samedi 24 novembre 2018

Faire don de sa personne


 Cet article a été publié dans Aide-mémoire n°86 d'octobre-décembre 2018, p.11

Nous avons à maintes occasions montré combien la figure du héros était présente au sein de l’extrême droite, dans le sens où tous les dirigeants de cette tendance démontrent et entretiennent une virilité qui assoit et garantit leur pouvoir. Cette fois-ci nous analyserons le discours d’une des figures emblématiques de l’extrême droite française, souvent évoquée[1] mais jamais encore analysée dans notre chronique.

Le héros de Verdun
Philippe Pétain (1856-1951) est un fils de cultivateur qui entre à l’école militaire en 1876. Il commence alors une carrière militaire assez modeste qui le trouve seulement colonel à 58 ans lorsque la guerre de 14-18 commence. Celle-ci lui permet de se faire enfin un nom, notamment lors de la bataille de Verdun qui lui vaudra le titre de « héros de Verdun », titre qui sera abondamment utilisé par la propagande de Vichy. A la fin de la guerre, il obtiendra le titre de Maréchal et continue sa carrière militaire comme chef des armées. Il se distinguera notamment dans la guerre du Rif, ou des armes chimiques seront utilisées contre les forces d’Abd-el krim. Avec la répression des mutins de 1917, ce sont deux épisodes controversés de la période militaire de Pétain. Nommé à l’académie française fin des années 20, il débute une carrière politique en février 1934 comme ministre de la guerre, poste qu’il ne gardera pas longtemps. Plus significatif sera son poste d’ambassadeur en Espagne franquiste à partir de mars 1939. Juste après le début de l’offensive allemande, il est nommé vice-président du conseil. Le 16 juin, il obtient la présidence du conseil et dès le lendemain il fait un discours, auquel De Gaulle répondra dès le 18, appelant à cesser les hostilités. Le 22 l’armistice est signé et début juillet c’est l’installation du gouvernement à Vichy, gouvernement qui mettra en place un « Ordre Nouveau » clairement d’extrême droite. Après l’épisode de Sigmaringen et un passage par la Suisse, il rentre de son plein gré en France où il est arrêté. Son procès se tiendra du 23 juillet au 15 août 1945. Il y sera principalement défendu par Jacques Isorni[2]. Frappé d’indignité nationale, il n’est pas condamné à mort mais enfermé sur l’île d’Yeu. Il en sortira pour mourir dans une maison privée le 23 juillet 1951. En 1973, un commando enlèvera son corps à l’instigation de Jean-Louis Tixier de Vignancourt[3] pour respecter les volontés de Pétain d’être inhumé à Verdun. La tentative rocambolesque échouera et le corps retournera sur l’île d’Yeu.

