En 1871, durant 72 jours la Commune de Paris a tenté, dans un contexte difficile, de concrétiser les utopies du mouvement ouvrier. Du 18 mars au 28 mai, le peuple de Paris s’est autogouverné et a pris une série de mesures emblématiques qui, aujourd’hui encore, sont soit novatrices, soit au cœur de débats de société.
Comprendre la Commune, ses espoirs et ses tentatives de réalisations, c’est se replonger dans une histoire bien plus longue, à laquelle les Communards firent constamment référence voire à laquelle nombres d’entre eux participèrent. C’est évoquer 1789, et plus encore 1793, ainsi que tous les espoirs et changements qui en découlent.
L’avènement
Si 1789-1793 est une première référence incontournable, la révolution de juin 1848 en sera une autre plus importante encore de par la participation de nombreux futurs membres de la Commune aux barricades de ce mouvement, qui se voulait la prolongation de celui de février ayant mis fin à la Monarchie de Juillet. Mais la révolution de juin 1848 sera réprimée dans le sang par la jeune IIe République, le drapeau tricolore prenant le dessus sur le drapeau rouge, la république bourgeoise sur la république sociale… 1871 fut donc vécu par beaucoup de Communards comme une revanche.
Enfin, comprendre la Commune de Paris, c’est aussi se souvenir que, depuis décembre 1851, la France est dirigée par Napoléon III. Ce dernier est entré en guerre contre la Prusse le 19 juillet 1870. Après la défaite de Sedan, sous la pression populaire, l’Hôtel de Ville de Paris est envahi le 4 septembre et la République proclamée. Dès le lendemain se forme un « Comité central des vingt arrondissements » qui, le 15 septembre, publie la première « affiche rouge » réclamant la guerre à outrance et la levée en masse. Nombre de dirigeants de la Commune seront issus de ce comité. Quatre jours plus tard les Prussiens entament le siège de Paris. Le mois d’octobre voit s’enchainer les défaites militaires. Le 31 octobre, une insurrection occupe l’Hôtel de Ville, mais le mouvement échoue. Le 6 janvier une deuxième affiche rouge est publiée. Celle-ci appelle à la formation de la Commune. Quinze jours plus tard, des gardes nationaux libèrent les insurgés du 31 octobre et le lendemain, 22 janvier, lors d’une nouvelle tentative de prendre l’Hôtel de Ville de Paris, on déplore plusieurs morts. La répression qui suit frappe six journaux qui sont interdits.
Un mois plus tard, le 24 février (anniversaire de la proclamation de la IIe République en 1848), deux mille gardes nationaux représentant l’immense majorité des bataillons se réunissent et constituent la « Fédération Républicaine de la Garde nationale », prenant le nom de « Fédérés ». Une manifestation avec drapeau rouge et cris de « Vive la Commune » s’ensuit. C’est de cette fédération que sera issu, le 15 mars, soit trois jours avant le début officiel de la Commune, le Comité central de trente-cinq membres qui sera une des deux têtes de l’insurrection. Les Fédérés militent pour la fin de l’armée permanente et pour pouvoir élire leurs officiers qui seront révocables. Un principe qui ne facilitera pas forcément le bon déroulement des opérations militaires.
Le 28 février, le gouvernement élu le 8 février et dont l’immense majorité est monarchiste signe l’armistice aux conditions sévères. Si l’assemblée est majoritairement réactionnaire, les élus de Paris sont, quant à eux, largement républicains voire socialistes. Une division qui ira en s’accentuant avec les premières décisions prises par le gouvernement d’Adolphe Thiers.
Celles-ci touchent en effet les Parisiens de plein fouet avec la suppression de la solde journalière des gardes nationaux (seul moyen de subsistance pour beaucoup de familles). Une mesure qui est aggravée par la fin du moratoire sur les loyers et échéances commerciales, mis en place au moment du siège. De plus, symboliquement, l’assemblée décide de siéger à Versailles, lieu de la Monarchie, et non à Paris, lieu de la République.
La ville de Paris, qui a voulu résister à outrance, est un volcan qui gronde et que la moindre étincelle peut faire exploser.
