, par exemple, la judiciarisation des conflits sociaux ou la question des PME.

Comme le soulignent dans leur conclusion générale Pierre Reman et Georges Liénard au-delà de l’aspect documentaire et explicatif de l’ouvrage, celui-ci pose la question globale de « l’articulation entre la démocratie politique et la démocratie sociale, d’une part, et sur la concertation comme système d’action collective et de transformation sociale, d’autre part »[7]. En fait, l’apport de l’ouvrage du CRISP est de montrer combien la concertation sociale n’est pas une fin en soi, mais un moyen qui vient compléter et nourrir la démocratie politique. Les différents contributeurs réhabilitent ainsi au fil des pages la notion de conflit comme révélateur et exutoire de tensions existantes dans la société dues aux rapports de domination toujours clairement présents et générés par les inégalités et les intérêts antagonistes. Le conflit, dans un rapport dialectique avec la concertation/négociation, est ainsi une composante inhérente à une réelle démocratie.

Notes

[1] Le salaire des travailleurs coincé entre le marteau et l’enclume in L’Echo du 1er octobre 2010, p.10

[2] Capron, Michel, l’évolution de la concertation sociale interprofessionnelle, pp.225-255

[3] Dynamiques de la concertation sociale, Bruxelles, CRISP, 2010, 609 p.

[4] Capron, op.cit., p.229

[5] Id., p.231

[6] Id., p.238

[7] Reman, Pierre et Liénard, Georges, La place de la concertation sociale dans une démocratie approfondie, pp.559-575.

Pourquoi payer pour restructurer ?

Cet article a été publié dans Espace de Libertés, n°392 de décembre 2010, p.29

Cette question, le patronat cela pose souvent, lui qui aimerait pouvoir se passer des règles de la concertation sociale. Le comportement de la direction de la multinationale Brink’s l’a encore montré le mois dernier. Après avoir essayé de contourner les lois sociales belges en voulant changer ses travailleurs de statut d’emploi, elle a transféré ses activités rentables dans une filiale avant de déposer le bilan. Une pratique inacceptable rendue possible par l’absence de loi permettant d’empêcher ces carrousels entre sociétés juridiquement différentes mais appartenant à un même groupe.

Le roman de François Marchand[1] développe une autre solution, encore plus radicale, imaginée par Émile Delcourt, un patron du nord de la France dont l’entreprise connait des difficultés. Afin de redresser son entreprise, il doit réduire son personnel de 25%. Mais il aimerait économiser le coût des licenciements ainsi que l’inévitable conflit social qui les accompagnerait. Après avoir fait appel à une boite de consultance, sa décision est prise : il doit trouver une solution qui lui économisera aussi le coût exorbitant demandé par ces parasites du monde des entreprises. Delcourt mettra son plan à exécution avec la complicité du délégué syndicale communiste dans une alliance de circonstance sulfureuse permettant au second d’éliminer ses concurrents et de financer son école de militants.

La solution trouvée est l’empoisonnement à la légionellose lors d’un séminaire de team building imaginé par le consultant. Isolé sur un bateau pendant plusieurs jours après une contamination due au sabotage du système d’air conditionné le personnel n’a aucune chance. 90 morts ! Une entreprise sauvée, et une campagne nationale contre la légionellose décidée par des technocrates parisiens qui n’ont rien compris à ce qui s’étaient passés. Le plan de Delcourt s’est déroulé presque sans accroc et est un vrai succès.

Un roman jubilatoire, à l’humour d’autant plus corrosif qu’il se base sur une fine observation du monde de la consultance, des « ressources humaines »… et du syndicat. Comme dans cet extrait décrivant le « syndicalisme de cogestion responsable » défendu par le délégué CFDT Lheureux : « Sa sentence favorite, à Lheureux, c’était : « il faut jouer le jeu ». Lorsque cette phrase est prononcée, la meilleure attitude, c’est de s’enfuir en courant. Cela signifie qu’on va vous arnaquer en douceur. Traduction en bon français : enculade institutionnelle. Lheureux, on peut le mettre dans un wagon pour le camp d’extermination, il va quand même « jouer le jeu », dénoncer les fuyards, demander aux gardiens si on peut élire un délégué du personnel, inciter tout le monde à bien se déshabiller pour la douche, avant de s’y rendre lui-même avec confiance. Et à force de jouer le jeu, Lheureux, il n’aurait que ce qu’il méritait : une mort inepte »[2].

Un livre qui se lit d’une traite où celles et ceux qui savent avoir un certain recul critique sur ce qui se passe sur leur lieu de travail riront, jaunes peut-être, des techniques de management décrites par l’auteur.

