lundi 27 juillet 2009

Travail - Famille - Patrie


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Cet article a été publié dans le n°49 de la Revue Aide-Mémoire, p.8
La complexité d’un parcours
Le mouvement des Croix de Feu est fondé en novembre 1927 et devient sous la présidence du Lieutenant-colonel de La Rocque la plus puissante des formations nationalistes. Il se transforme en parti politique, le Parti Social Français, en 1936. François de La Rocque (1885-1946) est un militaire de carrière. Il participe à la première guerre mondiale d’abord au Maroc où il est blessé puis dans la Somme à partir de 1917. Il démissionne de l’armée en 1928 et se lance rapidement en politique prenant en 1931 la tête des Croix de Feu. Très à droite la discussion est réelle de savoir si le PSF était un parti fasciste[1]. S’il a toujours refusé le coup de force et respecté le processus démocratique durant les années 30, de La Rocque rallie le Maréchal Pétain dès l’armistice. La devise du PSF, « Travail, Famille, Patrie » devient d’ailleurs celle du gouvernement de Vichy. Son attitude se modifie en 1942 lors du retour de Laval au pouvoir. Il entre alors en contact avec la résistance[2]. Le 9 mars 1943, il est arrêté par les Allemands et déporté en Allemagne. A la fin de la guerre, il est interné en France et décède peu après sa libération, alors qu’il est en résidence surveillée. De Gaulle reconnaîtra en 1961 ses actions de résistances.
Une origine bien marquée
Le mouvement des Croix de Feu est clairement né des bouleversements de la première guerre mondiale. Il incarne et se base sur le ressentiment des anciens combattants de voir leur victoire être confisquée par d’autres. D’autant que ces « autres » sont des personnes qui n’ont pas affronté la dureté du front. « J’ai conscience d’avoir réuni, dans les groupements que je dirige, le gage suprême de la rénovation française. D’abord l’élite des hommes qui ont fait la guerre. Puis, derrière cette élite, l’accompagnant pour la suivre et bientôt la devancer dans sa trajectoire civique, l’élite des générations arrivées à l’âge viril après 1918 »[3]. Avec à sa tête de La Rocque, le mouvement se conçoit comme incarnant une mission qui n’est en fait que la prolongation de celle des tranchées : « Notre œuvre nous surpasse désormais. L’espoir que nous avons soulevé ne nous laisse d’autre alternative que de le satisfaire ou de trahir. Nous ne nous appartenons plus. Une mission si grandiose exclut tout ménagement, tout égoïsme. Notre discipline de fer, librement consentie, assurera son déroulement. Notre ascétisme physique, moral, spirituel, saura nous élever à la hauteur de notre idéal. »[4]. Comme de nombreux éléments caractéristiques de la période de l’entre-deux guerres, la violence vécue sur le front laisse des traces et modifie les comportements : « Réprouver la violence n’est point la craindre. Rejeter son usage n’est point s’interdire la possibilité d’y faire face et d’y répondre victorieusement. Devant les menées criminelles du Front commun, de ses inspirateurs, de ses capitalistes et de ses spadassins, nous serions impardonnables de ne pas disposer non seulement une défense effective des bons Français mais aussi un instrument capable d’écraser les tentatives révolutionnaires »[5].
L’événement fondateur, celui qui fait émerger les Croix de Feu au devant de la scène politique est la fameuse nuit de février 1934 : « Les 5 et 6 février, sans hésitation ni scrupules, j’ai déclenché à fond non pas la somme de leurs protestations mais la synthèse unique, sociale, légale de leurs volontés. Les objectifs, strictement limités à ce qu’il était possible d’atteindre et de maintenir, n’étaient qu’un acheminement vers nos buts. Nous avons endigué par un premier barrage le flot des scandales politiques ; nous avons fourni la confirmation éclatante de notre valeur organisée, de nos méthodes rationnelles ; nous avons acquis la notoriété, indispensable au succès final. »[6]. Le message est à ce moment clair. Le clivage dans la société française s’affirme de plus en plus et les divers mouvements de droite se radicalisent et décident de mettre la pression. Mais si les Croix de Feu sont les plus nombreux, nous avons déjà vu qu’ils n’étaient pas les plus radicaux. Ainsi, constate-t-on une perception ouverte concernant l’immigration, loin des conceptions raciales d’autres mouvements : « La juxtaposition, puis l’union dans le sein d’une civilisation supérieure, sont les bases indiscutables sur lesquelles s’est édifiée note Patrie. Elles ont été acceptées, cultivées, non point subies. L’accueil amical et l’adoption maternelle ont, d’un bout à l’autre de son histoire, marqué, illustré la puissance d’attraction de la France »[7]. Cette position a pour conséquence que « La nation française forme un tout indivisible. Les antagonismes de races n’ont point cours sur son sol aimable. Nulle revendication minoritaire ne saurait s’élever parmi ses enfants. »[8]. Une nuance intervient ici qui est précisé et qui rejoint bien des débats contemporains : « Si le problème ethnique ne se pose pas, la question des étrangers s’impose. Car l’assimilation des apports dont nous sommes constamment enrichis ne saurait se poursuivre sous l’afflux incontrôlé, massif, pléthorique d’immigrations perpétuelles »[9]. Précisons enfin que cette position vaut également pour ceux que de La Rocque nomme les « Israélites ».
De nombreux éléments d’extrême droite