Cette étincelle, ce sera la décision du gouvernement de récupérer les canons payés par souscription populaire et que le Peuple de Paris considère dès lors comme sa propriété. Mal préparée, l’opération prend du retard et l’alerte est donnée. La population se rassemble et, avec la Garde nationale, protège les canons de Montmartre. Le général Lecomte à la tête de l’opération ordonne à ses troupes de faire feu sur la foule… mais ses soldats mettent crosse en l’air et fraternisent avec le peuple. Lecomte est arrêté et fusillé, tout comme le général Clément Thomas, qui avait participé à la répression sanglante de 1848, et est reconnu par la foule. Partout dans Paris, la troupe fraternise et des barricades sont dressées. Thiers préfère quitter Paris avec son gouvernement et rejoindre l’assemblée monarchiste à Versailles. Le soir du 18 mars, le Comité central de la Garde nationale contrôle la ville de Paris. Il prend immédiatement des décisions importantes, significatives du sens de la Commune : interdiction de l’expulsion des locataires, mesures sur les échéances commerciales, suppression de l’armée au profit d’une milice nationale, et surtout convocation d’élections pour la Commune.
Organisés sous le nom des « Amis de l’Ordre », les opposants à la Commune tentent une contre-insurrection en organisant une manifestation le 22 mars vers la place Vendôme, siège du Comité central. L’affrontement fait de 15 à 30 morts.
Le 28 mars, ce sont 200.000 personnes qui assistent sur la place de l’Hôtel de Ville à l’annonce des résultats des élections (qui se sont tenues le 26) des représentants de la Commune et à la proclamation officielle de cette dernière. Parmi eux : Léo Frankel, un geste politique fort car n’ayant pas la nationalité française, son élection représente l’inscription dans les faits des principes de République Universelle qu’incarne le drapeau rouge. Il en sera de même du rôle de nombreux officiers principaux de la Commune, notamment d’origine polonaise comme Dombrowski ou Wroblewksi. Une présence étrangère à des postes clefs qui, ajouté au rôle de l’AIT (1ère Internationale), sera utilisée et gonflée par la propagande anti-communarde pour qualifier la Commune de complot de l’étranger. Malgré l’installation à partir de la proclamation de la Commune le 28 mars d’un pouvoir civil élu qui se dote d’un comité exécutif et de neuf commissions spécifiques, le Comité central de la Garde nationale reste en place pour les questions militaires. Ce pouvoir bicéphale sera source de nombreuses tensions. La fin mars est également marquée par des « Communes », vite écrasées, en province. L’espoir d’une extension de la Commune en dehors de Paris s’évanouit. Des élections complémentaires pour remplacer des élus démissionnaires, notamment ceux issus des quartiers bourgeois opposés à la Commune, seront organisées le 16 avril.
La répression
Alors que la Commune ne veut pas déclencher de guerre civile et se concentre sur son organisation politique, Thiers réorganise son armée. Après avoir gagné du temps avec de fausses négociations, les Versaillais passent à l’attaque le 2 avril, exécutant les Fédérés fait prisonniers. L’offensive suscite une réaction spontanée du peuple parisien. Mal préparés, les Fédérés sont mis en déroute les 3 et 4 avril. Cette sortie est marquée par l’exécution des prisonniers. La Commune répondra le 5 avril par un décret sur les otages qui ne sera jamais officiellement appliqué. Dès ce moment, la Commune est contrainte à une guerre défensive. Le 11 avril, alors que Versailles passe à l’offensive, se constitue l’Union des femmes pour la défense de Paris. Le même jour, la franc-maçonnerie envoie une délégation à Versailles pour faire cesser les hostilités. Cette initiative, comme les suivantes, sera un échec.