Notes

[1] Marchand, François, Plan Social, Paris, Le Cherche Midi, 2010

[2] P.86

dimanche 31 octobre 2010

Julien Lahaut vivant

En août dernier, cela faisait 60 ans que Julien Lahaut était assassiné.
J'ai déjà consacré un article sur ce blog, article d'ailleurs souvent consulté (voir ici), à la vie de ce personnage important de l'histoire de Belgique.
L'historien Jules Pirlot, avec qui il m'arrive de donner des formations sur l'histoire sociale de notre pays, a comblé il y a deux mois un vide important en publiant une biographie du seul député de l'histoire belge à avoir été assassiné pour des motifs clairement politiques.

Comme José Gotovitch le dit fort justement dès l'introduction : « Le métallurgiste, le syndicaliste, le dirigeant politique Julien Lahaut appartient à cette phalange d’hommes qui ont donné un visage à la classe ouvrière wallonne, ont été portés par elle et l’ont conduite dans des batailles décisives de son histoire. Pour être précis, sa stature, sa voix, et plus tard son souvenir incarnent la part prise par les communistes aux grands combats du premier demi-siècle passé. » (1). Un rappel toujours utile aujourd'hui où toute cette histoire tant à disparaître donnant l'impression d'une histoire linéaire où le capitalisme n'aurait jamais été contesté efficacement.

Le grand mérite de Jules Pirlot est de démythifié son sujet d'étude. Il n'hésite ainsi pas à citer des rapports très critiques internes au Parti Communiste qui soulignent le manque de travail parlementaire de Lahaut ainsi que sa faible formation politique. L'auteur aborde également des aspects moins connus du leader communiste comme celui-ci qui remonte au début de sa vie : « Il était accusé de Malthusianisme. Il donnait des conseils à ses compagnes de travail pour éviter les grossesses non désirées. On le soupçonnait de détenir sur son lieu de travail des ouvrages sur la question. Son armoire est donc forcée et ses livres disparaissent. Il attaque ses patrons au Conseil des Prud’hommes (l’ancêtre du tribunal du travail) mais est débouté faute de produire des témoins. » (2).

Le biographe arrive à contextualiser les différents aspects du parcours politique de Lahaut tout en restant accessible au lecteur néophyte. Pirlot précise d'ailleurs d'emblée que son livre se veut "tout public" et qu'une biographie complète, prenant notamment en compte un dépouillement systématique des archives parlementaires, de Julien Lahaut reste à réaliser. Ce qui n'empêche cependant pas le livre de développer les points de polémiques, comme la grève d'Ougrée-Marihaye, l'attitude des communistes au début de l'occupation ou les élections communale à Seraing de 1946.

Concernant l'assassinat, épisode qui passionne toujours les médias, Jules Pirlot confirme une nouvelle fois que « François Goosens, le tireur, est aujourd’hui identifié et décédé. Les noms de ses complices n’ont pas encore été révélés. François Goosens faisait partie d’un groupuscule d’extrême droite basé à Hal. » (3). La question des commanditaires, bien plus importante, reste elle entière. Et les entraves systématiques à une réelle enquête depuis 60 ans ne peuvent que susciter l'interrogation.

Un livre très agréable à lire qui a pour grande qualité de ne pas se limiter à son objet mais de permettre au lecteur de mieux appréhender l'histoire sociale, rarement abordée, de la première moitié du 20e siècle.

Notes

(1) Jules Pirlot, Julien Lahaut vivant, (Coll. Place publique), Cuesmes, Cerisier, 2010, p.11
(2) p.27
(3) p.150

Pour une refonte du financement des cultes

J'ai signé la pétition reprise ci-dessous qui vient d'être lancée le 27 octobre 2010 à l'initiative du Parti communiste Wallonie-Bruxelles. Elle approche en 4 jours le millier de signatures.

Nous constatons que le culte catholique romain thésaurise encore plus de 75% du budget du SPF Justice pour le financement du culte, et plus de 90% des subsides communaux, provinciaux et régionaux, le tout pour une somme totale d’environ 250 millions d’euros, alors qu’à peine 44% des Belges francophones se définissent encore comme catholiques.

Nous constatons également que les autorités supérieures des religions monothéistes adoptent des positions hostiles à diverses législations progressistes (droits des homosexuels, euthanasie, contraception, interruption volontaire de grossesse). Nous remarquons de manière générale une radicalisation conservatrice de leur part. Nous n’admettons pas la protection que l’Eglise catholique romaine de Belgique accorde à certains de ses membres, en les protégeant de l’intervention de la Justice.


