vendredi 27 janvier 2017

Le triangle vert et autres découvertes dans le monde virtuel


 Cet article a été publié dans Aide-Mémoire n°79 de janvier-mars 2017, p.11

À la demande du comité de rédaction, je ne consacre exceptionnellement pas cette chronique à l’analyse d’un ouvrage, mais je vais m’intéresser aux sites Internet de l’extrême droite belge francophone. L’étude des mémoires de l’Amiral Horthy en lien avec la situation en Hongrie fera l’objet de notre prochain texte.

Une présence très clairsemée, illustrative de l’état de l’extrême droite belge francophone

La présence sur Internet de l’extrême droite francophone est à l’image de la situation structurelle et militante de celle-ci : très faible. Ainsi le site du FN-Belge, qui utilise la flamme tricolore et se dit « depuis 1985 » afin d’incarner la continuité avec le parti créé par Daniel Féret[1], se résume-t-il à une seule page renvoyant vers un compte Facebook dont le contenu est également très pauvre et peu actualisé[2]. Un autre site, quelque peu plus fourni, est celui de Démocratie Nationale. Il reprend une série d’imageries traditionnelles de l’extrême droite francophone comme le « ouvrez les yeux » utilisé depuis les années 80 et repris d’une campagne du FN français[3]. Les thèmes développés y sont relativement classique : dénonciation de « l’islamisation de nos villes et villages », refus de l’entrée en Europe de la Turquie, défense des « racines chrétiennes et de la culture européenne», dénonciation de l’ostracisme subi qui est antidémocratique… On notera une définition de l’ethnocide comme d’« un mécanisme de déracinement culturel, la destruction de l’identité culturelle d’un groupe, sans nécessairement détruire physiquement ce groupe » afin de décrire le processus vécu par les européens de race blanche dans leur propre pays. Dans la charte en ligne, qui se veut courte et énonciatrice des grands principes en 14 points, on retrouve la dénonciation « des utopies universalistes et mondialistes » et à l’inverse la nécessité de défendre « l’idée de communauté populaire enracinée », la défense de la patrie et de la famille (qui est « composée d’un homme et d’une femme » et envers laquelle il faut lutter contre « la culture de mort » que constitue le droit à l’IVG), la défense d’un capitalisme national face à la mondialisation avec une vision corporatiste de l’entreprise : « l’entreprise est une famille de producteurs : il faut y partager les richesses selon les mérites de chacun », avant des chapitres dénonçant l’islamisation et l’immigration, intégrant un volet sur la protection animale se résumant à la question des abattages rituels.
Plus actualisé que les deux précédents (du moins pour la page d’accueil, les pages des sections régionales datant de… 2013 !), le site du Front Wallon sent bon l’amateurisme et le bricolage. Il s’agit d’ailleurs plus d’un blog que d’un site Internet proprement dit. Au-delà d’une dénonciation de l’ostracisme subi et du danger de l’islamisation de la Belgique, on notera que le dernier article publié se réjouit de la victoire de Donald Trump grâce à un programme similaire à celui défendu depuis des années par le FW. À l’inverse le site de Wallonie d’abord, le parti de Juan Lemmens, n’a plus été actualisé depuis mai 2014.

