Cet article a été publié dans le n°61 de la revue Aide-Mémoire de juillet-septembre 2012, p.11
Nous l’avons déjà abordé à plusieurs reprises
dans cette chronique, l’extrême droite est un mouvement politique pluriel qui à
partir d’un noyau idéologique commun peut prendre des formes différentes. C’est
ainsi que s’y côtoient des païens[1] et
des ultra-chrétiens[2]. C’est un représentant de cette deuxième catégorie que nous aborderons cette
fois-ci.
Une extrême droite
roumaine « classique »
Dans les années 30, l’est de l’Europe connaît
également la montée de parti basé sur le modèle fasciste italien et nazi
allemand. En Roumanie, le fondateur de cette tendance sera Corneliu Zelea
Codreanu (1899-1938). D’origine… polonaise, il se fera le chantre d’un
nationalisme radical reprenant tous les ingrédients des partis fascistes :
uniforme, salut, position du chef (ici surnommé « le capitaine »),
antisémitisme, rejet de la démocratie parlementaire, dénonciation de la Franc-maçonnerie,
anticommunisme… Ce dernier point est d’ailleurs important dans le parcours de
Codreanu qui, au sortir de son engagement dans la première guerre mondiale,
s’inscrit en faculté de Droit et s’engage dans des mouvements antibolchéviques
allant jusqu’à participer à des opérations contre des syndicalistes au sein de
groupe de briseurs de grèves. Outre l’antibolchevisme, son engagement se marque
par une adhésion importante à la Religion orthodoxe comme ferment de la nation
Roumaine. En juin 1927, il prend son indépendance en fondant la « Légion
de l’archange Michel », qui sera vite plus connue sous le nom de « Garde
de fer »[3].
Rapidement, il dote son mouvement d’un paravent politique nommé « Tout
pour la Patrie » via lequel il est élu député en 1931. Le climat en
Roumanie tourne rapidement à une guerre civile larvée où les attentats
meurtriers entre factions politiques se multiplient. En 1938, le gouvernement
roumain alors allié à l’Angleterre et à la France estime que le mouvement de
Codreanu pourrait être une cinquième colonne en cas de conflit et le fait
arrêter, puis condamner, pour finalement l’assassiner. C’est alors Horia Sima
qui prendra la direction du mouvement des légionnaires[4].
Deux mois de prison
Nous avons ici choisi de traiter pour la troisième
fois d’un livre de prison[5],
en l’occurrence ici celui racontant les deux mois de détention, du 19 avril
1938 au 19 juin 1938 de Codreanu[6].
Si notre édition date de 1986, la première édition du livre sera liée aux
retournements d’alliances au sein des partis fascistes durant la guerre : « Treize
ans après le martyre du capitaine à Jilava, nous publions ses notes du temps où
il fut enfermé dans cette prison. Elles ont été publiées pour la première fois
en Allemagne, à Rostock, sous forme d’une brochure tirée sur la pierre. Il nous
a été impossible de les faire publier typographiquement, à cette époque là. Le
gouvernement allemand avait pris l’engagement envers Antonesco de nous garder
dans des camps de concentration, et aussi d’empêcher toute manifestation
légionnaire dans la presse européenne »[7].
Le livre comprend les aspects traditionnels d’un récit de prison, avec l’ennui,
les conditions extrêmes, le surinvestissement dans la relation avec un animal
(ici de petits oiseaux)… Au-delà de ces aspects, l’ouvrage permet à Codreanu de
dénoncer ce qu’il considère comme une injustice et, outre ses conditions de
détention qu’il juge trop sévère, la parodie de justice qu’il doit subir :
« à ma grande surprise, j’ai pris connaissance de ce qu’il a été ouvert
contre moi une action publique pour deux délits : 1° Avoir armé les
citoyens pour provoquer la guerre civile, 2° m’être mis en rapport avec un Etat
étranger, pour provoquer la révolution sociale en Roumanie. Bien entendu aucune
de ces accusations ne renferme la moindre vérité »[8].