Un homme de 84 ans qui fait don de sa personne
Le livre que nous analysons ici reprend des textes couvrant la première année du régime de Vichy. L’importance que le nouveau régime y donne est illustrée par le fait que toutes les pages sont tricolores, le texte étant imprimé en bleu et chaque page ayant des marques rouges. Il est doté également d’un portrait de Pétain en civil. Dès le départ celui-ci se présente comme sauveur de la France : « (…) sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur »[4]. Atténuer ce malheur passe par une négociation avec les forces d’occupation qui dès le départ vont alterner ouverture et fermeté : « dès l’entrée en vigueur de l’armistice, mon gouvernement s’est efforcé d’obtenir du gouvernement allemand la possibilité de rentrer à Paris et à Versailles. Or, le 7 août, le gouvernement allemand m’a fait connaître que tout en maintenant son acceptation de principe déjà inscrite dans la convention d’armistice, il ne pouvait, pour des raisons d’ordre technique et tant que certaines conditions matérielles ne seraient pas réalisées, autoriser ce transfert »[5]. Une collaboration, et c’est intéressant, pleinement assumée dès le départ : « Cette collaboration doit être sincère. Elle doit être exclusive de toute pensée d’agression. Elle doit comporter un effort patient et confiant (…) Cette politique est la mienne. Les ministres ne sont responsables que devant moi. C’est moi seul que l’Histoire jugera. Je vous ai tenu jusqu’ici le langage d’un Père ; je vous tiens aujourd’hui le langage du Chef. Suivez-moi. »[6]. Position du chef inscrite dans les principes de l’ordre nouveau à l’article 8 : « toute communauté requiert un chef. Tout chef, étant responsable, doit être honoré et servi. Il n’est plus digne d’être un chef dès qu’il devient oppresseur »[7]. La politique de collaboration vise à maintenir l’unité nationale, qui inclut les colonies : « L’honneur nous commande de ne rien entreprendre contre d’anciens alliés. Mais l’intégrité du pays exige que soient préservées les sources de notre ravitaillement vital, que soient sauvegardés les postes essentiels de notre empire. C’est contre ces nécessités que s’insurgent chaque jour les propagandistes de la dissidence »[8]
La position du sauveur est d’autant plus importante que, comme Hitler envers la guerre de 14-18, Pétain considère que la France a perdu en mai 40 car elle s’est effondrée de l’intérieur et pas tellement par l’action de l’Allemagne. Au-delà d’un redressement matériel lié aux questions alimentaires et de la nécessité de limiter au maximum un rationnement devenu inévitable, de l’accueil des réfugiés (évoque le chiffre de 4 millions), de la réparation des infrastructures… C’est surtout d’un redressement moral dont la France a besoin : « Notre défaite est venue de nos relâchements. L’esprit de jouissance détruit ce que l’esprit de sacrifice a édifié. C’est à un redressement intellectuel et moral que, d’abord, je vous convie. »[9]. C’est pourquoi la figure du chef est aussi l’occasion de rompre avec une “fausse liberté” : « Nous leur dirons (aux jeunes) qu’il est beau d’être libre, mais que la « Liberté » réelle ne peut s’exercer qu’à l’abri d’une autorité tutélaire, qu’ils doivent respecter, à laquelle ils doivent obéir »[10]. C’est aussi dans cette logique que le paysan doit être remis plus en valeur par rapport au citadin : « Le citadin peut vivre au jour le jour. Le cultivateur doit prévoir, calculer, lutter. Les déceptions n’ont aucune prise sur cet homme que dominent l’instinct du travail nécessaire et la passion du sol. Quoi qu’il arrive, il fait face, il tient. C’est un chef »[11]
La conséquence logique est donc la conception d’un état fort : « Cet état sera hiérarchique et autoritaire, fondé sur la responsabilité et le commandement, s’exerçant de haut en bas, à tous les échelons de la hiérarchie (…) »[12]

