lundi 10 juin 2013

Le devoir de désobéissance

Cet édito de 6 com a été publié le 10 juin 2013

Il faut sauver le soldat Manning !


Lundi dernier a débuté aux USA le procès du soldat Bradley Manning. Ce dernier risque jusqu’à 154 ans de prison. Bradley Manning, en prison depuis mai 2010 dans des conditions reconnues comme « plus rigoureuses que nécessaires » est accusé d’avoir diffusé 700.000 documents considérés comme « secret défense » au site Wikileaks. Parmi ces documents, des vidéos maintenant devenues célèbres et prouvant des crimes de guerre par des soldats américains en Irak. Le procès, qui se déroule dans la base militaire de Fort Meade devant une cour martiale devrait durer jusqu’au 23 août et voir la comparution de 150 témoins dont certains le seront à huis-clos.
De nombreux commentaires peuvent être faits sur ce procès. Sur le discours médiatique qui l’entoure parlant de « bavures » pour les faits qu’il a dénoncé. Sur le fait qu’Human Right Watch ne soutient pas le jeune soldat de 25 ans, montrant une nouvelle fois sa partialité en faveur du gouvernement américain et de sa politique étrangère. Sur le peu de mobilisation internationale autour de ce procès pourtant emblématique car éminemment politique. Car au-delà du verdict de ce procès, c’est la notion de désobéissance qui est au cœur du débat. C’est la reconnaissance ou non de l’importance de savoir dire non à un ordre ou une injonction inhumaine.

Car la matérialité des faits est reconnue par Bradley Manning qui ne nie à aucun moment avoir transmis les informations. Comme toujours dans des cas similaires, l’accusation tente de faire de son cas une « simple » trahison et collusion avec l’ennemi afin de masquer la motivation réelle, par ailleurs affirmée avec force par le principal concerné. Cette motivation relève de la volonté de ne pas se rendre complice de faits allant à l’encontre de sa conscience et du désir d’informer les citoyens de la réalité de la guerre afin qu’un débat démocratique sur la politique étrangère post 11 septembre 2001 des USA soit menée.
Le geste de Bradley Manning s’inscrit donc dans la tradition de la désobéissance, militaire ou civile (rappelons, pour rester aux USA, le geste de Rosa Parks en 1955), qui est toujours le fait d’individu courageux mais isolé et victime de l’incompréhension de la majorité de leurs concitoyens. Un siècle après ce qui s’est passé dans les tranchées racontés par Stanley Kubrick dans Les Sentiers de la gloire (film sorti en 1957 mais interdit en France jusqu’en 1975 !) rien n’a donc vraiment changé. On considère toujours, dans la pratique, que pour un militaire « réfléchir, c’est désobéir ». Pourtant depuis le procès de Nuremberg, la désobéissance à un ordre est reconnue implicitement puisque l’obéissance ne peut être un facteur disculpant un subalterne de sa propre responsabilité.

Depuis, la notion évolue de plus en plus du « droit à la désobéissance » au « devoir de désobéissance » face à des ordres, dont le caractère évolue également d’illégal à illégitime. Mais si une forme de jurisprudence a évolué et que la théorie militaire l’a intégrée dans les manuels, il s’agit de passer de la théorie à la pratique. Car une chose est d’avoir un cadre théorique, autre chose est d’être en capacité de l’appliquer.

Outre l’absence généralisée, quel que soit les cas, de l’acceptation de la contestation par une hiérarchie, le geste de Manning nous ramène à la question quasi existentielle de notre propension à la soumission à l’autorité inculquée dès la naissance. Cette soumission que la célèbre expérience de Milgram (illustrée notamment dans le film d’Henri Verneuil I comme Icare) a mis en lumière entre 1960 et 1963. Pour rappel, dans un cadre scientifique où la personne est volontaire et ne risque rien au niveau de son intégrité physique (donc pas le cas militaire), 63% des personnes se comportent comme des tortionnaires et ce jusqu’au seuil létal. Malgré que cette expérience est archi-connue, discutée et diffusée dans les écoles, un documentaire, Le jeu de la mort réalisé en 2009 tend à montrer que notre degré d’obéissance est plus fort aujourd’hui qu’hier puisque ce sont 81% de personnes qui ont été jusqu’au bout. Même si cela dérange nos bonnes consciences, les camps d’extermination ont existés plus par le fait de gens ordinaires faisant simplement leur travail que par l’existence des SS.

Impossible ici de vider, voire même d’aborder tous les aspects de cette question de la désobéissance. Cet édito se veut modestement une incitation à la réflexion sur un sujet certes philosophique mais avant tout très concret pour nous syndicalistes dans un contexte où le modèle de la concertation sociale belge est remis en cause et où, sous couvert de lutter contre le terrorisme ou de lutter contre les « incivilités », l’appareil législatif (re)devient de plus en plus contraignant. Service minimum, astreintes, procès contre des militants combatifs, sanctions administratives communales… Ce ne sont pas les initiatives qui manquent, appuyées par un discours médiatique stigmatisant, pour criminaliser le mouvement social.

Il risque donc de se poser rapidement la question de l’efficacité des actions syndicales dans un cadre légaliste. Donc de l’illégalité indispensable des nouvelles formes d’actions. Et de notre capacité individuelle et collective à ce moment d’entrer en désobéissance !

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