jeudi 13 juillet 2017

Un « On est chez nous » d’exclusion



 Cet article a été publié dans Aide Mémoire n°81 de juillet-août-septembre 2017, p.11

Nation semble de plus en plus se profiler comme le seul parti d’extrême droite encore en capacité d’allier présence sur les médias sociaux, actions militantes, et structuration en vue des élections. Cette alchimie en fait certainement la composante de ce courant la plus dangereuse à la veille d’une séance électorale importante. Déjà évoqué dans un précédent article[1], nous revenons ici sur une analyse de deux médias utilisés par ce parti.

Un front patriotique
« On est chez nous ! » ce slogan ayant inspiré le titre d’un intéressant film sur l’extrême droite en France, a été choisi par Nation pour son triptyque tracté ses dernières semaines par ses militant·es. Le slogan, accompagné du trident rouge et noir symbole du mouvement, est placé sur un fond représentant une de leurs manifestations lors de laquelle les militant·es portent des drapeaux belges et wallons ainsi qu’aux couleurs rouge et noir. A l’intérieur trois thèmes sont développés. Les deux premiers « djihad ne passera pas ! » et « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » sont centrés sur l’immigration tandis que le troisième reprend un autre classique de l’extrême droite « ni socialisme, ni capitalisme, troisième voie ! »[2]. On notera que les solutions aux « problèmes » soulevés ne sont que de l’ordre du répressif. Le dos est à nouveau centré sur l’immigration avec un « aidez Nation à garder la Belgique… belge » accompagné de la volonté de défendre « l’identité et la civilisation européenne ainsi que sa culture millénaire » en prônant la « remigration » et une laïcité à géométrie variable comme la pratique Marine Le Pen car « Nation combat l’extrémisme religieux et tous ceux qui veulent transformer notre société européenne au nom de leur religion ». Religion qu’il faut comprendre comme étant uniquement l’Islam.
Parallèlement à ses (tentatives de) distributions de tract, qui sont par ailleurs l’occasion de relancer des coordinations antifascistes larges, Nation annonce sur son site qu’elle s’insère dans une recomposition du paysage politique par la création d’une alliance électorale[3]. Celle-ci, baptisée « coordination patriotique », portera le nom de « on est chez nous ». Cette annonce est renforcée par un « flash actu » enregistré et diffusé à la suite du 1er tour de la présidentielle en France où Van Laethem se réjouit de la qualification au second tour de Marine Le Pen avant de présenter le projet et de céder à la toute fin de la séquence la parole à Joseph Franz du Parti des Pensionnés.