Et de dénoncer les obstacles mis pour avoir un contact avec ses avocats : « Chaque
avocat ou témoin, s’attendait, d’un moment à l’autre, à être enlevé, arrêté et
envoyé dans un camp de concentration (…) Tandis que le réquisitoire du
Procureur, fait par d’autres et seulement lu par lui, fut tiré immédiatement en
éditions spéciales, publié par ordre supérieur et sous la menace de suspendre
les journaux récalcitrants et lu, in
intergrum, à la radio, la parole de la défense fut écoutée par le Conseil
de guerre dans une salle vide, et ne bénéficia dans la presse que
d’entrefilets. »[9] Il
insiste cependant sur le fait que malgré tous ces obstacles, il a balayé
pendant une intervention de sept heures tous les arguments retenus contre lui.
Et de s’étonner de la peine prononcée par le tribunal militaire le condamnant à
10 ans de travaux forcés : « Je ne sais pas s’il a déjà existé, dans
la vie publique de la Roumanie, un homme qui fût attaqué avec tant
d’acharnement, de fureur et de mauvaise foi, par toute la presse et par toutes
les officines judéo-politiciennes, comme je le fus moi, depuis mon arrestation
et pendant toute l’instruction, dans le but de préparer l’opinion publique à ma
condamnation. »[10].
On notera au passage l’expression antisémite.
Chrétien avant tout
Mais durant tout ce temps, il explique ne
penser qu’à son mouvement, se forgeant clairement une figure de martyr :
« Cependant, je sens dans leurs yeux qu’ils comprennent toute ma tragédie
intérieure. Ils se rendent compte de l’importance de l’inculpation qui
m’accable et de la responsabilité qu’implique la direction d’un mouvement de
plus d’un million d’âmes, dans lequel est en jeu le sort d’une nation ; et
ils comprennent les douleurs qui transpercent mon cœur pour les miens et pour
chacun des centaines et même des milliers de Légionnaires qui, en cet instant,
éprouvent les mêmes âpres tourments »[11]
Afin de tenir le coup, ce fervent chrétien
affermit encore plus sa croyance : « Ainsi, heure après heure, la
chair se déssèche sur moi… Grandit cependant, dans mon cœur, la foi en Dieu. Je
prie chaque jour la Sainte Vierge et Saint Antoine de Padoue, grâce aux
miracles desquels j’ai échappé à la mort en 1934 »[12]. Il
se sert beaucoup de la prière : « Je prie (…) pour les combattants
légionnaires, les vieux et les jeunes, ces héros et martyrs de la foi
légionnaire, arrachés à leurs maisons et conduits qui sait dans quelles
prisons… (…) et à la fin, m’apparaît Ciumeti, avec le groupe des légionnaires
martyrs tombés à cette époque »[13].
La note 11, précise à qui fait allusion Codrenau : « Ciumeti et les
autres, assassinés par la police en 1933-1934, après le châtiment de Ion
Duca ». Le « châtiment » ici évoqué est le meurtre du premier
ministre roumain par les légionnaires et « l’assassinat » le résultat
du jugement contre les auteurs de ce crime politique. Belle illustration de
l’importance des mots et du fait que, selon le camp où l’on se trouve, la
vision et l’interprétation d’un même fait peuvent varier. Cette différence dans
le jugement porté se reflète encore plus dans un autre extrait, significatif
alors que tout le livre est basé sur la plainte par son auteur d’être traité
« illégalement » : « Les pauvres maisons des légionnaires
furent tant de fois violées que, pour rétablir la justice, dans la Roumanie de
demain, le nom de « légionnaire » devra devenir sacré. Aucune force
publique ne pourra arrêter un légionnaire, ni pénétrer dans sa maison. En cas
de délit, seul son chef hiérarchique pourra pénétrer chez lui et décider son
arrestation. C’est un indiscutable droit à réparation que méritent les porteurs
de ce nom, tellement dénigré, piétiné et injustement traité aujourd’hui »[14]. Soit
la promesse d’une justice partisane par quelqu’un qui la subit et la dénonce au
moment même où il rédige ces lignes.
