lundi 19 juillet 2010

Le Fascisme n’a pas confiance dans le peuple


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Cet article a été publié dans Aide-mémoire n°53 de juillet-septembre 2010, p.11
Qu’est-ce que le Fascisme ? Vaste question à laquelle de nombreux livres ont été consacrés. Et quoi de plus normal que de se poser une nouvelle fois la question dans cette rubrique ? D’autant que pour nous aider à y répondre, nous allons retrouver Maurice Bardèche qui dès l’introduction de son livre annonce la couleur « Je suis un écrivain fasciste. On devrait me remercier de le reconnaître : car c’est, au moins, un point établi dans un débat dont les éléments se dérobent »[1]. Une typologie du Fascisme Le livre Bardèche retrace l’histoire du fascisme de la création par Mussolini du parti fasciste[2] au néo-fascisme des années 60 et tente d’en dégager les traits communs sans en nier les différences[3]. Sur cette histoire, l’auteur se veut très clair : « J’ai défendu, avec quelques autres, le régime de Vichy, et pourtant, je rejetais, dans le secret de mon cœur, les trois-quarts de ce qu’avait fait Vichy. J’ai défendu les accusés de Nüremberg : il y en avait que, dans le fond de ma conscience, j’aurais peut-être condamnés. Ce n’était pas le moment de faire un choix. L’injustice était indivisible, la réponse devait l’être aussi. Mais aujourd’hui, nous pouvons, sans lâcheté, dire la vérité. Nous devons la dire : il y a des aspects de ce que fut le fascisme dont le fascisme actuel refuse d’être solidaire. »[4]. Il précise cependant immédiatement que : « Le fascisme, en tant que système politique, n’est pas plus responsable de la politique d’extermination des Juifs que la physique nucléaire, en tant que théorie scientifique, n’est responsable de la destruction de Hiroshima. Nous n’avons donc pas en charger notre conscience. »[5]. Ceci dit, que retenir du balayage effectué par Bardèche ? Tout d’abord, qu’aucune forme prise par le Fascisme historiquement ne convient pleinement à l’auteur. Ainsi : « La devise même de l’Etat Français, si sage, si patriarcale, si rassurante, je ne peux pas m’empêcher d’y voir une sorte de tranquilisant d’une nature un peu suspecte. Travail, Famille, Patrie, on ne m’enlèvera pas de l’idée que c’est une devise pour la Suisse »[6]. C’est en Espagne qu’il faut se rendre pour trouver la forme la plus pure du fascisme. Pas avec Franco et son immobilisme. Mais avec Primo De Rivera : « Les seuls fascistes véritables pendant la guerre d’Espagne furent phalangistes. Et, résultat qui met en évidence le caractère symbolique de la guerre d’Espagne, le seul doctrinaire dont les fascistes d’après-guerre admettent les idées à peu près sans restrictions, ce n’est ni Hitler, ni Mussolini, mais le jeune chef de la Phalange que son destin tragique fit échapper à l’amertume du pouvoir et aux compromissions de la guerre. Le choix de ce héros n’est pas purement sentimental. Il révèle tout ce qu’il y a d’idéaliste dans le mythe fasciste. Et il contient aussi un aveu : les fascistes préfèrent leurs martyrs à leurs ministres.»[7] D’autre part, que « Le rêve des puissances fascistes d’avant-guerre de constituer un Empire Européen, qu’il ait été sincère ou non, est une nécessité grave et pressante de notre temps »[8]. Anticommunisme, élitisme, racisme… un cocktail connu Le plus important est cependant les grandes caractéristiques que dégage Bardèche des diverses expériences qu’il étudie. Les mouvements fascistes sont clairement des mouvements issus de la petite bourgeoisie qui, fragilisée dans des périodes incertaines, se mobilise de manière contre-révolutionnaire[9]. C’est pourquoi la lutte contre le communisme est indissociable du Fascisme. Et ce dès l’origine : « La première version du fascisme que nous présente l’histoire contemporaine est le fascisme italien. À l’origine, c’est un mouvement de militants socialistes et d’anciens combattants qui sauva l’Italie du bolchevisme. »[10]. Jusqu’à la période contemporaine : « Le néo-fascisme reste donc essentiellement et intégralement anticommuniste. Il considère les partis communistes comme autant de corps expéditionnaires de l’impérialisme soviétique