Pour nous, il ne fait cependant pas de doute, à la lecture de l’ouvrage doctrinal du mouvement, que les Croix de Feu est une formation d’extrême droite. Nous avons déjà dans cette chronique exprimé combien la question raciale ne devait pas être considérée comme centrale et masquer les autres aspects idéologiques. Et à ce niveau le Colonel de La Rocque ne se distingue guère des autres auteurs déjà étudiés ici.
Pour commencer, les Croix de Feu sont nés en réaction à une situation jugée décadente, menant la France au bord du gouffre : « L’automatisme de nos gestes a pour explication l’homogénéité de notre ensemble, groupant des citoyens de toute appartenance, associant leurs apports complémentaires en une mystique indivise, spontanée. La merveille du Mouvement Croix-de-Feu est d’être ce qu’il est malgré les complots des puissances occultes contre l’unité française »[10]. Il s’agit donc avant tout de défendre la France contre ses ennemis extérieurs et intérieurs. Sur ce plan, le rejet du parlementarisme est très clair : « (…) j’eus l’occasion d’assister à une bruyante séance de la Chambre des Députés – la seule que j’aie jamais vue. C’était une des nuits décisives. Rien ne saurait peindre mon dégoût devant cette tragédie burlesque. Il se dégageait de l’assemblée une atmosphère de médiocrité collective que je devais retrouver lors de ma récente comparution devant la Commission d’enquête. Tout se ramenait à des questions de personnes »[11]. Et plus largement, c’est l’idée même du Suffrage universel qui est remise en cause : « Dussè-je être accusé de néologie et accusé d’idée fixe, je ne cesserai, à travers ce livre, d’incriminer l’électoralisme. J’entends par là une déformation trop répandue, qui voit dans les verdicts du suffrage universel ou restreint, un but supérieur »[12]. Ce point nous ramène à une des caractéristiques des mouvements d’extrême droite : leur élitisme : « Quand l’intérêt de la Cité se trouve en jeu, les individus ne comptent pas : ils s’effacent. Les chefs de groupement doivent s’imposer, non dans la popularité, fille de la démagogie, mais par leur personnalité agissante et responsable »[13]. La logique porte ici sur une loi du plus fort qui doit s’imposer, y compris sur les « fils de » : « Nulle élévation ne se justifie, ne se maintient, ne s’impose si ses bénéficiaires en représentent point un constant modèle des vertus civiques. C’est pour avoir perdu de vue cet axiome que tant de hiérarchies, d’aristocraties ont sombré dans le néant. »[14]. Enfin, on retrouve la mystique de l’action primant sur une réflexion trop détaillée : « J’ai résolument placé les programmes dans ma bibliothèque, avec les dictionnaires et les tables de logarithmes. J’ai imposé la priorité au plan d’action. (…) Il me suffira quant à présent de le qualifier : relèvement et continuation de la France, unité politique, géographique, spirituelle, traditionnelle. »[15]
Sur le plan socio-économique également, on retrouve dans Service public des éléments qui ne trompent guère. Ainsi, d’une vision corporatiste de la société : « Les syndicats, pour jouer leur rôle, doivent être exclusivement professionnels et régionaux. Leur base unique doit être l’entreprise. Et si une coordination technique s’impose sur le plan national, elle ne doit en aucun cas revêtir un caractère de coalition »[16]. Cette vision décentralisée cassant les solidarités plus globale est étendue aux mutuelles : « Un des premiers actes accomplis par un gouvernement sûr de soi, indépendant des forces occultes d’où qu’elles viennent, doit être l’abrogation de la Loi sur les Assurances sociales et sa transformation en une série de cellules mutualistes décentralisées, autonomes. »[17]. Sur l’ensemble de ces questions de La Rocque se profile comme porteur d’une troisième voie, comme la synthèse évidente, dictée par le bon sens, des éléments bénéfiques : « Nous avons fait comprendre aux hommes de bonne volonté qu’on peut être social sans cesser d’être national et qu’on peut être national sans abandonner sa recherche du progrès social. Le signe de la résurrection est la conjonction spontanée des forces ardentes de la gauche avec les forces ranimées de la droite, les unes et les autres débarrassées de leurs faux chefs. »[18].
Le modèle de référence, qui n’est pas suivi aveuglément, est d’ailleurs clairement identifié : « N’oublions pas que l’Italie fasciste représente un fait nouveau et d’importance primordiale dans le jeu des puissances européennes. (…) L’admiration méritée par Mussolini ne se discute pas. Une juste réserve quant à la pérennité de son œuvre s’impose »[19].
Notes


[1] Voir notamment Robert Soucy, Fascismes français ? 1933-1939. Mouvements antidémocratiques, (coll. Mémoires n°100), Paris, Autrement, 2004
[2] La date de l’entrée de de La Rocque dans la Résistance est discutée, certaines sources indiquant un double jeu dès 1940.
[3] Lieutenant-colonel de La Rocque, Service public, Paris, Grasset, 1934, p.8
[4] Pp.268-269
[5] Pp.261-262
[6] p.13. Sur ces événements voir aussi La cohérence d’un engagement in AM n°40 d’avril-mai-juin 2007
[7] Pp.155-156
[8] p.199
[9] p.158
[10] p.247
[11] p.71
[12] p.91
[13] p.86
[14] p.126
[15] p.18. Voir sur cet élément « Mon Combat » d’Adolf Hitler, une autobiographie…in AM n°20 de Janvier-février-mars 2002 et « Mon Combat » d’Adolf Hitler, un programme… in AM n°21 d’avril-mai-juin 2002.
[16] p.147
[17] Pp.132-133
[18] p. 226. Sur ce positionnement de troisième voies : Un vrai fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite in AM n°31 de janvier-février-mars 2005,
[19] p.177

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