lundi 8 juin 2009

la pensée contre-révolutionnaire

Cet article a été publié dans le n°376 du mois de juin 2009 du magazine Espace de libertés, pp.26-27

« La Révolution française fut un ensemble d’événements suffisamment puissant et universel pour transformer le monde de façon radicalement permanente, pour avoir introduit ou du moins nommé des forces qui continuent de le changer. (…) La Révolution française a permis aux hommes de prendre conscience du fait qu’ils peuvent changer le sens de l’histoire, leur offrant, soit dit en passant, ce qui reste à ce jour le slogan le plus puissant jamais formulé en faveur de la démocratie : Liberté, égalité, fraternité »[1].

C’est bien à ce changement radical en faveur de la démocratie que s’oppose toute une littérature et une pensée qui fait partie du corpus doctrinal de l’extrême droite[2]. Cette critique de la Révolution française est contemporaine de celle-ci, et remonte d’ailleurs même plus loin. Il s’agit plus fondamentalement d’une critique de l’héritage des Lumières et de toutes les avancées philosophiques et politiques qu’elles ont amenées. L’historien israélien Zeev Sternhell a, dans une véritable somme, analysé de manière très complète ce mouvement qui formera une réelle culture qui s’oppose au rationalisme et à une vision critique d’une société qui pourrait évoluer par l’action de ses membres[3]. Cette contestation de la Révolution Française et de son héritage évolue cependant depuis la fin de la guerre froide pour sortir des cercles réduits de l’extrême droite et se diffuser de plus en plus. Cette évolution est analysée par l’historien britannique J. Hobsbawm, l’auteur de la synthèse de référence L’Âge des extrêmes. Histoire du court XXe siècle parue chez Complexe en 1994, dans un livre qui regroupe trois de ses conférences[4]. Dans cet ouvrage il montre que l’héritage de la Révolution Française fut revendiqué par quasiment toute les composantes de la société française, à commencer par la bourgeoisie qui ira jusqu’à accepter et utiliser le concept de « Révolution bourgeoise ».

L’origine du « Terrorisme »

Si la chronologie et les apports globaux de la Révolution sont donc repris par l’essentiel des forces politiques, une période posera rapidement problème et sera contestée. Il s’agit de celle où Robespierre, à la tête des Jacobins, détient le pouvoir et que l’on connait généralement sous le nom de « Terreur ». L’historienne française Sophie Wahnich, dans un court essai stimulant, démontre combien cette période est indissociable de l’ensemble du phénomène révolutionnaire et en représente le moment où le peuple obtient le plus de place dans le processus décisionnel. C’est ainsi que les Thermidoriens instaurent le suffrage censitaire. Il s’agit donc de recontextualiser cette période : « « Terrorisme » et « terroristes » sont deux mots qui naissent avec Thermidor. Ceux qui voulaient fonder un nouvel espace politique et symbolique égalitaire sont les vaincus de l’histoire. (…) En inventant le néologisme de « terroriste », les thermidoriens n’ont pas seulement anthropologisé une violence qualifiée aussi de populaire, ils ont activement occulté ce qui avait assis sa légitimité en situation : un processus juridico-politique de responsabilité collective. En effet, le devoir d’insurrection faisait de chacun un veilleur qui devait soit s’insurger au risque de sa vie, soit prendre en charge les décisions de la Convention nationale »[5]. Mais pendant longtemps, seul cet épisode et les personnalités de Robespierre et Saint-Just posent problème.

Sophie Wahnich, tout comme Hobsbawm, souligne combien c’est en 1989 à l’occasion du bicentenaire de la Révolution Française – mais aussi la date de l’effondrement du « bloc soviétique » - que la contestation de l’héritage révolutionnaire va s’intensifier et s’étendre progressivement à la Révolution dans son ensemble. Une des explications se trouve dans l’histoire de la réception des idées révolutionnaires et dans les conséquences qu’elles auront car «ce qui a maintenu en vie la Révolution française en tant que point de repère politique, lui donnant ainsi un second souffle, fut sa place dans les débats internes de la Russie soviétique ». Ce n’est donc pas un hasard si, après la diabolisation totale de la Révolution de 1917, on s’attaque à ce qui fut son modèle principal. C’est ainsi qu’après Livre noir du communisme[6] on retrouve quelqu’un comme Stéphane Courtois parmi les auteurs du Livre noir de la Révolution française[7]. Ce gros livre est intéressant à plus d’un titre. Publié par la très catholique maison d’édition du Cerf, il constitue un réquisitoire à charge de l’ensemble de la Révolution française reprenant tous les arguments habituels, parfois même de manière caricaturale comme avec le texte du Père Jean Charles-Roux consacré au Dauphin et qui ne comprend pas la moindre mention d’une source justifiant le propos. Le livre réhabilite bien entendu les Vendéens, dénonce la confiscation des biens de l’Eglise… mais va plus loin car dans sa deuxième partie il remet en avant une série d’auteurs contre-révolutionnaire comme Jacques Bainville et Charles Maurras. Le propos est d’ailleurs clair dès l’avant-propos puisque les idées de ces auteurs y sont présentées comme éclairant « les temps totalitaires et démocratiques d’une manière aussi inattendue que pertinente ».