Une révolution nationale d’extrême droite
Dès l’article premier des principes du régime que Pétain met en place, le triptyque Travail-Famille-Patrie[13] destiné à remplacer celui issu de la Révolution de 1789, est énoncé, marquant bien là la nature d’un régime qui voit le triomphe des adversaires de l’esprit des Lumières : « L’homme tient de la nature ses droits fondamentaux. Mais ils ne lui sont garantis que par les communautés qui l’entourent : la Famille qui l’élève, la Profession qui le nourrit, la Nation qui le protège »[14]. Si l’on retrouve un positionnement « ni gauche, ni droite »[15] : « Le travail des Français est la ressource suprême de la patrie. Il doit être sacré. Le capitalisme international et le socialisme international qui l’ont exploité et dégradé font également partie de l’avant-guerre. Ils ont été d’autant plus funestes que, s’opposant l’un à l’autre en apparence, ils se ménageaient l’un et l’autre en secret. Nous ne souffrirons plus leur ténébreuse alliance. Nous supprimerons les dissensions dans la Cité. Nous ne les admettrons pas à l’intérieur des usines et des fermes »[16], la solution proposée passe par la suppression des contre-pouvoirs acceptant très tôt de copier les solutions mises en place par le Nazisme :  « L’idée nationale-socialiste de la primauté du travail et de sa réalité essentielle par rapport à la fiction des signes monétaires, nous avons d’autant moins de peine à l’accepter qu’elle fait partie de notre héritage classique »[17]. En conséquence : « Le centre du groupement n’est donc plus la classe sociale, patronale ou ouvrière, mais l’intérêt commun de tous ceux qui participent à une même entreprise »[18] dans une parfaite logique corporatiste marqueur idéologique des mouvements d’extrême droite : « les organisations professionnelles traiteront de tout ce qui concerne le métier, mais se limiteront au seul domaine professionnel. Elles assureront, sous l’autorité de l’Etat, la rédaction et l’exécution des conventions de travail (…) elles éviteront enfin les conflits, par l’interdiction absolue des « lock-out » et des grèves. »[19]
Corporatisme, glorification des campagnes devant les villes et des manuels faces aux intellectuels : « Nous l’aiderons à en recueillir les influences vivifiantes, notamment en donnant à l’enseignement de la géographie et de l’histoire un tour concret, un caractère local et régional qui ajoutera les clartés de la connaissance à l’amour du pays. L’école primaire ainsi conçue, avec son complément artisanal, substituera à l’idéal encyclopédique de l’homme abstrait, conçu par des citadins, l’idéal beaucoup plus large, beaucoup plus humain de l’homme appuyé sur un sol et sur un métier déterminés »[20]  Éléments complété par un appel à la renaissance de la nation, à la réduction du rôle de la femme à celui de mère et évidemment la place du chef, tous thèmes déjà abondamment rencontrés dans notre chronique. Mais certaines déclarations vont encore plus loin dans la confirmation du caractère d’extrême droite du régime de Vichy, et ce dès son origine car dans les toutes premières mesures annoncées on retrouve : « (l’)épuration de nos administrations, parmi lesquelles se sont glissés trop de Français de fraîche date »[21]. Mesure confirmée plus loin : « La révision des naturalisations, la loi sur l’accès à certaines professions, la dissolution des sociétés secrètes, la recherche des responsables de notre désastre, la répression de l’alcoolisme, témoignent d’une ferme volonté d’appliquer dans tous les domaines, un même effort d’assainissement et de reconstruction »[22].
Et pour bien confirmer la place de Pétain dans notre chronique, un petit volet naturaliste : « La nature ne crée pas la société à partir des individus, elle crée les individus à partir de la société (…) Dans une société bien faite, l’individu doit accepter la loi de l’espèce »[23].


[1] Principalement dans Horthy : le Pétain Hongrois in AM n°80 d’avril-juin 2017
[2] Voir sur Isorni : L’histoire est incomplète sans le témoignage des perdants in AM n°73 de juillet-septembre 2015
[3] Voir sur Tixier : La cohérence d’un engagement in AM n°40 d’avril-juin 2007
[4] Maréchal Pétain, La France nouvelle. Principes de la communauté. Suivis des appels et messages 17 juin 1940-17 juin 1941, Paris, Fasquelle, 1941, p.15
[5] P.42
[6] P.89
[7] P.9
[8] P.135
[9] P.26
[10] P.61
[11] P.142
[12] P.160
[13] Voir Travail – Famille – Patrie in AM n°49 de juillet-septembre 2009
[14] P.7
[15] Voir Un vrai fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite in AM n°31 de janvier-mars 2005
[16] P30
[17] P.65 Voir Force, Joie et Travail! In AM n°45 de juillet-septembre 2008
[18] P.149
[19] P.81 Voir aussi L’extrême droite défend-elle les travailleurs ? in AM n°60 d’avril-juin 2012 et La « démocratie autoritaire » pour le bien des travailleurs in AM juillet-septembre 2013
[20] P.52
[21] P.33
[22] P.68
[23] P.113

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