TV Nation
Cette nouvelle est confirmée dans une capsule vidéo mise en ligne le 6 mai 2017. Intitulée « forum », il s’agit d’une « émission de débat ». Le présentateur en est Olivier Frapchot, secrétaire général de Nation, qui accueille… Hervé Van Laethem, président de Nation, qui, très poliment, le remercie pour cette invitation au débat dont on pressent par avance qu’il sera tendu avec de nombreuses questions pièges. On notera que Van Laethem porte à la boutonnière un triangle qui apparait parfois rouge, parfois vert[4], ce qui n’est pas sans interpeller. Il répète que le projet est bien « une coalition électorale des forces patriotiques » basées sur l’acceptation de 10 points, qui sont majoritairement conformes à ce que l’on a analysé plus haut, et dans laquelle chaque formation garde sa liberté d’action. Le but est de favoriser le « vote patriotique » et de faire entendre le « lobby des petits Belges de souche ».
La vidéo est utilisée depuis plusieurs années par Nation qui a créé « TV Nation ». Celle-ci se décline via une chaine youtube (dont les liens à eux seuls démontrent le courant radical auquel appartient le parti) en plusieurs formats : un journal à la périodicité incertaine (en 2017 un numéro en janvier et un en avril), un forum que nous venons d’évoquer, et des « flash actus » plus courts que semble privilégier actuellement le mouvement. Nous allons à présent continuer l’analyse du contenu de quelques-unes des plus récentes vidéos, toutes présentées par Olivier Frapchot qui est loin d’avoir raté une carrière de présentateur. Techniquement, la bonne volonté est là mais les moyens ne suivent clairement pas et l’on frise parfois le ridicule. Par contre, on notera que de nombreux militants apparaissent à visage découvert dans les séquences qui contiennent également des indicateurs intéressants comme dans le journal d’avril 2017 où l’on voit sur le mur[5] un beau drapeau rouge avec en son centre un rond blanc contenant la croix celtique… Ou quand le naturel revient au galop. On constate également que Nation recrute dans les couches défavorisées de la population et que les actions menées le sont par un noyau composé de 5 à 20 personnes.
Nation s’inscrit dans une mouvance dite, pour reprendre la vidéo de présentation, « identitaire » et « solidariste » : « En effet, le terme « national-solidarisme » n’a pas de lieu d’être puisque le solidarisme est, par essence, quelque chose de national. En effet, pour résumé, le solidarisme est une volonté d’appliquer la solidarité pour ceux qui le méritent, dans le cadre de la nation ! Et sans compter la forte connotation identitaire qui est liée au solidarisme, tel que défendu par NATION ! »[6]. L’identité est ici vue comme « les valeurs traditionnelles des peuples européens ». Van Laethem reconnait cependant dans le dernier « Flash Info » mis en ligne que bien qu’il n’aime pas l’expression les dernières semaines et les quelques échos dans les médias montrent que « Nation représente l’Extrême Droite en Belgique francophone ». Cette clarification est suivie par un appel aux dons pour permettre le développement à la veille de la campagne électorale et pour permettre de maintenir actif le local de l’APF[7].
Ce dernier fait l’objet de l’essentiel du numéro d’avril de « TV Nation » à l’occasion de la fête des un an du local dont on souligne l’importance pour la visibilité et la structuration du mouvement identitaire européen. L’occasion d’y interviewer longuement le représentant de Democracia Nacional, mouvement particulièrement radical, qui insiste sur l’importance de la défense de l’Europe, de la culture commune et des liens historiques, du respect de « la foi et de la tradition ». On notera avec grand intérêt cette notion de « foi » dans le chef de partis qui prétendent par ailleurs défendre une vision laïque de la société, ce qui renvoie à notre remarque sur le tract de Nation. Dans cet interview la période qui suit Franco est qualifiée de « démocratie entre guillemets » et il y a une forte insistance sur le « système mondialisé » qui organise un « cordon sanitaire » et la « répression politique » contre les identitaires, cette répression étant un signe que le système tremble devant la contestation grandissante organisée par les « forces patriotiques ». Une thématique que l’on retrouve régulièrement, notamment quand il s’agit de montrer les arrestations des membres ou les interdictions de manifester subies par Nation. Un autre grand thème présent quasi constamment est celui de la « GPS », la « Grande presse subsidiée » ou « presse bienpensante », aussi définie comme les « merdias », qui n’est pas libre et n’est qu’un outil de propagande du système diffusant une « idéologie bisounours » pour endormir la population. Et bien entendu les scandales politiques sont développés et utilisés pour montrer combien le système est corrompu avec mise en avant des actions de manifestation, notamment sur la citadelle de Namur. Un dernier aspect développé dans les outils de propagande vidéo de Nation est celui de l’aide au plus faible, avec la mise en avant d’actions de maraude envers les SDF belges et qui renvoie à l’aspect « solidariste ».
« On est chez nous »
Ce slogan dont, dans une des émissions de « TV Nation », Hervé Van Laethem revendique la paternité, risque donc de fleurir dans l’année qui vient. Si l’aspect amateur peut faire sourire et que le nombre de militant·es reste limité, le danger que constitue Nation, surtout si l’amorce de regroupement se développe, est réel et ne doit pas être minimisé. Son activisme lui permet de compenser son manque de moyen et pourrait lui permettre une présence réelle dans les futures campagnes électorales d’autant que les autres formations ne semblent pas en état de marche. Empêcher une structuration plus importante est donc un enjeu des mois qui viennent.


[1] Le triangle vert et autres découvertes dans le monde virtuel in AM n°79 de janvier-février-mars 2017,
[2] Voir Un vrai fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite in AM n°31 de janvier-février-mars 2005,
[3] Une information qui a été l’objet d’un billet sur La Première.
[4] Sur le triangle vert diffusé par Nation voir à nouveau Le triangle vert et autres découvertes… op. cit.
[5] À 18.13 pour être précis
[6] Toutes les citations proviennent de textes ou de vidéos présentes sur le site de Nation début juin 2017.
[7] Alliance for Peace and Freedom, soit l’alliance pour la paix et la liberté, regroupe les partis de la mouvance radicale identitaire au sein de l’extrême droite européenne. On y retrouve notamment Aube Dorée.

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