Ce livre n’est malheureusement pas anecdotique mais au contraire significatif et illustratif d’une production littéraire et historique qu’analyse Hobsbawm dans la troisième partie de son livre. Il s’agit donc bien d’une offensive idéologique qui vise, à travers des positionnements moraux décontextualisés faisant fi de l’Histoire au profit d’histoires[8], à contester les épisodes historiques qui visaient à émanciper le peuple. « Je ne doute pas que le jour où les causes de la Seconde Guerre mondiale ne seront plus identifiables, on écrira de merveilleuses histoires pleines de talent et d’amertume, parlant à son sujet de catastrophe inutile ayant causé plus de morts et de destructions que la Première Guerre, pour un résultat peu éloigné de ce qui aurait de toute façon fini par arriver. Il est évidemment plus facile d’envisager de tels événements si l’on ne cherche pas à les comprendre, ou si l’on ne se sent pas concerné par leur histoire. »[9]. Et posons-nous la question : n’est-on pas déjà très proche de ce jour quand on voit l’importance donnée au 8 mai en Belgique ou le vote au parlement européen ce 2 avril 2009 par 553 votes pour (dont les partis verts et la quasi totalités des sociaux-démocrates), 44 contre et 33 absentions d’une résolution réhabilitant les vaincus de la seconde guerre mondiale, soit les Fascistes de tout bord, et condamnant une des composantes du camp des vainqueurs, soit les Communistes ?

Mais de manière plus globale, n’est-ce pas la place du peuple et de sa possibilité de maîtriser son destin qui est la vraie question au cœur de ces remises en causes ? Ne serait-ce pas cet aspect qui explique le rejet et la condamnation des périodes où il joua un rôle de premier plan ? Est-ce tellement un hasard si ce type de livre arrive à une époque où l’on préfère la « gouvernance » et les « technocrates » à un approfondissement de la démocratie ? Cela nous ramène à l’analyse d’Annie Collovald de la notion de populisme : « (…) Avec le populisme, il est bien question du peuple, mais d’un peuple réduit au statut de problème et refait par les préjugés d’une élite sociale et pour les besoins de la cause néolibérale qui projette la construction d’un avenir radieux, conduit par la mondialisation des logiques financières, contrôlé par des experts (…) Le peuple doit être méprisé et méprisable pour que se réalise l’utopie conservatrice du néolibéralisme rêvant d’une démocratie dépeuplée et réservée à une étroite élite « capacitaire » »[10]. Pour conclure, nous poserons donc la question de savoir si cette offensive idéologique contre la Révolution Française, qui ne se limite plus à sa période la plus radicale, n’est pas tout simplement une offensive contre la Démocratie. Car, pour reprendre la conclusion du livre de Zeev Sternhell déjà cité : « Pour éviter à l’homme du XXIe siècle de sombrer dans un nouvel âge glacé de la résignation, la vision prospective créée par les Lumières d’un individu acteur de son présent, voire de son avenir, reste irremplaçable »[11]

NOTES

[1] Hobsbawm, Eric J. Aux armes historiens. Deux siècles d’histoire de la Révolution française, Paris, La découverte, 2007, p.122.

[2] Voir à ce sujet plusieurs textes de notre chronique dans Aide-Mémoire disponible sur Internet :

[3] Sternhell, Zeev, Les anti-Lumières. Du XVIIIe siècle à la guerre froide (coll. L’espace politique), Paris, Fayard, 2006, 590 p.

[4] Hobsbawm, Eric J. Aux armes historiens. Deux siècles d’histoire de la Révolution française, Paris, La découverte, 2007

[5] Wahnich, Sophie La Liberté ou la mort. Essai sur la Terreur et le terrorisme, Paris, La Fabrique, 2003, p.94-95.

[6] Le livre noir du communisme. Crimes, terreur, répression, Paris, Robert Laffont, 1997, 846p.

[7] Escande, Renaud (sous la direction de), Le livre noir de la Révolution française, Paris, éditions du Cerf, 2008, 882p.

[8] Le film Marie-Antoinette de Sofia Coppola illustre également ce courant.

[9] Hobsbawm, op.cit. p.109.

[10] Annie Collovald, Le « Populisme du FN ». Un dangereux contresens. Broissieux, éditions du Croquant, 2004, p.234. Voir aussi l’article d’Olivier Starquit, Un plaidoyer pour le populisme in Aide-Mémoire n°48 d’avril-mai-juin 2009, p.5-6.

[11] Sternhell, Zeev, Les anti-Lumières… op.cit., p.580

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