Cet article a été publié dans le n°367 de septembre 2008 du magazine Espace de Libertés, pp.31-32
Frédéric Seron, plus connu sous son pseudonyme de Clarke, est un dessinateur né en 1965. Il est l’auteur de nombreuses séries, dont certaines ne comportent qu’un seul tome, dont la plus connue est Mélusine qu’il anime avec Gilson depuis 1995. Les aventures de la petite sorcière publiée par Dupuis en sont à leur 22e album. En 2004, il se lance seul dans la publication au Lombard, dans la collection « Troisième degré », de
Quelles sont les raisons qui vous ont poussées à faire les albums Mister President, série au contenu très politique ?
Une espèce d'auto-thérapie, je présume... J'ai eu envie de faire cette série quand Bush a commencé à me faire peur au JT. Et puis, le personnage est tellement caricatural dans sa bêtise et son ignorance de sa fonction qu'il ressemblait à du pain bénit pour quelqu'un comme moi. D'ailleurs, je ne suis pas le seul à avoir abordé le sujet : Michael Moore, l'ensemble de la presse européenne... Finalement, c'était assez consensuel à l'époque.
Ce n’est certainement pas pour l’argent car je suppose que les tirages n’ont rien à voir avec ceux de Mélusine ?
Haha. Le jour où je ferai une série pour de l'argent, c'est que j'aurai trouvé le truc pour faire des best-sellers... Et ce jour-là, j'arrête de dessiner et je deviens riche en revendant ce truc à tout le monde. Ceci dit, Mister President se vend bien, en fait.
On y retrouve l’humour absurde de
C'est exact, mais l'optique de départ est très différente : Durant Les Travaux... restait une série à l'humour très théorique et exploitait plutôt la froideur et la déshumanisation de ce milieu. Pas de contenu politique, donc. Ici, il s'agit plutôt d'amener un message social, même s'il reste terriblement ténu : l'humour d'abord.
Vous considérez-vous comme un dessinateur s’inscrivant dans une longue série de caricaturistes (Daumier, Jam, Kroll…)
Absolument pas. Un caricaturiste est quelqu'un qui réagit à chaud et ne "crée" pas son personnage. Il utilise la matière première brute et se place dans un rôle de commentateur engagé. Ce qui m'intéresse, c'est justement la création (d'un univers, de personnages...) et l'opportunité de "laisser vivre" sa série. C'est pourquoi, d'emblée, je n'ai pas donné à Mister President les traits de Bush : je voulais qu'il puisse vivre indépendamment de son modèle. C'est également, en partie, le pourquoi de l'aspect didactique de la série : je voulais qu'elle puisse être lue dans quinze ans en dehors de son contexte politique actuel. Ça reste avant tout de la bande dessinée...
A ce propos, y-a-t-il des dessinateurs, ou plus largement des artistes, qui vous ont marqué et vous inspirent ?
Oui. Trop nombreux pour être tous cités mais, dans l'ordre chronologique de leur apparition dans ma vie : Peyo, Alexis, Andréas et Gary Larson... Je sais que ça peut sembler horriblement éclectique, mais ces découvertes courent de l'enfance à l'âge adulte...
Le « héros » de Mister President est clairement une caricature de Georges W. Bush. Qu’allez-vous faire après les élections aux USA ?
Héhé. Je vais continuer comme si de rien n'était en espérant que personne ne s'aperçoive de quoi que ce soit.
Au fait, avez-vous un pronostic concernant ces dernières ?
Je ne suis pas politologue. Mais je continue à penser que McCain reste le grand favori, même si, en Europe, on continue à faire comme s'il n'existait pas face à ses deux rivaux plus... conformes à nos envies.
Que vous a fait (feu) Charlton Heston pour qu’ils soient maltraités dans chacun des albums ?
Rien. En fait, je l'aime plutôt bien (je parle de l'acteur) et j'ai des sentiments mitigés sur le bonhomme. Je ne pense pas qu'un acteur qui ait fait autant de films engagés, écologiques, sociaux, dans les années 60, puisse être entièrement mauvais. Mais bon, je ne le connais pas, je n'ai pas envie d'approfondir notre relation et puis, de toute façon, c'est trop tard depuis une semaine...
La Bande dessinée peut-elle aborder tous les sujets ?
Oui.
Vous-mêmes avez-vous des limites dans votre humour très « monthy python » ?
Tout le monde a des limites. Le principal est de bien les connaître, que ce soit pour naviguer entre elles ou les dépasser...
Pourriez-vous expliciter les limites que vous vous donnez dans l’humour ?
Quand je parle de limites à dépasser, ou à canaliser, il s'agit de limites techniques, capacitaires... Je trouve qu'il est bon, en tant qu'auteur, de se connaître suffisamment et d'appréhender ses propres points forts et imperfections afin de mieux les utiliser. Quant aux limites "éthiques", c'est-à-dire la réponse à la fameuse question "peut-on rire ou parler de tout ?", je pense définitivement que oui. Mais il y a
Pour vous, peut-on faire de l’art pour l’art ou l’art doit-il refléter le monde ?
Celui qui prétend faire de l'art pour l'art est un menteur. L'art reflète toujours une vision du monde propre à l'artiste, quelle qu'elle soit...
Dans ce sens, vous considérez-vous comme un artiste engagé ?
Certainement pas. Si je voulais être engagé, j'affûterais autrement mon discours dans mes pages. Ce que je fais n'a d'autre prétention que de faire rire, même si je me permets une vision du monde -la mienne- qui peut faire office d'engagement...
Votre vision de la démocratie américaine est particulièrement acide. Enfin si on peut parler de démocratie ?
Justement, ce n'est pas la démocratie telle que je la connais (ou telle que je la rêve, sans doute). Mais ce n'est également pas un monopole américain : les mêmes travers existent partout dans le monde. Les Américains sont juste ceux qui font le plus de bruit...
Les leçons de décryptage politique, y compris dans les jeux, travaux pratiques et les « historical fact » qui rythment les albums, sont excellentes. Effectuez-vous un gros travail de documentations ?
Merci. Et oui, je me documente beaucoup. Mais, encore une fois, je ne suis pas politologue et mes appréciations ou commentaires doivent sembler très sommaires à quelqu'un de bien informé. Cependant, je pense qu'ils sont nécessaires : je veux que cette série ne se contente pas d'être une caricature sans fond réel. Je tiens à amener quelque chose de moi en affinant le discours.
Au terme de cet entretien, je vous trouve très (trop) modeste sur votre analyse politique. Je pense, contrairement à ce que vous semblez dire, que votre discours par la BD peut avoir plus de portée que celle de politologue.
Je suis entièrement d'accord, dans le sens où plus de personnes lisent de la BD de nos jours que des analyses politiques... Donc, je touche probablement plus de gens. Mais la portée est moindre car mon propos est évidemment moins affiné et certainement moins clairvoyant. En fait, je ne fais que dessiner ce que tout le monde pense, je ne crois pas proposer une vision très pertinente, pointue ou inattendue du sujet...
Finalement, quelles sont les réactions à ces albums, notamment aux histoires sur la France et la Belgique ?
Excellentes en général. D'abord, parce que le sujet est somme toute assez consensuel, mais également parce que les lecteurs ont l'impression que je partage leur incompréhension et leur peur face à tant de bêtise et d'immoralité. Et que je les fais rire avec... On en revient à l'auto-thérapie de la première question...
1 commentaire:
Well written article.
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