jeudi 18 juillet 2019

Voltaire comme alibi à la rupture du cordon sanitaire


 Cet article a été publié dans Aide-Mémoire n°89 de juillet-septembre 2019, p.11

Avec la dernière séquence électorale en Belgique, nous avons assisté avant et après les résultats à des débats sur la question de laisser la parole à l’extrême droite. Et plus largement à ce que l’on pouvait qualifier d’extrême droite à partir du moment où celle-ci modifiait son discours pour le rendre plus présentable, voire compatible. Ce fut aussi l’occasion pour beaucoup avec le mouvement Schild & Vrienden de découvrir les identitaires[1].

L’Islam menace la République
L’ouvrage que nous avons choisi d’analyser cette fois-ci est un interview croisée réalisée dans le cadre de la présidentielle de 2012 de deux responsables de mouvements ne se reconnaissant pas officiellement à l’extrême droite, Riposte Laïque de Pierre Cassen et Résistance Républicaine de Christine Tasin, et d’un qui n’en fait pas mystère, le Bloc Identitaire de Fabrice Robert[2]. Il est cependant frappant de constater rapidement que le vocabulaire et la terminologie de ce dernier est vite utilisée par les deux autres. Ainsi Cassen parle-t-il dès les premières pages de « substituions de population » pour désigner la présence des musulmans en France rejoignant là la théorie du « grand remplacement » et la thématique de la « remigration » chère aux identitaires. Cassen comme Tasin disent ouvertement se reconnaître dans le discours de Marine Le Pen, le premier utilisant d’ailleurs l’expression UMPS[3]. Des différences, apparaissent cependant entre le responsable des identitaires et ses deux interlocuteurs. Le premier se montre ainsi défenseur des identités régionales alors que les deux autres se positionnent en défenseur du centralisme républicain. Une autre différence est que Cassen dit encore croire en l’intégration des maghrébins qui respecte les lois de la République alors que, logiquement, Robert est sur un discours plus essentialiste. Enfin Robert ne croit pas en l’universalité des droits de l’homme, rejoint là par Tassin qui parle de « l’idéologie droitdelhommiste » alors que Cassen est pour l’imposition de celle-ci partout dans le monde.
Mais ce qui les fait se rejoindre est une conception d’une France assiégée de l’intérieur. La couverture du livre est très claire qui comprend un pavé jaune « l’Islam, un débat qui rassemble »  alors que sur Le 4e de couverture il est précisé que : « pour la première fois, ce livre lève le voile sur les acteurs souterrains de l’opposition à l’islamisation de la France, désormais majoritaire dans l’opinion malgré la pression de la bien-pensance politico-médiatique ». Cassen est ainsi extrêmement limpide dans sa description de ce qu’est Riposte laïque : « Tout d’abord, Riposte laïque est un média, il n’a donc pas vocation à se présenter à des élections. Il s’est créé pour réveiller les consciences et tenter de décomplexer la gauche (…) pour s’opposer à la dictature du politiquement correct représentée par Libération et Le Monde. (…) Riposte laïque s’est créée parce que la bien-pensance trouvait son compte dans le fait que certains thèmes ne puissent être évoqués que par des groupes identifiés à l’extrême droite (…) notre autre objectif est de faire cesser la diabolisation d’une prétendue extrême droite (…) Pour nous, aujourd’hui, le vrai fascisme, le vrai péril d’extrême droite, ce ne sont ni les identitaires ni Jean-Marie Le Pen ni sa fille. Le vrai danger, c’est l’islamisation de la France et le projet politico-facho-religieux qui découle de la montée de l’immigration »[4] et de préciser avec un certain sens de la formule : « Moi, je dirais France Halal et France racaille sont deux types de « France » de plus en plus importés, contre lesquels les Français se crispent, et à juste titre ! » [5]. L’immigration, quasi réduite exclusivement à l’Islam est donc vécue comme LE problème comme le précise Robert : « Le problème principal, c’est l’immigration de masse, parce qu’en  modifiant l’équilibre démographique elle transforme l’image de la France, transforme son substrat ethnoculturel »[6].
Sur l’Islam il n’est pas inintéressant de constater certaines contradictions. Ainsi après avoir souligné que « D’abord ces mosquées cathédrales ne s’accordent pas avec mon idée du paysage français : le village avec un clocher. Ensuite cette exigence de mosquées-cathédrales est disproportionnée par rapport aux besoins réels. (…) Selon moi, ces revendications en faveur de la multiplication de mosquées sur notre sol obéissent à un objectif politico-religieux de conquête », tout comme la question du voile et du Halal formant une sorte de trinité dangereuse, la discussion tourne sur ce qu’est l’Islam. Et Tasin d’expliquer : «le problème, c’est que l’Islam enseigné dans les mosquées n’est pas celui-là. Et c’est normal, parce qu’il n’y a qu’un seul Islam, lequel se fonde sur le Coran, et dont les prescriptions sont incompatibles avec la République… Sans compter que les interventions étrangères y sont de plus en plus nombreuses : on a des mosquées salafistes, des mosquées algériennes… chacune véhicule un certain nombre de concepts propres à sa minorité »[7], reconnaissant ainsi une pluralité dans l’Islam qui reste cependant incompatible quel que soit sa forme car « Je ne sais pas ce que signifie l’expression « Islam de France ». Parlons plutôt d’Islam en France, puisque cette religion est exogène à l’Europe »[8].