Ces aspects pourraient paraître anecdotiques si
nous ne touchions pas avec ceux-ci un des aspects important du Fascisme, à
savoir le côté spirituel de sa doctrine qu’il oppose souvent à l’aspect
rationnel du Marxisme, à l’héritage des Lumières. C’est ce que souligne dans
son texte introductif Horia Sima : « Les notes de Jilava, précisent, sous une forme qui ne laisse aucun
doute, le sens profond de la sagesse légionnaire : le spirituel ne peut
pas être détaché du politique : les dispositions intérieurs de l’individu,
ses impulsions surnaturelles, doivent trouver une correspondance dans les
aspirations de la vie collective. (…) Toute la tragédie de l’humanité provient
de la dissociation de ces deux éléments, de la fausse conception d’une Histoire
faite en dehors de Dieu, sous prétexte que les lois sociales seraient
différentes de celles qui gouvernent l’homme intérieur. »[15].
Ou, dans une version plus lyrique, la préface qui place, au passage, Codreanu
sur un piédestal classique du chef fasciste : « Son effort de chaque
instant ressemble à un affrontement sans merci entre le bien et le mal, entre
les forces dévorantes des ténèbres et la gloire indestructible de la lumière
céleste. Réduit à l’état végétatif des condamnés par le bon vouloir des forces
obscures qui dominent le monde, LUI, l’homme de granit, de vision et de
volonté, souffre le calvaire de l’impuissance et du doute. »[16].
Cette importance de la religion, de la
spiritualité, dans le Fascisme n’est pas une nouveauté pour cette rubrique.
Tout comme l’anticommunisme qui s’exprime dans ce dernier extrait qui illustre
aussi le désarroi de Codreanu lorsqu’il comprend qu’il est lâché par la
hiérarchie orthodoxe roumaine : « Je ne sais pas si l’on peut
qualifier autrement le discours adressé à la jeunesse par le Patriarche Miron
Cristea, dans lequel celui-ci condamne avec des mots très durs le Mouvement
Légionnaire. L’Eglise orthodoxe prend une attitude ouvertement hostile à la
jeunesse roumaine. Comment ne pas penser à la condamnation que l’Eglise
catholique jetait, par la voix de ses évêques, sur le mouvement nationaliste
d’Allemagne, un an ou deux avant la victoire d’Adolf Hitler ? Quoi qu’il
en soit, c’est douloureux, extrêmement douloureux. Lutter pour l’Eglise de ta
Patrie, aux confins du monde chrétien, alors que l’incendie qui brûle les
églises d’à côté étend ses flammes jusqu’à nous »[17],
subissant ainsi le même sort que Léon Degrelle[18]
ou Charles Maurras[19].
Notes
[1] Voir La tendance
païenne de l’extrême droite in A-M n°38
d’octobre-novembre-décembre 2006.
[2]
Voir Un nationalisme religieux : le Portugal de Salazar in A-M n°24 d’avril-mai-juin 2003 et La
pensée « contrerévolutionnaire » in A-M n°36 d’avril-mai-juin 2006.
[3]
Corneliu Z Codranu, La Garde de fer, Grenoble, Omul Nou,
1972, 470 p. Reprint de l’édition parue à Paris aux éditions Prométhée en 1938
[4]
Voir Le bilan du
nationalisme in A-M n°39 de
janvier-février-mars 2007.
[5] Voir Le
procès de Nuremberg était-il juste ? in A-M n°25 de juillet-août-septembre 2003 et Le
« résistantialisme », un équivalent au négationnisme in A-M n°44 d’avril-mai-juin 2008.
[6]
Corneliu Zelea Codreanu, Journal de prison. Puiseaux, Pardès, 1986,
79 p.
[7]
P.13, Préface de Horia Sima
écrite en juin 1951
[8]
P.37
[9]
P.48
[10]
P.51
[11]
Pp.20-21
[12]
P.39. Allusion à son premier
procès.
[13]
P.23
[14]
P.28
[15]
P.14. Les notes de Jilava est le titre de la version originale du Journal de prison
[16]
P.9
[17]
P.52
[18]
Voir « Tintin-Degrelle » une
idéologie au-delà de la polémique in A-M
n°50 d’octobre-novembre-décembre 2009 et n°51 de janvier-février-mars 2010.
[19]
Voir De l’inégalité à la monarchie in A-M n°33 de juillet-août-septembre 2005.
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