Des références et un discours bien connus

Comme on le constate la présence sur la toile est très maigrichonne et reflète parfaitement la réalité de l’état de l’extrême droite wallonne. Deux sites se distinguent d’ailleurs. Celui du Parti Populaire dont les thématiques sont similaires (« rétablir la sécurité », « stop à l’invasion migratoire »…) à celles de l’extrême droite, jusqu’à l’utilisation par son président du balai cher à Degrelle[4] en page d’accueil en lançant le hastag #dubalai. Contrairement aux précédents sites, celui-ci est clairement très professionnel et tenu à jour et à en corollaire le site de l’organe du parti : Le Peuple[5]. Mais c’est sur celui de Nation que nous avons décidé de nous attarder quelque peu. La formation identitaire d’Hervé Van Laethem a en effet toujours été la plus active tant sur le terrain que sur la toile. Le site actuel comprend de manière assez intéressante les archives des versions précédentes remontant à 2009. Il est aussi le plus complet quand à une vision du monde globale, aux liens internationaux… C’est ainsi que l’on retrouve un soutien parfaitement assumé à Aube Doré, quasi érigé en modèle à suivre, et la mention de l’appartenance à l’Alliance pour la Paix et la Liberté (structure européenne de l’extrême droite ayant pignon sur rue à Bruxelles). On retrouve également des liens vers Radio Libertés[6] et d’autres sites très clairement d’extrême droite. La boutique se montre également riche en enseignement avec la vente d’objets ornés de la croix celtique, croix que l’on retrouve en noir dans un rond blanc entouré de rouge sur un drapeau accroché au mur d’une des nombreuses photos montrant les militants de nation à visage découvert lors de réunions et d’actions du mouvement. Au-delà d’une imagerie qui va jusqu’à assumer des retours aux années 30, le contenu de textes mis en avant est édifiante, tout comme la vision diffusée dans les JT du mouvement disponible en ligne. On retrouve ainsi dans le dernier numéro une interview du « docteur Merlin » un chanteur « insoumis, nationaliste européen » qui insiste sur le poids des mots dans le combat identitaire.
Dénonciation du danger de l’extrême gauche et de l’immigration, réjouissance de l’élection de Trump qui a gagné malgré la propagande bienpensante… le site contient tous les thèmes que nous venons déjà d’évoquer. Mais il va un peu plus loin. Ainsi du texte « Stanleyville : NATION n’oublie pas ! » qui rend hommage aux parachutistes qui en novembre 1964 « libéreront des milliers d’occidentaux pris en otage par une rébellion congolaise d’obédience communiste » et qui n’oublie pas « les complices des tueurs marxistes puisque 400 ressortissants occidentaux auront néanmoins été assassinés parfois dans des conditions atroces. Les complices des tueurs, on les trouvait en Belgique dans cette gauche toujours prête à applaudir aux massacres d’Européens. Cette gauche qui militait, à l’époque, pour que nos militaires n’interviennent pas. Cette gauche qui traitera nos parachutistes de fascistes… Cette même gauche, dont les enfants aujourd’hui (encore plus débiles et encore plus ethno-masochistes) vandalisent la statue de Leopold II et s’auto-flagellent car ils sont Européens. »[7]. Un autre texte intéressant est celui qui relate une rencontre à Anvers avec des équivalents flamands. Hervé Van Laethem y reprend la rhétorique du chef qui n’hésite pas à aller à la confrontation physique : « Mais aussi car elle est symbolique du combat, même physique n’ayons pas peur de le dire, que j’ai mené ici contre la crapule gauchiste et les bandes urbaines, au coude à coude avec des camarades flamands dont certains sont encore présents ici aujourd’hui » et qui n’hésite pas à clairement dire qu’il faut un « état fort », un « état nouveau » qui remplacera l’actuel gangrené par le « mondialisme » tant économique que racial[8]. Et Van Laethem, reprenant la thématique d’une troisième voix[9], sous le vocable de « solidarisme » incarnant une forme de capitalisme nationale intégrant le corporatisme[10], de plaider pour «Un Etat qui donnera plus de liberté aux petits patrons mais qui contrôlera les activités des multinationales et sera le régulateur ultime des questions économiques et financières (c’est-à-dire tout le contraire de ce que le futur traité TTIP (pur produit du mondialisme) veut appliquer. » Le discours de son équivalent flamand n’est pas non plus sans intérêt, notamment dans ses nombreuses références à Nietzsche dans son auto-qualification de « nationaux-démocrates » (à défaut de pouvoir dire socialiste) appelant à être une « force contre-révolutionnaire » pour lutter contre le « mondialisme cosmopolite » qui utilise l’immigration comme une arme : « L’immigration de masse est, comme je l’ai déjà dit, une arme des élites néolibérales et des gauchistes contre leur propre peuple (…) L’immigration de masse est une sorte d’arme atomique qui doit dissoudre les peuples et les cultures, y compris celles des migrants. ».