Une alliance face au danger
C’est face à cette menace que les trois mouvements ont mené ensemble une opération médiatique avec un apéritif saucisson-pinard. Ils se positionnent ainsi comme les nouveaux résistants : « Nous avions prévu un plan B, toujours dans l’esprit de Résistance à l’Occupant. C’est Pierre, il me semble, qui avait proposé cette idée de se retrouver devant la plaque commémorative de l’Appel du 18 juin 1940 »[9]. Cassen n’est nullement dupe sur le positionnement qu’il adopte ainsi, prétextant la liberté d’expression pour expliquer son alliance avec l’extrême droite radicale : « à Riposte Laïque, nous nous réclamons de la liberté d’expression. Et nous sommes obligés de constater que Marine Le Pen ne tient pas le discours d’extrême droite traditionnel, qu’elle n’a pas le même discours que son père. Sur la question du voile et de la Burqa notamment et, plus largement, sur l’islamisation de la France et sur la République, elle est la femme politique dont le discours se rapproche le plus du nôtre »[10]. Il assume ainsi totalement un rapprochement qui lui permet d’avoir des troupes militantes : « Nous avons compris que cette opération pouvait permettre aux identitaires de sortir d’une certaine diabolisation, d’acquérir une respectabilité dont ils étaient demandeurs »[11]. Pour justifier cette rupture d’une forme de cordon sanitaire, il appelle à la rescousse Voltaire : « De nos jours, les Voltaire ne sont plus qu’un souvenir : ils ont cédé la place aux commissaires politiques, aux ligues de dénonciation et à toutes les formes de police de la pensée dotées de leurs bataillons juridiques »[12]. Une phraséologie, un discours, que nous entendons de plus en plus en Belgique également. Tout comme la stratégie utilisée pour contourner, via la « réinfosphère » les silences médiatiques : « Internet est donc un moyen de contourner la diabolisation et le silence médiatiques. C’est également un instrument de mobilisation de la majorité silencieuse contre les élites (…) chez les identitaires, nous considérons la rue,  mais aussi les réseaux informatiques, comme nos permanences politiques… »[13]

Un programme bien bien à droite
Mais le plus intéressant est de voir qu’au plus la discussion entre les trois personnes se développe, au plus la parole se libèrent, et que Cassen et Tasin utilisent de plus en plus le vocabulaire mis en place par la Nouvelle Droite[14]. Ainsi Cassen de parler de « racisme anti-blanc » tandis que Tasin développe une vision réactionnaire de la société avec sacralisation du drapeau, de la personnalité du Président… et une vision de l’enseignement particulièrement droitière, proche du discours et des valeurs vichyste[15] : « Il est indispensable de restaurer l’effort, l’autorité, l’appétit du savoir… il faudrait aussi que les enseignants soient sommés, sous peine d’exclusion, de ne pas faire de prosélytisme en classe. Pas de politique, pas de militantisme. Il y a maintenant la mode de l’enseignement de l’éducation civique, dans les lycées, où les enseignants ont le choix des sujets. Evidemment, ceux qu’ils choisissent tout le temps sont l’esclavage, les droits de l’homme, la colonisation… chercher l’erreur. »[16]. Et de prolonger : « La reconquête républicaine, pour moi, c’est une école où les profs cessent d’avoir peur devant les élèves, c’est un pays où les policiers sont respectés, c’est un pays où on réapprend le respect, où on réapprend le travail. C’est un pays où on retrouve du bon sens. »[17]. Robert des identitaires multiplient lui les formules chocs. Ainsi après un « plutôt Vesoul que Kaboul » précise-t-il : « Pour moi, c’est « Ni Kebab, ni Mac Do ». Pourquoi devrais-je choisir entre les deux termes d’une alternative qu’une tierce personne me propose ? Eh bien, je refuse les deux ! Je propose une troisième voie : elle est européenne »[18]
Comme on a pu le voir, le discours essentialise les choses, les naturalise pour les figer dans une permanence visant à rendre incompatible deux mondes qui seraient totalement opposés. Et Robert d’être particulièrement limpide : « Quand une vache naît dans une écurie, ça n’en fait pas un cheval. Donc, quand un Algérien naît en France, çà n’en fait pas un Français ! »[19]


[1] En Belgique francophone cette tendance est incarnée par Nation. Voir Identitaire ou nationaliste : en un mot Fasciste ! in Aide-Mémoire n°88 d'avril-juin 2019, p.11
[2] Cassen, pierre ; Tasin, Christine ; Robert, Fabrice. Entretiens menés par André Bercoff Apéro saucisson-pinard. Coulisses et enjeux d’un rassemblement qui a secoué la France, Suisse, Xenia, 2012
[3] P.63
[4] P.53
[5] P.115
[6] P.34
[7] P.90
[8] P.91
[9] P.23
[10] P.27
[11] P.22
[12] P.7
[13] P.35
[14]  Voir L’inégalité comme étoile polaire de l’extrême droite in AM n°66 d’octobre-décembre 2013, Le Gramsci de l’extrême droite in AM n°78 d’octobre-décembre 2016, et De la porosité de la droite envers l’extrême droite in Am n°84 d’avril-juin 2018
[15] Voir Faire don de sa personne in AM n°86 d’octobre-décembre 2018
[16] Pp.135-136
[17] P.198
[18] P.107
[19] P.20

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