dans les différentes nations. Il demande que ces formations politico-stratégiques soient regardées pour ce qu’elles sont, qu’elles ne soient pas traitées comme des partis ordinaires dans une nation, mais qu’elles soient mises hors d’état de poursuivre leur besogne de dissociation et de trahison. »[11]. Et Maurice Bardèche de théoriser quelque peu son propos en revenant à la composition bourgeoise du Fascisme qui « (…) n’a pas comme le communisme une clientèle naturelle : il n’est pas le parti du prolétaire ou du paysan ou de quelque autre classe. Il est le parti de la nation en colère. Et principalement, par élection, le parti de cette couche de la nation qui s’accommode habituellement de la vie bourgeoise, mais que les crises déclassent, que les revers irritent et indignent et qui intervient alors brutalement dans la vie politique avec des réflexes purement passionnels, c’est-à-dire la classe moyenne. Mais cette colère de la nation est indispensable au fascisme. Elle est le sang même qui irrigue le fascisme »[12] La suite du raisonnement fait le lien avec un deuxième trait remarquable du fascisme pour Bardèche : « Le socialisme fasciste est donc un socialisme autoritaire par sa nature même et par conséquent il est nécessairement un socialisme antidémocratique. Et ce caractère semble même un des caractères dominants, comme disent les naturalistes, non seulement de la doctrine, mais surtout de l’animal fasciste. C’est pourquoi l’anticommunisme est une pièce majeure de tout ensemble fasciste. Car le communisme qui ressemble souvent au fascisme par ses méthodes et ses positions, en est radicalement différent par plusieurs points et notamment par sa référence primordiale à la dictature du prolétariat. Le communisme est par là l’aboutissement de la démocratie »[13]. Cette démocratie dont on sait combien elle est exécrée par l’extrême droite[14]. « (…) le fascisme est un moyen de salut qu’on impose au peuple. Même lorsqu’il est résolument socialiste, même lorsqu’il est, par certains aspects, démagogique, même lorsqu’il procède au partage des terres, à la nationalisation des citadelles économiques, à la confiscation des fortunes mal acquises, mesures de démarrage qu’on retrouve aussi bien au début des vrais fascismes qu’au début des démocraties populaires, le fascisme fait tout cela sans tolérer le désordre et l’anarchie, il impose ces mesures, il en contrôle le déroulement et la cadence, il ne permet jamais au peuple de déborder et de conduire »[15] La conséquence logique est l’élitisme revendiqué par le Fascisme : « Une direction ferme et stable de la nation, la primauté de l’intérêt national sur les intérêts privés, la nécessité d’une discipline loyalement acceptée par le pays, sont les véritables bases politiques du fascisme, celles qui se dégagent de sa définition même. (…) L’instrument politique essentiel du fascisme est le rôle qu’il reconnaît à une minorité de militants désintéressés et résolus, capable de donner l’exemple de leur propre vie et de porter le message d’une cité juste, loyale et honnête. »[16]. Historiquement, c’est en Allemagne que ce principe fut appliqué de la manière la plus pure : «(les SS) furent conçus originellement comme une élite chargée d’incarner l’idée nationale-socialiste. Remplirent-ils cette mission ? La réponse que l’historien peut faire à cette question importe peu. Ce qui nous intéresse au point de vue théorique, c’est que, dans un Etat fasciste, une élite, quelle qu’elle soit, vit le fascisme, elle est à la fois le volant qui entraîne le régime et le bras qui le réalise. Elle représente ce qu’il y a de meilleur dans le peuple parce qu’elle groupe les éléments physiquement les plus sains, moralement les plus purs, politiquement les plus conscients de l’intérêt de la nation. Étant l’émanation de ce qu’il y a de meilleur et de plus vigoureux dans la nation, cette minorité se substitue au peuple lui-même, c’est-à-dire qu’elle a pouvoir d’approuver à sa place et de réaliser en son nom. »[17] Et de faire clairement le lien entre rejet de la démocratie et racisme : « La liberté, c’est l’importation de n’importe quoi. Toute la pouillerie dont les autres peuples veulent se