dimanche 12 décembre 2010

Pourquoi payer pour restructurer ?

Cet article a été publié dans Espace de Libertés, n°392 de décembre 2010, p.29

Cette question, le patronat cela pose souvent, lui qui aimerait pouvoir se passer des règles de la concertation sociale. Le comportement de la direction de la multinationale Brink’s l’a encore montré le mois dernier. Après avoir essayé de contourner les lois sociales belges en voulant changer ses travailleurs de statut d’emploi, elle a transféré ses activités rentables dans une filiale avant de déposer le bilan. Une pratique inacceptable rendue possible par l’absence de loi permettant d’empêcher ces carrousels entre sociétés juridiquement différentes mais appartenant à un même groupe.

Le roman de François Marchand[1] développe une autre solution, encore plus radicale, imaginée par Émile Delcourt, un patron du nord de la France dont l’entreprise connait des difficultés. Afin de redresser son entreprise, il doit réduire son personnel de 25%. Mais il aimerait économiser le coût des licenciements ainsi que l’inévitable conflit social qui les accompagnerait. Après avoir fait appel à une boite de consultance, sa décision est prise : il doit trouver une solution qui lui économisera aussi le coût exorbitant demandé par ces parasites du monde des entreprises. Delcourt mettra son plan à exécution avec la complicité du délégué syndicale communiste dans une alliance de circonstance sulfureuse permettant au second d’éliminer ses concurrents et de financer son école de militants.

La solution trouvée est l’empoisonnement à la légionellose lors d’un séminaire de team building imaginé par le consultant. Isolé sur un bateau pendant plusieurs jours après une contamination due au sabotage du système d’air conditionné le personnel n’a aucune chance. 90 morts ! Une entreprise sauvée, et une campagne nationale contre la légionellose décidée par des technocrates parisiens qui n’ont rien compris à ce qui s’étaient passés. Le plan de Delcourt s’est déroulé presque sans accroc et est un vrai succès.

Un roman jubilatoire, à l’humour d’autant plus corrosif qu’il se base sur une fine observation du monde de la consultance, des « ressources humaines »… et du syndicat. Comme dans cet extrait décrivant le « syndicalisme de cogestion responsable » défendu par le délégué CFDT Lheureux : « Sa sentence favorite, à Lheureux, c’était : « il faut jouer le jeu ». Lorsque cette phrase est prononcée, la meilleure attitude, c’est de s’enfuir en courant. Cela signifie qu’on va vous arnaquer en douceur. Traduction en bon français : enculade institutionnelle. Lheureux, on peut le mettre dans un wagon pour le camp d’extermination, il va quand même « jouer le jeu », dénoncer les fuyards, demander aux gardiens si on peut élire un délégué du personnel, inciter tout le monde à bien se déshabiller pour la douche, avant de s’y rendre lui-même avec confiance. Et à force de jouer le jeu, Lheureux, il n’aurait que ce qu’il méritait : une mort inepte »[2].

Un livre qui se lit d’une traite où celles et ceux qui savent avoir un certain recul critique sur ce qui se passe sur leur lieu de travail riront, jaunes peut-être, des techniques de management décrites par l’auteur.

Notes

[1] Marchand, François, Plan Social, Paris, Le Cherche Midi, 2010

[2] P.86

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