mardi 10 mai 2011

Réhabiliter la notion de désobéissance

Cet article a été publié dans Espace de libertés n°397 de mai 2011, p.31

Anne Morelli avait déjà, il y a maintenant déjà 16 ans, dirigé un livre remettant en cause pas mal de certitudes ancrées en chacun de nous à la suite de l’histoire enseignée dans le cursus scolaire. Les grands mythes de l'histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie est un livre qui avait provoqué le débat et apporté un vrai vent de fraicheur dans la production historique grand public.

Car, comme le souligne fort justement l’historienne de l’ULB dans l’introduction du dernier ouvrage collectif qu’elle dirige, les « révélations » contenues dans Rebelles et subversifs de nos régions. Des Gaulois jusqu’à nos jours[1] ne le sont que pour le grand public. Des articles scientifiques, bien que rares, abordent les questions et nuancent largement les versions généralement diffusées. Elle rappelle d’ailleurs que « Jan Dhondt, professeur à l’université de Gand, avait déjà montré en 1954 que les changements sociaux et politiques les plus radicaux avaient abouti dans notre pays sous la pression de l’opinion publique s’exprimant avec véhémence et non par le biais des élections et du Parlement. Les protestations organisées ont débouché sur la limitation des heures de travail, la reconnaissance du droit de grève, la protection contre la maladie, le chômage ou la vieillesse. Mais il ne faut pas ébruiter cette réalité : la « rébellion » change parfois le cours des choses »[2].

C’est donc afin de relire notre histoire à travers le prisme de ceux qui ont osés s’opposer au pouvoir en place dans le but de construire un monde meilleur, qu’une série d’auteurs spécialisés sur une période ont été regroupés dans cet ouvrage. Le livre a le grand avantage de ne pas se limiter à la période industrielle mais de s’intéresser également aux contradictions qui existaient au Moyen-Age et à la Renaissance. Il réhabilite ainsi une analyse marxiste de l’histoire que certains avaient un peu trop vite enterrée. Ces articles sont d’autant plus pertinents que le livre utilise le terme « de nos régions » dans son titre et non celui « de Belgique ».

La remise en évidence d’une grille d’analyse dialectique est particulièrement soulignée par l’article consacrée à la révolution de 1830. Els Witte y démontre que l’étude souvent décriée de Maurice Bologne sur le caractère prolétarien des journées de septembre est aujourd’hui confirmée. Des recherches récentes prouvent que nos régions subissaient une crise économique importante qui avaient eu pour conséquence de mettre de nombreux travailleurs au chômage. 1830 est donc bien une révolte populaire pour des raisons socio-économique qui sera récupérée par la bourgeoisie qui en fera une lutte pour l’indépendance. Les différentes contributions retracent ensuite une histoire contemporaine de la Belgique en en soulignant les soubresauts et surtout la longue alliance entre bourgeois progressistes et ouvriers avancés pour modifier en profondeur les institutions. La lutte, sanglante et violente, pour l’obtention du Suffrage Universel étant au cœur du jeu politique jusqu’à la première guerre mondiale, tout comme la volonté de briser l’hégémonie catholique. Les différents textes montrent également combien revendication politique et économique furent toujours imbriquées et par conséquent combien il est impossible de distinguer grève économique et grève politique dans notre histoire. Beau sujet de réflexion sur la situation actuelle. Tout comme, finalement, le fait de remontrer que les progrès sociaux ont été obtenus par des luttes, violentes, qui n’acceptaient pas de s’inscrire dans les cadres prédéfinis.

L’ouvrage se conclut par un tour d’horizon des « rebelles » d’aujourd’hui qui a le mérite de balayer très largement, sans pour autant prétendre à l’exhaustivité, le paysage militant contemporain et de ne pas le limiter aux partis politiques mais de l’étendre aussi aux champs culturels et associatifs. On regrettera cependant le peu de mise en perspective des actions et positions de cette énumération dont on aurait aimé une analyse de l’impact.

Un livre revigorant, qui ose sortir des sentiers battus en portant une pensée libre et critique. Il pourra être prolongé, pour ceux qu’une histoire de Belgique un peu différente intéresse, par la récente publication de deux coffrets reprenant les neuf tomes de La Nouvelle Histoire de Belgique[3] qui en surprendra plus d’un par son analyse bien moins institutionnelle et classique qu’il n’y parait au premier abord.

Notes

[1] Anne Morelli (sous la direction de), Rebelles et subversifs de nos régions. Des Gaulois jusqu’à nos jours, Charleroi, Couleur livres, 2011, 284 p.

[2] P.13

[3] Nouvelle histoire de Belgique, Bruxelles, Le Cri, 2010

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