Le triangle vert

Mais la partie la plus intéressante du site de Nation, se trouve dans une page entre l’article de fonds et la boutique qui nous rappelle des passages du Combat pour Berlin de Goebbels[11] et qui illustre parfaitement la volonté de cette frange de l’extrême droite de conquérir l’espace idéologique par l’activisme. Nation promeut en effet le port d’un « triangle vert ». « Ce pin ‘s rappellera quelque chose aux spectateurs les plus attentifs de la « culture politiquement correcte » de ces dernières années. Nous voulons parler du fameux triangle rouge « contre l’extrême-droite ». Triangle rouge porté par des personnes «  qui se font un « devoir » d’afficher ce triangle rouge juste au moment de passer à la télé ou bien pour faire plaisir à leur chef de service étiqueté socialiste dans l’un ou l’autre ministère (…) C’est pourquoi face à ce triangle rouge, on ne peut plus conformiste, nous proposons à ces porteurs de triangle de l’échanger contre le triangle vert, symbole du refus de la charia et du terrorisme et de la lutte contre le seul vrai fascisme qui existe encore de nos jours : le fascisme des extrémistes salafistes ! » Et d’insister sur le fait qu’ « Il n’y a aucune inscription relative à NATION sur le triangle. Ainsi, même si vous ne vous retrouvez pas dans les autres idées de NATION, vous pourrez néanmoins témoigner de votre opposition aux extrémistes islamistes. Portez le symbole de la seule vraie résistance d’aujourd’hui !!! »
Ainsi, un rapide tour d’horizon des sites Internet de l’extrême droite belge francophone permet déjà de relever de nombreux points de similitudes et de raccrocher le discours tenus aujourd’hui avec celui que nous analysons dans cette chronique depuis maintenant 15 ans[12]
Notes

[1] Voir Nouveau FN, vieille idéologie in A-M n°43 de janvier-mars 2008.
[2] Nous nous limitons ici aux sites Internet et n’avons pas été dans les méandres des réseaux sociaux qui nécessiteraient une étude spécifique
[3] Voir Retour sur le discours du fondateur de la dynastie Le Pen in AM n°56 d’avril-mai-juin 2011
[4] Voir Léon Degrelle et le Rexisme in AM n°23 de janvier-mars 2003 et « Tintin-Degrelle » une idéologie au-delà de la polémique in AM n°50 d’octobre-décembre 2009 et n°51 de janvier-mars 2010
[5] Nous nous pencherons certainement sur une analyse approfondie du discours du PP et de ses référentiels idéologiques dans une prochaine chronique.
[6] Voir Le Gramsci de l’extrême droite in AM n°78 d’octobre-décembre 2016
[7] Voir La pensée « contrerévolutionnaire » in AM n°36 d’avril-juin 2006
[8] Voir Plongée chez les radicaux de l’extrême droite in AM n°76 d’avril-juin 2016.
[9] Voir Un vrai fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite in AM n°31 de janvier-mars 2005 et Une troisième voie : le socialisme racial in  AM de juillet-septembre 2011.
[10] Voir L’extrême droite défend-elle les travailleurs ? in AM n°60 d’avril-juin 2012 et La « démocratie autoritaire » pour le bien des travailleurs in AM n°65 de juillet-septembre 2013.
[11] Voir Joseph Goebbels. Combat pour Berlin in AM n°17 d’avril-mai-juin 2001
[12] Voir Ref. L’espoir wallon. Histoire du mouvement (1995-1998) in AM n°16 de janvier-mars 2001

mardi 17 janvier 2017

Maisons du peuple, comment transmettre leur héritage

Ce sera le thème d'une table ronde à laquelle je participerai comme intervenant le samedi 28 janvier 2017 à 14h30 au Labokub à Bruxelles.
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