Nous estimons que la façon dont est structuré le financement de la laïcité organisée et des cultes n’est pas en adéquation avec la réalité sociologique du pays et porte préjudice à tous les progressistes, laïcs et croyants.

C’est pourquoi nous exigeons de nos élus qu’ils légifèrent afin de mettre fin à la loi de financement des cultes en vigueur depuis 180 ans. Nous leur demandons d’opter pour un impôt « philosophiquement dédicacé » étendu aux actions « spirituelles et non marchandes ».

Concrètement, il ne s’agit pas d’une taxe supplémentaire. Il s’agit d’indiquer sur sa déclaration d’impôt l’affectation d’un pourcentage des taxes (payées de toute manière) pour un culte, la laïcité organisée, ou une cause non marchande de son choix (organisation non gouvernementale, fond artistique ou de préservation du patrimoine, activité scientifique humanitaire,…)

Cette idée a plusieurs avantages :
— Elle donne la possibilité au citoyen de se responsabiliser et de choisir en fonction de ses convictions.
— Elle rapproche le financement des cultes au nombre d’adeptes.
— Elle oblige ces instances à pratiquer plus de transparence et les amène à convaincre la population, avec des paroles et par leurs pratiques, que l’argent octroyé est bien utilisé.


Vous pouvez vous joindre aux signataires ici

samedi 30 octobre 2010

Quand la neutralité est riche d’idéologie


Cet article a été publié dans Aide-Mémoire n°54 d'octobre-décembre 2010, p.11
Une nouvelle fois, nous avons décidé dans cette chronique d’aborder l’idéologie d’extrême droite via un angle un peu moins habituel[1], celui de la Bande dessinée.
L’apparente neutralité
L’étude que Didier Lefort consacre aux bandes dessinées produites par l’extrême droite[2] est précédée d’un avertissement qui aborde la loi Gayssot et parle longuement de la question de la liberté d’expression : « Faut-il préciser, à l’orée de cette étude, que s’agissant d’une approche purement historique et descriptive des auteurs ne sauraient être engagés par les opinions dont ils se sont contentés de faire état ? Cela va naturellement sans dire, mais cela va encore mieux en le disant »[3]. L’étude se veut donc neutre, objective, sans idéologie, brassant une connaissance encyclopédique de la production dessinée de l’extrême droite. Si l’ouvrage porte sur la période de l’après guerre, il intègre celle-ci dans une périodicité plus large : « La caricature française « de droite » (avec toutes les réserves déjà émises sur cette classification stupide à tous égards) possède une solide tradition pamphlétaire, qui remonte au moins à la Révolution française comme les cérémonies du bi-sangtenaire, en marge des gouderies pluri-ethniques, ont eu pour principal résultat de LE mettre en lumières (siècle des, oblige) »[4].
Avec cet extrait nous entrons directement dans le cœur de notre analyse car elle reflète parfaitement le ton de l’ouvrage. Tout d’abord un style proche de la langue parlée, multipliant les allusions directes aux lecteurs dont un grand nombre sont incompréhensibles pour ceux qui ne connaissent pas l’extrême droite, et à l’humour chargé politiquement. D’autre part des thèmes habituels de l’extrême droite, comme ici la critique de la Révolution française et de l’immigration. Car le livre est bien un ouvrage qui, sous couvert d’une étude sérieuse sur la BD, brosse l’ensemble des thématiques de l’extrême droite. Il passe en revue toutes les tendances des néo-nazis païens[5] à l’Action Française[6] et aborde le moindre petit périodique à la vie courte et aux tirages confidentiels. Il démontre au passage la réalité d’une culture underground de ce courant politique. L’auteur, qui se présente comme totalement neutre et apolitique rappelons le, souligne avoir été parmi les premiers abonnés de Présent, quotidien lancé en janvier 1982, que tout le microcosme de l’extrême droite soutenait, dont des personnes déjà rencontrées dans cette rubrique tel Jacques Ploncard d’Assac ou Maurice Bardèche[7]. Une autre illustration de la neutralité de l’auteur est soulignée par cet extrait : « Fondé en 1984, National Hebdo s’est imposé, sous la houlette d’un vétéran de la presse de droite, Roland Gaucher (…) comme l’hebdomadaire le plus populaire de la presse nationale, n’hésitant pas, malgré les tollés, à mettre par exemple « Battling Joe » Le Pen en couverture couleur. Au demeurant il n’est pas l’hebdomadaire du Front National, pas plus que Présent n’en est le quotidien, et il n’est, guère encore que les « intellectuels » stalinoïdes pour voir dans ces organes de presse des appendices de la peste brune, de l’ordre noir, de la loge P2 ou du KKK alors qu’ils sont purement tricolore »[8]. L’auteur, bien que s’en défendant, ne peut résister à souligner son soutien à Jean-Marie Le Pen : « Qui ne voit enfin que, pareillement à Tintin, pareillement à Konk et malgré une « traversée du désert » de près de trente ans (…) Jean-Marie Le Pen est de la lignée de ces hommes de « l’ordre » pour qui c’est la sécurité de tous mais d’abord des plus démunis qui doit être assurée »[9]
De Tintin à Konk.
