samedi 30 octobre 2010

Quand la neutralité est riche d’idéologie


Cet article a été publié dans Aide-Mémoire n°54 d'octobre-décembre 2010, p.11
Une nouvelle fois, nous avons décidé dans cette chronique d’aborder l’idéologie d’extrême droite via un angle un peu moins habituel[1], celui de la Bande dessinée.
L’apparente neutralité
L’étude que Didier Lefort consacre aux bandes dessinées produites par l’extrême droite[2] est précédée d’un avertissement qui aborde la loi Gayssot et parle longuement de la question de la liberté d’expression : « Faut-il préciser, à l’orée de cette étude, que s’agissant d’une approche purement historique et descriptive des auteurs ne sauraient être engagés par les opinions dont ils se sont contentés de faire état ? Cela va naturellement sans dire, mais cela va encore mieux en le disant »[3]. L’étude se veut donc neutre, objective, sans idéologie, brassant une connaissance encyclopédique de la production dessinée de l’extrême droite. Si l’ouvrage porte sur la période de l’après guerre, il intègre celle-ci dans une périodicité plus large : « La caricature française « de droite » (avec toutes les réserves déjà émises sur cette classification stupide à tous égards) possède une solide tradition pamphlétaire, qui remonte au moins à la Révolution française comme les cérémonies du bi-sangtenaire, en marge des gouderies pluri-ethniques, ont eu pour principal résultat de LE mettre en lumières (siècle des, oblige) »[4].
Avec cet extrait nous entrons directement dans le cœur de notre analyse car elle reflète parfaitement le ton de l’ouvrage. Tout d’abord un style proche de la langue parlée, multipliant les allusions directes aux lecteurs dont un grand nombre sont incompréhensibles pour ceux qui ne connaissent pas l’extrême droite, et à l’humour chargé politiquement. D’autre part des thèmes habituels de l’extrême droite, comme ici la critique de la Révolution française et de l’immigration. Car le livre est bien un ouvrage qui, sous couvert d’une étude sérieuse sur la BD, brosse l’ensemble des thématiques de l’extrême droite. Il passe en revue toutes les tendances des néo-nazis païens[5] à l’Action Française[6] et aborde le moindre petit périodique à la vie courte et aux tirages confidentiels. Il démontre au passage la réalité d’une culture underground de ce courant politique. L’auteur, qui se présente comme totalement neutre et apolitique rappelons le, souligne avoir été parmi les premiers abonnés de Présent, quotidien lancé en janvier 1982, que tout le microcosme de l’extrême droite soutenait, dont des personnes déjà rencontrées dans cette rubrique tel Jacques Ploncard d’Assac ou Maurice Bardèche[7]. Une autre illustration de la neutralité de l’auteur est soulignée par cet extrait : « Fondé en 1984, National Hebdo s’est imposé, sous la houlette d’un vétéran de la presse de droite, Roland Gaucher (…) comme l’hebdomadaire le plus populaire de la presse nationale, n’hésitant pas, malgré les tollés, à mettre par exemple « Battling Joe » Le Pen en couverture couleur. Au demeurant il n’est pas l’hebdomadaire du Front National, pas plus que Présent n’en est le quotidien, et il n’est, guère encore que les « intellectuels » stalinoïdes pour voir dans ces organes de presse des appendices de la peste brune, de l’ordre noir, de la loge P2 ou du KKK alors qu’ils sont purement tricolore »[8]. L’auteur, bien que s’en défendant, ne peut résister à souligner son soutien à Jean-Marie Le Pen : « Qui ne voit enfin que, pareillement à Tintin, pareillement à Konk et malgré une « traversée du désert » de près de trente ans (…) Jean-Marie Le Pen est de la lignée de ces hommes de « l’ordre » pour qui c’est la sécurité de tous mais d’abord des plus démunis qui doit être assurée »[9]
De Tintin à Konk.
Tintin, un héros de bande dessinée dont les origines que nous avions abordées dans une précédente chronique sont ici reprises[10], tout comme le parcours politique de son créateur : « de Georges Rémi, dit Hergé, tout a été dit ou presque, et de Tintin son héros plus encore. Tout sauf une chose, patente mais délibérément occultée par les barbudos de la critique BD : son droitisme foncier, originel et constant – on pourrait dire primaire, secondaire et tertiaire, viscéral quôa – des « Soviets » jusqu’au « Picaros ». »[11] . Konk, un auteur emblématique « longtemps pilier du Monde et de l’Evènement, la gauche n’avait pour lui que les yeux de Chimène, et cocktails, petits fours (biensûr !), expositions, dossiers spéciaux se succédèrent. Cela dura des années. Jusqu’au jour où Konk commit « le péché absolu », celui de Galilée. Alors pour lui la terre s’arrêta de tourner. Il était devenu, sans le savoir, « d’extrême droite ». Parce que ses dessins paraissaient désormais dans Minute et dans National Hebdo »[12]. On notera au passage l’allusion, tout en finesse, à la polémique sur le détail de l’histoire et au jeu de mots de Jean-Marie Le Pen à l’encontre de Michel Durafour[13]. « La cause de cette carrière peu banale : la manie de KONK de douter de tout, ce qui était très rigolo tant qu’il s’agissait de Giscard et de Jésus-Christ, mais qui ne le fut tout à coup plus du tout dès qu’il aborda, en moderne Galilée du Rotring, le dogme absolu du moment : l’existence des xxxxxxxx x xxx irréfutablement « prouvées » par les minutes (non, il n’y a pas de jeu de mots, le sujet est trop grave !) du Tribunal de Nuremberg, Tribunal qui a également prouvé de la manière irréfutable qu’on sait la responsabilité de la Wermacht et des SS réunis dans les massacres de Katyn. Il n’entre pas dans le cadre de cette étude de se prononcer sur une question aussi débattue en ce moment par des librairies, des revues, des spécialistes qui y ont consacré vingt ou trente ans de leur existence et qui y risquent même leur propre vie »[14].
