Cet article a été publié dans Espace de libertés, n°399 de juillet-août 2011, p.27
Alors que les négociations pour la formation d’un gouvernement continuent à ne pas commencer, Luc Pire a commandé un livre de circonstance à Paul Magnette sur la question du nationalisme. Le brillant universitaire, devenu ministre et souvent cité comme successeur d’Elio Di Rupo à la tête du PS, s’est adjoint l’aide de Jean Sloover, bien connu de nos lecteurs, pour produire un ouvrage concis sous forme d’interview[1].
Si le livre s’avère agréable à lire et est assez instructif, il déçoit cependant au vu de ce que l’on peut attendre d’un professeur de science politique. Car au final, Magnette n’apporte rien de bien neuf à la question de l’analyse des raisons pouvant expliquer le nationalisme en général, et le nationalisme flamand en particulier. Le point de départ est un désaccord avec la phrase de François Mitterand disant que « le nationalisme, c’est la guerre ». Dès l’introduction l’auteur précise : « Condamner le nationalisme comme une forme de maladie honteuse ou de déviation morale, c’est contribuer à renforcer encore les mécanismes de victimisation dont il se nourrit. Lui opposer des faits et des chiffres, tenter de le contraindre à prendre ses responsabilités, et à se heurter aux réalités du pouvoir, accepter de négocier les demandes rationnelles qu’il énonce tout en dénonçant ses mythes, telles sont sans doute les seules voies, longues et périlleuses, que les progressistes peuvent emprunter pour l’apprivoiser. »[2]. Pour Magnette, la Gauche se doit de prendre en compte la dimension nationaliste qui répondrait, selon lui, à une aspiration humaine fondamentale qui peut être positive comme l’aurait démontré le nationalisme libéral du 19e siècle.
Le livre s’attache, contexte belge oblige, à expliquer le caractère très peu progressiste du nationalisme flamand avant de se pencher sur le régionalisme wallon. Dans son historique de ce dernier, Magnette tend à montrer l’importance déterminante jouée par les socialistes. Il fait par ailleurs de ces derniers les vrais fondateurs et défenseurs de la région bruxelloise. Mais si l’on comprend bien l’importance politique aujourd’hui de se positionner ainsi, certains « oublis » sont interpellant. Ainsi du fait que le PS, alors toujours PSB, pris énormément de temps à s’emparer de la revendication régionaliste plutôt portée par la FGTB. L’exclusion des régionalistes lors du congrès dits « des incompatibilités », les conséquences électorales de cette décision, ainsi que les positions jusqu’au début des années 70 sont passées sous silence. Or ces dix années sont cruciales dans l’histoire du régionalisme wallon et les socialistes portent une responsabilité importante dans la perte de temps de cette période[3].
Le livre de Paul Magnette peut ainsi également se comprendre comme une volonté de se profiler pour reprendre le positionnement régionaliste quelque peu délaissé ces derniers temps au sein du PS. Si l’héritage n’est pas explicitement évoqué, et on comprendra aisément pourquoi, on retrouve dans les propos du ministre du climat et de l’énergie les accents régionalistes d’un Jean-Claude Van Cauwenbergh, ou d’un José Happart à l’époque de son mouvement « Wallonie région d’Europe ». S’inscrivant clairement dans le droit fil des thèses de l’Institut Jules Destrée, Magnette reste prudent et parvient à un beau jeux d’équilibriste politique quand il lie le Mouvement Wallon et deux des hommes forts du PS actuels, dont le premier cité est pourtant plus connu pour ses sentiments belges que wallon : « Oui, le Plan Marshall est un projet crucial pour la Wallonie, à la fois parce qu’il organise le redéploiement économique de la Région, battant en brèche les préjugés sur son déclin, et aussi parce qu’en faisant travailler ensemble les entreprises, les syndicats, les universités, il nourrit une réelle mobilisation et une prise de conscience collectives. Dans le fond, le Plan Marshall réalise les objectifs phares du mouvement wallon né des grèves de 1960. Ce qui le caractérise, ce sont des réformes de structure adaptées à la réalité socio-économique du début du XXIe siècle (…) Elio Di Rupo et Jean-Claude Marcourt ont en quelque sorte recueilli et modernisé l’héritage politique d’André Renard. »[4]. Pas certains que le fondateur du Mouvement Populaire Wallon partagerait cette analyse…
L’ouvrage, qui plaide au final pour un renforcement des trois régions afin de maintenir l’échelon fédéral, permet de baliser un débat qui s’avère inévitable aujourd’hui. C’est d’ailleurs ce que souligne Johan Vande Lanotte dans sa préface lorsqu’il dit : « Les médias et les partis francophones ont bien du mal à gérer cette situation [le nationalisme flamand NDLR]. C’est pourquoi le livre de Paul Magnette est important. Il introduit un débat qui doit assurément être mené dans la partie francophone du pays et présente un miroir critique à la Flandre »[5]
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