Tintin, un héros de bande dessinée dont les origines que nous avions abordées dans une précédente chronique sont ici reprises[10], tout comme le parcours politique de son créateur : « de Georges Rémi, dit Hergé, tout a été dit ou presque, et de Tintin son héros plus encore. Tout sauf une chose, patente mais délibérément occultée par les barbudos de la critique BD : son droitisme foncier, originel et constant – on pourrait dire primaire, secondaire et tertiaire, viscéral quôa – des « Soviets » jusqu’au « Picaros ». »[11] . Konk, un auteur emblématique « longtemps pilier du Monde et de l’Evènement, la gauche n’avait pour lui que les yeux de Chimène, et cocktails, petits fours (biensûr !), expositions, dossiers spéciaux se succédèrent. Cela dura des années. Jusqu’au jour où Konk commit « le péché absolu », celui de Galilée. Alors pour lui la terre s’arrêta de tourner. Il était devenu, sans le savoir, « d’extrême droite ». Parce que ses dessins paraissaient désormais dans Minute et dans National Hebdo »[12]. On notera au passage l’allusion, tout en finesse, à la polémique sur le détail de l’histoire et au jeu de mots de Jean-Marie Le Pen à l’encontre de Michel Durafour[13]. « La cause de cette carrière peu banale : la manie de KONK de douter de tout, ce qui était très rigolo tant qu’il s’agissait de Giscard et de Jésus-Christ, mais qui ne le fut tout à coup plus du tout dès qu’il aborda, en moderne Galilée du Rotring, le dogme absolu du moment : l’existence des xxxxxxxx x xxx irréfutablement « prouvées » par les minutes (non, il n’y a pas de jeu de mots, le sujet est trop grave !) du Tribunal de Nuremberg, Tribunal qui a également prouvé de la manière irréfutable qu’on sait la responsabilité de la Wermacht et des SS réunis dans les massacres de Katyn. Il n’entre pas dans le cadre de cette étude de se prononcer sur une question aussi débattue en ce moment par des librairies, des revues, des spécialistes qui y ont consacré vingt ou trente ans de leur existence et qui y risquent même leur propre vie »[14].
Des idées connues
On le voit avec cet extrait l’idéologie d’extrême droite est très présente, jusqu’à ses aspects négationnistes[15], dans cette étude « neutre » sur la BD. Passons à présent en revue des aspects déjà abordés dans cette chronique et que l’on retrouve au détour des pages de ce livre. Parmi ceux-ci citons tout d’abord la critique de la résistance[16] : « Au sortir de l’Epuration, qui fit 110.000 victimes selon le Ministre de l’intérieur du moment, on peut discuter du chiffre exact quarante ans après, ce n’est après tout que du Révisionnisme ! -, il apparait que celle-ci décapita méthodiquement l’élite intellectuelle de la France selon des listes dressées exclusivement par le sinistre Comité « national » (sic) des écrivains regroupant les « travailleurs intellectuels », parmi les plus antinationaux (…) Il fallait quelque courage – voire même un courage certain pour, en pleine terreur de la guerre froide, les résistancialistes à peine échaudés par la mise à la trappe avec de Gaulle de plusieurs ministres communistes (…) les tribunaux continuant à faire fusiller avec allant (salut à toi Jean Bassompierre !) – un certain courage donc pour lancer Rivarol »[17]. Jean Bassompierre, officier de la SS Charlemagne fusillé en avril 1948, est une des multiples références à la période de la collaboration[18]. Ce lien est également souligné à travers le parcours de certains dessinateurs comme « Raphaël Soupault, dit Léno, est né le 5 octobre 1904 aux Sables d’Olonne. Fils d’un instituteur républicain et d’une mère chouanne (…) il entame une carrière de presse de plus de 40 ans par un premier dessin publié, ô ironie, dans… l’Humanité le 20 juin 1921. Rapidement rallié à l’Action française, il passe ensuite au PPF de Jacques Doriot en 1936 et en devient le secrétaire général pour Paris en 1944 (…) Arrêté en mars 1946 et considéré comme « le caricaturiste du Maréchalat », Raphaël Soupault est condamné par les tribunaux de l’Epuration à quinze ans de travaux forcés en 1947 et n’est libéré, pour raison de santé, que le 21 novembre 1950 »[19] Soupault travaillera alors à Rivarol. On retrouve également la référence à la question de la hiérarchie inégalitaire naturelle : « D’où vient l’engouement quasi mythique de la BD de droite pour un personnage animalier a priori aussi peu ragoutant que le rat noir ? Sans doute d’abord à cause de l’animal lui-même, le seul à évoluer dans une société strictement hiérarchisée où les individus alpha (les plus intelligents) dominent les individus béta et gamma (les plus nombreux) – schéma trifonctionnel cher aux sociétés indo-européennes -, et qui est également la seule à entretenir un roi, « le roi des rats » (ne pas confondre avec le Négus), qui n’a du reste aucune utilité sociale. »[20]. Tout comme le rôle central de l’indépendance de l’Algérie dans l’histoire de l’extrême droite : « Il reste aujourd’hui des albums de Coral un autoportrait de jeune homme aux cheveux courts, cigarette aux lèvres à la Lucky Luke et chemise blanche à col ouvert, propre sur lui et qui inspire la droiture et l’honnêteté dans un monde qui était déjà vétuste et sans joie. Plus qu’un Tintin, car il n’eut guère de prise sur « les évènements », ce fut le Candide de l’Algérie française qui, trente ans après un prétendu cessez-le-feu du 19 mars, ne nous fait pas oublier les 150.000 harkis génocidés ou laissés génocider sur ordre de la France, les 5.000 Français toujours aujourd’hui « disparus en Algérie », le million d’expatriés jeté brutalement sur les quais crasseux de la Joliette, ni l’abandon de Reggane, ni celui de Mers-el-Kébir, ni… (et l’on comprend que j’en ai encore gros sur la patate !) »[21]
Et enfin celle de la violence et du racisme : « Le quotidien, c’est avant tout la violence, qu’on retrouve dans toutes les BD skins. La référence à « orange mécanique » est devenue un cliché – la fascination des skinheads pour la chanson « clockwork Skinhead » en témoigne – mais cette violence n’est-elle pas une réponse à l’agression permanente d’une société pourrie où les bandes d’envahisseurs bénéficient de toutes les complicités via « SOS Racisme » ou « France Plus » jusqu’à Badinter, Kiejman, Lang et autres programmés génétiques et où le « strugle for life » à Doc Martens est devenu la seule « self defense » du « frenchy louque » ? »[22]
Un livre neutre nous disait l’avertissement…