La Commune sera dès le début du mois d’avril soumise à une tension militaire importante dont dépend sa survie et qui provoquera tensions et dissensions en son sein. Notamment lors de la création du Comité de Salut public le 1er mai. Une opposition, dite de la Minorité, publie le 16 mai un Manifeste qui dénonce un pouvoir virant à la dictature. Poussés par leur base, les membres de la Minorité reviendront siéger le 21 mai… jour de l’entrée des Versaillais dans Paris. Tant la tension militaire que les divisions politiques n’empêcheront pas la Commune d’arriver à faire fonctionner assez efficacement les services publics et à assurer le ravitaillement. La Commune prouvera par-là la capacité de la classe ouvrière à s’auto-gérer. En outre seront mis en pratique une série de principes, à commencer par une démocratie communale au plus près des citoyens : la dimension de quartier qui est très forte et incontournable pour comprendre son fonctionnement. L’importance de la démocratie, on la retrouvera aussi dans le foisonnement des journaux mais surtout des clubs. Nombre d’entre eux se réuniront dans les églises en soirée, la pratique du culte pouvant se dérouler en journée. Les femmes y joueront un rôle important, ayant même leur propre club. Elles iront également au combat.
L’expérience prendra fin dans le sang de la « semaine sanglante ». 130.000 hommes vont méticuleusement ratisser Paris et fusiller des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, tandis que les défenseurs de la Commune vendent chèrement leur vie et leur idéal en se défendant barricades par barricades, quartier par quartier. À partir du 23 mai, les incendies ravagent la ville, déclenchés tant par les obus versaillais que par les tentatives désespérées des Communards de freiner l’avancée des lignards. Le mythe des « pétroleuses », ces femmes incendiaires, naîtra immédiatement. Dès le 25 mai, la ville est quasiment conquise. Les derniers combats se tiennent dans le cimetière du Père-Lachaise et dans le quartier de Belleville. À 15h, la dernière barricade tombe. Pour celles et ceux qui ont échappé au massacre commence un long calvaire dans les prisons de Versailles, en déportation ou en exil.
Bilan de la Commune
Au-delà d’actes symboliques, la Commune de Paris, ce fut surtout un grand nombre de réalisations des revendications du mouvement ouvrier, via de nombreux décrets. Citons notamment le gel des loyers et la réquisition des logements vacants pour que tout le monde ait un toit, la limitation du travail de nuit, l’abolition des amendes et des retenues sur les salaires, la réduction du temps de travail, la réquisition des ateliers abandonnés, la séparation de l’Église et de l’État, l’instruction laïque obligatoire et gratuite, le caractère révocable des mandats et la limitation du cumul et des rémunérations qui y sont liés, l’égalité de traitement entre les enfants (légitimes ou non) ainsi qu’entre les épouses et les concubines pour la perception des droits et pensions… Mais la Commune, ce fut aussi les questions de l’égalité des sexes (même si la Commune n’accordera pas le droit de vote aux femmes et n’aura pas de dirigeantes), du rôle de la violence, de l’importance de l’or conservé par la Banque de France…
Épisode-clef de l’histoire sociale mondiale, la Commune suscitera une grande espérance qui sera portée et entretenue par ses survivants en exil, puis au sein du mouvement ouvrier. Depuis 150 ans, cet évènement reste source de débats. C’est ainsi, par exemple, que c’est à l’occasion d’un meeting organisé par un groupe anarchiste place Delcour à Liège, et ayant pour thème le 15e anniversaire de la Commune que la révolte de 1886 débutera. Une révolte qui marqua un tournant dans l’histoire sociale de la Belgique puisque c’est à sa suite que sera amorcée la législation sociale dans notre pays.
- Une bibliographie abondante existe sur le sujet. Voir ainsi les 4.938 références reprises dans Robert Quilles, Bibliographie critique de la Commune de Paris 1871, Paris, La boutique de l’histoire, 2006. Les personnes intéressées à prolonger peuvent se référer aux ouvrages suivants, récemment sortis : Marc César et Laure Godineau (dir.), La Commune de 1871. Une relecture, Créations édition, 2019 ; Quentin Deluermoz, Commune(s), 1870-1871. Une traversée des mondes au XIXe siècle, Paris, Seuil, 2020. Et surtout Michel Cordillot (dir.), La Commune de Paris 1871. Les acteurs, l’événement, les lieux, Paris, Éditions de l’Atelier, 2020.
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