Des idées connues
On le voit avec cet extrait l’idéologie d’extrême droite est très présente, jusqu’à ses aspects négationnistes[15], dans cette étude « neutre » sur la BD. Passons à présent en revue des aspects déjà abordés dans cette chronique et que l’on retrouve au détour des pages de ce livre. Parmi ceux-ci citons tout d’abord la critique de la résistance[16] : « Au sortir de l’Epuration, qui fit 110.000 victimes selon le Ministre de l’intérieur du moment, on peut discuter du chiffre exact quarante ans après, ce n’est après tout que du Révisionnisme ! -, il apparait que celle-ci décapita méthodiquement l’élite intellectuelle de la France selon des listes dressées exclusivement par le sinistre Comité « national » (sic) des écrivains regroupant les « travailleurs intellectuels », parmi les plus antinationaux (…) Il fallait quelque courage – voire même un courage certain pour, en pleine terreur de la guerre froide, les résistancialistes à peine échaudés par la mise à la trappe avec de Gaulle de plusieurs ministres communistes (…) les tribunaux continuant à faire fusiller avec allant (salut à toi Jean Bassompierre !) – un certain courage donc pour lancer Rivarol »[17]. Jean Bassompierre, officier de la SS Charlemagne fusillé en avril 1948, est une des multiples références à la période de la collaboration[18]. Ce lien est également souligné à travers le parcours de certains dessinateurs comme « Raphaël Soupault, dit Léno, est né le 5 octobre 1904 aux Sables d’Olonne. Fils d’un instituteur républicain et d’une mère chouanne (…) il entame une carrière de presse de plus de 40 ans par un premier dessin publié, ô ironie, dans… l’Humanité le 20 juin 1921. Rapidement rallié à l’Action française, il passe ensuite au PPF de Jacques Doriot en 1936 et en devient le secrétaire général pour Paris en 1944 (…) Arrêté en mars 1946 et considéré comme « le caricaturiste du Maréchalat », Raphaël Soupault est condamné par les tribunaux de l’Epuration à quinze ans de travaux forcés en 1947 et n’est libéré, pour raison de santé, que le 21 novembre 1950 »[19] Soupault travaillera alors à Rivarol. On retrouve également la référence à la question de la hiérarchie inégalitaire naturelle : « D’où vient l’engouement quasi mythique de la BD de droite pour un personnage animalier a priori aussi peu ragoutant que le rat noir ? Sans doute d’abord à cause de l’animal lui-même, le seul à évoluer dans une société strictement hiérarchisée où les individus alpha (les plus intelligents) dominent les individus béta et gamma (les plus nombreux) – schéma trifonctionnel cher aux sociétés indo-européennes -, et qui est également la seule à entretenir un roi, « le roi des rats » (ne pas confondre avec le Négus), qui n’a du reste aucune utilité sociale. »[20]. Tout comme le rôle central de l’indépendance de l’Algérie dans l’histoire de l’extrême droite : « Il reste aujourd’hui des albums de Coral un autoportrait de jeune homme aux cheveux courts, cigarette aux lèvres à la Lucky Luke et chemise blanche à col ouvert, propre sur lui et qui inspire la droiture et l’honnêteté dans un monde qui était déjà vétuste et sans joie. Plus qu’un Tintin, car il n’eut guère de prise sur « les évènements », ce fut le Candide de l’Algérie française qui, trente ans après un prétendu cessez-le-feu du 19 mars, ne nous fait pas oublier les 150.000 harkis génocidés ou laissés génocider sur ordre de la France, les 5.000 Français toujours aujourd’hui « disparus en Algérie », le million d’expatriés jeté brutalement sur les quais crasseux de la Joliette, ni l’abandon de Reggane, ni celui de Mers-el-Kébir, ni… (et l’on comprend que j’en ai encore gros sur la patate !) »[21]
Et enfin celle de la violence et du racisme : « Le quotidien, c’est avant tout la violence, qu’on retrouve dans toutes les BD skins. La référence à « orange mécanique » est devenue un cliché – la fascination des skinheads pour la chanson « clockwork Skinhead » en témoigne – mais cette violence n’est-elle pas une réponse à l’agression permanente d’une société pourrie où les bandes d’envahisseurs bénéficient de toutes les complicités via « SOS Racisme » ou « France Plus » jusqu’à Badinter, Kiejman, Lang et autres programmés génétiques et où le « strugle for life » à Doc Martens est devenu la seule « self defense » du « frenchy louque » ? »[22]
Un livre neutre nous disait l’avertissement…