débarrasser, elle a aussi le droit de s’installer sur la steppe sans détour, d’y parler haut, d’y faire la loi et aussi de mêler à notre sang des rêves négroïdes, des relents de sorcellerie, des cauchemars de cannibales qui tapisseront comme des fleurs monstrueuses des cervelles étrangères que nous ne reconnaîtrons plus : l’apparition d’une race adultère dans une nation est le véritable génocide moderne et les démocraties le favorisent systématiquement. »[18]. Ce racisme auquel, malgré certaines précautions oratoires, Bardèche adhère et qu’il inscrit comme faisant partie de l’essence du Fascisme : « à la vérité, l’homme tel que le conçoivent les fascistes, est un jeune sauvage qui ne croit qu’aux qualités dont on a besoin dans la brousse ou sur la banquise : il récuse la civilisation. Car il voit en elle qu’hypocrisie et imposture. Il croit aux pionniers, aux constructeurs, aux guerriers de la tribu. »[19] « Le fascisme n’est pas une doctrine : c’est une volonté obscure et très ancienne écrite dans notre sang, dans notre âme. S’il est différent pour chaque nation, c’est que chaque nation a une manière à elle de se sauver. (…) L’idée fasciste ne peut donc être greffée, implantée au hasard sur n’importe quelle conscience (…) Mais ceux qui portent l’idée fasciste, ce sont ceux qui sentent plus fortement que les autres, plus désespérément que les autres, cette manière de se sauver, ce secret de vie et de santé que chaque espèce zoologique garde comme un instinct au plus profond de sa conscience. »[20]. Le Fascisme ne se limite pas à l’Europe Ce qui amène Bardèche a une proposition qui étonnera certainement le lecteur : « C’est pourquoi Nasser est si bien compris des Arabes : il leur parle la langue que parle leur race au fond d’eux-mêmes. Ce qu’il leur promet, ce n’est pas seulement l’indépendance, c’est une vie selon leur race et selon leur instinct. Aussi intraduisible, aussi inimitable que le germanisme hitlérien, la croisade de Nasser est limitée comme le national-socialisme aux hommes d’un seul peuple ».[21] Nasser un fasciste, voilà une analyse quelque peut déroutante, mais qui s’intègre parfaitement à la logique de l’auteur et à sa vision du fascisme : « Le fascisme de l’Islam a un sens parce qu’il y a un passé de l’Islam. Les religions ne sont peut-être pas autre chose que cette présence d’un autre homme en nous. Ce qu’on appelle la mystique des mouvements fascistes, c’est ce réveil des cris de guerre perdus qui sommeillent au fond de nous, cet instinct obscur que tout pourrait être autre, avec d’autres vérités et d’autres dieux, des dieux oubliés des temps très lointains, des serpents à plumes gravés sur de vieilles pierres. »[22]
Notes


[1] Bardèche, Maurice, Qu’est-ce que le Fascisme ? , Paris, les Sept couleurs, (1970), 195p. Nous avions déjà parlé de cet auteur dans Quand le relativisme sert à masquer le négationnisme in AM n°34 d’octobre-novembre-décembre 2005.
[2] Voir L’ascension fulgurante d’un mouvement in AM n°28 d’avril-mai-juin 2004,
[3] Nous avions analysé l’exercice similaire fait par le roumain Horia Sima in Le bilan du nationalisme in AM n°39 de janvier-février-mars 2007
[4] P.14
[5] Pp.53-54
[6] P.77. Voir Travail – Famille – Patrie in AM n°49 de juillet-août-septembre 2009
[7] P.61
[8] voir Le nationalisme européen de l’extrême droite in AM n°35 de janvier-février-mars 2006.
[9] Voir sur cette notion La pensée « contrerévolutionnaire in AM n°36 d’avril-mai-juin 2006
[10] P.15
[11] P.108. Voir également Nouveau FN, vieille idéologie in AM n°43 de janvier-février-mars 2008
[12] Pp.93-94
[13] P.143
[14] Voir notamment L’extrême droite n’a jamais cessé d’exister in AM n°32 d’avril-mai-juin 2005 et Le refus de la démocratie parlementaire in AM n°37 de juillet-août-septembre 2006
[15] P.137
[16] P.182
[17] Pp.36-37. Voir les analyses d’Evola : Le Fascisme est de droite in AM n°47 de janvier-février-mars 2009 et La révolution conservatrice in AM n°48 d’avril-mai-juin 2009
[18] Pp.184-185
[19] P.79.
[20] P.164.
[21] Pp.129-130
[22] P.132. Voir La tendance païenne de l’extrême droite in AM n°38 d’octobre-novembre-décembre 2006

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