Notes

[1] Voir Le Militaria, porte d'entrée de l'idéologie d'extrême droite n°46 d'octobre-novembre-décembre 2008,
[2] Lefort, Didier, Les b.d. de « l’extrême droite » 1945-1990, (coll. Dossiers noirs), Marseille, Bédésup, 1991, 287 p.
[3] P.7
[4] P.23
[5] Voir La tendance païenne de l’extrême droite in n°38 d’octobre-novembre-décembre 2006.
[6] Voir De l’inégalité à la monarchie in n°33 de juillet-août-septembre 2005.
[7] Sur Ploncard voir La préparation de la reconquête idéologique n°42 d’octobre-novembre-décembre 2007 et sur Bardèche voir Le fascisme n’a pas confiance dans le peuple n°53 de juillet-août-septembre 2010
[8] P.105
[9] P.115
[10] P.31 Voir « Tintin-Degrelle » une idéologie au-delà de la polémique in n°50 d’octobre-novembre-décembre 2009 et n°51 de janvier-février-mars 2010
[11] P.27
[12] P.10.
[13] Le calembour “Durafour-crématoire” à l’encontre de Michel Durafour a été prononcé le 2 septembre 1988 tandis que la polémique sur le “détail de l’histoire” éclate le 13 septembre 1987 au Grand Jury RTL-Le Monde.
[14] P.113. Les x sont dans le livre des carrés noirs dont il est facile de constater qu’il cache les mots « chambres à gaz ».
[15] Voir Quand le relativisme sert à masquer le négationnisme in n°34 d’octobre-novembre-décembre 2005.
[16] Voir Le « résistantialisme », un équivalent au négationnisme in n°44 d’avril-mai-juin 2008.
[17] P.41.
[18] Voir L’extrême droite n’a jamais cessé d’exister in n°32 d’avril-mai-juin 2005 et La cohérence d’un engagement in n°40 d’avril-mai-juin 2007.
[19] P.43
[20] P.141
[21] P.64
[22] P.240