Notes

[1] Voir Le Militaria, porte d'entrée de l'idéologie d'extrême droite n°46 d'octobre-novembre-décembre 2008,
[2] Lefort, Didier, Les b.d. de « l’extrême droite » 1945-1990, (coll. Dossiers noirs), Marseille, Bédésup, 1991, 287 p.
[3] P.7
[4] P.23
[5] Voir La tendance païenne de l’extrême droite in n°38 d’octobre-novembre-décembre 2006.
[6] Voir De l’inégalité à la monarchie in n°33 de juillet-août-septembre 2005.
[7] Sur Ploncard voir La préparation de la reconquête idéologique n°42 d’octobre-novembre-décembre 2007 et sur Bardèche voir Le fascisme n’a pas confiance dans le peuple n°53 de juillet-août-septembre 2010
[8] P.105
[9] P.115
[10] P.31 Voir « Tintin-Degrelle » une idéologie au-delà de la polémique in n°50 d’octobre-novembre-décembre 2009 et n°51 de janvier-février-mars 2010
[11] P.27
[12] P.10.
[13] Le calembour “Durafour-crématoire” à l’encontre de Michel Durafour a été prononcé le 2 septembre 1988 tandis que la polémique sur le “détail de l’histoire” éclate le 13 septembre 1987 au Grand Jury RTL-Le Monde.
[14] P.113. Les x sont dans le livre des carrés noirs dont il est facile de constater qu’il cache les mots « chambres à gaz ».
[15] Voir Quand le relativisme sert à masquer le négationnisme in n°34 d’octobre-novembre-décembre 2005.
[16] Voir Le « résistantialisme », un équivalent au négationnisme in n°44 d’avril-mai-juin 2008.
[17] P.41.
[18] Voir L’extrême droite n’a jamais cessé d’exister in n°32 d’avril-mai-juin 2005 et La cohérence d’un engagement in n°40 d’avril-mai-juin 2007.
[19] P.43
[20] P.141
[21] P.64
[22] P.240

Aucun commentaire: